MATTHIEU (évangile de) 3.

III Composition. 1. LES SOURCES. 1 ° L'EVANGILE DE MARC. La comparaison de l'analyse qui précèdeavec celle de Marc et plus encore la comparaison des deux évangileseux-mêmes disposés en colonnes parallèles synoptiques, prouve ce faitfondamental que la source d'ordre historique de Matthieu c'est Marc dont Matthieus'est approprié la presque totalité (environ 93 pour cent). Et cet apport deMarc constitue un peu plus de la moitié de Matthieu. Sur la centaine de péricopes qu'on peut convenir de distinguerdans Marc il n'en manque que 8 dans Matthieu, dont 4 sont propres àMarc: intervention de la famille de Jésus qui craintpour sa raison (Mr 3:20 et suivant), parabole de la semence (Mr 4:26-29) guérison: un sourd-muet (Mr 7:32-36) guérison: un aveugle à Bethsaïda (Mr 8:22-26), --et dont 4 ne se retrouvent que dans Luc: guérison d'un démoniaque (Mr 1:23,28), retraite de Jésus dans la solitude (Mr 1:3-38), l'exorciste (Mr 9:38,41), les deux pites de la veuve (Mr 12:41,44). Il faudrait ajouter à ces épisodes quelques fragments ou élémentsde détail abandonnés à Marc dans les contextes que Matthieu lui a empruntés:

les bêtes sauvages lors de la tentation (Mr 1:13),la barque commandée par Jésus (Mr 3:9),le surnom de Boanerges (Mr 3:17),le retour des Douze et l'invitation du Maître au repos (Mr 6:30 et suivant),l'explication des purifications juives (Mr 7:3),la formule imagée sur le sel (Mr 9:50),la défense aux porteurs de traverser le temple (Mr 11:16),l'approbation du scribe (Mr 12:32-34),la fuite du jeune homme (Mr 14:51 et suivant),la surprise de Pilate pour la mort si prompte de Jésus (Mr 15:44),le souci des femmes au sujet de la lourde pierre du tombeau (Mr 16:3),
--sans compter de fréquentes abréviations des récits de Marc quien laissent tomber bien des membres de phrase. On le verra plus loin,cette tendance à abréger comme la plupart de ces suppressionstrouvent leurs explications, en rapport avec les principauxcaractères de Matthieu. 2° LES «LOGIA».Le second document de très grand prix que Matthieu s'est assimilé (comme Lucaussi de son côté), c'est donc le recueil des «Discours du Seigneur»remontant sans doute à l'apôtre Matthieu, et que les savants quicherchent à le distinguer dans Matthieu et dans Luc désignent surtout parles initiales S (Source;voir Bbl. Cent.) ou Q (all. Quelle, mêmesens). Quoiqu'il ne soit pas toujours possible de le reconnaître à coupsûr dans la fusion qu'en ont opérée ces évangiles, la comparaisonentre Luc et Matthieu et sa nature didactique permettent une idéeapprochée de ses proportions dans notre évangile: l'apport des Logiaconstitue à peu près 30 pour cent de Matthieu, dont le quart environse trouve aussi dans Luc. Un certain nombre de ces propos du Seigneursont introduits ici et là au fur et à mesure des épisodes de sonministère, mais la plus grande partie en est groupée en résumésd'entretiens prolongés, qu'on a pris l'habitude d'appeler des«discours». La plupart de ces enseignements continus sont encadrés par uncertain type de formules, dues peut-être à la source elle-même desLogia:
soit l'introduction de Mt 4:17, «dès lors, Jésus commença à prêcher et à dire»;ou celle de Mt 5:2, «alors, ouvrant la bouche, il se mit à les enseigner, en disant...»;soit surtout la conclusion en refrain qui sert de transition pour rattacher au fil de l'évangile le discours terminé:«or il arriva, quand Jésus eut achevé ces discours, que les foules furent frappées...» (Mt 7:28);«or il arriva, quand Jésus eut achevé de donner ces instructions à ses douze disciples, qu'il partit de là...» (Mt 11:1);«or il arriva, quand Jésus eut achevé ces paraboles, qu'il partit de là» (Mt 13:53);«or il arriva, quand Jésus eut achevé ces discours, qu'il partit de là...» (Mt 19:1);«or il arriva, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu'il dit à ses disciples...» (Mt 26:1).
Les instructions qui se ferment sur cette formule 5 fois répétéesont précisément les 5 grands discours de Jésus conservés parMatthieu et qui en développent les doctrines fondamentales: la charte du Royaume, discours sur lamontagne (ch. 5-7), la mission, instructions aux Douze envoyéspar le Maître (Mt 10), les paraboles du Royaume, discours au bord dulac (Mt 13), la grandeur dans le Royaume, instructions surl'humilité, l'amour des petits, le pardon (Mt 18), l'attente du Royaume à venir, dans lavigilance, la fidélité, la bienfaisance (Mt 25). Ce dernierdiscours, composé de paraboles, pourrait être la seconde partie,positive, après la première, négative, constituée par les invectivesdu Christ contre l'hypocrisie pharisienne (Mt 23), ces deuxgrands mouvements oratoires étant actuellement séparés parl'apocalypse synoptique (Mt 24), que possédait déjà Marc et quipourrait être une page isolée plus ou moins artificiellementrattachée ici à la mention du temple (Mt 24:1 et suivants); onpeut d'ailleurs considérer aussi ces trois longs chapitres 23-25comme constituant aux yeux de l'évangéliste un seul discours,--lesappels suprêmes du Sauveur: (a) pour maudire la trahison du clergé, (b) pour annoncer la ruine d'Israël et l'avènement duJuge, (c) pour illustrer les devoirs des fidèles dans l'attentedes derniers temps. Bien des éléments de ces discours que Luc reproduit aussi d'aprèsles Logia sont distribués à travers son évangile en morceaux beaucoupplus courts et donnant plus fréquemment l'impression de conversationsspontanées, d'entretiens de circonstance; voy. par exemple l'oraisondominicale, enclavée par Matthieu (Mt 6:9,13) dans les exhortations dela montagne sur l'aumône, la prière et le jeûne, mais jaillissantdans Luc (Lu 11:1 et suivants) d'une occasion naturelle, le désirdes disciples que le Seigneur leur enseigne à prier; c'est ainsi queMatthieu (Mt 11:4-30) réunit aussi divers développements du Maître, àpropos de Jean-Baptiste, des villes rebelles et des coeurs dociles,qui sont dispersés dans Luc entre les Lu 7,Lu 16 et Lu 10. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate que Luc adavantage introduit ses emprunts aux Logia par séries massives, commedes parenthèses interrompant le cadre historique de Marc tandis queMatthieu a fondu les siens à peu près tout le long de son évangile(sauf les ch. 14 et 16) de manière à les harmoniser autant quepossible avec les données de Marc qu'il a été amené pour cette raisonà déplacer en certaines périodes. Il n'en demeure pas moins que des trois synoptiques, c'estMatthieu qui de beaucoup accorde le plus d'ampleur à la forme dudiscours proprement dit: soit que les diverses autres sources de Lucaient décidé celui-ci à réduire la longueur des exhortations, ou luiaient fourni dans les paraboles qui lui sont propres un genreoratoire plus varié que la harangue continue, soit que l'édition desLogia par lui utilisée ait été déjà plus morcelée que celle dontMatthieu fit usage, le coloris didactique de Matthieu lui estimprimé, non par les fragments des Logia répartis chez lui au coursdes incidents du ministère, mais par les quelques mémorablescirconstances auxquelles il a rattaché le souvenir d'unenseignement-programme du Seigneur. Si Marc est surtout l'évangiledes faits, Matthieu est surtout l'évangile des discours. 3° AUTRES SOURCES.Les éléments de Matthieu étrangers à l'apport de Marc et des Logiareprésentent par leur addition pure et simple une proportion d'un peumoins du cinquième.Ils ont trait à des sujets fort disparates.Citons:
la généalogie de Jésus (Mt 1:1-17)l' évangile de l'enfance la naissance de Jésus racontéeau point de vue de Joseph, les mages, la fuite en Egypte et le retour (Mt 1:18-2:23);quelques brefs récits de guérisons spéciales (Mt 9:27-31,32-34 15:29-31).Trois incidents où Pierre joue le premier rôle (Mt 14:28,31 16:17,19 17:24,27),--ce qui ne suffit pas à prouver l'existence d'une source particulière, exploitée par Matthieu, consacrée à ce seul apôtre;l'épisode de la mort de Judas (Mt 27:3,10);deux apparitions du Ressuscité (Mt 28:9,16-20).
Quelques menues indications dans le récit de la dernière semaine:
la riposte de Jésus aux prêtres par le passage d'un psaume (Mt 21:15 et suivant),sa parole sur l' épée et sur les 12 légions d'anges (Mt 26:52,54), Pilate et sa femme, le même se lavant les mains (Mt 27:19,24 et suivant);
Par-ci par-là peut-être des embellissements de la tradition: les prodiges quisuivent la mort de Jésus (Mt 27:51,54), les histoires de lagarde au tombeau (Mt 27:62,66 28:11,15). Enfin de minimes particularités de rédaction ou des façonspersonnelles à l'évangéliste de se représenter les choses,conformément à sa mentalité que notre étude dégage peu à peu devantnous. Il se peut que le discours eschatologique (Mt 24)représente une source distincte, du reste commune à Marc, Luc etMatthieu (voir plus haut, 2°, à propos du 5 e grand discours). Certains ont aussi supposé, non sans quelques motifs, l'emploid'une collection de passages de l'A.T, tenus pour messianiques(voir Ev. SYN., t. I, p. 400); ainsi pourraient s'expliquerquelques-uns des incidents précités, que l'auteur rattache plus oumoins directement à l'accomplissement des Écritures, notamment par laformule stéréotypée: «ainsi fut accompli ce qui avait étédit...» (Mt 1:22 2:15,17,23 27:9 etc.). Mais cette hypothèseelle-même ne s'impose pas absolument; à part la pièce d'allureofficielle de la généalogie et la page eschatologique, aucun deséléments susmentionnés n'est d'une importance primordiale et nepostule nécessairement un document écrit intégré par Matthieu; cesont des renseignements issus des milieux chrétiens dans l'intervallequi sépara les rédactions de Marc et de Matthieu. Fallût-il mêmesupposer quelque source secondaire, la façon dont l'évangéliste a misen oeuvre ses deux grandes sources dans l'unité de sa langue soignéeet de ses matériaux solidement ordonnés, montre qu'il a vraimentélaboré un évangile personnel et tout à fait original. 2. LA DISPOSITION.Il nous est très précieux en effet, possédant séparément les évangilesde Marc et de Matthieu et sachant l'un source de l'autre, de prendre sur lefait, par leur comparaison, les changements que Matthieu a opérés sur Marc etpar là les méthodes de composition dont il s'est inspiré. Nouspourrons ainsi constater: (a) la fidélité du rédacteur de Matthieu pour conserverl'essentiel de Mc; (b) sa liberté pour en modifier les détails; (c) son point de vue particulier, révélé par sesprincipes de compilation.Cette comparaison doit porter tout d'abord sur la disposition de sesmatériaux. 1° DEPLACEMENTS.A l'intérieur du plan général de la «synopse», Matthieu change parfoisl'ordre des péricopes de Marc. La plupart de ces transpositionsproviennent visiblement de son principe d'établir des sériesd'incidents similaires ou d'instructions connexes, ce qui al'avantage de masser les tableaux de l'activité de Jésus et d'enrendre par là l'exposé plus frappant. Ainsi, la succession de trois miracles de la toute-puissance deJésus, sur la tempête, les démons, la paralysie d'un pécheur (Mt8:23-9:8), est prise respectivement à Mr 4,Mr 5 et Mr 2.La guérison du lépreux ne pouvant être rattachée comme dansMarc (Mr 1:35,45) à la retraite de Jésus dans la solitude, queMatthieu n'a pas gardée, est insérée plus loin lorsque Jésus setrouve dans la campagne (Mt 8:1 et suivants); mais avant dereprendre au récit de Marc la guérison de la belle-mère de Pierre,localisée «dans la maison» de celui-ci, Matthieu ajoute une troisièmeguérison, inconnue de Marc celle du serviteur du centenier (Mt8:5 et suivants), située à Capernaüm, ce qui introduitnaturellement la mention subséquente de la maison de Pierre dans cemême village. Lorsque Matthieu détache du contexte de Marc une parole de Jésus,pour la relier à un développement plus en harmonie avec elle, cedéplacement a d'ordinaire pour effet de la situer plus tôt: Il prend aux paraboles du Royaume (Mr 4:21) la parole sur lalampe et le boisseau, et la case dans le discours sur la montagne(Mt 5:15; le contexte parallèle de Mr 4 est seulement dansMt 13). Le verset suivant de Marc (Mr 4:22), sur les secretsdestinés à être manifestés, au lieu de demeurer dans le parallèle deMt 13, est avancé jusqu'en Mt 10:26, instructions auxDouze. Dans ces mêmes instructions, la parole sur le verre d'eau(Mt 10:42), parallèle à Mr 9:41, est anticipée sur Mt18:5; et la déclaration sur le sel sans saveur (Mr 9:50), aulieu de rester dans le parallèle Mt 18:9, est avancée jusqu'enMt 5:13. L'exhortation au pardon avant la prière, tardive dansMr 11:25 qui la situe après l'entrée à Jérusalem, paraît aussidéjà dans le discours sur la montagne, passage relatif à laprière (Mt 6:14), au lieu du parallèle Mt 21:22. Les transpositions de ce genre se trouvent surtout au cours duministère galiléen: d'abord parce que c'est la période où lesépisodes de l'activité du Maître et ses miracles sont le plusnombreux, ensuite parce que les trois grands discours des ch. 5-7, 10et 13 ont attiré à leurs masses des enseignements plus disséminésdans Marc. A partir de la confession de Pierre (Mt 16), et déjàdepuis le ch. 14, Matthieu observe beaucoup mieux, et longtemps d'unefaçon complète, le parallélisme avec Marc. On peut tout juste releverl'interversion de la purification du temple et de la malédiction dufiguier, qui évite l'interruption de Marc entre ce dernier actesymbolique du Seigneur et le commentaire qu'il en fait (Mt21:12,22; cf. Mr 11:11-25). 2° ABREVIATIONS OU DEVELOPPEMENTS, (a) Matthieu, beaucoup plus long que Marc abrège pourtanttrès fréquemment son texte, sans doute afin de réserver de la placepour ses nouveaux et considérables éléments, ceux du volume des Logiaet les autres. Il supprime les répétitions superflues, sortes depléonasmes où se trahissait souvent l'influence sur Marc duparallélisme hébreu. De Mr 11:5 il garde: «le Royaume des cieux (=de Dieu) estproche», aussi supprime-t-il: «le temps est accompli», et comme ilgarde: «repentez-vous», il supprime: «et croyez à l'Evangile» (Mt4:17); ainsi il diminue de moitié le verset de Marc. De Mr 13:2 il garde: «quand le soir fut venu», aussisupprime-t-il: «après le coucher du soleil» (Mt 8:16). De Mr 14:2 il condense les deux propositions: «la lèpredisparut, et il devint net», en: «il fut nettoyé de sa lèpre» (Mt8:3). Voir aussi comment Mr 4:39 est abrégé dans Mt 8:26. Il arrive même que par souci de brièveté Matthieu fassedisparaître une locution de Marc en trois termes (Mr 6:4parallèle Mt 13:57), lui qui suivant une autre tendance dont ilsera question plus loin ajoute une quantité de ces expressionstriples. Supprimés aussi, fréquemment, des détails narratifs qui luiauront paru superflus, parce que ce sont généralement les traitsdescriptifs qui intéressaient le témoin oculaire Pierre et sonsecrétaire Marc, mais qui perdent de leur valeur à mesure que lestémoins sont plus éloignés des faits, et qui même peuvent leurparaître parfois trop familiers:
les bêtes sauvages (Mr 11:3 parallèle Mt 4:11), les ouvriers (Mr 1:20 parallèle Mt 4:22), André, Jacques et Jean (Mr 12:9 parallèle Mt 8:14), la poupe et le coussin (Mr 4:38 parallèle Mt 8:24), pour 200 deniers (Mr 6:37 parallèle Mt 14:17), la comparaison d'un foulon (Mr 9:3 parallèle Mt 17:2), plus de 300 deniers (Mr 14:5 parallèle Mt 26:9), le jeune fuyard sans vêtements (Mr 14:51 parallèle Mt 26:56), Alexandre et Rufus (Mr 15:21 parallèle Mt 27:32), l'achat du linceul (Mr 15:46 parallèle Mt 27:59), etc.
(b) D'autre part, Matthieu allonge aussi, etconsidérablement, le texte de Marc; on devine que ces développementsconcernent des paroles, qui deviennent ainsi des entretiens ou vonts'agglomérer aux discours chaque fois que Marc la source historique,offre l'occasion d'insérer des extraits des Logia, la sourcedoctrinale. Les 2 versets de Mr 1:7 et suivant, aperçu de laprédication du Précurseur, en deviennent 6 dans Mt 3:7,12. Les 2 versets de Mr 1:12 et suivant, indication du faitde la tentation de Jésus, en deviennent 11 dans Mt 4:1,11,dialogue entre le Diable et le Seigneur, qu'évidemment celui-ci avaitun jour raconté aux disciples. Les 9 versets de Mr 3:22-30 sur Béelzébul et le péché contrele Saint-Esprit, en deviennent 22 dans Mt 12:24,45. Les 34 premiers versets de Mr 4 constituent une péricopeassez longue--le plus long passage didactique de Marc en dehors dudiscours eschatologique (ch. 13)--; mais le chapitre parallèle deMatthieu possède 52 versets, par l'adjonction de supplémentsconsidérables. Les exhortations de Mr 6:7-11, noyau fort réduit desinstructions aux Douze envoyés en mission, deviennent une quarantainede versets du grand discours de Mt 10. De même, les avertissements de Jésus en 3 versets dansMr 12:38-40 sont le noyau du long discours de Mt 23 contreles scribes et les pharisiens. Le discours eschatologique lui-même,commun aux trois synoptiques, est complété dans Matthieu par tout unchapitre nouveau, le ch. 25, sur la préparation dans la vie présenteaux rétributions de l'éternité. La simple énumération de tels exemples, choisis parmi d'autres,est démonstrative: tel était bien l'objectif de Matthieu d'enchâsserl'enseignement du Christ dans le récit de ses oeuvres emprunté à Marc;et il faut reconnaître toute la valeur de ses notices parsemées aucours de l'ouvrage comme des jalons indicateurs: «Dès lors, Jésuscommença à prêcher et à dire...(Mt 4:17) Jésus allait par toutela Galilée, enseignant dans les synagogues, prêchant l'Évangile duroyaume et guérissant...(Mt 4:23) Ouvrant la bouche il se mit àles enseigner, en disant...(Mt 5:2) Il parcourait villes etvillages, enseignant dans les synagogues, prêchant l'Évangile duroyaume et guérissant...(Mt 9:35) Quand il eut achevé dedonner ces instructions à ses douze disciples, il partit de là pouraller enseigner et prêcher...(Mt 11:1) Étant allé dans sapatrie, il enseignait dans la synagogue (Mt 13:54). Le peuple,entendant ces paroles, était frappé de son enseignement...» (Mt22:33). Il faudra tenir le plus grand compte de ce point de vuedominant de notre évangile pour en apprécier les caractéristiques etla valeur historique et religieuse. 3° GROUPEMENTS.En continuant à démêler de près ses procédés de disposition, onconstate chez le rédacteur de Matthieu un esprit de système assezsingulier, et qui n'est pas sans importance. (1) Symétriques En remaniant ses matériaux pour établir ces rapprochements,juxtapositions, constructions bloquées de discours ou collectionsdramatiques de faits, Matthieu recherche les effets: répétitions,parallèles ou contrastes. C'est par un souci de symétrie déjà raffinéqu'il dispose la totalité du ministère galiléen en une série degroupes où chaque fois l'activité de Jésus s'articule sur un texteprophétique et aboutit à l'un de ses grands discours, (a) Début d'activité messianique, rattachée à uneprophétie d'Ésaïe (Mt 4:15) et finissant par le discours surla montagne (Mt 4:12-7:27), suivi de la formule de transitionsignalée plus haut» (Mt 7:28 et suivant) (b) suite de l'activité messianique, rattachée à uneprophétie d'Ésaïe (Mt 8:17) et finissant par le discoursmissionnaire aux Douze (Mt 8:1-10:42), suivi de la mêmeformule (Mt 11:1); (c) actes et instructions messianiques, rattachés à uneprophétie d'Ésaïe (Mt 12:18,21) et finissant par les paraboles duRoyaume (Mt 11:2-13:52), rattachées elles-mêmes à une prophétied'Ésaïe (Mt 13:14 et suivant) et à la parole d'un psaume (Mt13:35), et suivies de la formule habituelle (Mt 13:53); (d) activité messianique nouvelle en Galilée et auxenvirons, rattachée à une prophétie d'Ésaïe (Mt 15:8 et suivant)et finissant par le discours sur les petits et le pardon (Mt13:54-18:35), suivi de la formule consacrée (Mt 19:1). Pour artificiel que puisse nous paraître un tel schéma, destiné àencadrer et à classer une activité et une prédication dont lesqualités les plus apparentes étaient en tout cas la spontanéité,l'à-propos des actions et des commentaires devant l'imprévu de lavie, dans la liberté de la toute-puissance inspirée, il faut convenirque ce schéma n'est pourtant pas dans Matthieu l'effet du hasard, caril faut le suivre plus loin et reconnaître une préoccupation desymétrie encore plus poussée de sa part. (2) Numériques L'évangéliste affectionne en effet les groupements suivant certainschiffres: surtout 3, mais aussi 5 et 7. On pourrait relever près de40 groupes de 3, presque tous particuliers à Matthieu; nous nous bornonsaux plus frappants. --D'abord des groupes de faits:
la généalogie est comprimée en 3 sections de 14 (7 x 2) noms chacune (Mt 1:1,17);3 épisodes dans l'évangile de l'enfance (mages, fuite, retour, ch. 2);3 tentations (Mt 4:3,10); 3 guérisons (lèpre, paralysie, fièvre, Mt 8:1,15);3 miracles de la toute-puissance de Jésus (tempête, démoniaques, péché, Mt 8:23-9:8);à Gethsémané, 3 appels aux disciples (Mt 26:38,40,45) et3 appels à Dieu (Mt 26 39,42,44);3 déclarations au moment de l'arrestation (Mt 26:50-52-35);3 péchés contre le sang innocent (Judas, Pilate, le peuple, Mt 27:4-24,25);3 phénomènes lors de la mort du Seigneur (le voile, le tremblement de terre, les résurrections, Mt 27:51,53);3 groupes de témoins à la résurrection (femmes, gardes, disciples, Mt 28:1-10,11-15,16).
--Les groupes de paroles sont beaucoup plus nombreux:
3 cas de pratique de la justice (aumône, prière, jeûne, Mt 6:1,18);3 fois la défense: «ne soyez point en souci» (Mt 6:25-31,34);3 oeuvres faites «en ton nom» (Mt 7:22);3 fois l'encouragement à ne pas craindre (Mt 10 36,28,31);3 caractères de la maison (vide, balayée, ornée, Mt 12:44);3 paraboles de la culture (semeur, ivraie, moutarde, Mt 13:1,32);3 paraboles sur la déchéance des Juifs (les deux fils, les vignerons, le festin, Mt 21:28-22:14);3 facultés dans le sommaire de la loi (coeur, âme, pensée, Mt 22:37);nombreux groupes de 3 dans le discours du ch. 23: festins, synagogues, places (verset 6 et suivant), titres de maître, père et directeur (verset 8,10), serments par l'autel, le temple et le ciel (verset 20,22), menthe, anis, cumin opposés à justice, miséricorde, fidélité (verset 23), envoi de prophètes, sages et scribes (verset 34);3 paraboles de la vigilance (serviteur, dix vierges, talents, Mt 24:43-25:30),
Enfin--et ceci est très frappant dans la triomphale conclusion del'évangile--, le dernier message du Christ ressuscité à ses disciplesse divise en 3 phrases:
une proclamation (toute-puissance m'a été donnée...),un programme (allez donc...), une promesse (et voici...), dont la 2° contient 3 devoirs: enseignez, baptisez, apprenez à garder, le 2 e devoir étant à remplir au nom des 3 personnes divines: Père, Fils, Saint-Esprit (Mt 28:18-20).
Les groupes de 5 sont moins fréquents. Nous avons vu que 5 grands discours sont marqués dans Matthieupar leur formule finale. Le discours sur la montagne renfermelui-même 5 rectifications des conceptions fausses de la loi, avec laformule: «Vous avez entendu..., mais moi je vous dis» (Mt5:21,27,33 38,43). seulement, comme ce développement traite 6sujets, l'un d'eux a été privé de la formule (verset 31), afinqu'elle ne fût bien répétée que 5 fois. Dans les ch. 21 et 22, au cours des suprêmes débats on compte 5sujets de discussion: autorité, impôt, résurrection, grandcommandement, Fils de David (Mt 21:23,27 22:15,46). Il se trouve que c'est le seul évangile qui conserve la paraboledes 5 vierges sages et des 5 vierges folles, et celle des talents, oùle premier serviteur en reçoit d'abord 5 et plus tard 5 autres (Mt25). On voit aussi quelques groupes de 7: Les paraboles du Royaume (Mt 13); il y en aurait 8 siMatthieu avait gardé les 3 de Marc portant toutes sur les semences,mais c'est sans doute pour avoir un total de 7 qu'il a supprimé cellede la semence (Mr 4:26,29), où peuvent se distinguer quelquestraits analogues à celle de l'ivraie (sommeil et ignorance du semeur,croissance constante, différence entre l'herbe et l'épi, moisson etfaucille), sans que par ces ressemblances les deux paraboles fassentvraiment double emploi. Le ch. 23 énumère non pas 8, mais 7 malédictions (car celle duverset 14 ne se trouve pas dans les plus anciens manuscrits). De mêmeil n'y aurait que 7 béatitudes dans Mt 5 si la 3° (Mt 5:5équiv, à Ps 37:11) était, comme certains le pensent, uneaddition postérieure. On peut soutenir aussi que l'oraisondominicale, qui dans Lu 11:2,4 a 5 requêtes, en a 7 dans Mt6:9,13. Enfin, lorsque Jésus parle dans Lu 17:4 de péché suivide repentir 7 fois par jour, le parallèle de Mt 18:21 etsuivant lui fait recommander le pardon non pas 7 fois mais 70 fois7 fois. Nous avons limité ces citations à des cas indiscutables, faisantabstraction par exemple des modes de division possibles des grandsdiscours en 5 ou en 7 parties, qui peuvent ne correspondre nullementaux intentions de l'évangéliste. Un certain nombre sont évidemmentvolontaires; d'autres peuvent être d'ordre simplement oratoire, commeceux du ch. 23; d'autres, purement fortuits; enfin quelques-unsreprésentent un fait réel, comme les 3 appels de Jésus en Gethsémané,qui se trouvent déjà dans Marc ou les 3 tentations, qui se trouventégalement dans Luc. Les 4 évangiles peuvent avoir de ces rencontres non cherchées,tels les 3 exemples d'exaucement du fils (pain ou pierre, poisson ouserpent, oeuf ou scorpion) conservés par Luc alors que par exceptionMt 11 a gardé que les deux premiers (Lu 11: et suivant,Mt 7:9). Ce qui est à relever chez Matthieu, c'est le grandnombre qu'il en a introduit consciemment: pour avoir 3 termes ilenlève à Mr 12:30 l'une des 4 facultés du sommaire de la loi (laforce), ou il ajoute sans doute un terme aux Logia qui d'aprèsLuc (Lu 11:42) n'en avaient que 2 (2 fois de suite: rue etmenthe, justice et amour). Les classements numériques, quelque peu fantaisistes etarbitraires, ne risquent pas toutefois d'entraîner à de gravesdéformations un auteur maître de son sujet et plein du témoignagequ'il veut rendre à son Maître en toute sincérité. Les considérationsde ce genre jouaient du reste chez les Juifs un rôle qui sans douten'avait rien de magique, mais qui pouvait dépendre de certainesspéculations mystiques (voir Nombre): ils tenaient en honneur, commedu reste tout l'Orient, précisément ces chiffres 3, 5 et 7: Le 7,nombre premier, imposé à la semaine antique par les phases de lalune, consacré par tout le système sabbatique sacerdotal, paraîtsouvent comme un nombre typique dans l'A.T, et plus encore dansl'Apocalypse. Les Israélites eurent d'abord 3 fêtes annuelles, puis plus tard5, auxquelles correspondaient les 5 rouleaux sacrés: les Megillôt (voir Bible, parag. 3); leur Loi avait 5 livres (Pentateuque), leursPs 5 divisions, qui se retrouvent dans leur littératureapocryphe et apocalyptique: Siracide, Apo d'Hénoc, Sentences desPères. On a supposé--et l'hypothèse nous paraît des plusvraisemblables--que ces classifications par 3, 5, 7 (et 10)contribuaient à faciliter le souvenir des élèves et des maîtres endes temps où presque tout l'enseignement était confié à la mémoire;si le système des poèmes alphabétiques (voir ce mot) a pu être tenudans une certaine mesure pour un moyen mnémotechnique, à combien plusforte raison les chiffres ont-ils pu jouer ce rôle utile dansl'instruction des catéchumènes des synagogues juives et par suite desassemblées judéo-chrétiennes. En conséquence, les préoccupations de classement symétrique etnumérique chez notre évangéliste, et peut-être avant lui chez lerédacteur des Logia (voy. par ex. les 3 paires de verbes répétéesdeux fois, aussi bien dans Luc que dans Matthieu: demandez, cherchez,frappez...Mt 7:7 et suivant parallèle Lu 11:9 etsuivant),--ce qui s'expliquerait assez bien comme une sorte de pliprofessionnel de l'ancien receveur d'impôts et teneur de registresMatthieu,--doivent bien nous révéler en lui: (a) un auteur juif, qui, sans doute intentionnellement,écrit le Pentateuque de la nouvelle alliance, la loi du Royaume en 5 discours,et qui aime en distribuer les éléments suivant des divisions simples,déjà chères aux auteurs des Écritures de l'A.T.; (b) un auteur systématique, qui ne prétend pasfaire avant tout oeuvre chronologique, mais qui, préférant les vuessynthétiques à la suite exacte des faits (dans la mesure où ilpouvait la connaître), ordonne son évangile en fonction desenseignements du Messie; (c) un auteur didactique, à la foissaisi par la grandeur du Roi, par la splendeur de sa doctrine et parla nécessité de faire connaître l'un et l'autre à sescoreligionnaires égarés, sans doctrine et sans Roi.