MÉDIATION, MÉDIATEUR

1. Le terme grec mésitès, dérivé de mésos (=milieu), et leterme latin mediator (d'où le franc, médiateur), dérivé de médius (=milieu), expriment nettement ce qu'est l'action dumédiateur. La médiation est une entremise, une intervention pourproduire un rapprochement, une pacification, un accord entre deux ouplusieurs parties. Elle est le fait de quelqu'un qui se place «aumilieu» de ces parties, qui agit sur elles pour modifier leursituation première et faire succéder l'union à leur opposition. La notion de médiation, de médiateur, n'est pas exclusivementreligieuse. La pensée païenne en offre dans la philosophie de Platonun remarquable exemple. Le platonisme ne distingue pas seulement maispose comme contraires les idées et les phénomènes, l'être qui existepour soi et par soi et les êtres qui deviennent; il faudra, parconséquent, si les deux mondes séparés doivent communiquer, jeter unpont entre eux, entre l'intelligible et le sensible, entre l'immuableet le changeant. Ce sera le Logos, principe divin et âme du monde,qui reliera ce qui est et demeure identique à ce qui devient etévolue. Par l'intermédiaire de Philon, le représentant éminent de laphilosophie judéo-alexandrine, laquelle combine la philosophieplatonicienne et la théologie juive, la représentation du Logos,médiateur entre le Dieu inaccessible et le monde matériel, vint encontact avec le christianisme primitif. Celui-ci employa la forme,mais fit subir à l'idée une transformation radicale lorsque lequatrième évangile appela du nom de Logos le Christ préexistant. ChezPhilon, le Logos est surtout un principe; chez Jean, le Logos estdevenu homme. On ne saurait dire que dans le système panthéiste etallégorique de Philon le Logos soit quelqu'un, il est seulementquelque chose. Dans l'évangile de Jean, le Logos est une personneréelle, concrète, vivante, la personne par excellence et qui donneraaux autres personnes humaines la possibilité de devenir enfants deDieu. Cet usage d'un titre platonicien et philonien pour désigner leChrist médiateur, loin de constituer une énigme comme l'ont ditquelques exégètes et quelques dogmaticiens, est aisé à comprendre.Comme Paul se sert, par instants, de la dialectique des écolesrabbiniques pour montrer que la Loi, la Thora sacrée, se trouveaccomplie en Christ, si bien et si pleinement accomplie que son rôlede pédagogue est désormais achevé (Ga 3:24) puisqu'elle aconduit au Maître définitif, de même Jean, rassemblant lesaspirations, les désirs épars, les croyances mystiques de son époque,les montre réalisées, incarnées, surpassées dans la personne du Filsunique venu de la part du Père, dans la personne du véritable Logosdu Dieu véritable. Il indique non seulement aux chrétiens mais auxchercheurs indécis que les hypothèses de la raison la plusspiritualiste et la plus morale de l'antiquité sont remplacées par lalumière et la certitude révélées en Jésus-Christ, que les rêves etles besoins de la pensée humaine sont satisfaits par l'Évangile. Enoutre, l'emprunt d'un nom pour qualifier le Médiateur suprême n'estpoint du tout l'emprunt de la notion de médiation. Celle-ci est l'unedes grandes idées bibliques; elle est au centre de l'A.T, dansl'histoire de la préparation du salut, et elle domine le N.T. oùl'histoire de l'accomplissement du salut repose sur elle. 2. Le vocable technique «médiation» ou «médiateur» est cependant raredans les écrits sacrés. L'A.T, l'ignore et le N.T. l'emploieseulement six fois, dans deux textes de l'épître aux Galates, un textede la première ép. à Timothée, trois textes de l'épître aux Hébreux.Mais cette chose qu'est la médiation et cet intermédiaire qu'est lemédiateur sont partout. Au lendemain de la chute, pour rappeler à ses créatures leurdestinée première, pour leur ouvrir le chemin du retour àl'obéissance, à la paix, à la vie, Dieu n'agit sur elles que parpersonnes interposées. Est-ce pour que la liberté de l'homme ne soitpas contrainte par une manifestation directe de Dieu? Est-ce pour quele péché de l'homme soit connu par l'homme comme l'infranchissableobstacle le séparant du Dieu saint si ce péché subsiste? Est-ce pourune autre raison? Peu importe; le fait est permanent et universel:Dieu a toujours suscité des médiateurs entre Lui qui voulait attirerles hommes et les hommes qui s'étaient détournés de Lui. Par Noé, Dieu préserve une partie des êtres vivants quand ledéluge «punit la méchanceté des créatures» (Ge 6: et suivants);par Abraham, Dieu fonde une nation qui, entre toutes les nations dela terre, constituera son peuple (Ge 12:1 et suivants); parIsaac (Ge 16:2 et suivants) et par Jacob (Ge 18:10 etsuivants), Dieu précise son dessein et circonscrit, parmi ladescendance d'Abraham, les familles de son choix; par Moïse ildélivre Israël de la captivité d'Egypte (Ex 3:7 et suivant), illui donne des lois religieuses, morales, civiles qui scellent sonalliance, qui façonnent une race dont l'originalité persiste au coursdes événements et des siècles (Ex 10:19 et suivants); par lesjuges, il avertit les infidèles et les ramène sur la voie de leurspères (Jug 2:18,22); par les rois, il atteste sa miséricordevis-à-vis de la fidélité (1Ro 3:10 et suivant), sa justicevis-à-vis de la rébellion (1Ro 16:1 et suivant); par lesprophètes, il met en garde les descendants des patriarches contre ledanger des transgressions (Esa 59:1 et suivant, Jer 11:6 etsuivants 16:10 et suivants), des superstitions (Jer 7:29 19:3et suivant), du formalisme (Esa 1:10); il annoncequ'après l'alliance légale viendra l'alliancespirituelle (Esa 55:6 57:14-19), il prépare les coeurs àrecevoir, après les révélations partielles et le salut limité, larévélation définitive et le salut universel (Esa 9:1 11:1 42:155:1,Jer 31:31 et suivants). 3. Le Christ apporte cette révélation et ce salut. Comme on peut direque toute l'action de Dieu dans l'humanité se réalise par unemédiation, on peut dire pareillement que toute l'oeuvre du Christdans l'histoire est une médiation. Jésus est le Médiateur parfait, sibien qu'au sens absolu ce titre lui appartient en propre. «Il y a,déclare 1Ti 2:5, un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu etles hommes, Jésus-Christ homme.» La qualité du Christ comme médiateurunique est soulignée de manière absolue par sa comparaison avec laqualité de Dieu comme seul Dieu. Et la médiation du Christ est situéedans le plan moral et religieux avec une indiscutable netteté.Jésus-Christ est médiateur entre ces deux parties: Dieu d'un côté,d'un autre côté les hommes. Ceci ne diminue pas le rôle joué dans l'A.T, par lesintermédiaires nommés et par les autres dont les noms auraient puêtre ajoutés. Paul lui-même, dans Ga 3:19, parlant de l'utilitéde la Loi, rappelle qu'elle fut promulguée par le moyen d'unmédiateur; il attribue à Moïse le même titre qu'à Jésus-Christ.Quelques exégètes ont allégué que Moïse était le représentant dupeuple d'Israël devant Dieu, bien plus que le représentant de Dieudevant le peuple. L'erreur est manifeste; l'apôtre l'a par avanceréfutée en ajoutant, v. 20: «un médiateur ne l'est pas d'un seul»,c'est-à-dire un médiateur suppose toujours deux parties. La fin de ceverset a donné lieu à des centaines d'explications, explicationsingénieuses mais compliquées; le contexte permet, semble-t-il, del'entendre simplement: «Dieu est un», rappelle l'apôtre,c'est-à-dire: Dieu est une partie. Paul entend établir, par lamention expresse de Dieu comme l'une des parties entre lesquelless'opère la médiation, que Moïse était bien l'envoyé de Jéhovah et sonmandataire; l'autre partie, Israël, était connue de tous et Moïseétait son chef indiscuté. L'épître aux Hébreux admet, elle aussi, la réalité de l'actionmédiatrice des témoins de Dieu dans l'ancienne alliance; c'est en lecomparant à eux qu'elle démontre la préexcellence du Christ commemédiateur d'une meilleure alliance (Heb 8:6), d'une alliancenouvelle (Heb 9:15 12:24). Cette comparaison, ou plutôt cetteopposition des deux alliances, thème fondamental de l'auteur, est lacomparaison, l'opposition de la Loi et de l'Évangile. L'allianceancienne est abolie, la loi mosaïque est dépassée; elles n'étaientque pour un temps; la nouvelle alliance est définitive, l'Évangileest éternel, et l'oeuvre de Jésus-Christ, fondant la nouvellealliance et proclamant l'Évangile, corrobore le caractère surnaturelde sa personne de Fils unique. Toutefois, l'ancienne alliance et laloi mosaïque, malgré leur rôle temporaire, leur insuffisante valeur,sont d'origine divine; leur mission a été providentielle;l'opposition n'est pas une antinomie, car si le parfait n'a plusbesoin de l'imparfait, l'imparfait a préparé le parfait. Et désormais il n'y a plus qu'un seul médiateur, Jésus-Christ,parce que Jésus-Christ seul tient d'assez près à Dieu pour être sonreprésentant parmi les hommes et tient d'assez près aux hommes pourêtre leur représentant devant Dieu. Si bien que, quand Jésus-Christvient vers les hommes c'est Dieu lui-même qui vient vers eux, et que,quand les hommes vont à Jésus-Christ c'est à Dieu lui-même qu'ilsvont. Et si Dieu, «chez lequel il n'y a nul changement ni l'ombred'une variation» (Jas 1:17), continue, pour étendre son Royaume, àorienter les hommes par l'action de certains hommes, ceux-ci seront,en même temps, les intermédiaires du «Père des lumières» et du Filsqui est «la lumière du monde». C'est au nom du seul médiateur commeau nom du seul Dieu que les hommes se convertiront, se sanctifieront,travailleront pour le salut de leurs frères; ils seront ouvriers avecDieu parce qu'ils seront, et dans la mesure où ils seront, lestémoins de Jésus-Christ. 4. C'est de la médiation définitive et du médiateur parfait qu'ilconvient de préciser le caractère. Il n'y aurait pas de médiation normale, autorisée, si lemédiateur n'était accrédité par ses relations simultanées avec l'uneet l'autre parties. La perfection du médiateur implique la perfectionde ce double rapport. En ce qui concerne Dieu, Jésus s'attribue une si entièreconnaissance qu'elle atteint la connaissance divine elle-même et quelui seul possède. «Nul ne connaît ce qu'est le Fils si ce n'est lePère, et nul ne connaît ce qu'est le Père si ce n'est leFils» (Mt 11:27,Lu 10:22). Surhumaine parole et parolehistorique dont un critique aussi indépendant que W. Heitmüller ditqu'elle «appartient à la source des Logia», à la plus anciennesource, et qu'elle possède «une authenticité substantielle» (DieReligion in Geschichte und Gegenwart, t. 3, col. 374), dont uncritique aussi perspicace que W. Sanday dit que «celui qui la pénètrea trouvé sa voie pour aller jusqu'au coeur du christianisme» (HDB, vol. 2, p. 629). De même que Dieu discerne non seulement lavie du Fils que les hommes peuvent aussi percevoir, mais l'êtreprofond, ce qui constitue l'être propre, le moi réel du Fils, ainsile Christ saisit non seulement l'action de Dieu manifestée par sesinterventions dans le monde, la personne de Dieu révélée dans lesdesseins miséricordieux constituant l'histoire de l'A.T., mais, pardelà ces fragments de vérité accessibles aux hommes, il découvre lapensée inconnue, le sentiment insaisissable, la volonté impénétrableaux regards des créatures et qui forment l'être même de Dieu. EntreDieu et le Christ il y a une communion réciproque et complète, quin'est admissible et qui n'est compréhensible que parce que le premierest le Père et que le second est le Fils. Si Jésus ne s'est pas désigné comme «le Fils de Dieu», il aaccepté d'être ainsi appelé (Mt 4:3,6 8:29 14:33 16:16 26:6327:40, etc., et parallèle), et les textes sont en grand nombre où ilse donne comme «le Fils»; non un fils quelconque, ou supérieur enquelque manière aux autres fils, mais le Fils en un sens absolu. Il ya parité entre ces deux titres. Les notions de prophète, de témoin deDieu, d'homme-type, de révélateur, de fondateur du Royaume de Dieu,de Sauveur, n'épuisent pas la plénitude de l'expression «le Fils» oule «Fils de Dieu». L'union personnelle ainsi marquée est le fondementde la conscience de Jésus. Ce n'est pas sa mission de révélateur, derédempteur qui lui donne la conviction qu'il est le Fils de Dieu;c'est parce qu'il est le Fils de Dieu qu'il entreprend sa mission derévélateur et de rédempteur; le sentiment de sa filialité divine esten Jésus la cause, non la conséquence de son oeuvre. Le 4° évang, appuie fortement les déclarations des synoptiques.Aux pharisiens contestant la portée du témoignage qu'il se rend àlui-même, Jésus répond: «S'il m'arrive de juger, mon jugement estvrai car je ne suis pas seul mais le Père est avec moi» (Jn8:18). Le médiateur ne parle pas de son propre chef; représentant deDieu, il sait assurément quel est le plan général, l'éternel desseinde Dieu, mais en outre il suit à toute heure la volonté de Dieu, ildistingue en toute occasion la pensée de Dieu, et sa parolecorrespond d'autant mieux à la réalité vraie que, sur la réalité enquestion, il traduit ce que Dieu lui inspire. Jésus n'est pas unepersonnalité même exceptionnelle déléguée par un Dieu lointain; àcôté de lui se tient le Père qui l'a envoyé, et c'est le Jugesouverain qui prononce avec Jésus l'arrêt que Jésus prononce. Envertu de cette assistance directe, de ce lien permanent, le Filspossède une pleine intuition de Dieu. Et ce savoir ne lui vient pasd'une sagesse lentement acquise, d'une réflexion longuement mûrie, illui est donné parce qu'il est le Fils, le Fils que Dieu ne laissejamais seul. C'est pourquoi, et par inévitable conséquence, même quand lesJuifs appellent Dieu: leur Dieu, cependant ils l'ignorent encore.Vis-à-vis de leur science traditionnelle si limitée, si rudimentairequ'elle ne discerne pas dans le Christ celui par qui Dieu veut serévéler, et que sur le point culminant de l'action de Dieu leurscience est aveugle, Jésus place son savoir personnel, un savoir qui,dans sa compréhension sans ombres, forme avec tout autre savoirhumain un ineffaçable contraste: «Vous n'avez point connu Dieu, maismoi je le connais» (Jn 8:55). La particule adversative du texteoriginal oppose les interlocuteurs, comme les verbes employésopposent les connaissances: l'une directe, immédiate, l'autretransmise, acquise. Le Dieu méconnu par les Juifs est pour Jésus sonPère; cette situation spéciale de Jésus explique sa pénétrationspéciale et que Jésus seul sache véritablement ce qu'est Dieu et ceque Dieu veut. Plus loin (Jn 10:15), Jésus mettra sur le même plan laconnaissance que Dieu a de lui et la connaissance que lui a de Dieu.Comme la connaissance de Jésus par Dieu est une connaissanceintégrale, pareillement est intégrale la connaissance de Dieu parJésus. De là vient son assertion, scandale pour les Juifs et paradoxepour les Gentils, que l'entendre c'est entendre Dieu, que le voirc'est voir Dieu. Dieu en lui, c'est le tréfonds de sa conscienceindividuelle; Dieu qui est Sainteté et Amour vit si intimement etentièrement en lui que Jésus rend Dieu humainement perceptible:«Celui qui m'a vu a vu le Père» (Jn 14:9). Il insiste sur lefait capital que ce n'est pas lui seulement qui est dans le Père maisque le Père est en lui (Jn 14:10). Il y a réciprocité vivante etvitale de rapports entre le Père et le Fils, et qui n'est concevableque si les désignations de Père et de Fils ne se limitent pas à unepure comparaison morale mais s'étendent à une similitude de pensée,de sentiment, de volonté, faisant de Jésus plus qu'un prophète, mêmesupérieur à tous les prophètes, plus qu'un témoin, même supérieur àtous les témoins, le Fils véritable du Dieu qu'il appelle son Père. C'est en ceci que consiste essentiellement la caractéristique dela personne de Jésus, «sa gloire» dit le Prologue (Jn 1:14). Lespages suivantes reprennent sous des formes à peine variées la mêmepensée comme un leitmotiv: «nous avons contemplé sa gloire, unegloire semblable à celle d'un Fils unique venu d'auprès du Père».Certes pour le 4 e évangile Jésus est un homme; il peint son humanitépar des traits plus expressifs encore que ne le font les synoptiques;à le lire sans à priori il est certain que, pour l'auteur,réellement, matériellement, «le Logos est devenu chair». Ce sont lescroyants qui verront par la foi la gloire du Préexistant et duRessuscité; les textes qui l'évoquent ne concernent pas le Christ del'histoire. Celui-ci ne possède pas la gloire divine; il le prouvelui-même en priant: «maintenant, glorifie-moi, toi, ô Père, de lagloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût» (Jn17:5). On ne demande que ce que l'on n'a pas. Jésus n'a pas lasplendeur surnaturelle qui appartient aux êtres vivant auprès deDieu. Mais son union avec Dieu subsiste au travers des abaissementset des renoncements, parce que, «sous la forme de serviteur»succédant à «la forme de Dieu», il a voulu et il a su, en dépit desdifficultés, des douleurs et des tentations, par son obéissance et safidélité, continuer à être le Fils. Homme, menant la vie des hommes,agissant dans les conditions où agissent les hommes, il est lié àDieu par la conscience claire de la présence en lui de son Père; ilreçoit de Dieu inspiration et force; dans ses paroles de sagesse,dans ses actes de puissance, dans son amour sans tache, dans sapureté sans ombre, il porte en lui du divin dans son humanitéauthentique, et un rayonnement émane de sa personne terrestre, autremétaphysiquement, mais moralement demeurée la personne du Fils. 5. C'est pourquoi l'éternel modèle de l'homme sera désormais Jésus deNazareth. Le Fils unique est le prototype des autres fils; il faitvoir au monde, de la part de Dieu, ce que doivent être les enfants deDieu. Paul atteste que la miséricorde de Dieu sait faire tout concourirau bien de ceux qui l'aiment, «parce que, explique Calvin, par unmoyen merveilleux il convertit à leur salut les choses qui sembloyentestre contraires»; dans cette miséricorde infinie et toute-puissante,Dieu les a «prédestinés à être pareils à l'image de son Fils afin quecelui-ci fût le premier-né entre plusieurs frères» (Ro 8:29). Ledessein éternel de Dieu aboutit à Jésus-Christ comme aboutit àJésus-Christ la vocation éternelle de l'homme. Tel est Celui que Dieua envoyé, tels doivent être ceux vers lesquels le Christ est allé;tel est le Maître, tels doivent être les disciples; tout le plan deDieu au sujet de l'homme est exposé et réalisé en Jésus homme. LeChrist garde évidemment sa primauté: il est le premier-né, le Filsunique. Toutefois les hommes sont appelés à être ce qu'il est: filsadoptifs mais fils, frères inférieurs mais frères. Or la grandeur dece destin n'est pas montée au coeur de l'homme comme une ambitiondémesurée; elle est proposée à l'homme par l'amour sans limites deDieu. Selon la volonté de Dieu, le Christ est donc, en même temps, lebut qu'il faut atteindre et le moyen d'y parvenir. La vocation humaine formulée par le Dieu de la rédemption est lamême que fixait le Dieu de la création. L'homme, au premier jour desa vie naturelle, était appelé à devenir semblable à Dieu; au premierjour de sa vie régénérée l'homme est appelé à devenir semblable auChrist, lequel, comme l'indique l'apôtre, «est lui-même l'image deDieu» (2Co 4:4). Le verset 6 prolonge le parallélisme de l'actecréateur et de l'acte rédempteur en comparant l'apparition de lalumière dans les ténèbres du chaos et l'apparition de la lumière dansle coeur du croyant. En Christ, son image, Dieu se révèle aux hommes;non un Dieu voilé qui se dérobe en même temps qu'il se laisseentrevoir, mais un Dieu qui s'affirme dans sa vérité, dans son amourqui donne le Christ au monde, dans sa gloire dont le reflettransfigure le Christ. Eph 4:12 et suivant définissant l'Église par l'impressiveimage: «le corps du Christ» indique l'idéal vers lequel doiventtendre ses membres. L'apôtre met en relief deux éléments constitutifsde la vie religieuse, éléments inséparables et cependant distincts:la foi et la connaissance du Fils de Dieu, Quand ils seront «tousparvenus à l'unité de cette foi et de cette connaissance», lescroyants seront «des hommes faits», des êtres majeurs, en possessiond'eux-mêmes, de leur force, de leur raison, de leurs privilèges.C'est là un progrès qu'il faut nécessairement réaliser pour toucherau progrès suprême: «parvenir à la hauteur de la perfection duChrist». Telle est la merveilleuse destinée du croyant; la questionn'est pas de savoir si elle est ou si elle n'est pas réalisable dansle monde présent; le lieu et le moment de la réalisation sont desdétails accessoires; le principe, l'ordre, la loi est que «la hauteurde la perfection de Christ» marque la vocation proposée aux hommespar Dieu. Dès lors, et sans prolonger davantage sur ce point l'analyse destextes, il apparaît évident que, d'une part, du côté de Dieu, par larelation unique qui l'unit personnellement à Dieu et par le rôleunique dans le monde que Dieu lui a départi, le Christ est bien lemédiateur parfait. D'autre part, du côté de l'homme, le Christ est-ilaccrédité de la même manière? 6. Les constatations relatives à l'humanité de Jésus permettent derépondre par l'affirmative. Si sa position de Fils le met en rapportintime avec Dieu, sa position d'homme le met en rapport intime avecles hommes. Les évangiles et les épîtres qui ont relevé le caractèrespécial de l'homme Jésus, ne laissent pas douter que Jésus ait étévraiment homme. Sans raconter une histoire complète de sa vie, lesrécits de Matthieu, de Marc, de Luc, de Jean rapportent des fragmentssuffisants d'histoire pour que nous reconnaissions en Jésus notresemblable, notre frère dans les multiples détails, sans importancepour les témoins, sans portée apologétique pour le narrateur,authentiques traits de la réalité et transmis seulement parce qu'ilsont été. Luc, dans l'unique scène, brièvement esquissée, où Jésus apparaîtdans ses jeunes années, note le triple développement de l'enfant ensagesse, en stature et en grâce (Lu 2:41 et suivants). Unthéologien très conservateur, Gess, a fait la remarque intéressanteque Jésus à douze ans raisonne comme «un jeune» en se croyant plusprès de Dieu dans le temple de Jérusalem que sur les collines deNazareth. Plus tard, en effet, il dira que les affaires de son Pèren'ont pas à Jérusalem leur siège ou leurs représentants car ce n'estpas dans un temple unique ou sur une montagne consacrée que le Pèreest adoré (Jn 4:21 et suivants). Le Maître a faim dans lasolitude du désert (Mt 4:3); sur la route qui conduit de Judéeen Galilée, lassé de sa longue marche, il se repose près du puits deSichar (Jn 4:6 et suivant); après plusieurs journées d'entretienavec la foule, il traverse le lac de Génézareth et s'endort à lapoupe de la barque (Mr 4:38). Son coeur a ses tristesses commeson âme a ses fatigues: «mon âme est troublée», dit-il a sesdisciples en parlant de sa mort prochaine (Jn 12:27), et la mêmeanxiété mystérieuse le fait tressaillir pendant la dernièrePâque (Jn 13:21). Devant la souffrance d'un infirme ou d'unmalade, il est plein de pitié (Mt 20:34,Mr 1:41); devant lamisère de la foule, il est ému de compassion (Mt 9:36); devantla mort de son ami, il frissonne et il pleure (Jn 11:33-35);devant l'endurcissement de Jérusalem, il se plaint de l'obstinationde la ville rebelle, il la plaint du sort qui l'atteindra (Lu10:41 et suivant). L'hypocrisie orgueilleuse le révolte d'une sainteindignation (Mt 23:13 et suivant). C'est à la logique qu'il faitappel en discutant avec les scribes et les pharisiens, et la clartéde son argumentation confond ses contradicteurs et convainc la foule(Mt 22:41,Mr 12:13 et suivants, Lu 20:27 et suivants).Sa prévoyance seconde son courage, sa hardiesse est soutenue par sondiscernement. Si les pièges de ses adversaires menacent son oeuvre,il les évite avec une remarquable prudence; il se dérobe à la hordesoulevée des pharisiens (Jn 8:59); il échappe à ceux quiprojettent de se saisir de lui (Mt 12:15,Jn 10:39). Pour laissers'apaiser les colères déchaînées, il suspend son activité, cesse dese montrer ouvertement parmi les Juifs, il va «dans une contréevoisine du désert» (Jn 11:54). Pour se soustraire à ladangereuse curiosité d'Hérode, il se retire «à l'écart» (Lu9:10), comme il regagne l'asile de la montagne pour laissers'apaiser l'enthousiasme irréfléchi de ceux qui veulent le faireroi (Jn 6:14 et suivant). Cette sagesse faite de possession de soi, de circonspection, declairvoyance, cette sagesse sans erreur de Jésus trouve soninspiration là où trouve la sienne la faillible sagesse de l'homme:dans la prière. Dans la vingtaine de textes où les évangilesmentionnent que Jésus priait, on trouve toutes les circonstances ettous les modes de la prière; leur étude ne concerne pas assezdirectement notre sujet; il suffit de les résumer en observant queplus et mieux que dans une exhortation, Jésus, par sa vie, montrait àses disciples qu'il faut «prier toujours». Mais il faut ajouter que dans ces retraites de Jésus loin dumonde, dans ces entretiens avec Dieu, il y a autre chose qu'unexemple donné, qu'un enseignement par la pratique. Jésus n'a formuléqu'un modèle de prière (Mt 6:9,13); rarement il prie en public(Lu 10:21 et suivant, Jn 17); et chaque jour, au milieu desa marche qu'il arrête, de ses instructions qu'il interrompt, seulavec le Père, dans le silence, il prie. L'impression profonde qui sedégage des évangiles est que Jésus, véritablement homme, sent lebesoin, la nécessité de la présence et de l'action de Dieu en lui, etles demande à son Père. (Voir Prière.) D'ailleurs il est des cas où la requête de Jésus nous a étérapportée, et où Jésus se tourne vers Dieu pour être lui-même exaucécomme au bord du tombeau de Lazare (Jn 11:41 et suivant), pourêtre lui-même secouru comme dans le jardin de Gethsémané (Mt26:39,42,44). Et il est des faits qui prouvent bien que Jésus luiaussi devait recourir à l'intervention de Dieu. Les synoptiquesplacent au début de son ministère public le solennel débat de latentation (Mt 4:1,11,Mr 11:3,Lu 4:1,13). Le Messie, vers lequelse tournent les espoirs du peuple prédestiné, peut user de sesprivilèges pour sa propre satisfaction ou les consacrer à la gloiredu Père; pour atteindre le succès, il peut accepter le concours deshommes, les suggestions de Satan, ou ne compter que sur la fidélitéde Dieu. Trois fois Jésus repousse les offres du tentateur; ilregarde à Celui qui l'envoie et s'en remet à Lui pour les nécessitésde la vie matérielle, pour le triomphe de son oeuvre rédemptrice,pour l'emploi des dons qui lui ont été conférés; il sort de l'épreuvepar la victoire. L'épître aux Hébreux (Heb 2:17) estime nécessaire que, pourêtre le Sauveur, «Jésus devait être rendu semblable en toutes chosesà ses frères», et précise (Heb 4:15) qu' «il a été tenté commenous en toutes choses sans pécher». Ainsi Jésus sait, par expérienceet non par omniscience, l'étendue et la profondeur de l'humainemisère, et au sein de cette misère qu'il traverse sa sainteté demeureintacte. Et voici le paradoxe moral de l'humanité de Jésus: dans lasimilitude complète il y a une complète dissemblance, Jésus est hommemais il est un homme sans péché. Le médiateur unit dans sa personne et dans sa vie ces deuxqualités, partout ailleurs exclusives l'une de l'autre: une humanitéintégrale et une intégrale sainteté. Or la deuxième qualité, lasainteté, rend seule possible sa médiation entre Dieu et les hommes.Les auteurs du N.T. ne permettent pas de craindre qu'elle ne soitpoint un fait. Les adversaires de Jésus ont tout critiqué en lui,d'après les quelque cinquante textes qui ont enregistré leursattaques sur sa prédication, son rôle, ses actions, sa puissance, sonrapport avec Dieu; dans ces accusations, incessamment reprises,aucune ne porte sur la pureté visible de sa vie. Les disciples deJésus ont été lents à croire sur presque tous les points de sonenseignement, d'après les quelque trente textes qui relatent leurincompréhension touchant ses promesses, la nature de son Royaume, lesalut qu'il offre, la voie où il s'avance, l'attitude qu'il prend;dans ces ignorances persistantes, il est une clarté vive: ilsperçoivent l'irrésistible ascendant de sa nature morale, la communionininterrompue de pensée et de volonté qui le rend un avec le DieuTrès-Haut, si bien qu'il leur paraît d'une autre race que leur race,d'un autre monde que la terre. Et Jésus lui-même, Jésus surtout, danslequel les historiens restés hors de la foi ont salué «le grandsincère», l'être qui a possédé au plus haut degré la science du bien,la vue du devoir, l'intuition des desseins providentiels, Jésus dansses affirmations sur sa personne dépasse constamment ce que sesdisciples découvraient en lui. Quand il invite les hommes à la vieéternelle, il les invite à vivre comme il vit; il a montré le péchérésidant au plus profond de l'âme humaine, présent dans les penséesencore obscures et les sentiments encore imprécis, et les évangiles,qui ont recueilli ses plaintes, ses tristesses, ses larmes, nelaissent pas entrevoir le plus léger remords effleurant jamais saconscience, ou le désir d'être meilleur qu'il n'était, oul'expérience que vouloir et pouvoir sont choses différentes; ilatteste et il prouve que le mal n'a aucune prise sur lui; il est lalumière et quiconque le suit ne marche pas dans les ténèbres. Lasainteté de Jésus est l'insoluble énigme de sa vie historique si ellen'en est pas la grande explication. S'il sait ce que l'homme devrait être, puisqu'il lui suffit desavoir ce qu'il est lui-même, il connaît l'homme tel qu'il est. Il lediscerne, il le pénètre, il le sonde tout entier. Silencieux, lesscribes et les pharisiens observent Jésus pour voir s'il guérissaitau cours du sabbat (Lu 6:7). Jésus n'a pas besoin d'entendreleurs paroles pour mesurer leur hostilité, car «il percevait leurspensées»; il lit dans le coeur de l'être ce que l'être croitdissimuler. Ici, assurément, l'expérience aurait pu inspirer lejugement de Jésus, car ses adversaires s'étaient avérés tels. Maisdevant ceux qui proclament «croire en son nom pour avoir vu sesmiracles» (Jn 2:23), il garde une réserve empreinte dedésapprobation; «il ne se fiait pas à eux parce qu'il les connaissaittous»; l'enthousiasme ne l'illusionne pas plus que le scepticisme nele décourage; il saisit avec une immédiate certitude l'insuffisancede la foi qui repose sur les fragiles impressions d'étonnement,d'admiration, et qui, lors même qu'elle se réclame de «son nom»,n'est pas la vraie foi réfléchie, volontaire, en sa personne, en sonaction. Le verset 25 généralise enfin comme un principe la remarquetirée d'un fait particulier: «Il n'avait pas besoin qu'on témoignâtau sujet d'un homme; par lui-même il savait ce qui était dansl'homme.» Il va de soi que cette intuition sans pareille de Jésus devantceux qui ne veulent pas ou ne savent pas le suivre, se retrouve dansses relations avec ceux qui l'aiment. «Je connais mes brebis»,déclare-t-il (Jn 10:14); cela ne signifie pas qu'il lesdistingue de leurs contemporains n'appartenant pas au troupeau, cequi serait une simple banalité, mais qu'il discerne leurs pensées,leurs sentiments, les aspects et les tendances de leur âme.Réciproquement, les brebis connaissent le berger qui s'est pleinementrévélé à elles. Et cette connaissance est telle qu'elle peut secomparer à celle que le Père a du Fils, que le Fils a du Père, doncque cette connaissance humaine a quelque chose de la connaissancedivine. Aussi ce savoir de Jésus se manifeste-t-il en certaines occasionsde manière à surprendre ceux qui entendent son jugement. A l'annonceque l'un des Douze était un traître, les disciples stupéfaitsinterrogent sans comprendre quel est, parmi eux, celui quitrahit (Mt 26:17-29,Mr 14:12-25,Lu 22:7,23,Jn 13:21,30). Ilsn'ont pas perçu tel mouvement d'impatience, tel mot de scepticisme,telle attitude chagrine, sûrs indices mettant à nu pour l'infailliblevigilance du Maître l'état d'âme de Judas. Ni conseils, ni exemples,ni prières n'ont abattu l'ambition et l'orgueil de celui qui, venusans amour vrai, retenu par l'espoir obstiné que le Roi de gloire semanifesterait peut-être, est passé à l'ennemi quand il s'est renducompte que le triomphateur souhaité allait devenir le vaincu. Dès lecommencement de ses rapports avec Judas, Jésus a su ce qu'étaitJudas. Pourtant le repousser n'était-ce pas définitivement le perdre?L'attirer, l'entourer, l'aimer ne serait-ce pas le gagner? Et Jésus adonné une place d'honneur à Judas. Mais Judas est de ceux qui «neveulent pas venir à Jésus pour avoir la vie». La prévision de Jésusva être le fait de l'histoire; Jésus avertit ses fidèles pour que lescandale ne les trouble pas. (Voir Judas.) En saisissant contraste avec Judas, Pierre affirme à Jésus, dansson amour sincère et dans sa présomption: «Si tu étais pour tous uneoccasion de chute, pour moi tu ne le seras jamais» (Mt 26:33).Jésus ne félicite pas son disciple; il a remarqué son enthousiasmeimpulsif et son inconstance; il l'a vu passer de la foi inspiratriceà l'inintelligence (Mt 16:15,17,23 et parallèle). Aussirépète-t-il à Pierre individuellement l'avertissement donné à tous:le plus fidèle ne l'est jamais entièrement, le plus fort souvent peutdéfaillir, «en vérité, je te dis que toi, Pierre, maintenant sitéméraire, aujourd'hui, et avant même la fin de cette journée, cettenuit, et avant même la fin de cette nuit, dans quelques heures, avantle second chant du coq, tu m'auras renié plusieurs fois». Leschiffres trois et sept du texte paraphrasé (Mr 14:30) sont lesnombres types; ils expriment en bien des cas l'idée d'unemultiplicité indéterminée; c'est dans ce sens que, généralement, lesévangélistes les emploient (cf. Mt 12:45 et parallèle, Mr16:9 et parallèle, Lu 17:4). A propos de ce dernier texteexhortant à pardonner sept fois, Calvin explique: «Le Seigneur n'apas voulu prescrire un certain nombre mais plutôt nous commander quejamais nous ne nous lassions.» Dans la prédiction du triple reniementle chiffre est l'image des chutes successives de l'apôtre plutôt queleur total mathématique; Jésus diagnostique avec sûreté dans laconduite de Pierre ce que celui-ci se refusait si fort à concevoir. De même Jésus découvre à première vue le caractère de Nathanaël.«Voici, annonce-t-il, un Israélite dans lequel il n'y a point defraude» (Jn 1:47 et suivants). Surpris, Nathanaël interroge:«D'où me connais-tu?» La question de Nathanaël n'indique pasnécessairement que Jésus ne l'avait jamais rencontré, surtout si onidentifie Nathanaël, comme il est normal de le faire, avec ledisciple que Matthieu, Marc et Luc nomment Barthélémy; Nathanaël ne comprendpas que Jésus puisse juger ainsi, immédiatement, de ce que nul nesait sinon Nathanaël lui-même. Jésus continue: «Avant que Philippet'appelât, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu.» On ne sauraitpréciser à quel moment, à quel endroit, à quelle circonstanceextérieure Jésus fait allusion. Peut-être Nathanaël, frappé par laprédication initiale de Jésus, se sent-il tour à tour entraîné etretenu; sous le figuier où Jésus le voit, il hésite, il médite; il neveut pas se rendre sans raison, son coeur «sans fraude» entend sedonner en toute loyauté. Jésus a lu dans ce coeur; il rend témoignageà Nathanaël lorsque celui-ci, indécis encore, s'approche guidé parPhilippe. La parole de Jésus le surprend, l'explication de Jésus leconvainc. Un regard humain ordinaire n'aurait pu le sonder jusqu'aufond de lui-même quand il était sous ce figuier; Philippe a dit vrai,le doute n'est plus possible: «Maître, tu es le Fils de Dieu.» C'est ainsi qu'apparaît dans sa réalité vivante le Christ del'histoire: possédant l'entière connaissance de Dieu et laconnaissance entière de l'homme, véritable Fils de Dieu et véritableFils de l'homme, un avec Dieu et un avec les hommes, ainsi apparaîtcelui qui seul pouvait être le parfait Médiateur. 7. La mission du Médiateur, la médiation du Christ porte sur deux pointsessentiels: apprendre aux hommes ce qu'est et ce que veutDieu; rendre possible aux hommes le retour à Dieu,l'union avec Dieu. Sans le Médiateur la connaissance réelle de Dieun'est jamais atteinte, le retour à Dieu n'est jamais accompli. La remarque s'impose immédiatement que, s'il y a bien deuxparties, la médiation s'effectue principalement en faveur d'unepartie, en faveur de l'homme. C'est à l'homme que s'adressel'enseignement du Médiateur qui est une révélation, c'est pourl'homme qu'est poursuivie l'oeuvre du Médiateur qui est unerédemption. Il n'en saurait être autrement quant à la connaissance d'abord;la toute-science de Dieu ne serait pas la toute-science si elle avaitbesoin d'être informée en ce qui concerne l'homme. Quant à larédemption ensuite, l'amour de Dieu, qui en est le principe, demeureimmuable pour le pécheur s'il demeure immuable contre le péché; dansl'envoi du Médiateur comme dans l'oeuvre de médiation Dieu al'initiative: c'est Dieu qui donne le Fils au monde, c'est Dieu quiveut par le Fils sauver le monde. Mais la médiation était bien véritablement nécessaire puisqu'il yavait irréductible séparation. Double séparation de l'esprit et ducoeur ayant une cause unique: le péché. Le péché avait obscurcil'esprit de l'homme de telle sorte que chez les peuples païens lesidoles recevaient le culte dû à Dieu (Ro 1:22 et suivant) et quechez le peuple élu le légalisme avait succédé au mosaïsme dont la loidevait être un guide, et au prophétisme dont les reproches et lespromesses devaient restaurer la réalité spirituelle délaissée. Le péché avait corrompu le coeur de l'homme qui nedésirait plus ni connaître ni faire la volonté de Dieu, quelquesoffrandes apportant aux Gentils et quelques observances rituellesapportant aux Juifs toute satisfaction dans le compte de «doit etavoir» ouvert devant l'au-delà. Pour la première partie de son oeuvre, pour la révélation deDieu, le Médiateur dépasse infiniment la révélation naturelle que lespectacle des cieux et de la terre (Ps 19:2), l'harmonie deslois de l'univers (Jer 33:25), la conscience morale (Ro2:15) offraient à l'homme; elle dépasse de même la révélationpréparatoire de l'ancienne alliance (Ga 3:24). L'épître aux Hébreuxtout entière est le développement de la thèse liminaire: «après avoirparlé autrefois par les prophètes Dieu nous a parlé par le Fils», etla démonstration que cette dernière révélation l'emporte de toutesmanières sur la révélation première. Le Médiateur apprend à l'homme non seulement ce qu'il ignoraitmais ce qu'il n'aurait jamais découvert par lui-même, «des choses queson oeil n'avait point vues, que son oreille n'avait point entendues,qui ne seraient point montées en son coeur» (1Co 2»); Si le Médiateur instruit une seule partie, l'homme, c'est au nomde l'autre partie, Dieu, qu'il parle. Et l'observation précédente surla toute-science divine n'empêche pas qu'en un sens, même du côté deDieu, la médiation du Révélateur est aussi une nécessité. Dieu ayantrésolu de sauver l'homme développera le plan qu'il a arrêté; l'A.T,indique le mode de ce développement à son origine en montrant que leplan divin se propose à l'acceptation de l'homme: «choisis la vie,afin que tu vives» (De 30:19); le N.T. signale le même mode aupoint le plus élevé de ce développement en répétant une mêmeinvitation à la participation humaine: «Cherchez premièrement leRoyaume et la justice de Dieu, toutes les autres choses vous serontdonnées par surcroît» (Mt 6:33). Comment, en effet, se réaliserait le dessein de la miséricorde deDieu? Serait-ce par un acte absolu de toute-puissance? La Bible necite pas une seule intervention divine au sein de l'humanité qui soitéquivalente à un coup d'autorité qui s'impose, qui contraint lacréature, ou, ce qui revient au même, qui dispose d'elle sans elle.Les agents de la révélation préparatoire sont des hommes que Dieu achoisis et formés pour leur mission auprès du peuple d'Israël; pourla révélation suprême, le Christ-homme est venu au nom de Dieu. Larévélation surnaturelle et définitive restait sur le plan moral de larévélation naturelle et préparatoire; il y avait entre celle-ci etcelle-là différence de cause comme entre le naturel et le surnaturel,différence de valeur comme entre le transitoire et le définitif,différence de degré comme entre l'imparfait et le parfait, mais il yavait cette ressemblance que celle-là et celle-ci ne comportent nidéterminisme, ni magie. La première partie de la médiation, la révélation, n'a pas sa finen elle-même. La connaissance pour la connaissance est unintellectualisme dont la Bible ne renferme nulle trace. Si laconnaissance restait à l'état de connaissance dans l'esprit del'homme, elle serait inutile puisqu'elle ne modifierait pas lesrapports de l'homme avec Dieu; la révélation est un appel à la vie.L'enseignement de Jésus conduit l'homme en présence du vrai Dieu pourque l'homme prenne position, se prononce sous sa responsabilitépersonnelle, décide volontairement de sa destinée. Les idées, lesnotions, les vérités contenues dans le message du Médiateur sont unmoyen nécessaire, le seul moyen moral, mais un simple moyen, pouramener l'homme à accepter la volonté de Dieu, à accepter de fairecette volonté, à entrer dans l'alliance nouvelle, un moyen pour cebut: le salut. Idées, notions et vérités éclairent l'esprit pourtoucher le coeur, attestent à l'homme que Dieu l'aime et que parcequ'il l'aime il veut le sauver, pour que l'homme à son tour aime Dieuet se laisse sauver; leur raison est de créer ou de restaurer chezl'homme la vie avec Dieu. La rédemption, deuxième partie de lamédiation du Christ, est l'oeuvre dominante et en un sens l'oeuvreunique puisque tout est conçu pour elle et que sans elle tout seraitvain. Cependant l'une est inséparable de l'autre, objectivement, dansla médiation, tout comme, subjectivement, les deux fonctions derévélateur et de rédempteur sont inséparables chez le Médiateur. Etpar la qualité et par la portée de son oeuvre, il convient de lerépéter, Jésus demeure bien le Médiateur unique. Il y a eu desrévélateurs avant lui; quelques-uns ont été évoqués. Il y a eu desrévélateurs après lui qui tenaient de l'inspiration de l'Espritdivin, selon la promesse de Jésus (Jn 16:13), la lumièrenécessaire pour telle action particulière en tel moment déterminé.Mais avant le Christ les témoins de Dieu orientent vers lui; après leChrist ils ramènent à lui. La révélation du Christ médiateur est lanorme non seulement des révélations naturelles mais encore desrévélations surnaturelles. Ce n'est ni par Moïse ni par les prophètesque s'interprète la pensée de Jésus, c'est par la pensée de Jésus quese comprennent véritablement la loi et les prophètes de l'anciennealliance. Et les révélations postérieures, rares d'ailleurs, qui ontmarqué ici et là l'histoire de l'Église, demeurent subordonnées à larévélation du Médiateur, fondent leur vérité sur leur accord avecelle. Ces révélations occasionnelles n'ajoutent rien, du reste, àl'enseignement de Jésus; elles aident à une plus lucide intelligence,à une plus profonde compréhension de cet enseignement; ellesl'adaptent à des milieux et à des faits nouveaux, et par làdéveloppent la foi dans les âmes et dans le monde. Ici encore c'estla parole de Jésus, autorité normative, qui permet de juger desparoles des témoins prononcées au cours des siècles et qui leurconfère leur autorité, c'est par la Révélation que se justifient lesrévélations. En définitive, à donner aux termes leur sens précis, cen'est pas de révélations postérieures au N.T. qu'il conviendrait deparler, quoique le langage religieux use volontiers de ce mot, c'estd'inspiration. Pour l'oeuvre rédemptrice du Médiateur, voir Expiation. 8. La médiation du Christ, unique par sa perfection, l'est encore par sapérennité. Le rôle d'un médiateur prend fin quand, ayant mis les deuxparties en présence, il a établi ou rétabli entre elles l'entente,l'harmonie. Au contraire, le rôle du Christ médiateur se continuesans que son terme soit prévisible. A une heure donnée et en un lieudonné, Jésus a fait entendre au monde la révélation de Dieu et aobtenu pour le monde la réconciliation avec Dieu; cette oeuvrehistorique n'épuise pas l'action du Christ en faveur des hommes. Larésurrection ayant affranchi le médiateur des limitations de l'espaceet de la matière, a rendu omniprésente l'entremise auparavant bornéeà un seul peuple, universel le magistère auparavant exercé sur unseul groupe de disciples. Les évangiles et les épîtres soulignentégalement la glorification du Christ souverainement élevé (Php2:9), la toute-puissance qui lui appartient (Mt 28:18). Danscet état nouveau le Christ demeure l'intermédiaire entre Dieu et leshommes, et le caractère unique de sa médiation est ainsi porté àl'absolu. Quand Jésus entretenait ses disciples de son départ, leur faisantla promesse au premier abord paradoxale: «il est bon pour vous que jem'en aille» (Jn 16:7), il légitimait sa déclaration en lesassurant qu'un secours, une assistance, un soutien leur seraientaccordés, plus grands, plus efficaces que ceux dont ils avaient eu lebienfait pendant qu'il était avec eux. Or c'est lui-même quidisposera pour eux de ces dons supérieurs lorsqu'il sera passé de lavie auprès des disciples à la vie auprès du Père. Dans cette vie ilpriera pour eux (Jn 14:16), et Dieu, en réponse,enverra aux croyants le «Paraclet». La Vulg, aaccrédité l'interprétation, inexacte parce que trop étroite, donnéede ce mot par quelques Pères grecs: le «Consolateur». Le sens passifdu terme original est exactement, littéralement rendu par lapériphrase: «Celui qui est invoqué, celui qui est appelé». C'est«l'Esprit de Vérité» qui, invoqué, appelé à l'aide dans toutes lesheures obscures, dans toutes les circonstances difficiles, à ladifférence du Maître historique, restera avec les discipleséternellement. Et ce n'est pas sur la seule prière du Christ que Dieumettra son Esprit dans l'âme des disciples; c'est aussi parl'intervention du Christ que l'Esprit divin viendra en l'homme;ailleurs c'est le Christ en personne qui le dispense: «Je vousenverrai le Paraclet de la part du Père» (Jn 15:26). Ce qu'ildemande à Dieu, le Christ le demande au nom des hommes; ce qu'ilaccorde aux hommes, le Christ l'accorde au nom de Dieu. D'après le contexte, qui concerne l'activité future du Christglorifié, «l'Esprit de Vérité», «le Paraclet» semble être identifiéavec l'Esprit de Dieu ou l'Esprit du Christ, ou plutôt avec l'un etl'autre en même temps inséparables dans leur action. Jésus représenteexplicitement l'influence du Père et la sienne propre commesimultanées: «si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, et nousviendrons en lui et nous habiterons en lui» (Jn 14:23), et la1re ép. de Jean (1Jn 2:1) non moins explicitement voit dans le«Paraclet», dans celui «qui nous assiste auprès du Père»,Jésus-Christ le Juste. De quelque manière que l'on détermine levocable, ce qui importe c'est de noter que la médiation du Christdemeure dans l'au-delà. (Voir Paraclet.) Dans la conclusion du chap. 8 de l'épître aux Romains, Paul fonde lacertitude du salut sur le double fait que Dieu justifie et queJésus-Christ est le répondant de cette justification. En effet,«Jésus-Christ est mort, bien plus il est ressuscité, il est à ladroite de Dieu et il intercède pour nous» (Ro 8:34). Si lamort de Jésus pour nous est le degré suprême de la substitution duSaint au pécheur et vaut au pécheur qui s'unit à ce Saint le pardonde Dieu, la résurrection est le degré initial d'un ministère célestecontinuant et développant pour le croyant le ministère terrestre.Après son retour dans la vie de gloire, le Médiateur, avec le mêmeamour et avec une autorité accrue, présente à Dieu la cause deshommes, communique aux hommes l'Esprit saint, l'Esprit même de Dieu.La médiation du Christ glorifié, pour être d'un ordre supérieur à lamédiation du Christ historique, n'en demeure pas moins dans la mêmeligne et ne vise pas moins le même but: le salut du monde. «Le Christ, confirme l'épître aux Hébreux(Heb 7:24 et suivant), parce qu'il subsiste éternellementpossède un sacerdoce intransmissible; voilà pourquoi il peut sauverparfaitement ceux qui par lui s'approchent de Dieu, puisqu'il vittoujours pour intercéder en leur faveur.» Le plus grand argumentprouvant la supériorité de la nouvelle alliance sur l'anciennealliance est, selon l'auteur de la lettre, la supériorité duMédiateur de cette alliance sur tous les autres médiateurs. Maisquelle que soit la prééminence du Médiateur historique sur sesprédécesseurs, ce qui constitue désormais son caractère incomparablec'est que, non seulement différent des intermédiaires humains maisopposé à eux par son éternité, sa médiation n'a point de fin; elle seperpétue, supérieure en valeur et en puissance, dans l'au-delà, aprèss'être manifestée, parfaite déjà cependant, ici-bas. La volonté duChrist dans sa vie glorieuse est la même que dans sa vie terrestre:sauver ceux qui par lui s'approchent de Dieu. Ainsi, sous les formes différentes d'expression, la réalitéaffirmée reste identique: le Christ, qui est dans l'histoire lemédiateur nécessaire entre Dieu et les hommes en qualité derévélateur et de rédempteur, conserve ce «sacerdoce», selon le termede l'épître aux Hébreux, quand il a quitté le temporaire pour entrerdans l'éternel. Une réserve a été formulée devant cette conception: si l'oeuvremédiatrice de Jésus est vraiment parfaite, elle doit être aussidéfinitive, le parfait étant achevé en soi. D'où vient donc qu'ellesoit, par ailleurs, représentée comme continuée, amplifiée, ce quirevient à dire: sans cesse recommencée? Le rôle attribué au Christglorifié diminue, et diminue d'autant plus qu'on le donne comme plusélevé, le rôle du Christ historique. La difficulté, s'il y a difficulté, est toute superficielle. Lamédiation du Christ historique est un fait objectif qui peut nouslaisser indifférents, et qui, en réalité, laisse indifférents unemultitude d'hommes. Pour que ce fait soit reconnu et accepté comme larévélation de la vérité et l'accomplissement du salut, il faut quel'homme, que chaque homme le reconnaisse comme tel, l'accepte commetel personnellement. Le salut est d'ordre éminemment moral, il exigeune participation de l'homme; Dieu ne pardonne pas, ne sanctifie pasindépendamment de celui qui reçoit le pardon et marche vers lasanctification. Par la médiation du Christ glorifié succédant à lamédiation du Christ historique, par la médiation du Christomniprésent comme Dieu continuant la médiation du Christ homme,limité comme nous, le croyant s'approprie subjectivement l'oeuvreobjective du salut, et le Sauveur qui a vécu il y a vingt siècles enJudée devient le Sauveur immanent, le Sauveur vivant avec lui, enlui. Le Médiateur qui a réalisé à la place des hommes la saintetéhumaine au milieu de ses disciples et de ses contradicteurs, aidemaintenant les hommes à la réaliser en intervenant dans leur vie, enéclairant leur esprit, en purifiant leur âme; il les conduit dans lavérité et vers la sainteté. Et devant Dieu il reste leur garant. Dieu pardonne aux croyantsparce que le Christ saint est en eux, Dieu les accueille comme sesfils parce qu'ils sont en communion avec le Fils unique, Dieu acceptela médiation du Christ glorifié parce qu'il a voulu lui-même sonaction, bien plus: parce que cette action se confond avec la siennepropre. Quiconque accepte le Christ comme médiateur est réconciliéavec Dieu; c'est Dieu qui a suscité le Christ comme médiateur pourque soit opérée la réconciliation entre Lui et le monde. Nécessaire aux croyants pour assurer leur victoire de plus enplus complète sur le péché, la médiation du Christ glorifié estnécessaire aux non-croyants pour qu'ils prennent conscience de leurserreurs, éprouvent devant leurs péchés le besoin d'un Sauveur. Dieu adonné son Fils non à quelques élus mais au monde; et aussi longtempsque le monde, ignorant ce don divin, n'en aura pas été instruit pourprendre librement position devant la vie ou la mort, la médiation duChrist glorifié demeure indispensable pour étendre à tous les hommesla possibilité de salut résultant de la médiation du Christhistorique. C'est pourquoi l'épître aux Hébreux a bien défini lamédiation du Christ entré dans la gloire, en la nommant «un sacerdoceéternel». And. A.