PAUL (ses voyages) 3.

III Le deuxième voyage missionnaire. Barnabas fut aussi généreux que Pierre et ne tint point rigueur àPaul d'une leçon qui, pour si dure qu'elle fût, étaitincontestablement méritée. La preuve en est qu'il acceptad'entreprendre avec Paul un second voyage missionnaire dans lesrégions qu'ils avaient déjà visitées. Ce projet ne devait pas seréaliser. L'obstacle ne fut pas une rancune quelconque, une divergence decaractère ou de principe, mais la personne de Jean-Marc, le cousin deBarnabas, qui avait abandonné la mission au cours du premier voyage.Sans doute avait-il regretté son attitude, puisqu'il était prêt à sejoindre aux missionnaires, et qu'il avait persuadé Barnabas de leprendre. Mais Paul, instruit par une première expérience, opposa unveto formel. Il dut partir seul. Nous ne sommes pas en mesure dejuger sa rigueur. Sans doute ne croyait-il pas la vocationmissionnaire de Jean-Marc assez assise. Toujours est-il que ceshommes étaient au-dessus des petitesses qu'on leur prête quelquefois,par des analogies fictives avec de moins grands qu'eux. Ils restèrenten bons termes et sur le pied d'une affection cordiale. (cf. 1Co9:6,Col 4:10,Phm 1:24,2Ti 4:11) Leur divergence de points de vue necréa pas un dissentiment. Tandis que Barnabas s'embarquait pour Chypre avec Jean-Marc,Paul, accompagné de Silas, se rendait en Asie Mineure par la voie deterre, en traversant la Syrie et la Cilicie. Les deux missionnairesfranchirent les monts Amanus qui dominent Antioche. Ils passèrentainsi par le défilé des Portes Syriennes, sur la voie qu'Alexandre leGrand avait suivie dans l'autre sens, après sa victoire d'Issus. Ilsdurent ensuite gagner la côte méditerranéenne et la longer du sud aunord, d'Alexandria (aujourd'hui Alexandrette [fig. 218, 219]) à Issusoù, en 333, Alexandre le Grand défit complètement Darius Codoman,ouvrant l'Orient du même coup aux armes et à la civilisationgrecques. A partir d'Issus, la côte, qui se creuse en un golfeprofond, change complètement de direction, et c'est vers le S.-O, queles voyageurs la suivirent, traversant diverses villes, dont Adana,qui porte encore aujourd'hui le même nom. Ils arrivèrent ainsi àTarse (fig. 209-213). De là, ils franchirent le Taurus, par lacélèbre voie que les Tarsiotes avaient creusée par endroits au flancde la montagne à pic, dans le roc. Les Romains y avaient travaillépour l'élargir et pour l'entretenir; mais c'était néanmoins unitinéraire pénible et dangereux. Après la traversée d'un étroitdéfilé, les fameuses Portes Ciliciennes (fig. 214, 215), lesvoyageurs montaient encore pour redescendre enfin vers les steppes dela Lycaonie, à travers la large bande de territoire qui reliait laComagène à la Cilicie occidentale (Cilicie raboteuse, Ciliciatracheia ou aspera). Caligula les avait réunies sous le sceptred'un roitelet de la Comagène, fidèle vassal de Rome, qui prit le nomd'Antiochus IV, avec Samosate sur l'Euphrate comme capitale. DéjàAuguste avait détaché la Cilicie occidentale de la Province romainepour l'offrir à Archélaüs de Cappadoce. La Cilicie ne fut rétabliedans son intégrité que par Vespasien. Paul retrouva les communautés fondées en dernier lieu, à lalimite extrême de son premier voyage: Derbe et Lystres. Il acquit àLystres un fidèle collaborateur en la personne de Timothée, filsd'une Juive fidèle et d'un père grec (Ac 16:1). Le jeune homme,à demi-juif, désirait sans doute être circoncis. Paul, pour bienmarquer son esprit de conciliation, ne le lui déconseilla point, et,s'il faut en croire l'indication probable des Actes, il le circoncitlui-même (verset 3). De Lystres, Paul et Silas, accompagnés deTimothée, poussèrent à Iconium (fig. 216, 217) et à Antioche dePisidie. Ils publiaient et annonçaient partout la décision prise auconcile de Jérusalem (verset 4). Ensuite, lisons-nous dans les Actes, ils traversèrent la Phrygieet la région galatique (Ac 16:6). Ici se pose un problèmeextrêmement intéressant, mais fort embrouillé: qu'est cette régiongalatique? Deux solutions opposées se présentent avec un degrépresque égal de probabilité. Il convient de choisir entre elles avecprudence et retenue. On ne peut le faire sans égard à l'épître auxGalates et à son contenu. Pendant longtemps, il était généralement admis que la contréevisitée par Paul était la véritable Galatie, habitée par de vraisGalates, c'est-à-dire par des Celtes. C'est encore l'opinion la plusrépandue. Cependant, il faut signaler que, dès la fin du XVIII°siècle, Schmidt avait fait observer que la Galatie pouvait être aussibien la province romaine de ce nom, englobant les territoires visitéspar Paul et Barnabas pendant le premier voyage. Ce seraitexclusivement ce pays, déjà évangélisé, que l'apôtre aurait revu aucours de son second voyage; c'est aux Églises de cette région qu'ilécrirait dans son épître. Le grand succès de cette hypothèse date deRenan; elle a été adoptée par des auteurs de tendances fort diverses,tels que Ramsay, J. Weiss, Zahn, Clemen, Pfleiderer, von Soden. Elleest dite de la Galatie du sud. L'autre thèse, plus ancienne, estcelle de la Galatie du nord; on peut citer, parmi ses partisansmodernes, des auteurs aussi différents que Reuss, Godet, Mommsen,Hilgenfeld, Holsten, Lipsius, Julicher, Bousset, Blass, Moffatt,Lagrange, Loisy, Goguel (voir Galates, ép. aux). Le nom même de la Galatie (voir ce mot) est grec et dérive decelui des Gaulois qui envahirent l'Asie Mineure vers 278 av. J.-C.Les Romains les appelaient Gallogroeci, pour les distinguer deceux qui habitaient la Gaule et l'Italie du nord. Ces Gaulois, aprèsavoir guerroyé en Macédoine et en Thrace, passèrent en Asie Mineure,sur l'invitation de Nicomède, roi de Bithynie. Au bout d'unecinquantaine d'années de luttes et d'aventures diverses, ils finirentpar se fixer dans le N.-E, de la Phrygie, au milieu d'une populationpacifique, et ils restèrent les maîtres du pays. Ils comprenaienttrois peuplades: les Trocmées, les Tectosages et les Tolistoboges.Ces derniers étaient une branche des tribus celtes qui occupaient larégion de Toulouse. Strabon donne ces détails sur leur répartition:les Trocmées occupèrent les régions du Pont et de la Cappadoce, avecTavium pour capitale; les Tectosages s'établirent sur le territoirevoisin de la Grande Phrygie, avec Ancyre, l'Angora d'aujourd'hui,pour capitale; les Tolistoboges occupèrent la région comprise entrela Bithynie et la Phrygie Mineure, avec Pessinus ou Pessinonte pourcapitale. L'une de leurs villes, plus au Sud, reçut le nom de Tolisochôrion (la petite Toulouse), et, si l'apôtre Paul est bienvenu dans cette région galatique, c'est peut-être l'une des premièreslocalités qu'il rencontra. Le premier usage du terme Galatie est incontestablement ladésignation du pays occupé par ces tribus gauloises, mêléesnaturellement à une forte proportion de Phrygiens autochtones. Par laguerre ou la diplomatie, les Galates réussirent à étendre leurterritoire. Vers 160 av. J.-C, ils acquirent une partie de laLycaonie, avec Iconium et Lystres. Ils firent alliance avec lesRomains sous Pompée, en 64, et leur chef Deiotarius reçut en présentla Basse Arménie. La Galatie fut divisée pendant quelque temps endeux royaumes ou deux principautés, qui furent réunies, en 36 av.J.-C, sous la domination d'Amyntas. La Galatie comprit alors, en plusdu premier territoire occupé par les tribus gauloises: au Nord-E.,une partie de la Paphlagonie; au Sud, la Pisidie, la Pamphylie et laLycaonie. Après la bataille d'Actium, en 31 av. J.-C, Octave donna auroi Amyntas une partie de la Cilicie, et le fit le gardien du Taurus.Amyntas gouverna selon les méthodes romaines, mais lorsqu'il mourut,en 25 av. J.-C, son vaste royaume était dans un tel état d'anarchiequ'Auguste résolut d'en transformer la plus grande partie en provinceromaine, et de confier le Taurus à Archélaüs, de Cappadoce. Laprovince, gouvernée par un seul magistrat romain, fut la nouvelleGalatie. Elle comprenait la Galatie primitive, la Paphlagonie et lePont-galatique, la Phrygie-galatique et la Lycaonie-galatique. Dèslors, la Galatie peut être entendue comme la province romaine.Faut-il l'envisager ainsi dans le passage des Actes où il estquestion du voyage de Paul? (Ac 16:6,8) Nous lisons toutd'abord: «Ils traversèrent la Phrygie et la région galatique. »Ramsay, Souter pensent qu'il faut traduire: ils traversèrent «larégion phrygo-galatique», c'est-à-dire la région phrygienne faisantpartie de la province de Galatie, soit: la contrée qui s'étendaitvers le S.-E., jusqu'à Antioche de Pisidie et Iconium. Il s'agiraituniquement des pays évangélisés par Paul et Barnabas lors du premiervoyage. La conclusion paraît bien hâtive, car presque toute laGalatie romaine, y compris le premier territoire des envahisseursceltiques, aurait pu s'appeler région phrygo-galatique. D'autre part,comme l'a fait observer J. Weiss, cette traduction est inadmissible.Il faudrait pouvoir lire: «la région galatique de la Phrygie», tandisque le texte établit une distinction nette entre la Phrygie et «larégion galatique». Cette distinction est favorable à la thèse de laGalatie du N., cette contrée qui, depuis longtemps, se distinguait dela Phrygie et qui serait désignée sous ce nom: «la région galatique».La suite de la phrase paraît être en accord avec ce point de vue. Eneffet, avec J. Weiss et la majorité des commentateurs, il convient defaire rapporter «ayant été empêchés» à ce qui précède. Ils suivirentdonc cet itinéraire (Phrygie et région galatique) parce que l'Espritles empêcha d'aller en Asie. Or, la province d'Asie, dont Éphèseétait la capitale, se trouvait de toute façon sur le trajet de Paul.Elle comprenait, en plus des régions maritimes, la plus grande partiede la Phrygie, la Grande Phrygie, à laquelle fut laissée une certaineautonomie, tandis que la Petite Phrygie, dont Gordium fut autrefoisla capitale, fut partagée entre la Galatie et la Bithynie. L'usage duterme «Asie» était assez lâche. Il pouvait désigner tout le continentasiatique (Philon, Strabon), la péninsule d'Asie Mineure, la provinceromaine, ou, simplement, la région côtière, voire même Éphèse et sesenvirons (cf. Ac 2:9 20:16-18 27:2; Tertullien, adv. Prax., i; Eusèbe, H.E., V, 1:3); cf. J. Weiss, Kleinasien, dans RE L'explication suivante paraît donc la plus acceptable: de Lystreset d'Iconium, les villes mentionnées dans Ac 16:1 et suivant,Paul aurait pu se rendre à Éphèse, la métropole de la province ou dela région d'Asie; mais, toujours docile à la voix mystique, àl'Esprit qui le lui interdit, il prend la direction du nord. Il passede la Phrygie, comprise dans la province de Galatie, à la Phrygie,incluse dans la province d'Asie; pour l'auteur des Actes, qui nes'attache pas à la terminologie romaine, c'est toujours la Phrygie.Suivant la route qui contourne un puissant massif de montagnes, Paularrive à Amorion, sur la frontière de la vraie Galatie, du paysgalate proprement dit. Il y pénètre. Jusqu'où? Nous ne savons.L'expression: «ils traversèrent», qui se rapporte aussi bien à larégion galatique qu'à la Phrygie, ne permet pas de préciser. Ilfaudrait pouvoir établir dans quel sens la région fut traversée. Paula pu simplement parcourir le territoire le plus voisin de la GrandePhrygie, c'est-à-dire celui des Tolistoboges, par Pessinus et Germa,peut-être jusqu'à Gordium, sur le fleuve Sangarios, aux confins desdeux provinces de Bithynie et de Galatie, dans l'ancienne Phrygie.L'examen de l'épître aux Galates est également nécessaire pour tirerau clair ce problème embrouillé. On y trouve des raisons pour etcontre chacune des deux hypothèses, mais il semble pourtant que lathèse de la Galatie du nord soit celle qui gagne le plus à cet examen. On trouve dans Ga 1:21 un usage régional de l'expression«Syrie», appliquée non pas à toute la Province dont faisaientégalement partie la Cilicie orientale et la Phénicie, mais à la région dontAntioche était la capitale. Il n'est donc pas exact, comme on l'a prétendu enen tirant argument contre la thèse de la Galatie du nord, que Paul s'en tienneaux désignations officielles. On peut estimer, par analogie, que laGalatie, c'est pour lui la vraie, celle des Celtes, comme la Syrie,c'est la vraie, celle de Damas et d'Antioche.--Barnabas est mentionnédans Ga 2, et l'on a dit: il ne peut l'être que s'il s'agit dela Galatie du sud, puisque c'est la seule qu'il ait parcourue. Maisil est cité à côté de Pierre, et englobé dans le même blâme, et c'estla seule fois dans la lettre. Paul, s'adressant à des Églises quicertainement gardaient à Barnabas, l'un de leurs fondateurs, une vivegratitude, aurait eu plus de tact. De même, il n'aurait pas prétenduêtre le seul fondateur des Églises galates. La mention de Barnabasimplique simplement qu'on a entendu parler de lui comme de Pierred'ailleurs, et l'argument se retourne contre la thèse de la Galatiedu sud. On a invoqué encore Ga 2:5, où Paul écrit à ses lecteursqu'il a tenu bon pour eux à la conférence de Jérusalem, et l'on adit: c'est que ces gens ont été convertis au cours du premier voyage,avant cette conférence. Mais il est permis de penser que l'on aaffaire ici à un jugement plus général. A Jérusalem, Paul a tenu bonpour tous les pagano-chrétiens: passés, présents et à venir. DansGa 4:14, Paul rappelle à ses lecteurs qu'ils l'ont reçu comme unange de Dieu, et l'on a dit: c'est une allusion à l'épisode deLystres; Paul a été pris pour Hermès, le messager des dieux. Mais,dans le texte, Paul ne blâme pas ses lecteurs de l'avoir ainsi reçu;il les en félicite. Telle ne fut pas son attitude à Lystres, oùl'accueil des habitants lui apparut comme un sacrilège. Dans Ga 4:13, Paul déclare que c'est à cause d'une maladiequ'il a, pour la première fois, évangélisé les Galates. Ce détail necadre nullement avec le récit du premier voyage missionnaire. DansGa 4:14, Paul rappelle à ses lecteurs, pour faire honte à leurtiédeur présente, qu'ils l'ont reçu avec enthousiasme. Tel ne paraîtpas avoir été le cas au cours du premier voyage missionnaire, où Paula rencontré partout, au milieu de succès certains, une très violenteopposition. Le thème principal de la lettre implique que lesdestinataires étaient en grande majorité païens, ce qui paraît plusfacile à imaginer en Galatie celtique, où les juifs étaient rares,qu'en Galatie du S., où les colonies juives étaient nombreuses etconstituèrent le premier terrain de l'évangélisation paulinienne.Enfin, l'usage de la tutelle sous la forme indiquée dans Ga 4:2était à la fois galate et romain, mais pas grec. Il pouvait donc êtreinvoqué plus utilement dans la Galatie celtique que dans les régionsdu S., de culture hellénistique. Entre les deux thèses, celle de la Galatie du N. nous paraîtdonc la plus sûre. Mais il faut reconnaître que la relation des Actescomporte de sérieuses lacunes et que, de toute manière, on ne peutles combler sans faire une large part à la conjecture. La suite durécit nous conduit, sans transition, très à l'Ouest du territoire desGalates, sur les confins de la Mysie, d'où Paul esquisse une pointevers la Bithynie. Pourquoi n'aurait-il pas essayé d'y aller de laGalatie qui y confine? Mystère, qui n'est d'ailleurs pas le seul.L'étrangeté d'un itinéraire n'est pas une raison suffisante pour ledéclarer impossible, surtout quand le voyageur est un homme qui nes'est pas fixé un plan ne varietur, mais qui se laisse guider passes inspirations. C'est bien ce qui est arrivé. Nous lisons, eneffet, dans les Actes que Paul, Silas et Timothée, arrivés en Mysie,essayèrent de se rendre en Bithynie; mais «l'esprit de Jésus ne leleur permit pas». Il convient d'ailleurs de faire observer, une foisde plus, que le récit des Actes utilise couramment les désignationsrégionales (Phrygie, Galatie, Mysie, Asie) et que la région deBithynie, sujette comme d'autres à bien des variations au cours d'unehistoire troublée, ne recouvrait pas la province de ce nom. Cettesimple considération fait aussi mieux comprendre les brèvesindications des Actes sur l'itinéraire paulinien. Paul et sescompagnons se dirigent alors vers la mer Egée, à travers la Mysie.Ils suivent la vallée du Scamandre, longent les pentes boisées del'Ida, pour aboutir enfin à Troas. Alexandreia Troas était l'une des plus importantes cités de laprovince d'Asie. Fondée par Antigone, à une distance assezconsidérable des ruines de l'antique Troie, elle prit un rapide essoravec Lysimaque en 300 av. J.-C. Elle devint cité libre sous lesmonarques Séleucides et le resta sous la domination romaine. Croyantà leur origine troyenne, suivant la légende d'Énée chantée parVirgile, les Romains la favorisaient. Au dire de Suétone, Jules Césaraurait même songé à y transférer la capitale de l'Empire. Auguste enfit une colonie romaine. Il est probable que Paul prêcha l'Evangile à Troas et qu'il yconstitua une Église; mais il est probable aussi que des chrétienss'y trouvaient déjà lorsqu'il arriva. C'est là que Paul rencontraLuc, le médecin, dont le récit, à la première personne du pluriel,commence aussitôt après dans le livre des Actes. On a supposé, maissur un bien faible indice, que Paul fut l'hôte de Carpus, mentionnéen ces termes dans 2Ti 4:13: «Le manteau que j'ai laissé à Troaschez Carpus, apporte-le!» C'est à Troas que Paul eut la vision du Macédonien. Dans un rêveou, simplement, dans une vision nocturne, Paul vit, sans doute, unhomme vêtu d'une chlamyde et portant un chapeau à coiffe haute, àlarges bords, suivant l'usage macédonien. Cet étranger lui dit:«Passe en Macédoine; viens nous secourir!» Ramsay a supposé que ceMacédonien était le médecin Luc (voir Luc, parag. 1); c'est ensuite,en effet, que le récit des Actes, dont la composition est attribuée àLuc, commence à utiliser la première personne du pluriel (premier«fragment nous», du départ de Troas à Philippes inclus). Mais cen'est pas une raison suffisante. D'ailleurs, d'une part il n'est pasdu tout certain que Luc fût macédonien; la tradition, contestable ilest vrai, veut qu'il fût d'Antioche; d'autre part il est peu probableque, dans cette éventualité, il portât le costume provincial. Si Paulest venu à Troas au terme de l'Asie, face à l'Europe, c'est que,depuis quelque temps déjà, il se sentait poussé à évangéliserl'Occident. Ce n'est pas tout d'un coup que cette idée a surgi dansson esprit, mais graduellement. Elle a gagné le subconscient, d'où lerêve ou la vision a surgi, pour traduire et pour éclairer unedécision profonde, prise en collaboration avec l'Esprit, engageant lapersonne et la vie irrévocablement. La valeur de ces visions ourêves-vocations est de révéler et, en même temps, d'affirmer, defortifier, des états intérieurs. La vision du Macédonien ne crée pasla vocation nouvelle de l'apôtre, mais elle la scelle en lamanifestant et en la confirmant. Aussi, immédiatement après(aussitôt), Paul cherche à passer en Macédoine (Ac 16:10). Le voyage de Troas à Néapolis, le port le plus voisin de la côtemacédonienne, s'effectua en deux jours, la durée minima. Lorsque plustard, se dirigeant vers Jérusalem, Paul fit le voyage inverse, il luifallut cinq jours (Ac 20:6). La rapidité de ce premier voyages'explique par l'action combinée des vents du S. et de la brise desDardanelles. Ainsi, pendant toute la traversée, le navire a le venten poupe. En une journée, les voyageurs naviguent droit surSamothrace, qui était, à l'époque, l'un des foyers des cultes àmystères. Mais Paul ne s'en soucie point. Son but est la Macédoine,et dès le lendemain le voyage reprend, se poursuit et s'achève dansles mêmes conditions favorables. Néapolis, aujourd'hui Cavalla, était bâtie sur un promontoireavec un double port, de part et d'autre. La via Egnatia, l'unedes grandes voies impériales, y aboutissait. Elle partait deDyrrachium, la Durazzo d'aujourd'hui, sur l'Adriatique et passait parLychnidas (aujourd'hui Ochrida, sur le lac du même nom),Thessalonique, Amphipolis et Philippes. Il en reste encore destraces: l'une des routes principales de l'Albanie et de la Macédoinegrecque emprunte son parcours; elle s'appelle encore, en traversantla Salonique actuelle, rue Egnatia. Paul et ses compagnons ne s'arrêtèrent pas à Néapolis, mais,empruntant la voie Egnatia, ils firent route vers Philippes, lagrande ville de la région, à une douzaine de km. La route s'élèved'abord rapidement sur une pente abrupte, pour aboutir à un plateaud'où, bientôt, l'on découvre la vallée du Gangas, affluent du Strymonet, dans le lointain, au fond de la vallée, Philippes. Philippes, comme son port Néapolis, était de fondation athénienneet s'appelait Cranides. Ses habitants exploitaient les mines d'or dumont Pangée, qui domine la cité. En 358, Philippe de Macédoine mit lamain sur cette ville, dont l'or l'intéressait autant que la situationd'ailleurs très favorable et vraiment stratégique. La cité dePhilippes devint romaine en 168. Jusqu'en 146, la Macédoine compritquatre districts si bien séparés qu'un habitant de l'un ne pouvait niposséder ni se marier dans l'autre. Mais, en 146, la Macédoine devintprovince romaine et son régime intérieur se trouva unifié. Philippes n'était la capitale ni de la Macédoine ni même dudistrict auquel elle fut rattachée en 168. On lit pourtant dans letexte non ponctué des Actes: (Ac 16:12) «qui est la première dudistrict de Macédoine ville colonie». Faut-il corriger avec Blass,appuyé par Goguel: «ville du premier district de Macédoine»? Il esttoujours téméraire de corriger un texte, et on ne doit le faire qu'àla dernière extrémité. Faut-il traduire, ce qui n'a guère de sens:«la première ville de Macédoine, que l'on rencontre en venant deNéapolis»? (Lechler, Reuss). Hillard imagine que Philippes étaitalors le centre administratif de ce district, ce qui est une erreur,car d'une part ce centre était Amphipolis, d'autre part Philippesétait sous un régime particulier. C'est là qu'Antoine et Octaveavaient remporté la victoire sur Brutus et Cassius, en 42 av. J.-C.Cette année même, Philippes avait été érigée en «colonie de droititalique» (colonia juris italici). Les généraux vainqueurs yétablirent un grand nombre de leurs vétérans. Après Actium, en 31 av.J.-C, Auguste y envoya un nouveau contingent. Avec sa populationlatine prédominante, avec son administration autonome, Philippesreprésentait, en terre grecque, la cité romaine, «la première villecoloniale de la province de Macédoine». C'est bien ainsi qu'ilconvient de traduire, avec Meyer, Holtzmann, Barde, etc. Les missionnaires étaient arrivés à Philippes un jour de semaine.Ils attendirent le premier sabbat pour annoncer l'Évangile. Faute desynagogue, les quelques Juifs et les prosélytes se réunissaient aubord de la rivière Gangas, à environ 2 km. de la ville. Paul et sescompagnons s'y rendirent par la voie Egnatienne, encore visible denos jours; ils franchirent ainsi le champ de bataille de Philippes etpassèrent sous l'arc de triomphe élevé par les vétérans en mémoire decet événement; on en voit encore les piliers. Peu après, ilsarrivèrent sur les bords du Gangas et ne trouvèrent que quelquesfemmes réunies. Parmi ces femmes, il y avait une prosélyte originairede Thyatire: Lydie, marchande de pourpre. Elle fut gagnée par laprédication de l'Évangile et ouvrit sa maison aux missionnaires. Ellese fit baptiser avec tous les siens. On ne sait pas combien de temps Paul et ses compagnons restèrentà Philippes. Les Actes nous donnent seulement quelques détails surl'issue de ce séjour. La prédication de l'apôtre ne fut pas sanssuccès, et les liens d'affection qui l'unirent toujours à l'Église dePhilippes montrent que son action fut profonde sur la premièrecommunauté chrétienne d'Europe. Quelque temps après, comme lesmissionnaires allaient au lieu de réunion et de prière, ilsrencontrèrent une jeune fille, une jeune esclave qui leur donna desmarques bruyantes d'approbation. Elle avait un don de seconde vue etprédisait l'avenir. Elle pouvait, sans doute, changer sa voix, etparler comme si les sons venaient d'une autre personne ou d'un autremonde. On disait qu'elle avait un esprit Python, comme la prophétessed'Apollon, la Pythie de Delphes. Ses maîtres exploitaient habilementcette veine; la jeune servante, attirée sans doute par la prédicationde l'apôtre, renouvela souvent ses témoignages d'admiration, si bienque Paul, obsédé et peut-être indigné par les louanges de cettepauvre malade, que l'on considérait comme une possédée, intimal'ordre à l'esprit malin de la quitter. A la parole soudaine,impérieuse de l'apôtre parlant au nom de Jésus-Christ, la jeune fillefut effectivement libérée; du même coup, ses talents anormauxdisparurent. Les maîtres de la servante, voyant avec cette guérisons'évanouir une source de gain, voulurent se venger de Paul et de sescompagnons. Prétextant l'intérêt général, ils ameutèrent la foulecontre ces étrangers qui cherchaient à ruiner les coutumes locales etla religion officielle en introduisant un nouveau culte; ils lesrendirent odieux à la foule romaine, en révélant leur qualité deJuifs, car c'était peu après la promulgation de l'édit de Claude.Paul et Silas furent saisis et traînés devant les magistrats, lesduumvirs, qui les condamnèrent à la fustigation. La sentenceexécutée, Paul et Silas furent jetés en prison. Les Actes racontentleur délivrance merveilleuse pendant la nuit, et la conversion dugeôlier. Certains auteurs, dont Goguel, considèrent que presque tousles détails de l'arrestation, de l'emprisonnement et de la délivrancede Paul sont inventés. Leur argumentation repose sur l'impression quela logique du récit laisserait à désirer. La condamnation de Paul etde Silas ne serait pas motivée par le dommage causé aux maîtres del'esclave guérie, mais par l'accusation d'avoir prêché, étant Juifs,des opinions contraires aux usages romains. C'est le crime contre lareligion d'État qui leur est reproché. Donc, l'histoire de lapythonisse est inventée. De même pour l'épisode de la délivrancemerveilleuse, qui ne jouerait aucun rôle dans la marche desévénements. Les excuses des magistrats, le lendemain, lorsqu'ilsapprennent que Paul et Silas sont citoyens romains, résulteraientd'une transposition des faits. En réalité, on se trouverait devant unsimple arrêté d'expulsion. Ces conjectures ne sont pas plus probablesque le récit lui-même, car les événements se déroulent rarementsuivant un plan d'une logique parfaite, et les règles de l'unité detemps et d'action sont si souvent violées que leur observation seraitplutôt un signe de composition artificielle et devrait être tenuepour suspecte. La déviation du chef d'accusation se conçoitd'ailleurs très bien comme une habileté des maîtres de l'esclave. Après avoir reçu les excuses des duumvirs, Paul et Silas allèrentà la maison de Lydie et y exhortèrent les frères convoqués. Puis ilsse mirent en route sur la voie Egnatia, vers l'ouest, passant ainsi àl'endroit où ils se réunissaient pour la prière, sur les rives duGangas. Luc et Timothée restaient à Philippes pour y poursuivrel'oeuvre missionnaire. La voie Egnatia, pavée sur ce parcours avecdes dalles de marbre, traverse une plaine fertile et atteint lavallée du Strymon. C'est là, sur un rocher presque environné par lefleuve, que s'élevait la ville d'Amphipolis, la capitale du districtoriental de la province de Macédoine. Située à un carrefour importantde routes, son nom primitif était Ennea Odoï =les g chemins.Lorsqu'il traversa la ville, Xerxès fit enterrer vivants 9 jeunesgens et 9 jeunes filles, un couple par chemin. C'est à Amphipolisqu'après sa victoire sur Persée Paul-Émile accorda la liberté auxMacédoniens, en l'an 168 av. J.-C. Les Actes paraissent indiquer queles missionnaires ne firent que passer et ne s'arrêtèrent pas jusqu'àThessalonique (Ac 17:1). Le fait que 1Th 1:7 4:10mentionnent des croyants dans toute la Macédoine ne s'oppose pasnécessairement à ce détail, auquel il est permis d'ajouter foi. De la via Egnatia, après Amphipolis, on apercevait, sur l'autrebord du golfe du Strymon, la Stagyre chalcidienne, où naquitAristote, et peut-être le tombeau d'Euripide, au croisement du cheminqui conduit vers le lac de Volvi. La voie passait à une certainedistance des lacs de Volvi et de Basilia (Aig Vasil), grandeslagunes, aux abords marécageux, où viennent se baigner des buffles àdemi-sauvages. Les missionnaires passèrent à Apollonie, peut-être la Pollina d'aujourd'hui; puis, traversant le plateau aride de la Chalcidique,ils poursuivirent leur route vers Thessalonique. Ils découvrirent,d'une hauteur, la rade immense, prolongement du golfe Thermaïque,avec ses eaux généralement calmes et d'un bleu intense. La villes'étage en arc de cercle au flanc de la colline abrupte, dans lablancheur de ses maisons à terrasses, que le soleil fait resplendir.De l'autre côté du golfe, vers l'Ouest et souvent dans la brume,s'étendent les marais de l'Axios. Vers le S.-O., enfin, couronnanttout ce paysage, la masse prodigieuse de l'Olympe: elle s'élève à3.000 m. au-dessus de la mer, d'où elle paraît jaillir. Sa base et sarégion moyenne sont généralement enveloppées de nuées, si bien que lacime neigeuse semble flotter dans l'azur du ciel, très haut pardessusl'azur de la mer. On comprend que les Grecs aient fait de cette cimeéthérée, qui paraît suspendue aux cieux, la demeure des dieuximmortels. La ville fut fondée par Cassandre, beau-frère d'Alexandre leGrand, qui lui donna le nom de sa femme: Thessalonique (ainsi nomméepar son père, Philippe, en souvenir d'une victoire en Thessalie: Thessalo-nikê). Lorsqu'en 146 la Macédoine devint romaine,Thessalonique fut la capitale du second district et, plus tard, lacapitale de la province entière. Cicéron y fut quelque temps en exil.La victoire d'Antoine et d'Octave à Philippes sauva Thessalonique dupillage promis aux soldats de Brutus et de Cassius par leurs chefs.Délivrée et promue au rang de ville libre, la cité reconnaissanteéleva aux vainqueurs un arc de triomphe. Ce n'est pas celui que l'onpeut voir, en assez bon état, à l'extrémité orientale de la rueEgnatia et qui date seulement de Galère, mais celui dont les ruinesse dressaient encore, il y a une cinquantaine d'années, à l'extrémitéoccidentale de la même rue, la porte du Vardar. Des bas-reliefsreprésentaient des personnages consulaires drapés dans leurs toges.Une inscription grecque, actuellement au British Muséum, donnait lesnoms des sept magistrats ou politarques, désignation qui se trouvejustement dans le livre des Actes (politarkhaï, traduction magistrats, 17:6). Détail curieux, 4 des 7 politarques énumérésportaient des noms que l'on retrouve dans les Actes ou les épîtrescomme désignant des amis ou compagnons macédoniens de Paul. Au temps de Paul, Thessalonique (voir ce mot) était une grandecité commerciale et cosmopolite. La colonie juive, qui devait au XV esiècle devenir prépondérante avec l'afflux des émigrants chassésd'Espagne par la persécution d'Isabelle de Castille et de Ferdinandd'Aragon, était déjà nombreuse et prospère. La durée du séjour de Paul à Thessalonique n'est pas indiquéenettement. On lit simplement (Ac 17:2) que l'apôtre discuta avecles Juifs trois sabbats. On peut se demander, avec Lake et Moffatt,si ces trois sabbats ne se rapportent pas uniquement à l'enseignementde Paul dans la synagogue, sans que la durée totale du séjour soitpar là spécifiée. Paul était avec Silas; Timothée n'est pasmentionné, soit qu'il fût resté à Philippes, soit qu'il ait eu àThessalonique un rôle effacé. L'apôtre fut reçu par un Juif du nom deJésus, qui se faisait appeler Jason. Paul recruta des adeptes nonseulement parmi les Juifs, mais encore et surtout parmi les païens(cf. 1 et 2 Thess.). Son séjour fut assez long pour qu'il pût avoircette action et aussi pour qu'il reçût à deux reprises un présent desPhilippiens (Php 4:16); ce séjour dura donc probablement plus dedeux ou trois semaines. Les circonstances du départ de Paul sontrapportées brièvement par les Actes. Les Juifs ameutèrent la basseplèbe, qui manifesta devant la maison de Jason. Paul et Silasn'étaient pas là. Jason et quelques frères furent appréhendés etconduits devant les politarques, sous l'accusation insidieused'annoncer un autre roi que César: Jésus (Ac 17:7). La résidencedu propréteur était voisine; l'autorité romaine pouvait êtreinformée; c'est d'elle que dépendaient les libertés de la cité. Lespolitarques furent émus comme la foule. Mais ils virent à qui ilsavaient affaire, des deux parts. Ils ne voulurent pas sacrifier à desvauriens des citoyens honorablement connus; ils relâchèrent lesaccusés, après avoir exigé d'eux une caution, par mesure de prudence.Craignant sans doute un nouveau complot, les frères, émus pour leursmissionnaires, eux-mêmes inquiets pour la communauté naissante, lesfirent partir de nuit pour Bérée (Ac 17:10). C'était sans doute l'automne de l'année 50. Paul et Silasquittèrent la ville par la porte occidentale et se trouvèrent bientôtdans la grande - steppe marécageuse de l'Axios, le Vardar actuel.C'est l'une des régions les plus malsaines du monde. Le paludisme ysévit sous des formes graves et souvent pernicieuses. C'est là quel'armée de Xerxès fut battue à l'avance, en y campant; les guerriersd'Athènes et de Sparte n'eurent qu'à achever la défaite. Pareilleaventure faillit arriver en 1916 à l'armée française d'Orient; maisla science moderne maniée avec énergie et méthode permet une défenseefficace, là où les anciens étaient désarmés. Les missionnairesquittèrent bientôt la via Egnatia; ils obliquèrent à gauche, vers leS.-O., gagnant les contreforts de l'Olympe, qui, après le désertempesté de l'Axios, sont un paradis. En deux journées de marche, ilsarrivèrent ainsi, par une région de plus en plus accidentée, sur leplateau verdoyant de Bérée (aujourd'hui Verria). Cette villereculée, comme l'appelle Cicéron, n'était pour Paul qu'une retraiteprovisoire, et son éloignement de Thessalonique une épreuve (1Th2:18), dont il sut tirer le meilleur parti, en évangélisant. Il lefit d'abord à la synagogue et reçut un accueil favorable. Des Juifset des païens, dont quelques femmes grecques de haut rang, seconvertirent. Tout allait bien, quand les Juifs de Thessaloniqueavertis se hâtèrent d'intervenir. Paul, spécialement visé et pluscompromettant pour la communauté, partit, laissant Silas et Timothéepour continuer l'oeuvre entreprise. Il fallait, cette fois, quitterla Macédoine. Paul se rendit à Athènes, sans doute par la voie de mer(Ac 17:14; et cod. D, v. 15): le texte habituel paraît déjàl'impliquer; le texte occidental est explicite; il y a donc peu deraison d'en douter. Il n'était pas indispensable de s'embarquer àThessalonique, que Paul devait naturellement éviter. L'apôtre a pupartir de l'un des petits ports de la rive occidentale du golfeThermaïque (peut-être Méthone), ou gagner tout de suite un port plusimportant, d'où il s'est embarqué pour Athènes. Le trajet habituelconsistait à longer les côtes de la Thessalie et de l'Eubée à l'Est,à doubler le promontoire de l'Eubée et le cap Sunion, pour débarquerau Pirée, le principal port d'Athènes (voir ce mot). La ville de Thémistocle et de Périclès avait sans doute beaucoupperdu de sa gloire passée. Les légions de Sylla l'avaient mise aupillage, mais sans la détruire. Ses admirables monuments avaient étérespectés. Pendant longtemps encore elle resta, des cités del'intelligence, la plus renommée. Cicéron, Brutus, Antoine, Horace,Virgile y étudièrent. Elle demeura ville libre. De la culture grecque, dont il avait bénéficié à Tarse, Paulpouvait apprécier les beautés. Le sceptique Renan et le catholiqueBaumann s'accordent à penser que Paul n'avait pour elles aucun senset qu'il les considérait en barbare. Ce n'est pas du tout certain.Son indignation, son exaspération, que mentionne Ac 17:16, parcequ'il voit toute la ville sous les idoles, n'est pas nécessairementd'un iconoclaste, mais d'une âme religieuse, qui voit le moins dereligion là où devrait en régner le plus. Cet état d'esprit estd'ailleurs fort bien rendu par l'admirable discours de l'Aréopage.Paul a su découvrir, dans toutes les manifestations du paganisme,l'élan secret, l'aspiration profonde, ce qui vient de Dieu et ce quiva vers Dieu. Peut-être a-t-il médité sur l'autel de la Pitié, queseuls d'entre les peuples les Athéniens avaient dressé. Il s'estarrêté un jour devant l'inscription: Au dieu inconnu! Elle a été pourlui un trait de lumière et lui a fourni l'exorde de sa prédication.Loisy pense que l'inscription devait être au pluriel, «aux dieuxinconnus», et il invoque Pausanias; mais Diogène de Laërte, dans sa Vie d'Êpiménide, mentionne des autels «au dieu inconnu»; lesingulier, comme le pluriel, pouvaient se rencontrer à Athènes (voirDieu inconnu). Bien que les Juifs fussent peu nombreux, c'est parmi eux que,suivant sa coutume, Paul a commencé à évangéliser. Il ne semble pasqu'il ait eu grand écho, ni grande opposition. L'indifférence dumilieu avait peut-être gagné sur eux. Paul s'adresse directement auxpaïens. Il se mêle à la foule des flâneurs sur la place publique; ilengage la conversation avec eux; il réussit à éveiller leur intérêtpeut-être amusé. «Que nous veut ce moineau (cet oiseau qui ramassedes graines, ce bavard, ce diseur de riens)?» disent-ils (voirDiscoureur). Pour en avoir le coeur net, on le conduit sur l'Aréopageet on le met en demeure de s'expliquer...C'est alors que Paulprononce le discours qui, suivant Harnack, porte bien la marque deson génie et a été reconstitué d'après des données sûres. C'est unexemple typique de la méthode missionnaire positive, constructive,chère à l'apôtre: il se fait tout à tous, pour en gagner quelques-unsà Christ. Pourtant, l'esprit léger des Athéniens ne ménagea que peude succès à cette parole profonde. La plupart se moquèrent dès qu'ilfut question de résurrection, et Paul dut achever sans doute assezbrusquement. Le milieu n'était pas favorable à la foi. Pendantlongtemps, les Athéniens restèrent réfractaires; plus d'un siècleaprès, devenus chrétiens, ils se rétractaient en masse, trop peuconvaincus pour lutter jusqu'au sang. Paul quitta bientôt ce terrain peu propice pour un milieu plusfavorable: Corinthe. Il s'y rendit probablement par terre. C'était unvoyage de deux jours. La route longe la mer par Eleusis et Mégare;puis elle suit la haute falaise de l'isthme resserré, que percemaintenant un canal. A l'extrémité de l'isthme, entre les deux mers,s'élève une colline abrupte, au flanc de laquelle s'étage Corinthe,du côté du golfe (voir Corinthe). Paul y arriva sans doute vers lafin de l'année 50. Il se sentait fatigué, déçu par son insuccèsd'Athènes, et peut-être malade (1Co 2:3). Baumgarten, Barde ontsupposé qu'il fit alors le voeu de ne pas se couper les cheveux, ensigne d'humiliation, jusqu'à son départ de Corinthe. Clemen expliquedifféremment le passage invoqué: (Ac 18:18) Paul aurait fait levoeu de se raser la tête s'il réussissait à Corinthe. D'après Neanderet Reuss, il s'agirait, au départ de Corinthe, non del'accomplissement, mais de l'inauguration d'un voeu: celui de ne passe raser de nouveau avant l'arrivée en Palestine. Cette substitutionde l'avenir au passé paraît peu conforme à l'usage grammatical. Parcontre, ce même usage permet fort bien, comme l'ont vu Stokes etGoguel, d'attribuer le voeu ainsi réalisé, non à Paul, mais àAquilas. Dans les deux cas, d'ailleurs, la construction est lourde,et l'incidente curieusement amenée. S'il s'agit d'Aquilas, dans unehistoire dont Paul est le héros, ce détail est étrange; s'il s'agitde Paul, tel qu'on le connaît, il l'est peut-être davantage. Sansméconnaître l'intérêt des circonstances atténuantes invoquées enfaveur de Paul, il paraît préférable de plaider pour lui non coupableet, puisque la chose est possible, de ne pas attribuer cettefaiblesse à un homme de sa valeur et de son esprit. Les débuts de l'activité de Paul à Corinthe furent facilités parla connaissance qu'il fit d'Aquilas et de Priscille. Chassés de Romepar l'édit de Claude, en 49, ils étaient à Corinthe depuis un an(voir Aquilas). Un intérêt commun pour l'industrie des tentes lesrapprocha de Paul, qui vint habiter chez eux (Ac 18:3); ilspurent collaborer dans le travail matériel comme dans l'activitéspirituelle. Il est probable qu'Aquilas, qui possédait une maison àÉphèse, n'était pas, comme Paul, un modeste artisan, mais un richecommerçant de tentes. Paul exerçant son état, mais fidèle à sonapostolat, se mit à annoncer l'Évangile. Il commença par lasynagogue (Ac 18:4), suivant sa méthode habituelle; puis,l'opposition s'étant manifestée, il se tourna vers les Gentils(verset 6; cf. 1Th 2:16). Carte: 2° Grand voyage Antioche de Syrie; séparation de Paul et Barnabas.--Voyage(Ac 15:36-40) en Syrie-Cilicie.--Derbe (Ac 15:41), Lystre,Iconium, Antioche de Pisidie.--Traversée (Ac 16:1-5) de laPhrygie et du pays galatique (Ac 16:6), probablement parAmorium, Pessinus, Germa, Gordium.--Traversée de la Mysie; arrivée àTroas (Ac 16:7), --Troas; appel du Macédonien.--Départ(Ac 16:8,10) de Troas; Samothrace; débarquement àNéapolis.--Séjour (Ac 16:11) à Philippes.--De (Ac 16:12,40)Philippes à Thessalonique par Amphipolis etApollonie.--Thessalonique.--Bérée.--De (Ac 17:1) (Ac17:1,9) (Ac 17:10,14) Bérée à Athènes par mer (Ac 17:14),peut-être de Méthone.--Athènes.--Corinthe.--Corinthe (Ac17:15-34), (Ac 18:1-17) Cenchrées, Ephèse, Césarée.--De (Ac18:18-22) Césarée, sans doute, à Antioche, par mer, après crochetpossible à Jérusalem (Ac 18:22). Le succès de sa prédication et l'amitié d'Aquilas et Priscillefixèrent Paul à Corinthe. Lorsque Silas et Timothée lerejoignent (Ac 18:5), il ne songe plus à partir. Il écrit en 51la première des lettres que nous ayons de lui: 1 Thess, (voir art.).Peu après l'arrivée de Silas et de Timothée, Paul rompt avec lasynagogue (Ac 18:6); mais il ne cesse pas de faire duprosélytisme parmi les Juifs. Preuve en est l'incident qui précéda depeu son départ de Corinthe. Il est même possible qu'un complot aitété déjà fomenté contre Paul peu après la rupture (Ac 18:9 etsuivant). L'ordre du récit des Actes paraît indiquer que Paul vintalors habiter chez Titius Justus. On a supposé que Priscille etAquilas n'avaient pas la place de le loger. La maison de Titius étaitproche de la synagogue. Sans doute faut-il y voir plus qu'unecoïncidence. Paul s'est établi là dans l'intention tactiqued'atteindre plus aisément les familiers de la synagogue déjà touchésou ébranlés par la prédication chrétienne. La maison de Titius Justusdevint comme une synagogue chrétienne dressée en face de la synagoguejuive. Le succès fut considérable. L'archisynagôgos lui-même,celui qui présidait les cérémonies et qui recueillait les aumônes,qui veillait à l'observation de la loi, Crispus et toute sa maison serallièrent à la synagogue chrétienne. C'est peut-être après cetévénement que les irréductibles complotèrent contre Paul et qu'il eutbesoin d'être rassuré par le Seigneur (Ac 18:9 et suivant). Saprédication atteignit d'autres milieux très différents, et il sembleque l'élément prédominant fut la plèbe païenne (1Co 1:26), où setrouvaient beaucoup d'esclaves et d'affranchis. D'après Athénée (IIIe siècle ap. J.-C), il y aurait eu 400.000 esclaves à Corinthe. Riend'étonnant qu'une communauté aussi mêlée, dans une ville dont lacorruption était proverbiale, ait donné plus tard les plus gravessujets d'inquiétude à l'apôtre (voir Corinthiens). Les méthodesmissionnaires de Paul ont peut-être subi à Corinthe une modification.L'échec partiel d'Athènes, où pourtant sa dialectique s'étaitsurpassée, lui avait montré la faiblesse des arguments et desraisonnements en certaines occasions. Il ne croit plus à la sagessehumaine, à sa propre sagesse, ou en tout cas moins que jamais; ils'oublie entièrement lui-même; il ne veut plus savoir queJésus-Christ, Jésus-Christ crucifié (1Co 2:1 et suivant).Commencée dans la faiblesse, sa prédication a été une prédicationd'esprit et de puissance. Il a fait l'expérience paradoxale etdécisive dont il parle dans 2Co 12:10: «Quand je suis faible,c'est alors que je suis fort!» Il semble aller de soi que saprédication ne s'est pas limitée à la description et aux leçons de lacroix. Il affirme simplement que la croix est mise plus que jamais aucentre de ses préoccupations et de son enseignement. Ses deux lettresaux Corinthiens supposent des connaissances religieuses étendues etapprofondies et, en particulier, un usage courant de l'A.T. Si l'onsonge que Paul s'adresse à une communauté formée en majoritéd'anciens païens, on se rend compte de l'effort assidu, intense etpersévérant d'instruction et d'éducation qu'il a dû fournir pourmener ses lecteurs à de telles connaissances; on se persuade aisémentque sa prédication a été riche et variée, autant que profonde etforte. Paul resta un an et demi à Corinthe. Même si les 18 mois dont ilest fait mention ne se rapportent qu'à la durée de l'enseignementdans la maison de Titius Justus, il faudrait sans doute en ajouterseulement quelques-uns pour avoir la durée totale du séjour de Paul àCorinthe. Vers la fin, Paul écrit une seconde lettre auxThessaloniciens. Les circonstances de son départ sont relatées dansles Actes (Ac 18:12,18). La haine des Juifs n'avait pu ques'accroître dans la mesure où les succès de Paul étaient plus grands,non seulement à Corinthe, mais dans la région: (cf. 2Co 1:1) àCenchrées, le port de la mer Egée, et peut-être jusqu'à Patraï, la Patras d'aujourd'hui qui était alors la seule ville importante duPéloponèse en dehors de Corinthe. Au printemps de 52 vint à Corinthe un nouveau proconsul, JuniusGallion, le frère de Sénèque, renommé pour son amabilité et pour sadistinction. Les Juifs crurent le moment venu d'agir, en mettant àprofit l'inexpérience présumée du nouveau magistrat. Ils se saisirentde Paul et le traînèrent au tribunal, en l'accusant de faire de lapropagande contre le judaïsme. Gallion, s'il avait pris cetteaccusation au sérieux, aurait pu édicter contre Paul une peinesévère; mais il refusa d'y voir autre chose qu'une plainte ridiculeet sans objet. Il renvoya les accusateurs et ne fit pas un signelorsque les assistants infligèrent à Sosthène, le nouveau chef de lasynagogue, qui avait présenté la plainte, une correctionméritée (Ac 18:17). Paul venait d'échapper à un danger réel.Peut-être fut-il informé que les Juifs exaspérés complotaient denouveau contre lui. Toujours est-il que, quelque temps après, il sedécida à quitter Corinthe. Il partit avec Aquilas et Priscille,peut-être aussi avec Silas et Timothée. Il se rendit à Cenchrées, oùse place l'exécution d'un voeu qu'il est permis d'attribuer à Aquilasplutôt qu'à lui (voir plus haut). Paul et ses compagnons s'embarquèrent à Cenchrées. Ils firentvoile vers Egine, le cap Sunion, les Cyclades et arrivèrent à Éphèse.Priscille et Aquilas restèrent à Éphèse. L'apôtre ne fit que toucherterre. Il en profita cependant pour prêcher une fois dans lasynagogue; mais il ne céda point à la démarche des Juifs qui lepressaient de rester plus longtemps. Il partit, en promettant derevenir (Ac 18:21). Le navire fit voile vers Césarée, où il nesemble pas que Paul ait séjourné. Est-il alors monté à Jérusalem? Lemot Jérusalem, que l'on trouve ici dans diverses traductions, n'estpas dans le texte (Ac 18:22). D'autre part, les verbes monter etdescendre ne peuvent guère se rapporter ici qu'à la capitale.Toujours est-il que l'apôtre repartit bientôt pour Antioche, où sonséjour se prolongea un certain temps (Ac 18:23).