MESSIE

(aram, mechiakh, hébreu mâchiakh, du verbe mâchakh quisignifiait originairement frotter, poser la main sur quelqu'un ouquelque chose).Wellhausen fait observer avec raison que, dans la foi religieuse desprimitifs, le fluide spirituel se transmettait par l'attouchementcorporel. L'huile devint bientôt l'agent de liaison dans ce contact.La consécration s'opérait par une onction d'huile, qu'il s'agît depersonnes ou d'objets. Et cette onction était censée conférer tout àla fois la purification et la puissance. Elle était aussi pour l'ointun moyen de protection.On a pensé que cette pratique était née sur la terre d'Egypte. Unetablette de Tell el-Amarna parle d'un roi cananéen sacré par lepharaon Thoutmès III (XVI° siècle), qui lui a «versé de l'huile surla tête». Peut-être, en faisant cela, le pharaon se conformait-ilsimplement à un usage syrien.Le Messie dans l'Ancien Testament .L'onction était en Israël le rite du sacré(1Sa 9:16 15:1-17 Ps 18:50 20:7 La 4:20), d'où la formule:«l'oint de Jéhovah» appliquée au roi (1Sa 24:7).On l'employa aussi, plus tard, pour introduire dans les fonctionssacerdotales le prêtre (Ex 28:41) et le grand-prêtre (Le4:3-16). L'homme de l'Esprit, le prophète, recevait parfois l'onctiond'huile: «Tu oindras Elisée pour prophète à ta place» (1Ro19:16, cf. Ps 105:15). Un envoyé providentiel, même quand iln'était pas israélite, était de ce fait un oint (Cyrus dans Esa45:1). Il allait de soi que l'envoyé providentiel par excellence,celui que la prophétie attendait pour venger Israël de toutes seshumiliations et le consoler de toutes ses infortunes, serait,au-dessus de tous, l'oint de Jéhovah, son «Messie». Ésaïe met dans la bouche du Serviteur décrit dans (Esa 53)(voir l'identité de situation et de programme entre Esa 11:242:1-4 61:1) la déclaration: «Jéhovah m'a oint» (Esa 61:1).Jésus s'est reconnu dans cette prophétie (Lu 4:21), et le N.T.traduit à son intention «Messie» par l'équivalent grec«Christ» (Jn 14:2 4:25,Mt 1:16 16:16 26:63,Mr 8:29 14:61,Lu 2:119:20,Jn 6:69 10:24 11:27 20:31,Ac 2:36 etc.). Pierre, dans Ac 4:27, applique à Jésus la parole duPs 2: «Pourquoi les princes se liguent-ils contre Jéhovah et contreson Oint?» et déclare dans Ac 10:38 que «Dieu a oint duSaint-Esprit et de force Jésus de Nazareth». Ici, il ne s'agit plusd'un rite extérieur, mais d'une onction spirituelle accordée dans lesens absolu au Fils rédempteur, et analogue à celle, relative, queses rachetés recevront par sa grâce. «Vous avez reçu l'onction de lapart de Celui qui est saint» (1Jn 2:20). On trouvera dans l'article Prophète (parag. 8 et 9) l'histoire del'évolution de l'idée messianique dans la littérature hébraïque etcomment Jésus de Nazareth a accompli les prophéties relatives auMessie. Certains critiques ont pensé que l'idée messianique était venueen Israël d'une eschatologie orientale qui, bien avant le judaïsme etle mazdéisme, aurait annoncé une palingénésie universelle, une sorted'âge d'or consécutif à de terribles catastrophes sociales etcosmiques. Le peu que nous savons des croyances antiques sur ce pointnous paraît prouver bien plutôt que, pour l'ensemble des peuples, lacroyance ne plaçait l'âge d'or qu'aux origines de l'humanité. Quantaux prétendus messies orientaux, ou bien ils ne sont pas des êtrespersonnels (Inde), ou bien ils sont nés d'un syncrétisme auquel larévélation hébraïque et même, à l'occasion, chrétienne, acertainement contribué (Perse). Enfin, pour ce qui regarde la religion des Mystères (voir cemot), où les cultes de l'Orient fusionnent avec l'hellénisme, sonprincipe rédempteur ne doit pas nous induire à voir en lui une formede messianisme; tout orientée vers le mystère de l'immortalité, cettereligion, sous ses diverses formes, a pour but d'enseigner auxinitiés les rites magiques, aux vertus expiatoires, qui permettent àl'homme de participer à la vie divine, à la renaissance du dieu. M.Mowinckel est pour nous dans le vrai quand il fait ressortirl'originalité de la prophétie messianique d'Israël. En somme, cette espérance, que nous ne trouvons développée dansaucune autre nation, est fonction de la foi en Jéhovah, de lacertitude qu'avait Israël que Jéhovah est le Dieu unique, vivant ettout-puissant dans son action, son Dieu, résolu, dans sa pédagogiedivine, à assurer la gloire et le bonheur du peuple élu après l'avoiréduqué, châtié, épuré, délivré de ses ennemis, sauvé. La venue duMessie et son triomphe sont l'aboutissement et le couronnement dugrand dessein de rédemption poursuivi par Jéhovah depuis qu'il a, parla vocation d'Abraham, renoué avec l'humanité déchue. Bien avant de se personnaliser, l'idée messianique estreprésentée dans la littérature hébraïque par l'aspiration vers larédemption de l'humanité envisagée comme une action combinée de lapuissance divine et de la force de la race humaine (Ge 3:15). Lagrande espérance se confond ensuite avec l'avenir même du peupled'Israël, chargé par Jéhovah d'entreprendre le bon combat pour ladélivrance de l'humanité. Les premiers prophètes voient dans la théocratie jéhovisteadministrée par les envoyés de Dieu puis, occasionnellement, dans laroyauté temporelle de David et de sa descendance, la représentationvisible du gouvernement de Dieu sur la terre (2Sa 7:12,24 Os3:5). Quand les événements eurent convaincu les hommes de l'Esprit,à partir du VIII e siècle, qu'aucune royauté humaine n'était assezfidèle ni assez forte pour accomplir l'oeuvre de relèvement,l'espérance d'Ésaïe s'attacha à la venue d'un roi divin qui seulpourrait, au jour de la suprême initiative de Jéhovah, apporter aumonde, par le moyen d'un reste en Israël, l'ère de justice, de paixet de prospérité universelle (Esa 10:20 11:1,10). Enfin, les cruelles expériences faites par Jérémie ont amené unde ses disciples, Ésaïe II, à comprendre que cette royautéprovidentielle ne s'accomplira point dans la gloire, mais devra, pourporter ses fruits de rédemption, commencer par une oeuvre morale etspirituelle dont le héros incompris, personnage humble et martyr,souffrira et apportera le salut par sa mort expiatoire (Esa 53).Et ce sera le serviteur de Jéhovah, le Messie, personnifiant d'unepart la fidélité du reste d'Israël et d'autre part l'obéissanceparfaite à Jéhovah, le Dieu saint, dont la volonté d'amour est desauver, non seulement Israël, mais, par Israël, l'humanité toutentière (Esa 49:6 52:15).Le Messie dans la littérature apocalyptique. En dehors de la ligne que nous venons d'indiquer, ligne droite oùs'avère une direction inspirée, une révélation qui débouche dans leN.T., la notion du Messie a été présentée au sein du judaïsme(surtout depuis l'apocalypse de Daniel jusqu'au siècle même duChrist) à travers les littératures apocryphe, apocalyptique etpseudépigraphique, en des visions où l'on retrouve l'influence desmythes babyloniens et perses. Ces visions, aux détails souventcontradictoires, trouvent leur unité dans un nationalisme de plus enplus farouche et exclusif. Tandis que les derniers prophètes font entendre leur voix, leprogramme deutéronomique, développé dans le sens clérical par lesprêtres qui préparèrent la réforme d'Esdras, perd son spiritualismemoral et aboutit pour l'ensemble au particularisme juif. Joël déjà lelaisse entrevoir (Joe 3 12,14). L'auteur des Chroniques porte la théorie du particularisme à saperfection; pour lui, rien ne compte ici-bas que Juda, Jérusalem,David. «Seigneur, c'est pour nous, dira un jour le 4 e Esdras, que tuas créé le monde. Quant au reste des peuples, ils ne sont rien,...uncrachat»: et salivoe assimilates sunt . (Pseudo-Esdras 4:56) Onconçoit qu'avec une pareille notion, avivée par les souffrancesinjustes des Juifs sous Antiochus Épiphane, le messianisme se soitbien vite concentré dans l'attente d'un vengeur terrible aux nations. Dès le IV e siècle av. J.-C, le livre de Jonas avait essayé deréagir; aussi n'est-on pas surpris de voir Jésus y faire allusion,comme si Jonas, dont la prédication sauva Ninive, l'avait en quelquesorte préfiguré (Lu 11:30). Un certain nombre de psaumes conservent dans leurs élans derepentir et dans leur universalisme la saveur du prophétismejéhovique (Ps 9:12 18:50 47:9 49:2 97:6 cf. Ps 2:10 22:2872:17) aussi les psaumes étaient-ils chers à Jésus qui s'y retrouveet qui les cite. Mais ailleurs, tout ce qui se publie sur le Messieest plutôt propre à éloigner les Juifs, tant des prédicationsanciennes des prophètes que de l'idéal évangélique auquel Jésus se.vouera. C'est dans cette floraison de littérature judéo-messianiquequ'il faut chercher la raison pour laquelle Jésus, même chez les pluszélés Israélites, ne trouvera de son temps qu'incompréhension etoccasions de scandale. La plupart des livres du messianisme juif ont pour point dedépart l'apocalypse de Daniel et sa vision du Fils de l'Homme (Da7:13 et suivants); voir Prophète, parag. 8. Après les victoires desMacchabées, toutes les espérances paraissaient permises au peuple quivenait de reconquérir son indépendance par ses héros et ses martyrs.«Les saints du Très-haut recevront la royauté, la posséderont àjamais» (Da 7:18). Encore «un temps, des temps, et la moitiéd'un temps» (Da 12:7), et les puissances anti-messianiquesseront brisées. Les armées célestes se préparent. Voici l'heure duMessie... Le Testament de Juda, postérieur de peu aux jourshasmonéens, reprend l'idée du Germe (Jer 23:5,Za 6:12) etdéclare que de lui» montera une verge pour les nations» (24:4 etsuivants). Plusieurs passages du Testament des 12 Patriarches unissent dans le Messie futur la charge royale et les fonctionssacerdotales. (cf. Za 6:13) Il descendra à la fois de Juda et deLévi (Siméon 7, Le 2Da 5, Gad 8, Joseph 19). Les Oracles sibyllins (3e Sibylle, l'araméenne) annoncentun «roi venu du ciel», qui paraîtra «à la fin» et «dans la plusgrande gloire» pour juger chaque homme dans le sang et à la lueur dufeu (3:286 et suivant). Quand tous les peuples auront ployé sousla loi de Jéhovah, Jérusalem deviendra par miracle la capitale dumonde pacifié. Le Siracide, de son côté, fait allusion aux promessesmessianiques, en disant que le Très-haut pardonnera ses fautes àDavid. «Il élèvera pour toujours sa puissance, lui assurera unedescendance de rois et le trône de gloire en Israël...Qu'il nousdélivre quand son jour sera venu!» (Sir 47:11 50:24). Le Livre des Jubilés exalte le jour où les serviteurs duSeigneur «verront s'exécuter tous leurs jugements et toutes leursmalédictions sur leurs ennemis» (23:27). Il ne fait qu'indiquerl'espoir messianique dans une angélologie et une démonologie où l'onvoit que les temps du Messie se préparent sous la forme d'unevictoire universelle remportée par un peuple fidèle à la loi deJéhovah. L'Apocalypse d'Hénoch parle du Messie de paix; il lereprésente dans ses Paraboles (ch. 37-71) sous la forme d'untaureau blanc «imploré à jamais» (90:37). Le Messie est appelé aussil'Élu, le Juste. Il a préexisté, il présidera au jugement final.L'universalisme tempère dans ce livre l'espérance nationale. Le «Filsde l'Homme assis sur le trône de sa gloire» (Hén. 62:3 etsuivants, cf. Mt 25:31) «sera la lumière des peuples,l'espérance de ceux qui souffrent dans leur coeur. Tous ceux quihabitent la terre se prosterneront et l'adoreront» (Hén. 48:4). On lit dans les Psaumes de Salomon: «Seigneur,suscite-leur pour roi un fils de David...Ceins-le de force pour qu'ilécrase le dominateur inique...Leur roi sera le Messie, le Seigneur»(17:23 et suivants). Il conquerra le monde sans recourir auxarmes, par la seule parole de sa bouche. Jérusalem libérée et vengéesera alors habitée par les Juifs justes, appelés «fils de Dieu». Puis vient la littérature pharisienne avec les Apocalypses d'Esdras et de Baruch . L'Apocalypse d'Esdras, livre enflammé, douloureux, toutfrémissant encore de la destruction de Jérusalem par Titus, renfermeune vision du Messie et de la glorification de Dieu. Il compare leMessie à un «lion rugissant» (12:31 et suivant); Dieu l'appellera«mon fils», il arrivera sur les nuées du ciel; il jugera les ennemispar la Loi et les exterminera «sans lutte ni armes» (13:3,38). L'Apocalypse de Baruch, postérieure à la dernière etdépendante d'elle, contient la vision d'un cèdre et d'un cep de vigneoù le Messie est représenté. «Ceux qui dormiront avec l'espérance enlui, ressusciteront» (30:1). Un ange interviendra comme exécuteur desvengeances divines (62:10 et suivants). Après avoir tué tous ceuxqui auront fait souffrir le peuple juif, le Messie «s'assiéra en paixsur son trône pour l'éternité» (73:1). Notons encore l'Assomption de Moïse, où il est préditqu'Israël aura le bonheur de «monter sur le cou et sur les ailes del'Aigle» (10:8).Le Messie dans les évangiles. (Pour le messianisme de Jean-Baptiste,voir art. à ce nom). A l'époque de Jésus, les vexations de l'autorité romaineentretenaient le peuple juif dans une telle fièvre de révolte qu'ilne voyait plus dans le messianisme que l'élément libérateur. LeMessie des prophètes hébreux, avec son mordant moral et son objectifrédempteur, avait disparu de l'horizon. La foi générale, même chezles meilleurs, pouvait être résumée dans le mot désabusé desdisciples d'Emmaüs: «Nous espérions que ce serait lui qui délivreraitIsraël» (Lu 24:21). Les disciples de Jésus les plus intimes ne peuvent se défaire dece préjugé, de ce mirage. Même après la croix et la résurrection, ilsen sont encore à demander à Jésus, sur le mont des Oliviers, aumoment suprême où il leur promet le Saint-Esprit: «Seigneur, le tempsest-il venu où tu rétabliras le royaume d'Israël?» (Ac 1:6). On comprend dès lors pourquoi Jésus, qui se savait le Messie, leChrist (Mt 16:13-17,Lu 19:29-40 etc.), mais qui prêchait dansun milieu où le mot de Messie n'éveillait que l'idée d'un roitemporel, dominateur et vengeur, incarnant toutes les rancunespolitiques d'Israël et toutes les puissances exterminatrices deJéhovah, évite de se présenter aux foules sous ce nom et préfères'appliquer le qualificatif énigmatique de «Fils de l'homme» (voirProphète, parag. 8). Par là, sans doute, il tenait les esprits «ensuspens» (Jn 10:24, cf. Mt 16:13), mais surtout, en évitantde heurter de front une conviction à laquelle ses contemporainsétaient attachés passionnément, il se donnait le temps de jeter lasemence de l'Évangile et de faire apprécier dans sa personne lecaractère spirituel de la messianité. C'est ainsi qu'à la question duBaptiste: «Es-tu celui qui devait venir?» il répond, non par uneaffirmation messianique, mais par des actes qui renvoient à laprophétie en accréditant l'Évangile (Mt 11:2 et suivants,cf. Esa 42:7 61:1). Quand on l'interroge sur sa messianité, quand on réclame de luiun signe messianique (Mt 16:1 24:3), il répond à ses disciplespar des paroles qui les épargnent (Mt 16:20, cf. Mr 8:29et suivant), à ses adversaires par des répliques qui lesembarrassent et les réduisent au silence (Mr 8:12,Mt 16:1 22:41et suivant). L'effort de tout son ministère a été d'amener ses compatriotes àreconnaître en lui les véritables traits du Messie et à l'accueillircomme tel. D'où sa joie le jour des Rameaux...et ses larmes (Lu19:41 et suivants). Ce n'est que lorsque, spirituellement, satâche sera achevée, et qu'il n'aura plus rien à attendre des hommes,qu'il dira ouvertement ce qu'il est aux autorités juives décidées àle perdre. A la question du grand-prêtre: «Es-tu le Messie?» ilrépond: «Je le suis» (Mr 14:62). En disant cela, Jésus signaitson arrêt de mort. Comme le montre clairement l'écriteau de la croix,c'était bien le Messie «roi des Juifs» que Pilate entendait crucifier. Pour n'avoir pas su donner sa valeur à la méthode pédagogique deJésus, certains critiques affirment aujourd'hui qu'il n'est arrivé àse croire le Messie qu'à la fin de son ministère. Les textes, si onveut les respecter, leur donnent un démenti. Ils nous apprennent qu'àl'entrée de son ministère, avant que les débats lui eussent manifestécombien le préjugé de ses contemporains était grand, il n'a pashésité à dévoiler se messianité en Judée, dans l'entretien intimeavec Nicodème (Jn 3:1,21); en Samarie, dans sa conversation avecune femme au puits de Sychar (Jn 4:26); en Galilée, dans lasynagogue même de la ville où il a été élevé (Lu 4:21). Et l'onpeut penser que si, dans ses tête-à-tête avec Jean-Baptiste auJourdain, Jésus ne s'était pas donné pour ce qu'il était, leprécurseur ne l'aurait pas désigné à la foule en disant: «Voicil'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde» (Jn 12:9, cf.Jn 1:20-28 Mat 3:1-17,Esa 53:7).Le Messie dans la prédication apostolique. Jésus, après s'être préparé jusqu'à trente ans à son oeuvremessianique, a été ôte du monde par l'attaque brusquée de sesennemis, alors qu'il initiait ses disciples à l'Évangile du Messie.Il a jeté la semence, comptant sur le sillon pour faire lever legrain fécondé par l'Esprit. Dans le sillon, deux terrainss'affrontent: le juif et le grec. Le juif, tout chargé des substancesapocalyptiques, dispose à l'éclosion d'un messianisme national dontle héros sera l'Emmanuel de Esa 7 à Esa 9, destiné par «lezèle de l'Éternel des armées» à étendre le royaume de David et à «lesoutenir par le droit et la justice dès maintenant et àtoujours»: (Esa 9:6) le Messie par et pour Israël. Le grec, nourri de la mystique des religions àmystère, développera les éléments du Messie mourant, ressuscitant,communiant avec son fidèle dans un royaume spirituel aux frontièresuniverselles, et ce sera le Messie annoncé par Esa 53, le Messiedu royaume dont Jésus a dit dans la parabole des vignerons qu'il seraôte aux Juifs et donné à d'autres qui en feront valoir lesfruits. (cf. Mt 21:41) Dès que les témoins de Jésus commencent àparler, l'angle s'ouvre. Relisez les discours de Pierre et celui d'Etienne: pour Pierre lePalestinien, le Messie doit occuper le trône de David, la promessemessianique est pour les Juifs et pour ceux qui se feront Juifs, àquelque distance que soit leur séjour (Ac 2:30 et suivants).Si les Judéens ont crucifié Jésus, c'est «par ignorance» (Ac3:17). Il eût été dans la logique du peuple de Dieu d'acclamer enJésus son Messie. Qu'Israël se repente, qu'il change d'attitude, leMessie lui sera renvoyé et les meurtriers de Jésus seront rétablisdans l'alliance par laquelle tous les peuples doivent êtrebénis. (cf. Ac 3:17 et suivants) Pour l'helléniste Etienne, les Juifs, au cours de leur histoire,n'ont rien compris aux véritables intentions salvatrices de Dieu, ilsse sont toujours opposés à l'oeuvre de l'Esprit, ils ont toujourspersécuté les prophètes (Ac 7:51). Il était donc dans leurlogique de crucifier le Messie, dont ils avaient compris quel'Évangile appelant au salut tous les hommes supprimerait le Templeet transformerait les institutions de l'ancienne alliance. (cf. Ac6:14) Tandis que le messianisme esquissé par Pierre devait prolongerses lignes dans le judéo-christianisme, dont la doctrine était qu'unpaïen ne pouvait avoir accès aux dons du Messie qu'en se faisantd'abord juif et en acceptant la circoncision (Ac 18:1 etsuivants, Ga 2:1 et suivants, Ro 2:25), le discoursd'Etienne, interrompu tragiquement par la rage de ses contradicteurs,devait recevoir ses conclusions dans la théologie de Paul qui l'avaitentendu. Les Judéens ont trahi la cause du Messie, ils l'ont renié,tué, et cela au moment où le monde gréco-romain, frémissant du désirde vie éternelle, cherchait obscurément dans le syncrétisme desMystères orientaux la voie de la rédemption. Ce contraste dut fortement émouvoir la pensée de l'hellénisteSaul de Tarse, l'aider à orienter sa théologie, à saisir toute laportée messianique du chap. 53 d'Ésaïe, à libérer le messianismeévangélique du légalisme juif et des limites d'Israël. Aussi levoyons-nous employer dans ses démonstrations le langage des Mystères,appeler le messianisme de Jésus lui-même un mystère (Eph 3:4 5:326:19,Col 4:3 etc.). Quand on a compris cela, on ne s'étonne plusdu succès de la mission de Paul sur terre païenne et des persécutionsqu'il endura de la part de ses compatriotes aveuglés. Ce n'est pas que Paul se fît des illusions sur les Mystèresorientaux qui étaient florissants dans son pays de Cilicie. Il savaitque ces cultes étaient--sauf celui de Mithra--des cultes orgiaques;il savait aussi que les divinités invoquées par les initiés n'étaientque des idoles de néant. Mais il discernait dans la mystique desMystères l'action des démons; aussi appelle-t-il la coupe desdivinités des Mystères, tout uniment: «la coupe des démons»--car cesdivinités avaient leur table et leur coupe tout aussi bien que leMessie Jésus (cf. Justin, 1 Apol., 66:4). Seulement le commensaldu Dieu n'est plus le même, suivant qu'il est myste ou chrétien. Dans la Cène chrétienne, jusqu'ici, le judéo-chrétien a vu unmémorial, un repas fraternel pris «en simplicité de coeur» (Ac2:46) et qui unissait les fidèles dans l'attente joyeuse du Messie,dont on croyait le retour imminent. La Cène du Messie préfigurait lebanquet du royaume de gloire, où l'on serait assis à table avecAbraham, Isaac et Jacob (Mt 8:11), et plus directement le repasbienheureux auquel Jésus faisait allusion quand il disait: «Je neboirai plus du fruit de la vigne jusqu'au jour où je le boirainouveau avec vous dans le royaume de mon Père» (Mt 26:29). Paula reconnu dans la cène des Mystères une recherche différente, deportée mystique, qui répondait comme une obscure prophétie ausentiment que Jésus avait voulu éveiller dans l'âme des croyants parla Cène messianique, sentiment qui était resté endormi, si bien quela Cène elle-même en était compromise, que dis-je, elle commençaitdéjà à dégénérer et, en certains lieux, à tourner au scandale (1Co11:20 et suivants). Cette recherche du mystère païen, c'était la communion mystiqueavec son Dieu, le salut, la renaissance par la manducation de sonDieu; il se nourrissait de son Dieu pour s'assimiler la vie divine.Ce que les initiés des Mystères païens cherchaient à tâtons ets'efforçaient de réaliser sans se douter qu'ils étaient dans leurégarement charnel le jouet des démons, n'est-ce pas précisément ceque Jésus, répondant à l'inspiration de l'âme pécheresse, a donnépleinement, divinement, dans l'institution de la Cène du Messie? soncorps donné pour le salut du monde, son sang répandu pour fonder lanouvelle alliance? «Prenez, mangez, buvez-en tous...» (Mt 26:26et suivants). La Cène du Messie n'est pas seulement un mémorial, une communionfraternelle, une préfiguration des repas du royaume messianique, ellereprésente l'immolation rédemptrice du Messie historique, crucifiépour le salut. Elle permet l'assimilation spirituelle duMessie (Jn 6:63). Par elle, le Messie extérieur devient leMessie intérieur, et le fidèle croyant, une nouvelle créature.«Christ en nous l'espérance de la gloire» (Col 1:2,2Co5:17). C'est ici que prend son origine la transformation de laCène, repas familial et commémoratif, en Cène sacrement, coordonnéeavec le baptême (Ga 3:27). Le baptême était aussi un des éléments essentiels des religions àMystère. Les deux éléments: Cène mémorial et Cène sacrement, étaientdonc l'institution eucharistique, si hâtive, intervenue à la dernièreheure dans les jours de la Passion du Christ. Les judéo-chrétiens enavaient retenu le premier, Paul en rétablit le second. Et pour cela,il ne craint pas de s'avancer sur le terrain des cultes à Mystère.L'idée que le fidèle s'unit à son Dieu par un repas a-t-elle existéen Israël à l'occasion des repas qui accompagnaient lessacrifices? (De 16) Pas une ligne de l'A.T. ne nous permet de le supposer, non plusque de croire qu'Israël avait vu, dans Le 17:11, lapréfiguration du salut par le sang d'un Messie. Paul, lui, n'hésitepas à faire le rapprochement en disant aux Corinthiens: «Voyezl'Israël selon la chair: ceux qui mangent les victimes n'ont-ils pascommunion avec l'autel [c-à-d, avec le Dieu auquel la victime estofferte]?» (1Co 10:18). A plus forte raison dans le mystère duMessie la Cène nous rend-elle participants du Messie; aussidevons-nous nous garder de la table des Mystères païens, car si lesidoles ne sont rien, les démons sont quelque chose (1Co 8:410:19 et suivant, Eph 2:2 6:12). La table des idoles estcelle des démons: «Je ne veux pas que vous ayez communion avec lesdémons. Vous ne pouvez boire à la coupe du Seigneur et à la coupe desdémons; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à latable des démons. Ou bien, voulons-nous provoquer la jalousie duSeigneur?» (1Co 10:20 et suivant). On voit clairement dans ce passage le rapprochement qui s'établitdans la pensée de Paul entre les Mystères païens et le mystère duChrist, en même temps que l'opposition qui est imposée à saconscience religieuse par sa foi au Seigneur vivant, juste, saint,rédempteur, unique, Jésus le Messie donné par Dieu pour le salut dequiconque croit, tant Juif que Grec, (cf. 1Co 8:4-6,Ro 1:16 2:9)le Messie, «puissance de Dieu et sagesse de Dieu» (1Co 1:24), leMessie, «livré pour nos péchés, ressuscité pour notrejustification» (Ro 1:25). «Dieu a voulu faire connaître quellessont les glorieuses richesses de ce mystère parmi les païens: leMessie en vous, l'espérance de la gloire» (Col 1:2), «leMessie, mystère de Dieu, où sont cachés tous les trésors de lasagesse et de la science» (Col 2:3). L'impression causée par la notion messianique de Paul fut immenseet décisive pour l'avenir du christianisme. On retrouve sa théologiedans la typologie de l'épître aux Hébreux, écrite par un disciple dePaul. Cette typologie aboutit en effet à une théorie qui fait d'unemort divine la grande vertu salutaire pour tous les hommes; théoriebien plus rapprochée de la doctrine fondamentale des Mystères que dela théologie de l'A.T, dont il semble au premier abord que l'épîtreaux Hébreux soit toute occupée. Pierre, réprimandé par Paul à Antioche (Ga 2:11 et suivant),subit plus tard son influence (Il suffit de comparer l'épître dePierre à son premier discours pour s'en rendre compte), et s'ilsévangélisèrent ensemble à Rome, ce qui paraît probable, ils yprêchèrent le même Messie. Enfin, tandis que le messianisme judéo-chrétien s'éteignait peu àpeu dans la dissémination et la persécution, le messianisme de Paulétait repris par Jean, qui d'après la tradition primitive lui avaitsuccédé dans les Églises d'Asie Mineure. Le génie du Boanerge, aucontact de l'expérience des Mystères qui s'étalaient alors à Éphèseet ailleurs, acheva de saisir tout ce qui, dans l'enseignement commedans les actes de son Maître, répondait aux besoins de l'âmeuniverselle. C'est Jean qui nous rapporte les paroles de Jésus sur le pain devie, achevant de mettre ainsi en lumière le sens de la Cène dans lathéologie de Paul, et de faire remonter jusqu'au Maître la notionmystique du sacrement. Le rapprochement étroit établi par le 4 eévangile entre l'incarnation du Verbe (Jn 11:4), la manducationde sa chair spirituellement comprise (Jn 6:64) et l'obtentiondès ici-bas de la vie éternelle (Jn 6:40,51,57) constitue letype par excellence de la religion des Mystères et en même tempsl'épanouissement complet de la révélation chrétienne relative auMessie. Ainsi avec Jean, du même coup, la théorie des Mystèresrédempteurs et la doctrine de la rédemption par Jésus-Christatteignent leur achèvement et parviennent à se rejoindre, grâce à lasublimation du Mystère et à l'adéquate compréhension de Jésus. Voilà pourquoi l'évangile de Jean, malgré tout ce que la critiquea fait pour ruiner son autorité, demeure l'évangile le plus lu, leplus aimé, le mieux compris, le plus radio-actif. Et cela, parcequ'il présente à l'âme humaine, qui partout le cherche et l'appelle,le Messie à la fois le plus humain et le plus divin, le Messie queJésus a voulu être, c'est-à-dire le Sauveur répondant aux aspirations detoutes les âmes dans tous les temps, susceptible d'être prêchépartout et de renouveler le monde par la vertu de son Esprit: (Ac1:8) Jésus, l'universel accomplissement.Le Messie dans les Targums (voir ce mot).Après la mort et la résurrection de Jésus, les apôtres, entrés dansleur mission évangélique, engagent le débat avec les Juifs sur lesprophéties de l'A.T. Apollos nous est présenté «réfutant publiquementles Juifs avec une grande force, démontrant par les Écritures queJésus était le Messie» (Ac 18:28, cf. Ac 2,3,9 et l'épître auxHébreux.). Ces derniers mots doivent retenir l'attention. Ils nousavertissent que la théologie messianique des Targums (traductionaraméenne de l'A.T, avec paraphrase à l'usage de la synagogue) n'estpas absolument objective, mais que le souci de la polémique contreles chrétiens a pu présider au choix des textes comme à leurinterprétation.Le Targum d'Onkélos sur le Pentateuque, qui date de la fin dupremier siècle ou du début du deuxième, paraphrase les passagespoétiques; il identifie le Messie avec le Scilo (Ge 49:10)et avec l' «astre qui sort de Jacob» (No 24:17). Le Targum dit de Jonathan, sur les prophètes, est postérieur à celuid'Onkélos. Il donne comme messianiques les textes suivants: (1Sa2:10,2Sa 22:32 23:1 et suivants, 1Ro 5:13,Esa 4:2 9:5 10:27 11:114:29 16:1-5 28:5 42:1 43:10 52:13-53:12,Jer 23:5,6 30:9-21 33:13-15Os 3:5 14:8,Mic 4:4 5:1 et suivant Hab 3:18,Za 3:8 4:7 6:12 10:4et suivant). Dans ce Targum, le successeur promis à David (2Sa 23:3) estbien le Messie; mais ce Messie n'a aucun caractère rédempteur. Le«germe» de Esa 4:2 est aussi le Messie; de même le «fils donné»dans Esa 9:5 et suivant Mais il se garde bien d'attribuer unsens messianique à Esa 7:14. L'illustre docteur juif du Moyenâge Abrabanel nous expliquera le pourquoi de cette omission quand ildira: «Les savants Nazaréens (=les chrétiens) appliquent cetteprophétie à l'homme qu'on cloua au bois à Jérusalem vers la fin dusecond temple, l'homme qui, d'après eux, fut le fils de Dieu, Dieudevenu homme dans le sein d'une vierge!» --Voici ce que deviennent les versets 2 et 7 de Esa 53 dansle Targ. de Jon.:Bible (verset 2): «Il a grandi devant Jéhovah comme un rejeton, commeun faible arbrisseau qui sort d'une terre desséchée. Il n'avait nibeauté, ni éclat pour attirer nos regards, ni rien dans son aspectqui pût nous le faire aimer.»Targum (verset 2): «Les justes grandiront devant Lui; voici, commedes rejetons qui poussent et comme un arbre qui envoie ses racinesvers les eaux courantes, ainsi se multipliera en Palestine la racesainte qui avait besoin de Lui. Son aspect n'aura rien de l'aspectd'un homme ordinaire et la crainte respectueuse qu'il inspirera neressemblera pas à celle qu'inspire le vulgaire; [au contraire] sonapparition sera celle d'un saint, quiconque le verra ne pourradétacher de lui ses regards...»Bible (verset 7): «Il est maltraité et il s'humilie: il n'ouvre pointla bouche, comme l'agneau qu'on mène à la boucherie, comme la brebismuette devant ceux qui la tondent.»Targum (verset 7): «Sitôt qu'il intercéda il fut exaucé, à peineouvrait-il la bouche qu'il lui était fait selon son désir. Il livrerales plus puissantes nations [comme on livre] un agneau qu'on mène àla boucherie ou comme une brebis muette devant ceux qui la tondent;il n'est personne qui, devant lui, [ose] ouvrir la bouche et proférerune seule parole.»Par cette transformation du texte, le Targum efface l'humiliation duMessie et sa souffrance substitutive. Comme le dit fort bien Dalman:«Tout ce qui est dit dans Esa 52:13-53:12 des souffrances duserviteur de Yahvé est reporté sur le peuple d'Israël (Esa 52:1453:3,4,8,10), ou sur les Juifs impies (Esa 53:9), ou encoresur les nations païennes (Esa 53 3,7), ou enfin sur leTemple.» (Esa 53:5) Les éléments cosmologiques, universalistes, la grande aventurecatastrophique dans lesquels l'imagination des auteurs d'apocalypsesexprime son messianisme tout imprégné de clartés transcendentales, nese retrouvent pas dans le messianisme des Targums; à ce titre,celui-ci se rapproche du messianisme de l'A.T.; mais il s'en éloigneet s'oppose irréductiblement au messianisme chrétien par le soinqu'il prend à dépouiller le Messie de tout caractère faisant de luiun martyr de son peuple, une victime expiatoire, un rédempteuruniversel. «On comprend dès lors que le Messie du Targum ne soitguère que l'instrument dont Dieu se sert pour assurer à Jacob unbonheur terrestre et définitif...c'est un homme, c'est un Juif, c'estun saint rabbi, c'est le roi puissant du temps de la consolation,c'est le fils de David promis aux Israélites pieux.» (P. Humbert, LeMessie dans le Targum des Prophètes, Rev. Laus., 1910-1911). Çà et là on relève bien dans les paraphrases des targumistes desallusions au Messie sauveur, au Messie qui assure la vie éternelle,mais on sent dans ces passages que le messianisme juif s'enrichissaitdes lumières de l'Évangile et de la controverse contre les chrétiens.Livrées à leurs seules ressources, la littérature des Targums et lalittérature pharisienne sont si éloignées dans leur ensemble del'idée du péché et de la rédemption par un médiateur, qu'elless'inspirent plus volontiers du fait que Moïse n'a pas individualiséclairement le Messie. Leur profession de foi messianique peut seréduire à ces mots: injustes souffrances des Juifs, victoire de Dieusur les païens, châtiment de tous les ennemis dans la vallée deBen-Hinnom et récompense glorieuse pour le peuple élu. En dépit desquelques traits touchants qu'elles renferment, on peut dire qu'ellesne furent, à l'occasion, mystiques que de langage--ainsi dans lanotion du Messie caché (Targ. Jon. à propos de Mic 4:4 etsuivants) - et que leur espérance fut constamment centrée dans lecadre de la vie terrestre et nationale. Profondément rationaliste etde morale orgueilleuse, leur messianisme ne pouvait aboutir enpolitique qu'à la déception, en religion qu'à un légalisme satisfaitet à la cristallisation talmudique.Le Messie dans la littérature talmudique. Il n'y a pas grand'chose à dire de la Mischna talmudique et des Midrachs qui développèrent leurs commentaires après la fondationdu christianisme jusqu'au XIII e siècle. Les allusions au Messie ysont fréquentes, mais on n'y retrouve plus rien du souffleprophétique. Les rabbins ne comprennent pas le messianisme de l'AncienTestament et luttent contre celui du Nouveau. Double caused'égarement. Le succès foudroyant de la mission chrétienne mettait la penséejuive en désarroi. Les chrétiens avaient «trouvé le Messie» (Jn14:1) Israël attendait toujours. Il avait vu siècle après siècletoutes ses prévisions déjouées. Ses rabbins se décident à rejeter surle peuple lui-même la faute de ce retard: «Si Israël se repentait unseul jour, le Fils de David arriverait immédiatement; si Israëlobservait convenablement un seul sabbat, le Fils de David arriveraitimmédiatement» (Aboda Zara, 9 a) . Si Israël observait deuxsabbats conformément à la Loi, il serait racheté sur-le-champ (Chah., 11 8 b) . Dans leur dépit, les docteurs du Talmud s'emportent contre ceuxqui s'occupent de la venue du Messie: «Maudits soient ceux quicalculent «la fin», car ils affirment que, puisque «la fin» estarrivée et que le Messie n'a pas paru, il ne viendra jamais» (Sanh.9 7 b) . Un rabbin du IV° siècle, appelé Hillel, avait été jusqu'àdire: «Israël n'a pas de Messie [qui doit venir encore], car leMessie lui a déjà été donné aux jours d'Ézéchias (Sanh., 98 b) Au XV° siècle, Maïmonide, le Thomas d'Aquin des Juifs, déclareque bien des prophéties messianiques en reviennent à des paraboles ouà des énigmes. On comprend ces lassitudes quand on se rend compte de quoiTalmuds et Midrachs avaient nourri le monde juif en fait de théologiemessianique. La chaleur de l'imagination dans les apocalypsesrachetait bien des fautes, et le Messie national des Targums nemanquait pas d'une certaine grandeur. Ici, point d'originalité, pointde cohérence; tout un fatras d'explications subtiles tirées de textesdétournés de leur signification historique. Tant il est vrai que làoù le sens des réalités spirituelles a disparu, l'érudition ne suffitpas pour retenir le théologien dans!a vérité de l'histoire biblique. Tel rabbin veut que le roi Messie s'appelle: David; telautre: Tsemakh (germe); un autre encore: Menakhem (consolation); ici il s'appelle Ézéchias, ailleurs on le nomme Bar-Naphlé (fils de ce qui est tombé =la tente de David), ou Schilo , (d'après Ge 49:10) ou Khanina (celui quigraciera, allusion à Jer 16:13), ou encore le membrelépreux, d'après une interprétation de Esa 53 qui exclut toutesouffrance expiatoire et rédemptrice. D'après la Gémara de Babylone, trois choses apparaissentsoudainement: le Messie, un objet trouvé et le scorpion. On lit dansle traité Sanhédrin que si les Juifs méritent le Messie ilviendra sur les nuées du ciel; (d'après Da 7) s'ils ne leméritent pas, il viendra sur un âne. (d'après Za 9) Le rabbi Alexandre tire de Esa 11:2 que «l'Éternel chargerale Messie de commandements et de douleurs dont le poids sera égal àdes pierres de meules, etc.» Un texte (Sanh.,98 a) s'en référantà Ps 45:7 montre le Messie «assis aux portes de Rome, entouré demalades dont il bande les blessures en attendant le jour où le retourd'Israël permettra son arrivée, etc.» (cf. Wabnitz, art. Oint dans Encycl. ) L'époque de la venue du Messie coïncidera avec un temps deguerres catastrophiques qui sont présentées sous les noms de Gog etMagog. (d'après Eze 38) L'oeuvre du Messie sera toute de victoires temporelles etnationales; elle sera la vengeance d'Israël, l'exaltation deJérusalem (Esa 54:11), le relèvement du Temple où demeurera la«Chekhinah» du «Saint-Unique» (Dieu), et inaugurera à la gloire desJuifs une transformation de toutes choses. (d'après Os 2:18,Esa11:7 60:3 65:19) Transformation de quel ordre? Voici comment ellese présente pour le Talmud: Il n'en est pas du monde à venir, «l'èremessianique», comme du monde présent. En ce monde il faut prendre de la peine pour vendanger lesraisins et pour les presser. Dans le monde à venir, chacun rentreraun seul grain dans une voiture ou dans un bateau, le déposera dans uncoin de sa maison et en tirera ainsi du vin pour remplir un grandflacon...Il n'y aura pas un seul grain qui ne donne 30 mesures de vin


(Keth., III b) . «Dans l'au-delà, déclare le rabbi José, le grainsera produit en quinze jours et les fruits des arbres en un mois» (Taan, 64:11) . «Dans l'au-delà, le pays d'Israël produira despains de la plus pure farine, des vêtements de la laine la plus pure;du sol pousseront des épis de froment atteignant la dimension desreins d'un puissant boeuf» (Keth., III b) . «Dans l'au-delà, lesfemmes enfanteront quotidiennement» (Chah. 30 b) . Et toutes cesmerveilles auront pour but d'élever Israël au sommet de toutes lesnations. «Tu avais emporté d'Egypte une vigne» (Ps 80:9); demême que la vigne est l'arbre qui s'élève le moins et cependantprévaut sur tous les autres, de même Israël a été fait pourapparaître humble et faible en ce monde, mais dans l'au-delà ilhéritera de l'univers entier. Comme le fruit de la vigne est d'abord foulé aux pieds maisfigure ensuite sur la table des rois, ainsi...dans l'au-delà,l'Éternel placera Israël au sommet, comme il est dit: «les roisseront tes nourriciers» (r. A. Cohen). Le privilège des Juifs seratel que, par intérêt, la foule des étrangers voudra entrer dans leurcommunauté; mais les peuples païens en seront exclus. Comme le dit undicton rabbinique: «Aux jours du Messie aucun prosélyte ne seraadmissible.» Combien de temps dureront les jours du Messie? Le r. Akiba dit:40 ans, le r. Éliézer: 100 ans, le r. Berekhya: 600 ans, le r.Éliézer (B. Hyrcanus): 1.000 ans, le r. Abbahou: 7.000 ans; dansl'école d'Élie on disait: «le monde durera 6.000 ans, dont 2.000 dansle chaos, 2.000 avec la thora et 2.000 qui seront les jours duMessie» (cf. A. Cohen, Everyman's Talmud, 1933, pp. 114-124). D'autre part, le Talmud est amené par son opposition auchristianisme à accentuer encore, si possible, l'origine purementhumaine du Messie. -On peut trouver dans les Midrachs quelques paroles profondes,ainsi ce mot du r. Simon ben Lévi: «l'Esprit du roi Messie planaitsur les eaux lors de la création»; (d'après Esa 11:1) maisgénéralement ce sont des élucubrations dans le genre de celle-ci: «leMessie sera assis à la droite de Dieu et Abraham à sa gauche dans lemonde à venir» (Bereschith rabba, I, 1, d'après Ge 38:1), ouencore: le Messie agira comme Moïse «en faisant tomber la manne duciel» (Koheleth, I, 9, d'après Ex 16:4). On le voit, avec le judaïsme talmudique le messianisme sombredans la fantaisie; le Messie devenu étranger au dynamisme vital, vidéde tout ce qui attachait à lui l'aspiration humaine, de tout ce quipermettait à l'âme pécheresse le transfert sur une personnalitérédemptrice, a trahi les promesses bibliques. Devant cette finmisérable d'une inspiration qui fit l'originalité et la grandeurd'Israël, le mot adressé par Jésus à Jérusalem prend toute sa valeurtragique: «Tu n'as pas reconnu le temps où tu as été visitée» (Lu19:44). Alex. W.