I La notion missionnaire dans l'A.T. L'étude de la pensée israélite primitive au sujet des étrangers(voir Prosélyte) montre qu'aux origines Israël ne se croit nullementle devoir de propager ses idées. Il méprise les peuples qui n'ont pasla religion de JHVH, le plus puissant de tous les dieux, mais il n'estpas étonné que son Dieu ne soit pas adoré par les autres peuples:JHVH n'est-il pas le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob? Bien plus, il y a--et c'est ce qui fait la force duyahvisme--union étroite entre le peuple d'Israël, le pays qu'iloccupe et JHVH qui lui a donné ce pays, de sorte que l'Israélite,sortant de son pays, doit servir le dieu du lieu où il se trouve.Cette attitude s'explique d'ailleurs par les origines mosaïques duyahvisme primitif: à l'intérieur du pays il y aura donc union étroiteentre JHVH et Israël, exclusivisme absolu, qui fait que JHVH veutêtre le seul Dieu d'Israël, et qui dégénère facilement enintolérance, particularisme farouche et mépris pour l'étranger,sentiment que JHVH épouse toutes les querelles, toutes les espérancesde son peuple, qu'il marche devant l'armée qui part en guerre; tandisqu'en dehors du pays les Israélites pensent que les dieux ont unepuissance tout comme JHVH en Canaan: Kémos en Moab, Moloch chez lesAmmonites (1Ro 11:7) sont regardés comme les dieux de cespeuples au même titre que JHVH en Israël (voir encore Jug11:24,2Ro 3:27). En pays étranger les rapports avec les indigènes sont toutdifférents de ce qu'ils sont en Canaan: Élie va quelque temps àSarepta et y habite chez une veuve du pays (1Ro 17). L'histoirede Balaam est significative des pouvoirs que l'on attribue aux autresdieux, et des phénomènes semblables qui, pensait-on, accompagnaientles autres religions (No 22). D'ailleurs une conceptiondifférente se faisait jour, qui préparait une notion plus élevée deJHVH: celle de sa puissance sur son peuple à l'étranger (Ex 3:7). C'est incontestablement aux prophètes que revient l'honneurd'avoir proclamé pour la première fois le caractère unique etuniversel de JHVH. Le monothéisme fut leur première conquête: avanteux Israël était monolâtre (adorant un seul Dieu mais attribuant auxautres une réalité et une certaine puissance chez eux: voirHénothéisme). L'universalisme tient étroitement au monothéisme:celui-ci implique celui-là, avec, pour conséquence logique, l'actionmissionnaire. Tous les prophètes n'ont d'ailleurs pas su tirer cetteconséquence de leurs idées nouvelles: si Amos proclame l'égalité deshommes devant JHVH (Am 9:7), il le fait comme un reproche àIsraël qui n'a pas su reconnaître tout ce que JHVH a fait pour lui;il ne met nullement en lumière le devoir missionnaire. Jérémie, lesecond Ésaïe, dans des passages comme Jer 12:14,17,Esa 42:1-12,ont eu de ce devoir une intuition plus nette (voir Prophète, parag.6), mais cette préoccupation n'est pas dominante dans leur oeuvre. Ilsemble que Jer 16:19 conçoive la venue des peuples à l'Éternelcomme leur incorporation à la nation israélite, ne pouvant encoreadmettre la religion de JHVH en dehors de Canaan (voir aussi Za14:17,19). Les prophètes n'ont donc pas donné toute son ampleur à la visionque Dieu leur accorda à plusieurs reprises, et surtout Israël futloin de comprendre leur message. Il se trouva même que leprophétisme, en donnant à Israël le sentiment de la supériorité de sareligion, renforça le mépris qu'il avait pour les autres: l'antiqueparticularisme reprit toute son étroitesse lorsque le souffleprophétique se fut éteint; les étrangers furent considérés désormaisnon plus comme des rivaux mais comme des êtres inférieurs qui doiventservir le peuple élu,: l'auteur de Esa 60:12 s'exalte dansl'espoir que les nations qui ne se convertiront pas serontexterminées. Le jour de JHVH, qui était dans la pensée des grandsprophètes le jour du châtiment d'Israël, devient le jour où serontjugés et châtiés tous les peuples de la terre (Za 14:12 etsuivants). Il y a pourtant dans l'A.T, un écrit tout pénétré du soufflemissionnaire: c'est le livre de Jonas (voir art.). L'auteur anonyme,s'élevant avec force contre le particularisme juif, montre à traversles péripéties d'un récit symbolique la compassion de Dieus'étendant, au delà d'Israël, sur les peuples païens. Nous avons iciun pressentiment émouvant de cet universalisme absolu que l'Évangilemettra en pleine lumière et qui restera, de génération en génération,le secret de l'apostolat chrétien.II La notion missionnaire dans le N.T. 1. Caractère missionnaire de la personne du Christ Tout au long de son ministère terrestre, le Christ se considère commeun envoyé: le Père l'a chargé d'une mission (Mt 10:40,Lu 10:16,Jn6:44 13:20). Du jour où Jésus eut reçu le baptême de Jean, il eut lesentiment de ne plus s'appartenir mais d'être tout entier au servicede son Père auprès de ses frères. Par sa naissance il appartient àune famille, à une race; par son baptême il se met au rang d'unefamille agrandie dont il se fera le chef. Tout de suite il s'appliquela parole de Esa 61:1 (Lu 4:18 et suivant), et il seconsidère comme la lumière envoyée pour éclairer toutes lesnations (Lu 2:32). 2. Caractère missionnaire de son enseignement Toute la formation des disciples par le Maître est une formationmissionnaire. Il les envoie en mission (Mr 6,Mt 10,Lu 10) pourannoncer l'Évangile à toutes les nations (Mr 13:10,Lu 24:47,Ac1:8). Toutes les nations seront jugées, châtiées ou accueillies(Mt 25). Ceci est tellement général tout au long del'enseignement de Jésus qu'il importe peu ici de trancher la questionde savoir si l'envoi des 70 en mission rapporté par Luc estauthentique ou s'il s'agit d'une erreur d'interprétation des sourcesqu'avait sous les yeux le troisième évangéliste (voir Luc, évangilede). Ce qu'il faut expliquer plutôt, ce sont les deux paroles duChrist qui semblent limiter sa propre mission et celle des apôtresaux brebis perdues de la maison d'Israël, c'est-à-dire au seul peuplejuif (Mt 10:5 15:24) Dans l'ordre aux disciples, il ne peut s'agir que d'uneinstruction temporaire motivée par des considérations de marche àsuivre dans l'évangélisation du monde. Quelle a été la pensée exacte du Maître à ce moment? A-t-il penséqu'il fallait gagner d'abord ce qui aurait dû être plus accessible?A-t-il voulu refréner le zèle maladroit de disciples qui auraientvoulu trop embrasser à la fois? Nous ne le savons au juste; ce quiest certain, c'est qu'un grand nombre de paroles du Christ et defaits de son ministère contredisent une limitation de principe de sontravail. (cf. Lu 9:52,Jn 4,Lu 6:17 etc.) Dans le même discoursJésus parle aux disciples des rois et gouverneurs devant lesquels ilsseront amenés (Mt 10:1 et suivant). Il n'est pas vraisemblable non plus que l'ordre missionnairen'ait été donné qu'après la résurrection. S'il l'a été plusexplicitement à ce moment-là (Mt 28,Lu 24,Jn 20,Ac 1) parce quele temps était venu, l'Évangile accompli, de nombreuses indicationsdans ce sens avaient été données auparavant. Dès le début, lesdisciples sont habitués à considérer que le champ de leur travailc'est le monde (Mt 13:38) et qu'ils sont appelés à être le selde la terre et la lumière du monde (Mt 5:13 et suivant). Quant à la deuxième parole (Mt 15:24), les mêmes raisonsnous font chercher son explication dans les circonstances spécialesoù elle est prononcée. Le récit parallèle de Mr 7:24 et suivantnous montre que Jésus s'est retiré du côté de Tyr et de Sidon pour yfaire incognito un court séjour. D'où son intention première den'opérer là aucune guérison, de peur d'être immédiatement reconnu.Ajoutons que Jésus, qui a toujours besoin de la collaboration de ceuxpour lesquels il accomplit des miracles, met la Cananéenne àl'épreuve, car elle doit remporter une victoire et non recevoir uneaumône. 3. Les disciples et l'ordre du Maître Les disciples, lorsque la vocation missionnaire se précisera un jourd'une façon nette, (cf. Ac 15:7) se souviendront des voyages enterre païenne accomplis aux côtés de Jésus autant que desinstructions qu'il leur avait données bien souvent. Mais ils nerépondent pas immédiatement au désir du Maître. Les renseignements que nous possédons sur la période venantimmédiatement après l'Ascension ne sont pas nombreux, mais il semblebien qu'il y eut une période d'hésitation, d'attente. L'ordremissionnaire était pourtant présent à la pensée des disciples. (cf.Ac 2:17 3:25) Ce n'est qu'un peu plus tard que Philippe d'abord,Pierre et Jean ensuite, allèrent en Samarie. Nous savons que lechristianisme était professé à Damas, à Antioche, au moment de laconversion de Paul. Quant à la discussion qui s'élève entre les apôtres àJérusalem (Ac 15,Ga 2), elle porte non sur le principe de lamission en terre païenne, mais sur la méthode à suivre, les unspensant que les païens devaient adopter les coutumes juives, la loimosaïque, pour devenir chrétiens; les autres rejetant cette idéecomme trop étroite et trop exclusive.D'après les Actes l'expansion du christianisme se fit en plusieursétapes: 1° à Jérusalem (Ac 1:12-8:3), 2° en Palestine (Ac 8:4-9:31), 3° le cercle s'étend jusqu'à Antioche (Ac 9:32-12:25), 4° voyage de Paul en Asie Mineure (Ac 13:1-16:9), 5° voyages de Paul en Europe (Ac 16:10-21:16), 6° le christianisme, après l'arrestation de Paul etsa captivité à Césarée, atteint Rome (Ac 21:17-28:31).Cette vue d'ensemble doit certainement être incomplète: d'autres queles apôtres ont évangélisé (voir Évangéliste). Il est même certainqu'en beaucoup d'endroits les apôtres restés quelque temps àJérusalem (une tradition parle de douze années) furent précédés par de plus humbles messagers, dont les noms nesont pas parvenus jusqu'à nous. Parmi ces messagers il en est unecatégorie qui mérite une mention: ce sont les disciples deJean-Baptiste. D'après Ac 19, il semble que l'on puisse conclureà l'existence de disciples de Jean-Baptiste sans délégation spécialeet sans mission comparable à celle des apôtres. Ils se laissèrentd'ailleurs aisément convaincre par Paul et ses compagnons, etpoursuivirent leur oeuvre d'accord avec ces derniers. (Il peut yavoir là les traces d'un apostolat juif qui se serait transformé enapostolat chrétien dès son contact avec le christianisme.) Le plus complet missionnaire, au sens que nous attachons à cemot, fut incontestablement l'apôtre Paul (voir ce mot). Il nous adonné lui-même sa conception missionnaire, qui est comme la premièrethéorie des missions. Les chap. de Romains Ro 9 Ro 10 Ro 11exposent les raisons du devoir missionnaire: théologiques (la volontéde Dieu), historiques (la résistance des Juifs fait rejeter le peupleélu au profit des païens) et finales (Dieu sauvant finalement Israëlmalgré lui et par d'autres voies que celles qu'il avait d'abordchoisies). La théorie paulinienne est complétée par de nombreusesaffirmations tout au long des lettres de l'apôtre (v., en partie,Ga 2). L'essentiel des idées pauliniennes est encore à la base desgrands mouvements missionnaires actuels. Une des grandes idées del'apôtre a été reprise par les tenants modernes de la mission enterre païenne: Paul montre que Dieu sauvera le vieil Israël au coeurendurci et récalcitrant par le moyen des païens, de sorte que lavolonté rédemptrice de Dieu n'a pas de limite et se trouve étendue aumonde entier. Aujourd'hui on entend fréquemment affirmer que l'Église quicomprend son devoir missionnaire est plus forte et plus vivante quel'Église qui voudrait se concentrer tout entière sur elle-même, sousprétexte d'être puissante à l'intérieur avant de songer à sonexpansion à l'extérieur. Le passé confirme l'idée de l'Église missionnaire sauvantl'Église qui risque de s'endormir ou de végéter dans les querellesecclésiastiques ou théologiques. Aussi croyons-nous qu'ici encore lesalut de l'Église sera dans le retour à la notion biblique de lamission et du devoir missionnaire. L'Église qui voudra sauver sa viela perdra; celle qui consentira à la perdre en la donnant, lasauvera. Er. B.