V De Jérusalem à Rome. Jérusalem n'était pas sûre pour Paul, non seulement parmi les Juifs,mais aussi parmi les judaïsants, qui auraient pu le dénoncer. C'estpourquoi les fidèles de Césarée, qui accompagnaient lesmissionnaires, les firent loger chez un homme de confiance, uncertain Mnason (voir ce mot), Cypriote, disciple helléniste, etconverti depuis longtemps. C'est ce qui ressort également du récit del'entrevue de Paul avec Jacques et les anciens. Malgré leurapprobation de tout ce que Paul avait fait parmi les Gentils, ils nejugèrent pas prudent de le mettre en présence de l'Église avantd'avoir pris certaines précautions. La communauté hiérosolymiten'avait sans doute rien appris depuis le concile de Jérusalem; elleavait plutôt désappris. Pierre n'était plus là pour balancerl'influence de Jacques et surtout des judaïsants les plus stricts,ceux qui, peut-être, avaient donné naissance, à Corinthe, au partisoi-disant de Christ et qui formaient le milieu d'où devait plus tardsortir l'homélie pseudo-clémentine, cet écrit violemmentanti-paulinien, où Paul est tenu pour un émissaire de Satan. Toujoursest-il que l'on demande à Paul de donner des preuves manifestes de safidélité juive. Il aidera quatre hommes pauvres à s'acquitter d'unvoeu, et lui-même se purifiera avec eux. Paul accepte. Beaucoupd'auteurs se sont refusés à admettre l'historicité de cet étrangeépisode rapporté par les Actes. D'autres l'admettent, mais jugentsévèrement la conduite de l'apôtre. La plupart acceptent le récit etle commentent dans un sens plus ou moins favorable à Paul. Paul étaitresté juif; Paul s'est fait tout à tous; Paul était un mystique;autant de points qu'il est bon d'invoquer et de développer, mais quine dissipent pas entièrement l'impression d'étonnement qui s'impose àla simple lecture. De toute façon, la loyauté de Paul est au-dessusde tout soupçon (voir Naziréat). Paul prit donc les quatre nazirs et se présenta devant lesprêtres, auxquels il fit la déclaration de cessation de voeu (Ac21:26). C'était le surlendemain de son arrivée (verset 18). Lachronologie des événements qui se déroulèrent alors (l'arrestation,le départ sous bonne escorte pour Césarée, la comparution devantFélix) est difficile à établir, et il faut, sans doute, admettre unecertaine incohérence dans la succession et les précisions de tempsdonnées par les Actes. (comp. Ac 24:11 24:1 22:30 21:27) Mais cen'est pas une raison pour discréditer l'ensemble du récit, dont lesdétails sont vraisemblables. Paul, se trouvant dans le temple, fut aperçu par quelques Juifsd'Asie qui, peut-être, avaient déjà comploté contre lui à Éphèse.Ayant vu précédemment l'Éphésien Trophime avec lui, ils crurent oufeignirent de croire que Paul l'avait introduit dans le temple.L'occasion était belle pour se défaire de leur ennemi. En effet, lesRomains avaient accordé aux Juifs le droit de punir de mort toutpaïen, même citoyen romain, qui pénétrerait dans l'enceinte dutemple. On le sait par Josèphe; en 1871, Clermont-Ganneau a retrouvél'une des inscriptions qui mettaient en garde les étrangers, auxabords du parvis (fig. 260). Paul fut dénoncé, accusé, assailli parla foule, entraîné hors du temple, et il aurait été certainementmassacré, si les sentinelles de la tour Antonia qui surplombait letemple pour pouvoir mieux le surveiller, n'avaient donné l'alarme. Leposte fut immédiatement alerté. Le tribun Claudius Lysias, à la têtede ses légionnaires et centurions en armes, se porta au pas de coursejusqu'au temple, et le calme fut rétabli. Les Romains avaient la mainlourde et les Juifs le savaient. Paul fut donc immédiatement délivré.Mais, supposant que l'individu capable de susciter de tellesindignations était quelque redoutable bandit, Lysias le fit enchaîneret ordonna de l'emmener au poste. La foule, voyant l'impie luiéchapper et reprenant courage, fit un mouvement offensif; mais lesRomains purent se dégager. Ils atteignirent la citadelle. Au momentd'y entrer, Paul s'adressa en grec au tribun surpris et obtint de luide parler à la foule. Il réussit à se faire écouter jusqu'au momentoù il mentionna sa mission parmi les Gentils. La foule fut de nouveauen furie. Lysias fit entrer immédiatement le prisonnier et ordonna delui donner la question par le fouet. C'était un supplice atroce, quientraînait souvent la mort, mais qu'il était interdit d'infliger à uncitoyen romain. Paul fit donc connaître sa qualité. L'affaire devaitse débattre devant le procurateur. Cependant, Lysias fit convoquer lesanhédrin, non pour un jugement qui échappait à la juridiction juive,mais pour une confrontation. Le tribun n'outrepassait pas ses droits;il agissait, au contraire, en fonctionnaire intelligent et zélé, envue de fournir un rapport circonstancié au procurateur. Après cettecomparution, les Juifs essayèrent d'en obtenir une autre, et cettefois, sans doute, pour exécuter le complot dont il est question dansAc 23:12,22. Paul devait être assassiné, pendant le parcours dela citadelle au temple, par 40 sicaires qui surprendraient la garderomaine, décidés à tout. Lysias, mis au courant, ne poursuivit pasplus avant son enquête et jugea plus sage d'envoyer Paul secrètement,de nuit, sous bonne escorte, à Césarée, par Antipatris. Paul, à sonarrivée, subit un bref interrogatoire. Mommsen a montré que toute laprocédure indiquée par les Actes avait été parfaitement conforme àl'usage romain. Le procès commença à l'arrivée des plaignants. Legrand-prêtre en personne, Ananias, accompagné de quelques prêtres etd'un avocat, le rhéteur Tertullus, était venu soutenir l'accusation.Le discours perfide de Tertullus était, en somme, assez maladroit,car il mettait en cause le tribun Lysias, ce qui ne pouvait manquerd'indisposer Félix. La parole est donnée à Paul, dont la défense estsimple et digne. Après avoir exposé clairement les faits, d'accusé ildevient accusateur. Félix pouvait être fixé. Mais, sans doute parpolitique ou par vénalité, il préféra temporiser. Tacite a porté surlui ce jugement terrible: «Il exerça avec une âme d'esclave lespouvoirs d'un roi.» Il voyait dans toute affaire l'occasiond'extorquer de l'argent aux deux parties. C'est ce qu'il chercha,sans doute, à faire dans le cas de Paul (Ac 24:26). Tantôtrampant, tantôt cruel, il ménageait habituellement ceux qui pouvaientlui nuire. Pour des raisons complexes et qu'il est difficile depréciser: vague sentiment d'équité, vénalité, lâcheté, il garda Paul,en ordonnant simplement de le mettre au régime le plus doux.Drusille, qu'il avait enlevée au roi Azizus son mari, eut envie devoir le prisonnier. Pervertie comme sa soeur Bérénice, elle espéraitpeut-être que cet homme dont on parlait tant l'amuserait par quelquetour de bateleur. Paul s'adressa au procurateur et à sa favorite avecla plus grande fermeté, insistant à dessein sur les vertus et sur lafoi qui leur manquaient le plus (verset 25). Félix, plus effrayéqu'irrité par tant de fermeté, coupa court; mais ensuite, il ne sutaucun gré au prisonnier de cette émotion dont il s'était laisséprendre. Les choses traînèrent en longueur. La captivité dura deuxans. Avec une constance admirable, Paul mit ce temps à profit pourméditer, pour éduquer les amis fidèles qui avaient accès auprès delui, et pour écrire. Il paraît légitime de situer à Césarée lacomposition des épîtres aux Colossiens, à Philémon et aux Ephésiens. En 60, Félix, disgracié, fut appelé à Rome. Il fut remplacé parPorcius Festus, homme d'une autre trempe, magistrat intègre et ferme.Les Juifs essayèrent de mettre à profit sa bienveillance non encoreavertie, pour obtenir de lui que Paul fût ramené à Jérusalem et jugépar le sanhédrin (Ac 25:3). Afin de le faire disparaître plussûrement, ils avaient reformé l'ancien complot et décidé del'assassiner en route. Festus convoqua les plaignants devant sonpropre tribunal. L'accusation se fit entendre, abondante, insidieuse,mais vague. Paul nia énergiquement avoir rien commis de répréhensibleni contre la Loi, ni contre le Temple, ni contre l'Empereur. Manquantencore d'information, et embarrassé, Festus proposa au prisonnier unjugement devant le sanhédrin, mais sous sa protection. Paul, quiconnaissait la situation mieux que lui, comprit bien ce quiarriverait dans cette éventualité; d'autre part, ce longemprisonnement, retardant depuis deux ans ses projets de voyage àRome, lui était devenu insupportable. Il irait à Rome tout de même!Paul prononça la formule fatidique: «J'en appelle à César!» (Ac25:11). Par ces simples mots, il écartait définitivement lajuridiction juive. Il était sous le couvert de la loi Julia. Il iraità Rome! Mais une accusation grave l'y suivrait fatalement: celled'avoir troublé la paix romaine. Entre l'appel irrévocable à César et l'embarquement, Paul dutcomparaître devant Agrippa et Bérénice, plus pervertis encore queleur soeur Drusille. Leur désir de voir Paul fut satisfait parFestus, qui n'était pas fâché d'avoir ainsi l'impression du roiteletbeaucoup plus au courant des choses juives qu'il ne l'étaitlui-même (Ac 25:13-22). Paul fut introduit au cours d'uneréception officielle. Sa dignité et sa fermeté impressionnèrent à telpoint le roi qu'il dit ensuite à Festus: «Si cet homme n'en avaitappelé à César, on aurait pu le remettre en liberté» (Ac 26:32).Mais la justice romaine devait suivre son cours. Paul fut embarqué pour Rome au début de l'automne de l'année 60,en même temps que d'autres prisonniers, peut-être à l'occasion durapatriement d'un centenier, Julius, et d'un contingent de la cohorteAugusta (Ac 27:1). Deux des fidèles compagnons de Paul, Luc etAristarque de Thessalonique, purent s'embarquer avec lui. La saisonétait avancée. Il aurait fallu des conditions exceptionnellementfavorables pour pouvoir gagner l'Italie avant le mauvais temps quimenaçait. Il n'y avait point de navire en partance pour l'Italie. Ilfallut se contenter d'un bateau de cabotage, dont le port d'attacheétait Adramytte, en Mysie. Peut-être trouverait-on, à l'une desescales, un navire se dirigeant vers l'Italie. Les vents dominantsobligeaient d'ailleurs, même les vaisseaux d'Egypte, à gagner laCrète, Rhodes, ou la côte d'Asie Mineure, avant de pouvoir cinglervers l'Italie (cf. Ramsay, art. Roads and Travels, dans HDB, V, pp. 379, 380). Le navire fit escale à Sidon. Le centurion JuliusPaulus, en usant humainement avec Paul (Ac 27:3), lui permit dedescendre à terre pour voir ses amis. La navigation fut ensuiteentravée par le vent d'ouest et dut être fort lente. A Myra, enLycie, on rencontra un navire d'Alexandrie qui devait porter du grainen Italie. Le centenier y embarqua sa troupe. Le lourd vaisseaulongea péniblement la côte jusqu'au large de Cnide, d'où il putgagner l'île de Crète; il réussit à se réfugier, par gros temps, dansune baie de la côte sud, nommée Beaux-Ports. Malgré son nom, ce lieun'offrait qu'un abri précaire. L'hivernage y eût été pénible. Contrel'avis de Paul, le capitaine et le pilote, approuvés par lecenturion, décidèrent de gagner un port plus favorable, Phénix, surla côte S.-O. Peu après le départ, le vent du sud fit place à unouragan venant de l'Est-N.-E.; le navire fut emporté en pleine mer;pendant quatorze jours, la tempête fit ragé. Après des péripétiesdiverses, le navire, depuis longtemps désemparé, fut jeté sur la côtemaltaise, alors que les naufragés se croyaient sur la côte africainedes Syrtes. L'île de Malte (voir ce mot) appartenait à la province deSicile. Le chef des habitants était nommé le Premier, ainsi qu'ilressort de deux inscriptions qui confirment Ac 28:7. Les naufragés restèrent trois mois à Malte (Ac 28:11). Ilsavaient dû arriver à la fin d'octobre ou au début de novembre del'année 60. Ils repartirent dont à la fin de janvier ou au début defévrier 61. Ils firent voile vers Syracuse, sur un navired'Alexandrie qui portait l'enseigne des Dioscures et qui avaithiverné à Malte. De Syracuse, le navire poursuivit jusqu'à Rhegium,puis, de là, jusqu'à Pouzzoles (Puteoli), où l'on débarqua. Lecenturion avait sans doute des instructions à recevoir au sujet desprisonniers et de leurs destinations diverses. On attendit doncquelques jours à Pouzzoles, pendant lesquels Paul dut rester avec lesfrères de la communauté chrétienne de l'endroit. Puis on partit pourRome (Ac 28:14). La petite troupe suivit la large voie Appienne, pavée d'énormesblocs de basalte poli. Elle passait à Minturnes, Formies, Fundi,Terracina. Elle rencontrait ensuite les Marais Pontins. Ici, levoyageur pouvait continuer par terre ou s'embarquer sur le canal quiaboutit au Forum d'Appius, à environ 65 km. de Rome. C'est là que serejoignent la route et le canal. Paul dut y arriver dans lesencombrements et le brouhaha des embarquements et des débarquements,des voitures, des marchands et trafiquants de toute sorte, spectaclebariolé et hautement pittoresque, que décrit Horace après avoir faitle même voyage (Sat., I, 5). C'est là que l'apôtre rencontra lespremiers chrétiens de Rome venus au-devant de lui. Un autre groupeles attendait au lieu dit les Trois-Tavernes, à environ 49 km. deRome, au croisement de la route conduisant à Antium (Ac 28:15).La communauté romaine s'apprêtait donc à faire un accueil chaleureuxau grand apôtre, prisonnier pour Christ. Bientôt, la troupe franchit les monts Albains, traversa Némésie,Aricie. Enfin, de la colline prochaine, l'apôtre aperçut, pour lapremière fois, Rome, que depuis si longtemps il désirait connaître.Vers la porte Capène, Paul put se croire de retour en Orient: mêmesruelles étroites et tortueuses, garnies d'échoppes et d'étalages enplein vent, même foule grouillante, hurlante, mêmes types, mêmescostumes: presque tous ces gens étaient juifs. Puis ce fut latraversée de la cité romaine, jusqu'à la caserne des Prétoriens, auNord-E., près de la voie Nomentane. C'était un camp immense avec lesquartiers d'une importante garnison, la prison de ceux qui en avaientappelé à César et la ménagerie des fauves que l'on gardait là pour lecirque. Paul fut remis à l'officier qui commandait les frumentarii Cet officier assurait la liaison entre le quartier général et lesdétachements cantonnés dans les provinces. Il recevait les passagers,comme princeps peregrinorum, ou princeps castrorumpere-grinorum. Le rapport de Festus devait être favorable à Paul;celui du centurion Julius ne pouvait être qu'excellent. Paul ne futpoint enfermé dans une prison, mais placé sous le régime de la custodia militaris. Il put donc se loger à son gré, dans levoisinage du camp, avec un soldat chargé de le garder en permanence.