APOCALYPSES

On désigne par ce nom une littérature religieuse florissante, surtoutau sein du peuple juif aux alentours de l'ère chrétienne. Elle est denature eschatologique, c'est-à-dire qu'elle a pour objet de dévoilerl'avenir réservé par Dieu à la nation juive et aux autres peuples dela terre. De là le nom d'apocalypse, qui signifie révélation Les révélations des Apocalypses n'ont pas trait à la vie religieuseet morale des personnes, au salut des âmes, mais aux choses dernièreset aux catastrophes qui accompagneront la fin du monde. Les écrivainsapocalyptiques prétendent puiser leurs inspirations et leurs oracles,non dans l'étude ou dans la méditation solitaire, mais dans uncontact direct avec Dieu et ses anges. C'est au moyen de visions etd'extases qu'ils entrent en possession des vérités surnaturelles.Pour donner à leurs oeuvres un degré supérieur de certitude etd'autorité, ils en attribuent la rédaction à des hommes réputés pourleur piété et leur sagesse dans l'histoire d'Israël etparticulièrement à ceux des temps les plus reculés de cette histoire,tels que: Hénoch, Noé, Daniel, Esdras, Baruch. La pseudonymie est unsigne distinctif de l'Apocalyptique. Par tous ces caractères, mais surtout par leur contenueschatologique et leur prétention d'apporter des révélationsnouvelles, les Apo diffèrent des livres apocryphes de l'A.T. etconstituent une classe à part. On a défini les apocalypticiens descontinuateurs des prophètes. Mais c'est méconnaître ce qui lesdistingue les uns des autres. Quoique le prophétisme ne nous soitplus connu aujourd'hui que par des écrits, il n'est pas cependantà l'origine une littérature. Ses moyens d'action furent laparole, la prédication vivante. Ce que les prophètes enseignaient àleurs auditeurs concernait non point un avenir éloigné, maisl'histoire présente et la situation actuelle du peuple.L'Apocalyptique, par contre, est d'essence littéraire dès sanaissance. Le recours aux extases et aux révélations n'estgénéralement qu'une pure convention. En réalité, les auteurs ontétudié les livres de leurs devanciers et surtout ceux desprophètes. Ils leur empruntent en les développant les thèmes, lelangage, les images, les allégories, de sorte qu'il existe entre tousleurs ouvrages une grande analogie de style, d'expressions et detournures littéraires. Cette parenté est d'autant plus frappante quel'objet des auteurs, préoccupés surtout de la description des choses finales,est beaucoup plus restreint que celui des prophètes. Tandis que l'attentionde ces derniers est attirée et maintes fois détournée par les événementsvariables du jour, les premiers planent au-dessus du temps dans unmonde imaginaire et conventionnel. L'aspect schématique propre à cesécrits provient de cette fixité de leurs traditions au double pointde vue du fond et de la forme. Les matériaux qu'emploient les Apo ne sont pas tous d'origineisraélite. Les croyances des peuples païens, surtout les idéesbabyloniennes et iraniennes que les Juifs apprirent à connaîtredurant l'exil et en général par leur séjour à l'étranger, sereflètent à chaque page de leurs écrits. Plus tard, lors de la grandediaspora juive à travers tout l'empire romain, le judaïsme fut initiéaussi à la science et à la philosophie de l'hellénisme et du monderomain. Tout cela laissa des traces dans sa religion, dans salittérature et surtout dans les livres apocalyptiques. Des influencesétrangères se font sentir sans conteste dans une série de sujetsqu'ils traitent avec prédilection, tels que l'observation desphénomènes de la nature, principalement du monde astral, les mythesrelatifs à la création et aux luttes de Dieu contre les monstres duchaos, la dernière levée de boucliers des puissances sataniques avantl'établissement du règne du Messie, la division de l'histoire del'humanité en quatre périodes, etc. S'appuyant sur l'un ou l'autre deces points, on a défini l'Apocalyptique une philosophie del'histoire. On pourrait l'appeler aussi une cosmogonie, unephilosophie de la nature. Mais il serait sans doute plus juste dedire qu'elle est un conglomérat de choses disparates, un réservoir oùvinrent se déverser et se fondre en un tout peu harmonieux lescroyances, les sciences, les philosophies, les mythologies et lefolklore de toute l'antiquité. Ce ne fut pas un phénomèneexclusivement juif: on retrouve des passages et des fragmentsapocalyptiques dans toutes les littératures religieuses, surtout dansles chapitres afférents à l'eschatologie: ainsi dans le parsisme,dans l'Inde, en Egypte et dans l'hellénisme (stoïcisme, livressibyllins, Hésiode, Plutarque). Ce genre fut aussi cultivé plus tarddans l'Église chrétienne et l'Islam. Le point essentiel de la doctrine apocalyptique, c'est laproximité du grand jour où Dieu établira son royaume sur la terre etjugera les hommes. La science apocalyptique s'efforce de calculer etde fixer ce moment, d'en discerner les signes précurseurs, c-à-d. lesfléaux qui doivent s'abattre dans les derniers jours sur la nature etla société humaine, tels que les guerres, les discordes civiles, lestremblements de terre, les famines, les bouleversements du mondesidéral. Ces phénomènes annonciateurs de la fin sont dénommés «lesdouleurs de l'enfantement du Messie». La création sera frappée partoutes ces calamités, parce qu'elle est foncièrement dégénérée. Laterre a perdu sa fraîcheur première: il faut qu'elle disparaisse. Cepessimisme qui va à rencontre de la foi des prophètes doit êtreramené à des causes diverses. D'abord, le dualisme de la religion del'Iran ne fut sans doute pas étranger à cette évolution. D'autrepart, l'histoire même du peuple juif l'a, favorisé. Comme Israëlétait tombé dans la servitude politique et gémissait sous le jougétranger sans espoir de relèvement, les âmes pieuses en conclurentque Dieu s'était retiré de la nation juive, qu'il l'avait abandonnéeà Satan et aux démons, et qu'un changement ne pouvait plus seproduire que par une intervention directe du Dieu suprême quiexterminerait les Juifs renégats et les païens, adorateurs des fauxdieux. Un point caractérise nettement le changement survenu dans laconscience religieuse du judaïsme, c'est la doctrine des deux éons:l'éon présent qui est passager, périssable et rempli de maux, etl'éon futur qui est éternel et plein de félicité. Des différences notables se perçoivent dans les peintureseschatologiques des Apoc., surtout en ce qui concerne laparticipation du Messie au drame final. Parfois le Messie en estabsent et Dieu seul est mis en scène. Quand le Messie paraît, onévoque à son sujet les souvenirs du roi David, et on considère sonrègne sous la forme politique et terrestre. Mais à côté de ce Messiejuif surgit un être nouveau que les apocalypticiens ont confondu etont cherché à amalgamer avec lui, sans toutefois y réussircomplètement. C'est le Fils de l'Homme introduit pour la premièrefois dans la vision des quatre animaux de Daniel et que l'auteurdésigne par le terme araméen de earnasch. Ce Fils d'Homme estd'origine non juive. Il possède des attributions diverses. Il estdépeint sous des couleurs transcendantes: c'est sur les nuages duciel qu'il vient pour présider au jugement universel. Avant cet actesuprême a lieu un dernier soulèvement de toutes les forces adversessous le commandement de Satan lui-même, appelé pour cette raisonl'Antéchrist. Selon les uns, ce dernier est anéanti sur-le-champ parle Messie. Selon les autres, il est enchaîné pour un temps (voirl'Apocalypse johannique: le millénium). Relâché ensuite, il serévolte derechef contre Dieu et est exterminé définitivement avectous les siens par le feu. Alors s'établiront de nouveaux cieux etune nouvelle terre, reproduction parfaite du paradis originel. Touteschoses seront remises en état, comme au premier jour de la création.Une correspondance mystérieuse règne entre le point de départ et lepoint d'arrivée de l'histoire du monde. Ce qui fut au commencementdoit revenir et reviendra à la fin. Bien que ces doctrines diverses manquent de coordination etsoient loin de s'enchaîner en un système, elles forment néanmoins unensemble caractéristique qu'on désigne couramment par ce nomd'Apocalyptique. Particulier d'abord au genre littéraire, ce termes'emploie aussi par extension pour l'ensemble des croyances contenuesdans ces écrits. Quand on mesure l'Apocalyptique juive à l'idéal religieux duchristianisme, on n'a pas de peine à reconnaître l'infériorité de lapremière. Sous prétexte de révéler au lecteur les mystères divins,elle le promène à travers les espaces illimités du monde et del'histoire. Elle ignore la révélation chrétienne de l'universalité del'amour divin et elle connaît moins encore le mystère de la croix.Les Apo sont des oeuvres d'école, d'une science théologique surannéeet un peu prétentieuse, d'une inspiration souvent médiocre, parfoismême douteuse. Néanmoins, elles ne sont pas sans avoir laissé destraces dans l'histoire religieuse postérieure. Plus d'une des idéeschères à leurs auteurs ont pénétré dans le Canon du N.T. (évangilessynoptiques, épîtres pauliniennes) et dans l'Église chrétienne. Aplus d'une époque leur lecture fut en bénédiction aux hommes. Dansles temps troublés où Israël risquait d'être absorbé par la culturegrecque et de s'enliser dans l'immoralité, ces livres ont maintenuchez leurs lecteurs les traditions de pureté et de sainteté de la loijuive et entretenu dans leurs coeurs l'espoir en des jours meilleurs.Aussi, quand sonnèrent les heures de persécution pour l'Eglisechrétienne, devinrent-elles une lecture de prédilection pour lesfidèles, qui y puisèrent courage et consolation. Avec les auteurs deces livres ils se réfugiaient d'un présent enveloppé de ténèbres dansun avenir de lumière. Sous un autre rapport encore l'Apocalyptique juive peut passerpour un acheminement vers le christianisme. Sans doute ces auteursn'ont pas songé à abolir le mur qui séparait Israël du monde païen.Mais ils furent amenés à établir au sein même du judaïsme uneséparation entre les Juifs restés fidèles et ceux qui reniaient leurfoi. Et cette distinction des bons et des méchants, qui ne secouvrait plus avec celle des Juifs et des païens, prépara en unecertaine mesure l'universalisme chrétien. Le nombre des Apocalypses juives, qui virent le jour dans lesderniers siècles de l'existence de la nation, est considérable. Debeaucoup d'entre elles les noms seuls sont parvenus jusqu'à nous.Celles dont il va être question ci-après nous ont été conservées enentier ou par fragments. Il convient de citer d'abord l'Apocalypse de Daniel, quiservit de modèle aux autres et qui eut les honneurs de lacanonisation (voir Daniel).Le Livre d'Hénoch. Cette Apoc, la plus étendue de toutes(elle contient 108 chap.), est un assemblage sans art et sans méthodede plusieurs écrits qui appartiennent à des époques et à des auteursdifférents et qui traitent de sujets disparates. Après un exorde decinq chap. qui touchent à tout ce qu'il plaît à l'auteur dementionner, une première partie (ch. 6-36) parle des anges, de leurchute, de leur châtiment et de plusieurs visions d'Hénoch relativesaux merveilles du Ciel et de la Terre. Vient ensuite (37-71) le livredes Paraboles, dont le contenu est en majeure partie de natureeschatologique. Il traite du sort des justes et des pécheurs lors dujugement, de la participation du Fils de l'Homme à ce jugement, del'Assomption d'Hénoch et de son intronisation comme Fils de l'Homme.Les chap. 72-83 contiennent le livre des ans et des mois. C'est untraité astronomique sur les lois des astres. Dans les chap. 83-gol'histoire du monde est révélée à Hénoch en songe et par des symbolescomme celui des 70 pasteurs d'Israël. Les derniers chap. (91-108)donnent les exhortations d'Hénoch aux justes et aux impies, puis uneApo des semaines et un fragment noachique. On y a inséré en effet desprophéties de Noé qui se rapportent aux mêmes sujets: la destructiondes anges et la cosmologie. Ces fragments dits noachique se trouventaux chap. 6 à 11, 54 à 60, 65 à 69. Ils proviennent peut-être d'uneApo plus ancienne, a laquelle notre rédacteur a fait des emprunts etqui est sans doute tombée dans l'oubli à cause de l'intérêt plusconsidérable qui s'attachait à Hénoch. Ainsi qu'il ressort de l'analyse du contenu, Hénoch expose lathéologie et toutes les sciences historiques et naturelles quis'enseignaient dans les écoles juives de son temps. C'est un essai decodification de toute cette sagesse scolastique. Mais elle ne procèdepas uniquement du judaïsme et de l'inspiration de ses docteurs. Elles'était développée sous l'influence des religions de l'Orient, enparticulier de l'astrologie babylonienne et de l'eschatologiepersane. Une gnose particulière, étrangère au nomisme synagogal,s'était infiltrée peu à peu dans certains cercles juifs adonnés auxdoctrines mystiques. L'apocalyptique fut comme une fenêtre ouverte,par où un air frais d'Orient pénétra dans l'atmosphère de lacasuistique juive. Parmi les importations orientales dans lejudaïsme, il faut classer surtout la doctrine du Fils de l'Homme. Oncombina cette doctrine tant bien que mal avec le messianismeprophétique. Hénoch contient plus de détails sur le Fils de l'Hommeque Daniel, mais il ne les a ni imaginés, ni ajoutés de son proprechef. Il a connu les mêmes traditions exotiques que Daniel et les autilisées plus largement. D'où vient qu'on attribua cette Apo à Hénoch? D'après l'A.T., cepatriarche eut une fin mystérieuse, car il fut enlevé au ciel (Ge5:24). Il était donc le personnage prédestiné pour assumer le rôled'un initiateur à une gnose nouvelle. Comparable au Dante catholiquedont il est le prototype juif, Hénoch, guidé par les anges, étaitcensé avoir visité le ciel et l'enfer, tous les lieux où habitent lesdéfunts, et avoir contemplé le sort qui leur était réservé. Nul mieuxqu'un tel homme n'était à même d'instruire les mortels sur toutes leschoses cachées, sur le passé et l'avenir. L'époque de la rédaction d'Hénoch ne peut être établiequ'approximativement, au moyen de quelques indices plus ou moinssûrs. La vision des 70 pasteurs fait penser aux Macchabées. La grandecorne, dont il y est question, désigne ou Judas Macchabée ou Hyrcan.La vision des dix semaines (chap. 91-93) donne un aperçu historique,qui s'arrête à la même époque. Dans les «Exhortations», il y a desallusions aux Pharisiens et aux Sadducéens, et aux luttes de cespartis qui caractérisent l'époque des Hasmonéens. Les Paraboles, lapartie la plus récente du livre, appartiennent au déclin de ladynastie hasmonéenne. Elles sont écrites avant l'entrée en scène desRomains, dont l'auteur n'a pas connaissance. L'ancienne théologie,s'appuyant sur les passages relatifs au Fils de l'Homme, y voyait desinterpolations chrétiennes et plaçait la rédaction de toute cettepartie du livre après la naissance du christianisme. Cet ouvrage fut très en faveur, non seulement dans les cerclesapocalyptiques, mais encore dans l'Église naissante. Un écrit duN.T., l'épître de Jude (v.14 et suivant) le cite formellement.Ailleurs dans le N.T. et chez les auteurs ecclésiastiques, lesallusions indirectes à notre livre sont fréquentes.. L'originald'Hénoch paraît avoir été écrit en hébreu ou araméen. Il fut traduiten beaucoup de langues. Une version éthiopienne fut découverte etpubliée dans la première moitié du siècle dernier. Cinquante ans plustard on retrouva une partie considérable (ch. 1-36) de la versiongrecque. Une nouvelle traduction française d'après le texte éthiopienet annotée a été faite récemment par Francis Martin (Paris, 1906). Nous possédons aussi un livre d'Hénoch en langue slave, composéprimitivement en grec. Il reproduit le texte éthiopien, maisl'empreinte d'une main chrétienne est très visible en plusieursendroits. Des remarques concernant le culte du Temple, les sacrificesqui s'y célèbrent et la recommandation de faire un pèlerinage auxlieux saints, prouvent que cette recension slave fut rédigée encoreavant la destruction de Jérusalem en l'an 70.L'Assomption de Moïse. Un grand nombre de livresapocryphes, attribués à Moïse, étaient répandus dans l'ancienneÉglise. Celui dont nous parlons ici était cité sous le nomd'Assomption (ou Ascension) de Moïse, parce qu'il racontait queMoïse, à la fin de sa carrière, fut emporté au ciel. Cependant, celivre ne nous est parvenu qu'en un état très fragmentaire, etprécisément la fin de l'ouvrage, relative à la disparition de Moïse,manque. Nous ne possédons plus que les premiers chapitres (1-12), quirapportent les recommandations et paroles d'adieu du grandlégislateur à son successeur Josué. Il lui prédit toute l'histoirefuture d'Israël, entre autres l'entrée en Canaan, la ruine deJérusalem et de son temple par Nabuchodonosor, l'exil et le retour,les règnes des Hasmonéens et d'Hérode le Grand. La durée de cedernier est fixée à trente-quatre ans. Puis c'est la description del'impiété des derniers temps. A ce moment, un lévite appelé d'un nomtout à fait énigmatique (Taxo) et ses sept fils donneront un belexemple de fidélité. Enfin c'est l'apparition du royaume de Dieu etle châtiment des méchants. A en juger par ce fragment, l'Assomptionfut d'abord un livre de prophétie; Moïse y est appelé le grandprophète. Ce livre prophétique a sans doute existé d'abord seul, sansl'addition d'un récit de l'Assomption, et se terminait par une simplerelation de la mort de Moïse. Les Pères de l'Église font mention d'unouvrage appelé non Assomption mais Testament de Moïse (diatkèkè). Dans les milieux apocalypticiens,. on y aura ajoutéplus tard la légende de l'Ascension, sans songer à élaguer dans lespremiers chapitres les allusions à la mort de Moïse qu'on ytrouve encore et qui nous renseignent sur l'état primitif des choses.En tout cas la spéculation des écoles juives s'est emparée du sujetde la disparition du grand prophète d'Israël et des circonstancesspéciales où elle s'était produite, et cela avant l'ère chrétienne.Témoin l'épître de Jude, où il est question d'une dispute de l'angeMichaël et de Satan à propos du corps de Moïse, croyance empruntée àun livre apocryphe plus ancien. Les docteurs des trois premierssiècles estimaient que la citation de Jude provenait d'une«Assomption» ou d'une «Ascension» de Moïse. Notre texte est une traduction latine fort défectueuse d'unoriginal probablement grec. L'une des prophéties mises dans la bouchede Moïse peut servir à dater le livre. Les fils d'Hérode, est-il dit,régneront moins longtemps que leur père. L'aîné de ses trois fils(Archélaüs) ayant été déposé et exilé déjà en l'an 6 de notre ère,l'auteur se crut en droit de prédire la fin prochaine de toute ladynastie hérodienne. C'est donc à ce moment, à la nouvelle de lachute d'Archélaüs, qu'il a composé son livre. Il ne se doutait pasque le règne des deux autres fils devait encore se prolongerbeaucoup. Plus on s'écarte de cette date de la fin d'Archélaüs, etmoins il y avait lieu de relever la brièveté du règne des fils encomparaison de celui du père.Apocalypse d'Esdras. La plus belle des Apocalypses juives, sil'on met Daniel à part, est sans contredit celle d'Esdras. Onl'appelle aussi le 4 e Esdras, les livres canoniques d'Esdras, deNéhémie et un apocryphe attribué à Esdras étant désignés par laVulgate comme les trois premiers livres d'Esdras. Le texte le plusancien, c'est-à-dire l'original écrit sans doute en hébreu, et saversion grecque ne nous ont pas été conservés. Autrefois ce livren'était connu que par une traduction latine fort imparfaite. Dans lestemps modernes, on découvrit successivement de nombreuses versions:une arabe, une éthiopienne, une syriaque, une arménienne, unegéorgienne, d'autres encore. Une lacune considérable du texte latin(au ch. 7) a pu être comblée grâce à un manuscrit de la bibliothèqued'Amiens provenant de Corbie. Le 4 e Esdras eut une grande voguedans les cercles apocalypticiens juifs, où il servit de modèle auxauteurs d'écrits similaires (voir l'Apocalypse de Baruch). Le créditdont il a joui dans l'Église chrétienne est attesté par le fait qu'ilfut reçu temporairement dans le Canon. La Vulgate l'a placé à la finde la collection. Il semble avoir été lu avec prédilection dès lespremiers siècles par les chrétiens d'Espagne, en particulier par lesPriscilliens. Un ms. latin qui date du VII e siècle a été trouvérécemment dans le nord de l'Espagne. Dans la liturgie mozarabique enusage chez un groupe de chrétiens espagnols dès avant le Moyen âge,se trouve inséré tout un fragment de notre Apoc, connu sous le nomd'Oraison d'Esdras. L'Apocalypse d'Esdras se divise en sept parties: La ruine du peuple d'Israël est un problème, carmalgré ses défaillances, ce peuple vaut mieux que le reste du monde. Dieu a des pensées d'amour à l'égard des Juifs,mais lui seul connaît le temps opportun pour les réaliser. Les signes avant-coureurs de la fin et le jour duJugement. Il y a sept degrés de félicité et de damnation. Les septnoms de Dieu. La grande prière d'Esdras. 4° à7° Les visions de Sion, de l'Aigle, du Messie,la glorification de Dieu, la rédaction miraculeuse de 84 livres etl'enlèvement d'Esdras. Les deux premiers et les deux dernierschapitres sont considérés par la Vulgate comme des Livres spéciaux etdésignés par elle comme 5 e et 6 e livres d'Esdras. Plus que lesautres, l'Apocalypse d'Esdras a gagné des lecteurs par son contenuédifiant et par la forme dramatique de l'exposé. Les sentimentsprofonds qu'elle exprime en font une lecture attachante, même pour lelecteur moderne. L'auteur ne s'arrête pas à l'aspect extérieur deschoses, mais il désire en pénétrer le sens caché. Le coeur ulcéré parla destruction de la ville sainte, il agite, sans se lasser, le grandproblème du mal et s'efforce de l'éclaircir par quantité d'images etde comparaisons. Ce n'est pas une étude abstraite, c'est un livredouloureux, plein d'émotion. On ne peut assigner à ce livre une date précise. Si l'on en jugepar les sentiments d'amertume que la destruction de Jérusalem alaissés dans son coeur, l'auteur appartient à la génération qui futtémoin de cet événement. Il a dû prendre la plume avant la fin du Ier siècle de notre ère. Où, dans quelle province de l'empire, dansquelle ville (Rome ou ailleurs) a-t-il séjourné? On ne saurait ledire. Quelques critiques ayant discerné dans l'ouvrage desconceptions divergentes, en ont inféré que l'auteur s'était servi demultiples sources pour le composer. Cette hypothèse paraît superflue,si l'on considère que les auteurs apocalypticiens ont pris de-cide-là et amalgamé des matériaux très divers dans le cours dessiècles. C'est là l'origine des incohérences, plus ou moins grandes,qu'on remarque dans toutes les Apo; il est donc inutile d'y stipulerune pluralité de sources littéraires. Esdras, qui avait restauré le peuple d'Israël et qui lui avaitenseigné à nouveau les préceptes de Moïse, était le personnage dontil parut opportun d'inscrire le nom en tête de ce livre. Souvent classé parmi les Pseudépigraphes (voir ce mot), le 4 eEsdras est désigné par l'abréviation Pseud. Esd dans le présentouvrage.L'Apocalypse de Baruch est proche parente de celle d'Esdras, bien qued'une inspiration et d'une valeur moindres. C'est une imitation decelle-ci, mais l'auteur n'a ni le talent, ni la chaleur de sonprédécesseur. Elle se divise en sept parties: elle traite d'abord de la destruction deJérusalem par les Babyloniens; elle contient une complainte de l'auteur et laréponse que Dieu lui donne; des méditations sur la fin; une vision d'un cèdre et d'un cep de vigne quireprésentent le Messie; l'auteur traduit son inquiétude concernant la findans une prière; 6° à 7° mention de deux lettres dont l'une estadressée à neuf tribus et demie en exil en Assyrie, et l'autre auxdeux tribus et demie exilées à Babylone.Il est vraisemblable que cette oeuvre fut écrite primitivement enhébreu. L'auteur déclare lui-même qu'il la composa dans le voisinagede Jérusalem. Seule une traduction syriaque nous a été conservée.Elle fut découverte dans un ms. de Milan en 1871. Il y eut aussi uneautre Apo grecque de Baruch, apparentée à la précédente, et dont nousavons une version abrégée en langue slave. On y traite du voyage queBaruch, guidé par un ange, fit dans les cieux. L'auteur écrivit sous un nom d'emprunt conformément à la méthodeapocalyptique. Son oeuvre est postérieure à l'Apocalypse d'Esdras. Onpeut en placer la rédaction dans les premières années du II e sièclede l'ère chrétienne. Baruch, connu dans l'histoire d'Israël par cequ'en rapporte le livre de Jérémie, fut le disciple et l'ami duprophète, dont il partagea le sort. Il a tracé le portrait de sonmaître et édité ses prophéties. Il jouit d'une grande considérationdans les Églises juive et chrétienne, où on lui attribua lacomposition d'une multitude d'écrits. Plusieurs docteurs de l'Église,comme Papias et Barnabas, en ont fait usage.Le Livre des Jubilés, appelé aussi la Petite Genèse,reproduit, sous la forme d'un discours adressé à Moïse par un ange,l'histoire sacrée depuis la création jusqu'à l'institution de laPâque (Ge 1 Ex 12). A cette histoire l'auteur ajoute de nombreuxdétails de nature historique ou législative dont les écoles juivesavaient enrichi le texte biblique. Elles avaient érigé cette exégèsefantaisiste en une véritable science, connue sous les noms de Agadaet de Halacha. Le but essentiel du livre des Jubilés est d'inculqueraux lecteurs l'origine divine et la sainteté des prescriptionsmosaïques, et d'empêcher que le monde juif ne se laisse séduire parl'exemple des païens. Aussi n'est-ce qu'improprement qu'on peutranger les Jubilés dans la catégorie des Apo; leur caractèreapocalyptique ne se manifeste qu'en ceci: c'est que toute l'histoireantérieure et future du peuple, inscrite sur des tables célestes, estrévélée à Moïse, et qu'on lui fait connaître en même temps commentDieu jugera ou récompensera ce peuple dans la suite. L'auteur relèveavec soin à travers tout son exposé la division de l'histoire sacréeen périodes jubilaires de quarante-neuf années, périodes qui sedécomposent en sept semaines d'années comprenant chacune sept ans.L'importance qu'il attribue à ce système chronologique a valu a sonlivre le titre de Jubilés. Quant à l'époque de sa composition, on se base sur quelquesallusions au règne de Jean Hyrcan. Il aurait donc été écrit vers lafin du II e siècle avant notre ère. C'est dans une traductionéthiopienne qu'il nous a été conservé. Cette dernière fut faited'après une version grecque qui eut sans doute elle-même un originalhébreu. Un tiers du livre existe en latin.Les Testaments des douze Patriarches appartiennent à uneclasse de livres d'édification, dans lesquels les auteurs exprimentleurs pensées sur l'histoire et la religion du peuple d'Israël. Ilsles présentent comme étant les dernières volontés que les personnagescélèbres d'autrefois, soit Abraham, soit Job, soit les douze fils deJacob, avaient dictées à leurs descendants avant de mourir. Les Test.des douze Patriarches en particulier sont une imitation du Test, deJacob qui se lit dans le chap. 49 de la Genèse. Comme leur père, lesdouze fils, sur le point de quitter la vie, font venir leurs enfants.Ils rappellent leur existence passée en l'illustrant de beaucoupd'anecdotes de provenance non biblique, mais agadique. Ils adressentensuite de pressantes exhortations à leurs descendants et leurprédisent leurs destinées futures. Le point de vue religieux del'auteur diffère tant soit peu du judaïsme officiel et légaliste desrabbins. Son idéal, il est vrai, n'est autre que la Loi. Il tient lesacerdoce en haute estime et le prise plus que la royauté. Il poussemême le rigorisme jusqu'à recommander les jeûnes et l'abstinence etil met en garde contre les désirs de la chair et du sang. Mais cessentiments de l'écrivain sont dus à une inspiration intérieure etpersonnelle. Il prêche l'humilité, la droiture, la simplicité. Cetétat d'âme l'apparente au groupe piétiste des Ébionim (les Pauvresd'Israël) dont la ferveur religieuse s'accommodait mal des moeursdissolues de leurs compatriotes hellénisés de l'époque hasmonéenne.Un point intéressant de la psychologie de l'auteur, c'est son amourde la vie rurale et du travail champêtre. Il a en aversionl'agitation des cités et les occupations de leurs habitants, surtoutle commerce, bien différent en cela de la juiverie moderne qui aimemieux se livrer au négoce qu'à l'agriculture. Les premiers chrétiens ont trouvé dans notre livre desconceptions qui leur étaient sympathiques: non seulement laprédiction d'un Messie libérateur et de la proximité du royaume deDieu, mais encore l'idée dualiste de l'histoire de l'humanité,l'opposition entre le siècle présent et le siècle à venir, lecommandement de la crainte du Seigneur uni à l'amour du prochain,l'image des deux chemins ouverts devant chaque homme, etc. Dans cescirconstances, il n'est pas étonnant que les douze Test., bien queleur origine juive ne fasse pas de doute, aient alimenté aussi lesméditations des prédicateurs chrétiens et que de ce chef le texte aitreçu des additions nombreuses. Ce fut une habitude répandue dansl'Église naissante d'adapter les anciens écrits du Judaïsme auxbesoins du culte nouveau. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, quel'original hébreu lui-même de notre livre n'ait pas été composé avecdes matériaux de provenances diverses, étant donné qu'on y trouve destextes parallèles où le même événement est raconté deux fois. L'undes douze Test. (Nephthali) nous a été conservé en langue hébraïque.Outre le texte grec, il existe encore une version slave et uneversion arménienne dans laquelle une moitié environ des passages quela critique, déjà avant de connaître cette version, avait supposésêtre des interpolations chrétiennes, font défaut. La rédaction dulivre peut être placée dans les années qui s'écoulèrent depuis lesHasmonéens jusqu'à la destruction de Jérusalem en 70.Le Martyre d'Ésaïe . Dans la littérature patristique, il estsouvent question d'un ou de plusieurs livres apocryphes quicirculaient sous le pseudonyme du prophète Ésaïe. On donnait à ceslivres des titres différents: Martyre, Ascension, ou Vision d'Ésaïe.C'est au siècle dernier que le texte d'une version éthiopienne duMartyre fut publié. Ce texte, fort mal conservé, peut remonterjusqu'au V e siècle de notre ère et semble dériver d'une traductiongrecque plus ancienne. La version éthiopienne est un ouvrage decompilation où des éléments d'origine juive et chrétienne sontmélangés. Elle peut dater du II e siècle Une première partie, écritepar un auteur juif, raconte le martyre d'Ésaïe et reproduit uneancienne légende d'après laquelle le prophète, pour échapper à lavengeance du roi Manassé, dont il avait dénoncé l'impiété, se retireau désert avec ses adhérents. Trahi par un Samaritain, il est arrêtéet son corps est scié par le milieu. Il est probable qu'il y a uneallusion à cette légende dans Heb 11:37; Justin et Tertullien laconnaissent également. Dans la deuxième partie du livre (à partir duch. 6) Ésaïe raconte ses visions: il lui fut donné de parcourir lessept cieux et de voir toute la vie de Jésus depuis sa naissancejusqu'à son retour au ciel. L'origine chrétienne de cette partie estcertaine.Oracles sibyllins . Des oracles de ce nom étaient colportésdans toute l'antiquité, tant en Orient que dans le monde del'hellénisme et dans l'ancienne Rome. On les attribuait à desprophétesses appartenant à des époques et des peuplades différentes,et on leur donna le nom générique de Sibylles. L'origine etl'étymologie du mot nous sont inconnues. La plus célèbre des Sibyllesde l'antiquité, pour le public cultivé de nos jours, est la Sibylleitalienne de Cumes, chantée dans l'Enéide de Virgile. LesSibylles avaient primitivement pour tâche d'annoncer aux individuscomme aux cités des calamités de tous genres et de leur donner à cesujet des exhortations et des avertissements qu'elles exprimaient endes termes obscurs. L'idée qu'on se faisait de leur rôle se modifia lorsqu'on songeaà rassembler par écrit de vieux oracles transmis jusqu'alors par lavoie orale. Il se créa un genre littéraire, connu sous le nom de«Livres sibyllins», dont une grande partie (plus de 4.000 vers) estparvenue jusqu'à nous. Pour assurer à ces prédictions de l'autoritéet en propager la lecture, on leur assigna une haute antiquité. Onrapportait entre autres que quelques-uns de ces livres furent déjàofferts en vente à Tarquin l'Ancien et que depuis lors, jusqu'àl'époque impériale, les dirigeants de l'État y puisèrent leursmaximes politiques. Cette littérature sibylline, qui était née dansles pays de langue grecque et qui de là s'était répandue en Italie,passa aussi aux mains des Juifs hellénisants qui y virent un moyenprécieux pour glorifier le judaïsme. En fin de compte elle futcultivée également par les propagandistes de la religion chrétienne.Au Moyen âge son action ne fut pas encore éteinte, et l'on peut mêmeen discerner des influences lointaines jusqu'au siècle dernier. C'est la Sibylle juive qui offre le plus d'intérêt pour lathéologie chrétienne. Les prophéties qu'on lui attribuait se sontconservées surtout dans les livres III-V de la collection. Il y acependant dans ces livres, à côté des éléments juifs, beaucoupd'autres de provenance étrangère. L'auteur a intercalé dans sesélucubrations personnelles d'anciens oracles païens. Il met en scènel'histoire du peuple juif depuis Noé et le déluge jusqu'àl'établissement du règne messianique. Les traits les plus marquantsde son oeuvre sont: la présentation des actions éclatantes du peupled'Israël et des bénédictions dont il fut l'objet, comme ayant étéannoncées d'avance par la Sibylle païenne, l'affirmation vigoureuseet convaincue du monothéisme juif, la dérision jetée sur l'idolâtrie,la description complaisante des châtiments réservés aux nations et lacertitude triomphante de la venue prochaine du Messie juif. Les livres sibyllins dont il est question ici se divisent en unesérie de morceaux plus ou moins étendus et dont la rédactionappartient à des époques différentes. Une grande partie du livre IIIdoit être attribuée à un Juif d'Egypte qui a tenu la plume vers lemilieu du II e siècle pré-chrétien. D'autres passages de ce livre etles livres IV et V reflètent des situations tout autres: on y trouvedes allusions aux triumvirs romains, aux guerres civiles et à ladomination de Rome sur l'Egypte. G.B.