MOÏSE 4.

IV Sortie d'Egypte et voyage au désert. On ne peut reprendre ici dans le détail tous les événements quiaccompagnèrent et suivirent immédiatement le retour de Moïse enEgypte. On sait que les trois documents J, E et P font précéder lerécit de la sortie d'Egypte par celui de toute une série de fléauxdont Yahvé se serait servi pour faire céder la volonté du pharaon,qui refusait d'obéir à l'ordre que Moïse lui avait transmis (voir,sur cette question, l'article Plaies d'Egypte; pour celle quiconcerne le pharaon sous lequel les clans hébreux secouèrent le jougégyptien, et pour la sortie du pays et la traversée de la mer,l'article Exode, et, pour les événements qui eurent pour centre lamontagne sainte, et sa localisation géographique, l'article Sinaï). Quant aux faits racontés par Ex., No et Deutéronome et quis'échelonnent sur les 40 ans du voyage au désert, il est impossiblede les exposer ici en détail et d'examiner assez à fond lesdifficultés que présentent, à différents points de vue, les récitsqui les relatent; nous devons nous borner à faire, à leur égard, uncertain nombre de remarques de l'ordre critique. Dans tous cesrécits, on sait que Moïse joue toujours un rôle de premier plan, soitcomme intermédiaire et interprète entre les tribus et le dieunational, soit comme guide, soit comme pacificateur en cas deconflits. En un mot, l'histoire du voyage au désert s'identifie avecla biographie de Moïse. Or, dans cette biographie, il n'est pastoujours possible d'établir des points de repère chronologiquesabsolument sûrs, même sur des questions qui sont d'une importancehistorique capitale pour l'intelligence des étapes du voyage audésert. C'est ainsi que, dans la question de l'arrivée et du séjour àKadès, il n'y a pas accord entre les documents qui en parlent; lesuns (J et E) admettent que les clans sont arrivés dans cette localitépeu de temps après leur départ du Sinaï et y sont restés pendant laplus grande partie du séjour au désert, soit environ 38 ans; tandisque pour P les événements survenus à Kadès auraient été de peuantérieurs à la fin du voyage. Le catalogue des stations (No33), le seul fragment des Nombres qui soit attribué à Moïse (No33:2), est au contraire considéré comme un des plus récents duPentateuque; il est de P, dont il porte nettement les caractèreslittéraires et linguistiques. Le compilateur de ce catalogue (qui apu, d'ailleurs, avoir à sa disposition une ou plusieurs listesd'étapes), s'il admet que les tribus ont quitté le Sinaï un an aprèsla sortie d'Egypte et qu'elles ont passé le Jourdain à la fin de la40 e année, attribue 11 stations à la période qui va jusqu'au Sinaï,9 à la 40:6 année, et n'en laisse que 21 pour les 38 années restantes. On constate en outre, dans nos documents, des récits à doubled'un même fait: ainsi, dans Ex 17 et No 20, celui desmurmures du peuple manquant d'eau, récit dans lequel on voit Moïse,sur l'ordre de Yahvé, frapper le rocher d'où jaillira de l'eau; dansEx 17, le lieu est appelé Massâ et Meribâ, et dans No20 Meribâ ; de prime abord, il paraît difficile d'admettre: que le même fait se soit reproduit deux fois dansdes conditions si analogues, qu'un même lieu ait porté deux noms différents.Le premier récit paraît donc être un doublet antidaté du second. Onen peut dire autant du double récit de l'envoi des cailles (Ex16:13,No 11). Il semble en tout cas, d'après Jug 11:16 etDe 1:46 (ce le temps passé à Kadès fut de longue durée»), queMoïse a dû, pour la plus grande partie du séjour au désert, faire decette localité son quartier général, son centre fixe d'opérations etde voyages. Pendant ces 38 ans, des fractions du peuple ont pucontinuer leurs pérégrinations; elles seraient descendues jusqu'augolfe Aelanitique, pour remonter graduellement vers le N., seconcentrer une dernière fois à Kadès, d'où elles seraient partiespour contourner Édom et gagner les plaines de Moab et la vallée duJourdain. C'est de Kadès que Moïse envoie les douze espions pourexplorer Canaan (No 13:26), et là que ces derniers reviennentpour rendre compte de leur mission: de là encore, il envoie desnégociateurs au roi d'Édom, pour demander le droit de passage sur sonterritoire (No 20:14); c'est là que mourut Miriam (No 20:1)et que se passèrent sans doute plusieurs des faits racontés dans lesNombres. On a même émis l'avis que la plupart des épisodes que notretexte actuel a concentrés, dans Ex 16-18, entre le passage de la merRouge et l'arrivée au Sinaï, auraient eu primitivement pour théâtrela région de Kadès (Ad. Lods, Israël, I, p. 201). Et durant toutle cours de cette longue période pleine de difficultés et de dangers,ce fut le grand mérite de Moïse d'avoir toujours eu devant les yeuxle but que Yahvé lui avait assigné; d'avoir maintenu en lui-même etau sein des tribus la certitude que Yahvé marchait avec son peuple etle conduirait au port; d'avoir su maîtriser les mouvements derévolte, de mécontentement et de découragement qui éclatèrent sisouvent chez les Israélites. Maintes fois exposé aux sentiments d'animosité et de défiance desclans hébreux (No 11 No 14 No 16), et même à l'hostilité et à lajalousie de ses propres parents (No 12); intervenant avecsagesse et énergie pour empêcher son peuple de se lancer dans desentreprises hasardeuses (No 14:41); ne recherchant jamais quel'honneur de Dieu et le vrai bien des tribus, jamais le maintien deprérogatives personnelles (No 11:26, histoire d'Eldad et deMédad); s'appliquant même, lorsque Yahvé parlait de châtier descoupables, à détourner sur lui-même la colère divine (Ex 32:et suivants, No 14:13 et suivants, etc.), Moïse semontra le chef temporel et spirituel le plus accompli, le guide aviséet le bon conseiller d'un peuple de col roide, porté aux murmures, àla révolte ouverte et aux jugements injustes, toujours prêt àl'accuser, mais subissant malgré tout l'ascendant de cettepersonnalité au caractère noble et généreux. «Il demeura ferme, commevoyant celui qui est invisible» (Heb 11:27).V Mort de Moïse. Et pourtant, il ne lui fut pas accordé la joie d'entrer dans le paysvers lequel il avait si vaillamment conduit Israël. Après qu'il eutété précédé dans la tombe par sa soeur Miriam et son frèreAaron (No 20:1-27 et suivants), De 34:1 raconte en termesassez énigmatiques la mort de Moïse qui, ayant d'abord, du haut dumont Nébo, contemplé de loin la terre promise, redescendit dans lavallée, où «Yahvé l'ensevelit», et «personne n'a connu son tombeaujusqu'à ce jour» (De 34:6); son sépulcre ne devait pas devenir pourla postérité un lieu de pèlerinage. Pourquoi la mort survenant dans des circonstances simystérieuses, de celui qui, selon l'expression de Yahvé (No12:7), avait été «fidèle dans toute sa maison»? Le récit de No20:2,13 a bien pour intention d'indiquer la raison pour laquelleMoïse et Aaron se virent privés d'entrer en Canaan avec les tribus.D'après No 20:12-24 27:14, il semble que le motif de cetteexclusion ait consisté dans le fait qu' «ils ont été rebelles»,c'est-à-dire qu'ils se sont montrés indociles à la volonté de Yahvéet incrédules à sa parole, en ce sens qu'au lieu de frapperrésolument une fois le rocher, Moïse l'aurait frappé deuxfois. Ou bien on a pensé que l'ordre du texte primitif de cepassage avait été altéré dans notre texte actuel, et qu'il devaitêtre rétabli comme suit: «Comment pourrions-nous faire sortir del'eau de ce rocher?» (verset 10), question par laquelle Moïse etAaron auraient mis en doute la toute-puissance de Yahvé et à laquelleil aurait répondu: «Écoutez donc, rebelles» (verset 10), en leurdonnant l'ordre de frapper le rocher. --Mais quelle que soit l'interprétation que l'on adopte, larigueur extrême du châtiment infligé aux deux chefs n'apparaît-ellepas, dans les deux explications, absolument disproportionnée à lagravité de leur faute? Et n'y aurait-il pas eu plutôt, ici, de lapart de Yahvé une mesure inspirée par des sentiments de miséricordeet d'amour à l'égard de son fidèle serviteur, Dieu ayant voulu lesoustraire (vu son grand âge et après les années si dures du longvoyage du désert) aux fatigues et aux luttes qui devaient accompagnerla prise de possession de la terre promise? Yahvé aurait-il jugépréférable de le faire entrer dans son repos, alors que, d'aprèsDe 34:7, il n'avait pas encore subi les effets de l'âge? Cettequestion restera toujours sans réponse vraiment satisfaisante. Ilfaut rappeler ici le passage de l'épître de Jude (Jude 1:9) faisantallusion à la mort de Moïse et à une contestation qui aurait eu lieuau sujet de son corps entre Satan et l'archange Michel; il y auraitici une citation d'un ouvrage Pseudépigraphe datant des premièresannées de notre ère, l' Assomption de Moïse, mais le passage viséne nous a pas été conservé. Enfin, à propos de la mort de Moïse, on mentionnera ici pourmémoire les vues énoncées par Sellin dans un récent ouvrage (Mose,etc.); ce savant, s'appuyant sur un certain nombre de passages,spécialement d' Osée (Os 4:4,9 5:1-4 7:3,7 7:7,11 12:1 13:1) etsur les «chants du Serviteur de Yahvé» (Esa 42:1 49:1,50:452:13-53:1), prétend y retrouver les traces d'une tradition d'aprèslaquelle Moïse serait mort martyr; il aurait été mis à mort par lesprêtres, qui auraient ainsi à peu près supprimé la religion fondéepar lui. Mais, comme l'ont montré les critiques, cette hypothèse nes'appuie pas sur des textes bien clairs et sûrs, et ceux sur lesquelson la fonde doivent, pour l'étayer, passer par de profondescorrections que rien ne justifie.