PARDON

Le pardon, au sens biblique du mot, est l'acte libre etmiséricordieux par lequel Dieu donne à l'homme, malgré le péché,accès à sa grâce (Ro 5:2). Le péché, outre ses effets moraux, aun effet religieux: il brise la relation de l'homme avec Dieu; par lepardon ou la rémission des péchés, Dieu rétablit cette relation etintroduit l'homme dans le royaume où règne la volonté divine. Il enrésulte le renouvellement de la vie, la régénération qui fait dupécheur pardonné une créature nouvelle (2Co 5:17). Puisque larelation avec Dieu est le principe de la vie supérieure, celle-cidépend tout entière du pardon divin. Il n'y a donc pas de plus grandeopposition, dans le domaine religieux et moral, que celle du péchéremis et du péché non pardonné. Ce dernier ruine la vie spirituelle,le pardon la rétablit. Le pardon est le bienfait par excellence quel'homme reçoit de Dieu, tandis que le malheur suprême consiste dansl'état de rébellion contre Dieu et l'endurcissement dans le mal, quirend le péché irrémissible (Mt 12:31 et suivant). Les présuppositions de la notion biblique du pardon sont, d'unepart, le péché considéré comme une offense au Dieu saint, d'autrepart, l'amour de Dieu pour le pécheur qu'il veut sauver. Là où cesprésuppositions font défaut ou n'existent qu'imparfaitement, lanotion biblique du pardon ne saurait se trouver ou n'apparaît pasdans la plénitude et la pureté de son contenu spirituel. En dehors dela Bible, dans certains hymnes védiques et certaines prièresbabyloniennes, il est sans doute question de rémission des péchés,mais il s'agit là plutôt de la suppression des châtiments temporelsque du rétablissement de la relation avec Dieu. Dans la Bible, le caractère propre de la rémission des péchésressort des expressions mêmes qui servent à désigner l'acte dupardon: «remettre une transgression» comme on remet une dette (Ps32:1, cf. Mt 9:2,Lu 7:48); «ne pas imputer» (No 12:11,Ps32:2,Ro 4:8); «couvrir» comme une chose que l'on ne veut plusvoir (Ps 85:3,Ro 4:7); «ne plus se rappeler» (Eze 33:16);«enlever, effacer, purifier, laver» comme on fait disparaître unetache (Esa 6:7 43:25,Ps 51:4); «rejeter derrière soi» (Esa38:17); «mettre sous ses pieds, jeter au fond de la mer» (Mic7:19). Dans la religion d'Israël se trouve la conviction que Dieu esttout ensemble saint et miséricordieux. L'alliance que l'Éternel aconclue avec son peuple est un effet et un signe de sa faveur. C'estpar amour qu'il a élu Israël (Os 11:1,De 7:7 et suivant), qu'ilreste bien disposé pour lui (Esa 49:15). L'Éternel est «le Dieumiséricordieux et compatissant, lent à la colère, abondant en grâceet en fidélité» (Ex 34:6). Lorsqu'il pardonne, il le fait «pourl'amour de lui» (Esa 43:25), c'est-à-dire de son propremouvement. Le pardon est un libre don de Dieu. D'autre part, si Dieu, en vertu de sa miséricorde, est prêt àpardonner, il est aussi le Dieu saint dont la colère s'exerce contreceux qui enfreignent ses commandements (Le 10:1 et suivant) etméprisent son alliance (No 11:1 21:5 et suivant) La sainteté deDieu n'est pas contraire à sa miséricorde; elle se manifeste toutensemble dans la condamnation dont il frappe les impies et lesrebelles (Esa 5:16 10:22 28:17,Ps 7:12) et dans la délivrancequ'il accorde aux humbles qui se confient en lui (Ps 31:2 71:272:12,14 103:6,14 116:5,9). Ces présuppositions déterminent les conditions du pardon. Cesont: l'aveu de la culpabilité (Jer 14:20), la contrition ducoeur (Ps 51:19,Esa 57:15), l'humble confiance (Ps 6:1,Esa63:16) et la conversion (Eze 18:30-32 33:11). D'une manièregénérale, la conversion apparaît dans l'Ancien Testament comme lacondition essentielle du pardon. Un passage d'Ézéchiel estparticulièrement caractéristique à cet égard: «Lors même que je disau méchant: Tu mourras certainement! si ce méchant, se détournant deson péché, fait ce qui est droit et juste..., certainement il vivraet ne mourra point. On ne se souviendra d'aucun des péchés qu'il auracommis; il a fait ce qui est droit et juste, il vivra» (Eze33:14-16). Ici le pardon est semblable à un sursis accordé par lapatience de Dieu. En effet, la charte de l'alliance conclue parl'Éternel avec son peuple est la loi, et le principe même de la loiexige de l'homme la justice. Or la conversion, qui suppose la volontéd'observer les préceptes divins, est la justice que Dieu exige. Lesconséquences de ce principe sont celles-ci: Dieu n'est miséricordieuxque pour ceux qui «se souviennent de ses commandements pour lesaccomplir» (Ps 103:17 et suivant), ou du moins qui font effortpour cela, même s'ils n'y parviennent pas entièrement. Dieu ne sesoucie des rebelles que pour les condamner. Cette dernière conséquence apparaît plus nettement encore dans lejudaïsme postérieur. Nous reproduirons ici un passage du IV eEsdras. (Pseud. Esd 8:34 et suivants) Le voyant pense avec pitiéaux damnés et il demande à Dieu de leur faire grâce: «Seigneur,dit-il, ta justice et ta bonté seront manifestées si tu faismiséricorde à ceux qui n'ont pas de trésor de bonnes oeuvres.» Maisl'ange révélateur repousse cette intervention et le voyant reconnaîtque l'ange a raison. Les idées fondamentales de l'ancienne alliance dominent lemessage de Jean-Baptiste. L'austère prophète du Jourdain «prêche lebaptême de repentance pour la rémission des péchés» (Mr 1:4 =Lu 3:3). La repentance est, selon lui, le seul moyen de salut;toute sa prédication est un pressant appel à la conversion. Toutesses exhortations tendent à un seul but: la préparation à la venue duroyaume de Dieu, par la conversion attestée par des actes qui seront«les fruits de la repentance» (Mt 3:8 =Lu 3:8). Jésus-Christ parle comme Jean-Baptiste de la proximité du royaumedes cieux et de la nécessité de la repentance (Mt 3:2,4:17).Comme Jean-Baptiste, il réclame la conversion du coeur et non lasimple observation de la lettre de la loi (Mt 5:20,45). Maisdans ce dernier ordre d'idées, Jésus dépasse Jean-Baptiste (cf. M.Goguel, Au seuil de l'Évangile, Jean-Baptiste, Paris, 1928, pp.265ss). Le véritable accomplissement de la loi, c'est la perfectionmême, telle qu'elle existe en Dieu, précisément parce qu'elle existeen Dieu et que les fils de Dieu doivent ressembler à leurPère (Mt 5:44-48). Ceci nous amène à la différence capitale:l'homme aura beau vouloir, faire effort, se repentir, jamais iln'atteindra la perfection au sens de l'Évangile. Cet idéal est audelà des forces humaines. Ni la bonne volonté, ni la repentance nesuffisent pour entrer dans le royaume des cieux. Ici s'ouvre l'abîmequi sépare l'homme, pécheur quoi qu'il fasse, du Dieu saint. L'hommene peut que reconnaître son impuissance et son indignité. L'humilitédu péager par opposition à l'orgueil du pharisien (Lu 18:9,14)est l'attitude normale de l'homme devant Dieu. C'est la conscience dupéché et non la conversion suivie de bonnes actions qui permet àl'homme d'être «justifié» (Lu 18:14). Ici apparaît le caractèretragique du péché qu'aucune pénitence ne saurait effacer. L'homme,même repentant, reste toujours vis-à-vis de Dieu dans la positiond'un débiteur insolvable (Mt 18:23,35). Il ne peut doncprétendre au salut; il lui est impossible de se sauver lui-même(Mr 10:26 et suivant =Mt 19:25 et suivant, cf. Lu18:26 et suivant). Si pourtant l'homme doit entrer dans le royaume, ce ne sera quepar une grâce imméritée, par un don de Dieu, et ce don est le pardon.De là l'importance fondamentale qu'occupe dans la religion chrétiennela rémission des péchés ou des dettes. Jésus l'introduit au centremême de la prière qu'il enseigne à ses disciples (Mt 6:12, cf.Lu 11:4). Tout l'Évangile est essentiellement la bonnenouvelle du pardon, du bienfait par excellence que le pécheur reçoitde Dieu. La valeur primordiale de ce bienfait ressort du récit de laguérison du paralytique (Mt 9:1,8,Mr 2:1,12,Lu 5:17,26); lepardon est ici le don capital, la guérison physique ne vient qu'enseconde ligne. Si Dieu accorde le pardon comme une grâce, c'est de sa part unacte de pure miséricorde. Il pardonne et sauve gratuitement, parcequ'il est le Père. C'est ce pardon gratuit que Jésus se sent lamission d'annoncer. Il le décrit magnifiquement dans la scène duretour de l'enfant prodigue (Lu 15:20-24). Le pardon introduitl'homme dans le royaume de Dieu, fait de lui un enfant de Dieu appeléà ressembler à son Père. L'état d'enfant de Dieu implique l'accordentre la volonté humaine et la volonté divine; l'enfant s'inspire del'amour et de la clémence de son Père et traduit dans son attitudeenvers les méchants les sentiments de miséricorde dont Dieu faitpreuve envers lui (cf. A. Jundt, L'idéal chrétien et la personne deJ.-C, Paris, 1923). Comme la grâce de Dieu est absolue, notredisposition à pardonner doit être sans limites (Mt 18:21 etsuivant, cf. Lu 17:3 et suivant). De là, la loi chrétienne dupardon humain dont Jésus fait une condition du pardon divin (Mt6:14 et suivant, Mr 11:25,Lu 6:37 et suivant), qu'il développedans la parabole du créancier impitoyable (Mt 18:23,35) et qu'ilinsère dans l'Oraison dominicale (Mt 6:12, cf. Lu 11:4). Jésus ne se borne pas à prêcher le pardon de Dieu, il l'apporteet le confère. Il a souci des pécheurs, il les appelle (Mr 2:17=Mt 9:13, cf. Lu 15:32) et va les chercher. C'est là savocation de Fils au sens unique et parfait, c'est là la missionspéciale dont il se sent chargé. Lui seul, il «a sur la terre lepouvoir de pardonner les péchés» (Mt 9:6 =Mr 2:10 =Lu5:24), et la guérison du paralytique est la preuve de sa puissancedans l'ordre religieux. Lorsqu'il fait pour ainsi dire la théorie deson ministère, il parle de son rôle de rédempteur (Mr 10:45 =Mt 20:28) et, lorsqu'il prend le dernier repas avec sesdisciples, il rattache la rémission des péchés à sa mort (Mt26:28) et fonde par son sacrifice la religion de la nouvellealliance que prêcheront les apôtres (Mt 26:28,Mr 14:24,Lu22:20,1Co 11:25). La communauté chrétienne se distingue, à l'origine, par unecertitude qui lui est propre: celle de posséder, par la mort duChrist, la rémission des péchés (Ac 2:38). Les apôtres attestentunanimement qu'il n'y a de salut que par le Christ et que la foi enJésus est le seul chemin du pardon (Ac 2:21 13:38). Pierreannonce la rémission des péchés par la foi en Christ (Ac 10:43,cf. 1Pi 1:18,21 2:10 3:18). L'apôtre Paul est l'interprète de lafoi de la communauté lorsqu'il enseigne «que Christ est mort pour nospéchés selon les Écritures» (1Co 15:3); il développe le contenude cette foi dans sa conception de la rédemption, et de telle sorteque la croix du Christ reste au centre de l'Évangile qu'ilprêche (1Co 2:2,Ga 1:4). Dans la pensée paulinienne, larémission des péchés constitue le premier de tous les dons de Dieu etforme le contenu positif de la justification (Ro 3:21-26 4:6-8).Celle-ci a pour condition unique la foi, à l'exclusion des oeuvres dela loi, afin qu'elle soit une grâce, l'effet de la rédemption duChrist (Ro 3:27 et suivant 4:16,2Co 5:21,Ga 2:16,Eph 2:8 etsuivant, Php 3:8 et suivant). Dans la pensée johannique, l'idéedominante est celle de la «vie»; elle implique la rémission despéchés par la foi en Jésus-Christ (1Jn 1:7-2:2). A. J.