PASSION

Grec pathos, de paskheïn =souffrir. De cette étymologie, lelangage de l'Église a tiré, directement, l'expression: la Passion duChrist (lat. passio) pour caractériser les souffrances subies parJésus-Christ au cours de la Semaine sainte (voir Jésus-Christ, parag.III).--Dans le langage courant, passion (au singulier) indiquel'ardeur d'un sentiment, d'une opinion: avoir la passion de laliberté, la passion des voyages.--En philosophie, passions (aupluriel) désigne ceux de nos mouvements de sensibilité, celles de nosaffections qui troublent notre jugement, nous ôtent la maîtrise denous-mêmes et nous portent impérieusement hors des conseils de notreraison, des ordres de notre conscience, voire même des intérêts denos instincts naturels. Depuis le temps de Platon et Aristote, ondistingue deux ordres de passions, celles qui surexcitent nos désirs,qui développent de façon disproportionnée nos penchants, et cellesqui nous poussent à réagir contre tout ce qui gêne l'élan de nosconvoitises. Nos passions sont donc, ou de concupiscence (gr. épithumia) ou de colère (gr. thumos). Au premier ordreappartient l'amour égoïste, insatiable, sensuel, avec tout un cortègede passions dérivées, la luxure, la gourmandise, l'ivrognerie, etc.La passion de l'argent produit l'avarice; la passion du pouvoirs'exaspère dans l'ambition déréglée, etc. Au second ordre appartientla haine ou les diverses manières de haïr: la vengeance, l'envie,l'orgueil, la jalousie, l'intolérance, le fanatisme, etc. LorsqueDescartes croit donner toute la liste des passions en y comprenant lajoie, la tristesse, la crainte, l'espérance, l'admiration, ilméconnaît le caractère essentiel de ces divers sentiments qui est den'exister qu'en raison d'une autre affection. On croit, on espère, onadmire, on est heureux ou malheureux, parce que le coeur est déjàpossédé par un amour ou une haine qui nous rend incapables de toutdésintéressement, voire de toute liberté. La passion est undéchaînement; on ne raisonne pas avec elle. Dirons-nous qu'elle estnaturelle à l'homme, qu'elle fait partie de ses instincts? Non. Ellese sert de la nature, mais parfois aussi elle la contredit et laruine; elle dirige, elle galvanise les instincts, mais dans d'autrescas elle les heurte et les contredit. Elle apparaît en nous plutôtcomme une inspiration du dehors qui s'empare de notre être, semblelui procurer les plus vives émotions, les plus intenses jouissances,les plus grands mouvements susceptibles de donner du prix à la vie,mais en réalité les passions dénaturent, dérèglent, épuisent etrendent l'être tout éperdu. «Tout ce qu'il faut de mouvement à la viesociale, écrit excellemment M me de Staël (Introd, à l'Influencedes passions sur le bonheur des individus et des nations, pp. 40,41), tout l'élan nécessaire à la vertu existerait sans ce mobiledestructeur. Mais, dira-t-on, c'est à diriger les passions et non àles vaincre qu'il faut consacrer ses efforts. Je n'entends pascomment on dirige ce qui n'existe qu'en dominant...Tous ces traitésavec la passion sont purement imaginaires; elle est, comme les vraistyrans, sur le trône ou dans les fers.» Ces diverses considérations nous expliquent l'attitude de laBible à l'égard des passions; en même temps la Bible nous éclaire surl'origine de celles-ci. Dès ses premières pages, l'A.T, nous apprendque l'homme a subi par sa chute (voir ce mot) un réel envoûtement;qu'il a été asservi par le génie du mal appelé dans le N.T. le«prince de ce monde». L'infernal suggesteur de Ge 3, que Jésusest venu démasquer et combattre, a répandu son mauvais esprit sur lacréation de Dieu, il a allumé dans les veines de l'homme une fièvredestructrice, il a insufflé dans son âme les passions, et par lespassions (Ro 1:18 et suivants) il a soumis la créature à la loidu péché (Ro 7). Par cette loi, il tente d'arracher la créatureau Créateur en annihilant les vertus divines qui font la grandeur del'homme: la raison, la conscience, la liberté, etc. Son but est des'emparer définitivement du coeur et de la volonté de la créature.L'antagonisme entre l'esprit saint et l'esprit dépravé (Ro 1:28,cf. 1Co 2:12,Eph 2:2 6:12) est irréductible; le duel est à mort.Toute la Bible raconte le choc tragique qui fit monter Jésus sur unecroix et tomber Satan du ciel comme un éclair (Lu 10:18). Depuisce drame où Christ affranchissait l'homme de l'esclavage des passionset de la domination de Satan, la vie du chrétien est un combat:«Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu...» (Eph 6: etsuivant, cf. 1Pi 5:8). Que signifie donc l'expression de «nouvelhomme» dont l'apôtre se sert pour désigner les rachetés deJésus-Christ? Elle désigne la condition de la créature qui, sauvéepar grâce, a «crucifié la chair avec ses passions» (Ga 5:24) etvit par l'Esprit saint dans «la glorieuse liberté des enfants deDieu» (Ro 8:21). Ce que ne pouvaient faire ni la volonté del'homme naturel (voir Chair), ni les vertus de la Loi, Jésus l'a faitpar sa rédemption et la régénération spirituelle qu'il accorde auxcroyants (Jn 3,Ro 8). Dès lors l'empire des passions est brisé,le devoir des chrétiens, sanctifiés par l'esprit de Dieu, est devivre comme des êtres qui- sont «ressuscités avec Christ», «attachésaux choses qui sont en haut», «car vous êtes morts et votre vie estcachée avec Christ en Dieu» (Col 3:3). Cette doctrine del'affranchissement des passions par l'Esprit de Christ, que Paul atirée directement de l'Évangile de Jésus, (cf. Jn 8:31 etsuivants) n'est pas une théorie seulement, c'est une réalité vivante,constante: du brillant Augustin converti par la prédicationd'Ambroise à l'obscur alcoolique relevé par les actuels ouvriers dela Croix-Bleue, le cortège des affranchis de la passion a inscritcette réalité dans l'histoire. Et tous les jours le cortègegrossit (Ro 7:24). Alex. W.