PASTORALES (épîtres) 2.

II Circonstances, temps et lieux où furent composées lesPastorales. Paul est en liberté quand il écrit la lettre que nous appelons la 1re à Timothée. Le destinataire est à Éphèse, Paul paraît être enMacédoine; du moins est-ce en partant pour cette province qu'il afait à son disciple un devoir de rester dans la capitale de l'Asieproconsulaire, afin de combattre l'enseignement de certainsdocteurs (1Ti 1:3). Il espère d'ailleurs l'y rejoindrebientôt (1Ti 3:14 4:13). L'épître à Tite est écrite aussi à un moment où Paul peut aller etvenir à son gré. Il a laissé Tite en Crète en le chargeant d'yrégulariser l'organisation des communautés (Tit 1:5). Mais Tiaura bientôt à venir le retrouver à Nicopolis (Épire). C'est là quePaul a résolu de passer l'hiver. Il va envoyer en Crète Artémas ouTychique, sans doute pour remplacer Tite, car celui-ci ne pourrapartir que quand l'un ou l'autre de ces deux hommes seraarrivé (Tit 3:12). Il est invité à pourvoir Apollos et unlégiste nommé Zénas, vraisemblablement les porteurs de la lettre, dece qu'il leur faut pour un voyage ultérieur dont le but n'est pasindiqué (Tit 3:13). Paul est prisonnier à Rome quand il écrit 2Timothée(2Ti 1:8,16 2:9) Déjà une fois il a comparu devant le tribunalimpérial, et si, alors, toute aide humaine lui a manqué, le Seigneurl'a secouru et délivré, voulant qu'il pût achever son oeuvre parmiles Gentils (2Ti 4:16 et suivant). Mais maintenant il prévoitque son procès se terminera par une condamnation à mort (2Ti4:6-8). Confiant dans le Seigneur, qui l'accueillera dans soncéleste royaume (2Ti 4:18), il est prêt au sacrifice; mais il sesent humainement bien isolé. Plusieurs, sur lesquels il croyaitpouvoir compter, ont fait défection: c'est le cas de Démas (2Ti4:9); c'est le cas de tout un groupe de chrétiens d'Asie (2Ti1:13). Il loue par contre le dévouement d'un autre Asiate,Onésiphore, qui, sitôt arrivé à Rome, s'est mis à sa recherche et n'aeu de cesse qu'il ne l'ait trouvé dans sa prison; mais il semblequ'Onésiphore ne soit plus de ce monde au moment de l'envoi de lalettre (2Ti 1:16 et suivants, cf. 2Ti 4:19). D'autrescompagnons l'ont quitté apparemment pour se livrer à un travailmissionnaire: Tite est en Dalmatie, Crescens--nommé seulement ici--enGalatie ou en Gaule (2Ti 4:10). Il a envoyé Tychique àÉphèse (2Ti 4:12). Pour le moment, Luc seul est auprès delui (2Ti 4:11). Aussi soupire-t-il après la présence de Timothéeet le presse-t-il de venir à Rome au plus tôt, avant l'hiver (2Ti1:4 4:9,21), en se faisant accompagner par Marc (2Ti 4:11). Lalettre ne dit pas où se trouve le destinataire. Il ne doit pas êtreloin de Troas, car il est prié d'en rapporter un manteau et deslivres laissés chez un nommé Carpus (2Ti 4:13). Les probabilitéssont pour Éphèse. L'apôtre fait mention de plusieurs Éphésiens ouAsiates. Tychique est du nombre (Ac 20:4); de même Trophime,mentionné 2Ti 4:20. Si Tychique a été délégué à Éphèse, il y aapparence que c'est comme futur remplaçant de Timothée. Et siTimothée est chargé de saluer la famille d'Onésiphore (2Ti4:19), qu'il a vu à l'oeuvre à Éphèse (2Ti 1:18), c'est sansdoute parce qu'il n'a pas encore quitté la ville où cet homme de bienhabitait avec les siens avant de venir à Rome. Prisca et Aquilas, àqui Paul envoie aussi ses salutations (2Ti 4:19), ont été àÉphèse et peuvent y être de nouveau, après être retournés pourquelque temps à Rome (Ac 18:18,26,1Co 16:19,Ro 16:3). En tenant compte de ces indications, on a essayé, mais en vain,de rapporter la composition des Pastorales à une phase de la carrièrede Paul qui nous soit connue par ses autres épîtres ou par les Actes. Nous savons par Ac 20:1 que Paul partit pour la Macédoineaprès ses deux ans et demi ou trois ans d'activité à Éphèse. La 1re àTimothée daterait-elle de ce temps? Non, puisqu'on y voit queTimothée est resté en Asie, alors que, d'après Ac 19:22, ilavait précédé Paul en Macédoine où nous le retrouvons un peu plustard auprès de l'apôtre (2Co 1:1). En outre, à ce moment, Paulne songeait pas à revenir à Éphèse. Son but était, après Corinthe,Jérusalem, où il avait à porter la collecte. Comme un voyage de Paulà Corinthe, non mentionné par les Actes, paraît devoir s'intercalerdans son grand séjour à Éphèse (2Co 12:14 13:1,2:1 etc.), on asupposé que l'apôtre avait cette fois aussi passé par la Macédoinepour se rendre en Achaïe, et qu'il aurait écrit 1Ti à cette occasion.Mais il ressort du contenu de l'épître, en particulier de ce qui yest dit de l'exercice des charges ecclésiastiques, que l'Églised'Éphèse a déjà bien des années d'existence; cela ne se comprend passi 1Ti se place par rang d'âge entre nos deux épîtres aux Corinthiens. Touchant l'épître à Tite, on a émis cette hypothèse: Paul auraitinterrompu son premier séjour à Corinthe (Ac 18:11) pour serendre en Crète avec Tite, ou s'y serait arrêté au cours du voyagequi devait l'amener de Corinthe en Syrie (Ac 18:18-22), etaurait écrit peu après à son disciple demeure dans l'île. Mais, dansnotre épître, il parle d'Apollos comme de quelqu'un qu'il connaîtbien; or, il ne dut faire qu'à Éphèse la connaissance de ce brillantprédicateur, revenu d'Achaïe en Asie (Ac 19:1,1Co 16:12).L'épître à Tite ne saurait donc être antérieure au grand séjour àÉphèse. Daterait-elle de ce séjour même? On peut supposer que Paul avisité la Crète à l'occasion du voyage à Corinthe que les Actes nementionnent pas; ainsi notre lettre se placerait entre les deuxépîtres aux Corinthiens (comme 1Ti d'après une hypothèse mentionnéeplus haut). Apollos, qui était à Éphèse lors de l'envoi de 1 Cor., apu à quelque temps de là naviguer vers la Crète avec Zénas avant ouau lieu de retourner en Achaïe, ce que Paul désirait qu'ilfît (1Co 16:12). Cependant 2Co parle d'une activité de Tite àCorinthe qui appartient à la même époque. Il serait donc venurejoindre son maître, non à Nicopolis, mais à Éphèse, et aurait reçuune nouvelle mission. Certes, la phase éphésienne du ministère dePaul est d'une longueur qui rend bien des suppositions possibles,mais on en vient de la sorte à la surcharger invraisemblablement. Etquoique le silence des Actes sur l'évangélisation de la Crète ne soitpas un argument péremptoire, il est pourtant digne de remarque queLuc, quand il raconte le passage dans les eaux crétoises du navirequi portait Paul prisonnier (Ac 27:7,13), ne dise rien qui fassesoupçonner que l'apôtre ait jadis débarqué dans cette île et y aitfondé des communautés. Enfin, nous avons à tenir compte d'uneobservation qui vaut pour l'épître à Tite comme pour la première àTimothée. Si ces deux lettres sont censées contemporaines des épîtresaux Galates et aux Corinthiens, elles se trouvent séparées de laseconde à Timothée par un intervalle dont la durée se concilie malavec les étroits rapports que ces trois écrits offrent entre eux. Écrite alors que Paul était prisonnier à Rome, la 2 e à Timothéene peut avoir vu le jour pendant la captivité romaine dont parlentles Actes. Si l'on suppose qu'elle date du début de cette captivité,c-à-d, d'avant l'envoi des épîtres aux Colossiens, à Philémon, auxÉphésiens, aux Philippiens, on s'explique, il est vrai, la présence,signalée par ces épîtres (Col 1:1 4:10,Phi 1:1 2:19 etsuivants), de Timothée et de Marc à Rome. Obéissant tous deux àl'appel de Paul (2Ti 1:4 4:9,11,21), ils seraient venus lerejoindre dans l'intervalle. Mais il faut encore que Tychique, envoyéde Rome à Éphèse d'après 2Ti 4:12, soit revenu avant que Paulécrive aux Éphésiens et aux Colossiens, puisque ces lettresmentionnent l'envoi en Asie du même Tychique, cette fois accompagnéd'Onésime (Eph 6:21 et suivant, Col 4:7 et suivants, cf.Phm 1:10 et suivant). Et comment expliquer que Paul, sidélaissé d'après 2 Tim., soit de nouveau si entouré, ayant auprès delui, non pas seulement Luc, non pas seulement Timothée et Marc, maisaussi Aristarque, Jésus Justus, Épaphras et Démas (Col 4:10-14),ce Démas qui l'avait abandonné par amour pour le présentsiècle?--Une (2Ti 4:9) autre solution a été tentée: c'est demettre 2Ti non plus au commencement, mais à la fin de la mêmecaptivité romaine, après l'épître aux Philippiens. Dans celle-ci, onvoit que Timothée était à Rome (Phi 1:1), mais que Paul avaitl'intention de l'envoyer bientôt à Philippes (Phi 2:19) etsuivants). De Philippes, Timothée se serait rendu à Éphèse, d'où Paulle rappellerait. Le grand isolement dont l'apôtre se plaint dans 2Tin'est pas en désaccord avec Php 2:20,21. Mais les objectionsqu'il nous reste à signaler valent contre toute tentative de placerla composition de notre épître dans le temps que délimite la noticed' Ac 28:30, et prennent d'autant plus de force qu'on serapproche davantage du terme de ces deux ans. «Éraste est resté àCorinthe, et j'ai laissé Trophime malade à Milet», lit-on 2Ti4:20. Si ceci a été écrit au cours des deux années en question, lesfaits mentionnés par Paul ont dû se passer quand il se rendit deCorinthe à Jérusalem par la Macédoine et l'Asie. Trophime était deceux qui accompagnèrent l'apôtre (Ac 20:4), et l'on s'arrêta àMilet (Ac 20:15). Mais nous retrouvons ensuite Trophime àJérusalem avec Paul (Ac 21:29). Se serait-il remis assezpromptement pour le rejoindre dans l'intervalle? On peut l'admettre àla rigueur. Mais un homme dans son bon sens ne parle pas ainsi d'unincident déjà ancien, et qui n'a pas eu de suite, à quelqu'un qui n'apas dû l'ignorer (Timothée était du voyage). De plus, comment Paul nes'aviserait-il qu'une fois à Rome de réclamer son manteau et seslivres (2Ti 4:13), si c'est à l'occasion de ce même voyage qu'illes a laissés à Troas? (Ac 20:6) Il faudrait renoncer à trouver pour nos épîtres une place dans lavie de Paul, s'il était établi que sa carrière a pris fin après deuxans de captivité à Rome. Mais c'est une conclusion qu'on ne peuttirer sans arbitraire de la brusque terminaison du livre des Actes.Le plus probable est que Paul est mort seulement quelques années plustard, après un nouvel emprisonnement, comme le suppose la traditionrelative à son voyage en Espagne (voir Chronol. du N.T., t. I, p.206). La 2 e à Timothée doit dater de cette seconde captivité.La seule interprétation naturelle de 2Ti 4:16 et suivant estbien d'y voir, avec Eusèbe (H.E., II, 22), une allusion à unpremier procès suivi de libération. Il s'agit en effet d'unedélivrance qui devait permettre à l'apôtre de continuer et deparfaire son oeuvre missionnaire. C'est autre chose et c'est plusqu'une assistance qu'il aurait reçue d'En-haut à la première audiencedu procès en cours, procès dont il prévoit l'issue. Si, comme nous l'admettons, Paul a été relâché à la suite d'unpremier jugement, les circonstances auxquelles se rapportent nostrois épîtres peuvent être reconstituées d'une manière satisfaisante.Cette libération aura permis à l'apôtre de retourner en Orient, commenous savons qu'il en avait le désir (Phm 1:22,Phi 1:26 2:24).Fit-il d'abord, ou remit-il à plus tard le voyage en Espagne qu'ilprojetait déjà en écrivant aux Romains? (Ro 15:28) On ne peutrien affirmer à cet égard. Remarquons cependant que, dans 2 Tim., lesimpressions rapportées des pays du Levant paraissent être encoreassez fraîches, ce qui ne dispose pas à croire que Paul ait visitél'Espagne entre son retour de ces contrées et sa nouvelleincarcération à Rome. Quoi qu'il en soit, voici l'idée que nous pouvons nous faire deson nouvel et dernier itinéraire oriental. De Rome, ou d'Espagne, ilse rend en Crète, y prêche l'Evangile, mais n'y reste pas fortlongtemps. Laissant Tite continuer son oeuvre (Tit 1:5), ilreprend la mer. Son but est la Macédoine. Timothée, qui voulait soitl'y accompagner, soit l'y rejoindre, reçoit l'ordre de rester plutôtà Éphèse (1Ti 1:3.--Ce texte est souvent compris commesignifiant que Paul est allé d'abord de Crète en Asie, et que c'est àson départ d'Éphèse qu'il a dit à son disciple de ne pas quittercette ville. Mais l'ordre a pu être donné par lettre ou transmis parun tiers). De Macédoine probablement, ou peut-être d'Epire, il écrit àTimothée et à Tite, donnant à ce dernier rendez-vous à Nicopolis, oùil compte passer l'hiver. Quelque temps plus tard, disons l'hiver unefois passé, il se remet en route, gagne les côtes d'Asie, s'arrête àTroas (2Ti 4:13) et à Milet (2Ti 4:20). On peut supposerqu'il revit Timothée à Éphèse, puisque telle était sonintention (1Ti 3:14 4:13), voire même qu'il poussa jusqu'enPhrygie, selon le projet formé depuis longtemps (Phm 1:22). Maisici encore, la preuve manque. Ce qu'il dit du manteau et des livreslaissés chez Carpus ferait croire que son itinéraire du retour a étémodifié. La phrase: «Eraste est resté à Corinthe» (2Ti 4:20)suggère qu'il visita aussi, en revenant, la capitale de l'Achaïe.Nous le retrouvons à Rome, de nouveau prisonnier et écrivant oudictant la 2 e à Timothée. Pas de difficulté pour les allées etvenues de Tychique. Il y a bien assez de marge entre l'époque où Paulenvoyait ce chrétien en Asie avec les épîtres aux Éphésiens et auxColossiens, et celle où il parle de déléguer en Crète, soit Tychique,soit Artémas. C'est sans doute Artémas qui a été choisi. Tychique apu suivre Paul à Rome et de là repartir pour Éphèse, un peu avantl'envoi de 2 Timothée. Voir Paul (ses voyages), VI, et la carte. L'ordre de composition des Pastorales ressort assez clairement deleur contenu, du moins en ce qui concerne la postériorité de la 2 eép. à Timothée par rapport à la 1re à Timothée et à l'épître à Ti; deces deux, qui évidemment se suivent de près, on ne peut dire aveccertitude laquelle a été écrite en premier. Nos trois lettres doiventdater des années qui vont de la fin de la première captivité romaine(61) à la mort de saint Paul. La date de cette mort n'est pas sûre:il n'est nullement établi que l'apôtre des Gentils se soit trouvé àRome en 64 et ait péri victime de la persécution qui se déchaînaaprès l'incendie. Mais on ne saurait descendre au delà de 68, annéede la mort de Néron, la tradition constante de l'Église étant quePaul, comme Pierre, souffrit le martyre sous le règne de cetempereur. Il ne nous paraît pas possible de préciser davantage. Quelest l'hiver que Paul voulut passer en Epire? Quel est celui qu'ilvoyait venir quand il appelait Timothée auprès de lui et qui dut êtrele dernier de sa vie, si tant est qu'il lui ait été donné de le vivreencore? Résignons-nous à l'ignorer.