NAZIRÉAT, NAZIRÉEN

Le terme de naziréen (hébreu nâzîr, de la racine nâzar =séparer) se trouve 63 fois dans l'A.T. Ce terme, qui peut s'appliquerà un prince (cf. nézèr =couronne;voir Prince, I, 7), désigne leplus souvent celui qui se sépare des autres en se consacrant par unvoeu temporaire ou perpétuel. Cette pratique, liant celui quiprononce un voeu (voir ce mot) dans une circonstance solennelle, seretrouve dans tous les temps et dans toutes les religions. Chez lesanciens Hébreux, les voeux se présentent sous la forme d'un librecontrat entre l'homme et Dieu (par ex. Abraham, Jacob, etc.). Plustard, ils furent réglementés, afin sans doute d'en prévenir lesinconvénients individuels ou sociaux. Les nazirs sont désormais ceuxqui se lient à Jéhovah par un voeu spécial (Am 2:11,Jug 13:5-716:17,No 6, cf. Sir 56:18 Ma 3:49,53). Dans Le25:5,11, il est même question d'un naziréat de la vigne non tailléedans les quatre années qui suivent la plantation, ainsi que pendantles années sabbatiques et jubilaires. On traduit ordinairement cepassage: «Tu ne vendangeras point les raisins de ta vigne nontaillée... »; mais il y a dans le texte: «de ta grappe naziréenne [=consacrée]...»NAZIREAT A TEMPS.Primitivement le naziréat était perpétuel; mais peu à peu il devinttemporaire. Le Talmud en fixait la durée à trente jours. On trouve,dans No 6:1,21, une réglementation du naziréat à temps. Ilcomportait: L'abstinence des boissons enivrantes et du vin,même de tout ce qui provient de la vigne «depuis les pépins jusqu'àla peau du raisin» (No 6:4). Cette prescription apparaît dansAm 2:11 comme la plus importante. L'obligation de laisser croître sescheveux (No 6:5). L'abstention de tout contact avec un mort.(No 6:6) Toute infraction volontaire ou non à ce précepte donnait lieuà réparation sous forme de sacrifice équivalant au renouvellement duvoeu (No 6:9,12). Le temps de son voeu expiré, le nazir devait offrir, devant la tente d'assignation avant l'entrée enCanaan, et plus tard au Temple, les sacrifices prescrits: un agneaud'un an sans défaut pour l'holocauste, une brebis d'un an sans défautpour le sacrifice d'expiation, un bélier sans défaut pour lesacrifice d'actions de grâces, une corbeille de pains sans levain,des gâteaux pétris à l'huile avec l'offrande et la libation de vinordinaires; enfin la chevelure alors coupée devait être brûlée surl'autel (No 6:13,21, cf. 1Ma 3:49). Après quoi le nazir reprenait sa liberté, et, notamment, pouvait boire du vin.NAZIREAT PERPETUEL.L'A.T, ne mentionne que deux cas de naziréat à vie: celui deSamson (Jug 13:5) et celui de Samuel (1Sa 1:11), qui furentconsacrés à Jéhovah «dès le sein de leur mère». Sir 46:13dit que Samuel fut «sacré nazir de l'Éternel avec le don deprophétie». Le naziréat perpétuel ne comportait cependant pas le voeude célibat, et c'est à tort que l'on a voulu y voir l'origine dumonachisme. Le cas des Récabites (Jer 35) qui ne buvaient pas devin et ne plantaient pas de vignes, vivant sous la tente, ne sauraitpas non plus être assimilé au naziréat; l'abstinence des Récabites(voir ce mot) résultait du nomadisme.CAS DE JEAN-BAPTISTE.Le naziréat du Baptiste a été contesté. Il y a, certes, quelqueanalogie dans les récits entre la naissance du Précurseur et cellesde Samson ou de Samuel (Jug 13:2,24,1Sa 1). Il est dit, dansLu 1:15, que Jean ne boira ni vin ni cervoise et qu'il serarempli de l'Esprit-Saint dès le sein de sa mère. Mais il n'est pasfait mention de voeu. La manière de vivre du Baptiste, son costume,font de lui une sorte d'ascète, assurément, mais pas à proprementparler un nazir. Son jeûne ne diffère pas foncièrement de celuides pharisiens stricts. Il semble, au surplus, qu'aux environs del'ère chrétienne le naziréat n'ait plus existé que sous la formetemporaire (cf. Goguel, Jean-Baptiste, p. 286);voir Jean-Baptiste.CAS DE PAUL.Le N.T. mentionne un autre cas, difficile aussi à expliquer: celui del'apôtre Paul. D'après Ac 21:24,26, lors de son dernier voyage àJérusalem, il dut accompagner au Temple, sur le conseil de Jacques etdes anciens, quatre hommes, sans doute indigents, qui avaient fait unvoeu. «Prends-les avec toi, lui dit-on, purifie-toi avec eux etpourvois à leur dépense, afin qu'ils se rasent la tête.» On a penséque Paul s'acquitta à cette occasion d'un voeu qu'il avait fait àCenchrées (Ac 18:18). Mais ce ne peut avoir été le voeu denaziréat, puisqu'il se fit alors raser la tête, et que les naziréenslaissaient au contraire croître leurs cheveux. On voit par le passagedes Actes précité que, dans la pensée de Jacques et des anciens,l'apôtre des Gentils devait montrer, en agissant ainsi, à ceux quiépiaient les chrétiens, que ce qu'ils avaient entendu dire sur soncompte était faux, et que lui aussi se conduisait en observateur dela Loi. Paul crut devoir se conformer au désir de Jacques et desanciens, mais son geste n'eut pas l'effet escompté puisqu'il eut pourconséquence son arrestation. Que faut-il penser de cettecondescendance de l'apôtre à l'égard d'observances en apparence assezcontraires à ses principes? On sait que les nazirs indigents, qui nepouvaient satisfaire à la Loi, invoquaient généralement l'assistancede quelque Israélite pieux et généreux. Mais on peut penser que cequi a déterminé Paul à se purifier avec ces hommes et à déclarer quetout ce qui concernait leurs offrandes rituelles serait présenté aujour dit, c'est sans doute le désir d'en finir lui-même, à cause deson voeu de Cenchrées, et d'aider ces nazirs indigents à en finir unebonne fois avec les prescriptions mosaïques. Son point de vue étaitsans doute celui-ci: il n'y a plus de loi dès qu'on est sous lagrâce, mais ce qui a été promis, on le doit. Le naziréat étant, en somme, une consécration au service de Dieu,on peut dire, d'une part, qu'il doit être regardé comme une sorted'extension du lévitisme aux individus qui, bien que ne faisant pointpartie du personnel affecté au culte, éprouvaient néanmoins le désirde servir de façon plus effective, au moins pendant un temps; et que,d'autre part, le lévite était en quelque sorte nazir pendant letemps de son service. (cf. Le 21:6) On peut donc concevoir lenaziréat comme une sorte de protestation individuelle et nationalecontre le relâchement religieux et la négligence du culte en destemps où, comme à l'époque des Juges, «la Parole de Dieu étaitrare» (1Sa 3:1) et où chacun «faisait ce qui lui semblaitbon» (Jug 21:25). Il a pu devenir, par la suite, une réactioncontre les i excès qu'entraînaient les cultes cananéens, et marquerun effort de retour vers la vie simple des temps patriarcaux. On avoulu déduire de certains textes, comme Am 2:12, et du blâmeprononcé contre ceux qui font boire les naziréens, un parallélismeentre le naziréat et le prophétisme. Les prescriptions de No 6seraient alors une image récente et transformée du naziréat. Nouspensons que si la forme visible du naziréat est celle d'uneséparation, son sens profond est celui d'une consécration. De mêmeque l'on devait consacrer à Dieu les premiers-nés destroupeaux (De 15:19), une mère pouvait consacrer son fils, et unhomme pouvait, faute de l'avoir été, se consacrer volontairement,suivant l'ordre de Dieu qui a dit: «Vous serez pour moi des hommessaints» (Ex 22:31). Ch. S.