1. La morale est la science ou la doctrine qui s'attache à tracer desrègles de conduite valables pour l'ensemble des hommes, en lesfondant sur les notions du bien et du mal moral. On a dit que lamorale est «la science du devoir et des devoirs», ou encore: «lascience des lois qui doivent régir l'activité humaine». Seulement, larecherche de ces lois est inséparable de la solution de questions quitouchent à l'origine et aux fins de l'homme, des choses et del'univers, ce qui fait en définitive que la morale est inséparable dela métaphysique et de la religion; et que si l'on veut l'en séparer,comme on le fait trop généralement aujourd'hui, on peut bien aboutirà des indications intéressantes, à un idéal élevé, à des préceptes devie pratique recommandables, judicieux, utiles, nécessaires, maisqui, en définitive, dépendent de la volonté que précisément il s'agitde former, de dominer et de conduire. Dans ce dictionnaire nous n'avons pas à énumérer, analyser etdiscuter les différents systèmes de morale, mais à constater que laBible, qui a été pour tant de générations le livre de la Révélation,en même temps et par cela même est devenue la source d'une morale quia pénétré notre société occidentale et contribué d'une manièreirrésistible à élever le niveau de sa civilisation. De sorte qu'à nela considérer que dans ses aboutissements, son influence et sesexigences essentielles, ses sommets, la Bible reste le livre de lamorale la plus exigeante et la plus haute. Seulement, il faut la regarder dans son action et son inspirationdominantes et de manière que les arbres n'empêchent pas de voir laforêt. 2. La Bible nous offre un tableau et une histoire de la vie humaine àdifférentes époques, dans un certain milieu. L'histoire du peupled'Israël, qu'on a appelé si souvent le peuple de Dieu, est loind'être édifiante, et nombreux sont les passages de la Bible danslesquels ses adversaires ont pu puiser des arguments spécieux pourattaquer sa moralité. D'un certain point de vue, quand nous lajugeons en vertu de nos exigences morales qui sont pourtant issuesd'elle, elle nous scandalise. Comme un des plus éminents parmi lesthéologiens actuels, Karl Barth, le remarque après beaucoup d'autres,«de grandes parties de la Bible sont presque inutilisables à l'école,pour l'enseignement de la morale, et il faut bien reconnaîtrequ'elles sont très pauvres en leçons de sagesse et en bons exemples».Puis, «toujours en matière morale, que de sujets sur lesquels, hélas!la Bible reste muette! Quel maigre enseignement elle nous offre surles grandes questions difficiles avec lesquelles nous nous débattons:le mariage, la civilisation, la vie politique. Qu'on pense seulementà ce problème d'une tragique actualité pour nous: la guerre.» Toutes ces remarques sont justes. Et cependant, les plus hautesexigences morales de notre temps, et les conquêtes et les progrèsmoraux les moins incontestés sont dus à l'influence directe ouindirecte de la Bible. C'est que la morale biblique n'est pas uncode, des règlements, des prescriptions et des ordonnances,--etpourtant nous savons à quel point la Bible abonde en tout cela;--elleest essentiellement un dynamisme, une action spirituelle absolumentinséparable de l'inspiration et de la révélation. La Bible a ceci de saisissant, elle nous fait sentir ce qu'ad'extraordinaire et d'irrationnel ce fait: des exigences moralestoujours plus hautes, plus amples et plus pures, aboutissant àl'idéal moral le plus absolu, surgissant et s'intensifiant à desépoques et dans des milieux caractérisés avant tout par unsensualisme, un égoïsme et une brutalité révoltants. Dans la Bible,la morale nous apparaît comme une réaction et une protestationconstantes contre le mal ambiant. Elle est une action irrésistible,un levain agissant dans quelques consciences tragiques, et elle faitdésormais sentir à travers les siècles, en dépit des multiplesrésistances, ce qu'est le devoir absolu,--ce qui doit être, ce qu'ondoit faire et finalement ce qu'il faut être. La morale biblique estindissolublement liée au sentiment de la volonté de Dieu; elle est lerayonnement d'une communion de Dieu avec quelques hommes, et elles'impose finalement parce qu'elle se fait sentir comme la volonté etla pensée de Dieu sur le sens de la personne et de la vie de l'homme. 3. L'Ancien Testament nous présente une action divine en lutteperpétuelle contre la manière de faire, de vivre, de penser et d'êtrequi caractérise cette portion restreinte d'humanité qu'est le peupled'Israël. L'homme, au milieu de circonstances multiples et diverses,y est montré avant tout dans son état d'être pécheur. La misère del'homme et son infidélité à sa vraie destinée, à sa fonction et à sonDieu, sont les traits caractéristiques de l'homme dans l'A.T, quin'est, entre autres, qu'un perpétuel réquisitoire contre les péchésd'Israël. D'autre part, d'une manière positive, à la déviation moraledes hommes, les prophètes opposent comme la voie royale,salutaire--celle que saint Paul plus tard montrera comme unemalédiction pour l'homme réduit à sa seule volonté--le «Soyez saints,car je suis saint» de JHVH; ce qui est déjà, sous une forme moinspopulaire et moins parfaite, la même indication de morale absolue queformulera Jésus dans le sermon sur la montagne: «Soyez parfaits commevotre Père céleste est parfait.» Cet idéal de sainteté que constamment les hommes s'efforcentd'abaisser jusqu'à eux et de proportionner à leurs capacités, il vas'amplifiant et se précisant, du Décalogue avec ses défenses et sonBien négatif, jusqu'à ce qu'il apparaisse dans le N.T. et enJésus-Christ dans son accomplissement absolu et son épanouissementdéfinitif. 4. Seulement, et c'est là le tragique de la Bible, cette directionnormale de l'homme, cette morale accomplie qui, malgré l'homme, s'estmanifestée à lui et imposée à lui, il s'est révolté contre elle, etse révolte constamment contre elle et se montre incapable de laréaliser. Elle est l'exigence de Dieu et réclame pour être pratiquéepar l'homme la capacité de Dieu. C'est ainsi qu'elle devientinséparable de la vie religieuse et surnaturelle, qu'elle postule leplus complet des sacrifices, qui est le renoncement à soi-même, et leplus extraordinaire élan, qui est la foi en Dieu; et c'est ainsi quela morale biblique pour être enfin pratiquée et révéler sa valeursalvatrice se confond avec la vie religieuse, avec ce que l'apôtre aappelé «la vie cachée avec Christ en Dieu». Jésus lui-même l'avaitrésumée magnifiquement dans deux commandements que les anciensIsraélites avaient laissés devenir lettre morte et préceptes à lafois magnifiques et vains: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toutton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée», et «tu aimeraston prochain comme toi-même». Ce qui est indéniable, c'est l'action profonde que la Bible aexercée au point de vue moral sur ceux qui en ont été les lecteursattentifs, assidus et fervents. Elle a contribué d'une manièreirrésistible à former non seulement le moralisme protestant, maiscette moralité scrupuleuse, exigeante et féconde qui a fait la forcedes peuples protestants. Et c'est ainsi que pour nous expliquer lesecret de la vertu morale de la Bible, nous sommes amenés à conclureavec Karl Barth que, ici, l'essentiel, «c'est que nous sommesreplacés devant cet «Autre», ce nouveau qui se dévoile dans laBible». «Ici, l'essentiel, ce n'est pas l'action de l'homme, maisl'action de Dieu; ce ne sont pas les différents chemins que nousdevons prendre si nous avons de la bonne volonté, mais les forcesnécessaires d'abord pour créer une volonté bonne; ce n'est pas desavoir comment se développe et se confirme ce que nous entendons parle mot «amour», mais de reconnaître qu'il existe un Amour éternel,l'amour comme Dieu l'entend, qui est là et qui jaillit; ce n'est pasd'apprendre comment nous pouvons être consciencieux, honorables etsecourables dans notre vieux monde accoutumé, au milieu de sestraditions et de ses lois, mais de découvrir qu'un monde nouveau estfondé et s'étend, le monde dans lequel Dieu règne, Dieu et sa morale.» «Voyez-vous, c'est cela qu'il y a derrière Abraham etMoïse, derrière le Christ et ses apôtres, le monde du Père danslequel la question morale est résolue parce qu'elle va de soi. Etc'est cela le sang du Nouveau Testament qui voudrait passer dans nosveines: à savoir la volonté du Père qui veut être faite sur la terrecomme au ciel.» «...Il y a dans la vie des milliers d'impasses, d'oùl'on ne peut sortir pour prendre le chemin du Royaume des cieux qu'enrevenant d'abord en arrière. Mais il est sûr que la Bible, si nous lalisons avec attention, nous mène droit au point où il faut prendreune décision: accepter ou rejeter la souveraineté de Dieu. Tel estprécisément le monde nouveau de la Bible. Ce qu'elle nous offre,c'est la vie du grain de sénevé, magnifique, féconde, pleined'espérance, un commencement nouveau à partir duquel tout doitdevenir nouveau.» Ch. Gd.