Bien qu'il soit le premier dans l'ordre actuel des livres du N.T.,comme dans la plupart des plus antiques recueils évangéliques,l'évangile de Matthieu n'est pas le plus ancien: il a été précédé par Marcqu'il a connu et reproduit presque intégralement. Pour les arguments qui imposentaujourd'hui cette conclusion à l'étude du problème synoptique, voirÉvangiles synoptiques (1ntroduction générale aux articlesparticuliers sur chacun de ces évangiles).I Témoignages de la tradition. 1. LES TEXTES ANCIENS.Au sujet de Matthieu, le plus vieux témoignage connu suit immédiatement leplus vieux témoignage sur Marc (voir Marc, évangile de), celui de Papias(vers 140-150), reproduit par Eusèbe (H.E., III, 39:3 etsuivant): «...Et voilà comment s'exprime Papias au sujet de Marc. Quantà Matthieu, voici ce qu'il en dit: Matthieu composa [ou: réunit] en languehébraïque les Logia [du Seigneur], et chacun les traduisit commeil en était capable.» Le terme grec logia (pron. loguia), plur, de logion, dérivé de logos (=parole), s'appliquaitgénéralement à des sentences, à des déclarations plus ou moinssolennelles, même sacrées ou divines, en s'étendant parfois auxcirconstances dont elles étaient inséparables. Le témoignage dePapias attribue donc à l'apôtre Matthieu la rédaction d'un évangileen hébreu. Nous verrons plus loin comment il est possible d'admettrecette tradition. Elle est répétée par un certain nombre de chefs de la chrétientédont l'opinion semble dépendre de celle de Papias et n'en augmentedonc guère l'autorité, tout en lui surajoutant peu à peu desprécisions telles qu'en réclamait la curiosité des fidèles, ce quiles rend suspectes aux historiens.--Irénée, à Lyon (Adv. Hoer., III, 11), que cite encore Eusèbe (H.E., V, 82' 4), déclare (vers200): «Matthieu mit par écrit son évangile chez les Hébreux et dansleur langue, alors que Pierre et Paul prêchaient l'Évangile à Rome ety fondaient l'Église.»--Origène (Comm, in Joh., t. VI, 32),toujours d'après Eusèbe (H.E., VI, 25:3, 6), dit que Matthieuécrivit l'Évangile le premier, et ceci «pour les Hébreux, pour lescroyants de la circoncision» (avant 250).--Eusèbe lui-même (avant340) développe et fixe la tradition (H.E., III 24:5, 12): «Seuls[des douze apôtres] Matthieu et Jean nous ont laissé des mémoiresrelatifs au Seigneur; on dit même qu'ils n'en vinrent à les composerque poussés par la nécessité. Matthieu prêcha d'abord en hébreu;comme il dut aussi se rendre en d'autres pays, il leur donna sonévangile dans sa langue maternelle, suppléant à sa présence par unécrit auprès de ceux dont il devait se séparer.» Eusèbe raconte aussi(V, 10) une histoire évidemment légendaire: Pantoenus, au II° siècle,étant allé aux Indes, y aurait trouvé l'exemplaire araméen originalde l'évangile de Matthieu, que celui-ci y aurait confié à des croyantsévangélisés par l'apôtre Barthélémy.--Cyrille de Jérusalem (Mort en386) est très sobre: «Matthieu, ayant rédigé l'évangile en languehébraïque, a écrit ceci...» (Catech., XIV).--Épiphane (-J- 403):«Matthieu écrit donc l'évangile en lettres hébraïques et il leprêche; il commence par le commencement, mais en déroulant lagénéalogie depuis Abraham» (Hoer., II, 1:51).--Enfin Jérôme(392): «Matthieu, qui est Lévi, ancien publicain devenu apôtre,composa le premier en Judée l'évangile de Christ en termes et encaractères hébreux, pour les croyants de la circoncision; qu'ensuiteil l'ait traduit en grec, cela n'est pas tout à fait sûr» (De Vir.M., III). D'autre part, Jérôme parle d'un évangile hébreu, appelé «évangiledes Hébreux», qui aurait été l'ori-sànal de Matthieu (De Vir. i1l., 2s,etc.), et aussi d'autres écrits judéo-chrétiens, les évangiles desNazaréens, des Ebionites ou des XII Apôtres (Dial. adv. Pelag., III, 2, etc.). Mais les fragments aujourd'hui connus de ces diversouvrages (voir Évang, apocr.) les démontrent tributaires des évangiles,synopt.; ils ne peuvent aucunement, ni les uns ni les autres, avoirprécédé la rédaction de l'évangile canonique de Matthieu Il en est de mêmede la compilation judéo-chrétienne: Testaments des XII Patriarches (vers 135), où les réminiscencesdu texte de Matthieu sont plus nombreuses que les allusions à tous lesautres livres du N.T. 2. L'INTERPRETATION ACTUELLE.Il est assez facile de s'expliquer la faveur que connut la traditiondes Pères sur l'origine de Matthieu Des douze apôtres, le péager Lévisurnommé Matthieu (voir ce mot), employé de bureau, étaitcertainement le plus capable d'écrire; témoin oculaire etauriculaire, il était bien placé pour conserver les enseignements duMaître dans la langue même, l'araméen (dialecte hébreu), où cesenseignements avaient été prononcés. Dans le récit de sa vocation,seul des trois synoptiques c'est Matthieu (Mt 9:9) qui l'appelle parson surnom: Matthieu (=don de JHVH) au lieu de lui garder son nom:Lévi; dans la liste des Douze, Matthieu seul en le nommant ajoute sonancien état, «le péager», et le place après Thomas (Mt 10:3),qu'il précède dans les autres listes; Matthieu seul ne dit pas nettementque c'est Matthieu qui offre le repas (Mt 9:10; l'original estobscur). On a cru voir dans ces divers traits des indices d'humilitéremontant à l'apôtre lui-même. On note aussi les termes qu'emploieMatthieu, d'impôt (Mt 22:19) au lieu du denier des parallèleMr 12:15,Lu 20:24, et de péagers (Mt 5:46 et suivant)au lieu de pécheurs dans Lu 6:32 et suivant, et quipourraient déceler la langue professionnelle du publicain. Mais ces suggestions attrayantes perdent de leur vraisemblance àla lumière de deux faits désormais acquis: 1° notre Matthieu canonique ne peut pas être l'ouvragehébreu dont parlent Papias et ses successeurs, car il ne s'y trouvepas trace d'une traduction: on ne peut douter qu'il ait été rédigédirectement en grec; 2° l'oeuvre en hébreu (=araméen) de l'apôtreMatthieu, c'est un document aujourd'hui disparu, le recueil des Logia précisément, dont une édition grecque a été copieusementintégrée dans notre évang, canonique par un auteur postérieur àMatthieu, peut-être un de ses propres disciples. Strictement, lepremier fait contredit la tradition; mais le deuxième l'explique etrésout la contradiction: il y a eu confusion entre les deux ouvrages.On s'est rappelé plus tard que l'évangile en question remontait àl'apôtre, ce qui était exact pour sa source des Logia qui donnaità cet évang, sa physionomie et sa valeur particulières; il s'agissaitdonc d'un écrit apostolique au second degré seulement, et non plusd'une oeuvre du péager-apôtre. Car le disciple qui le composa plustard encastra ce recueil fondamental des Paroles du Seigneur dans lesolide cadre historique de l'évangile de Marc qu'il conserva presqueentièrement. Comment un témoin immédiat comme l'un des Douzeaurait-il fait dépendre sa narration des faits, d'un auteur deseconde main comme Jean Marc? Ce caractère secondaire de Matthieu à l'égardde Marc qui saute aux yeux dès qu'on prend la peine d'étudierparallèlement les trois synoptiques, ressortira fortement de notreexamen (voir plus loin, parag. III et IV). Il est indispensable de sefaire la vue à cette perspective: Matthieu fusion de Marc et des Logia, pourapprécier la valeur propre, qui est immense, de ce témoignage duchristianisme primitif à la doctrine du Maître, inséparable de sonexemple et de son oeuvre. (Pour plus de développements,Voir ÉVANG. SYNOPT., parag. IV). Notre abréviation usuelle: Matthieu continuera donc de désignerl'évangile universellement connu sous ce nom, ou son rédacteuranonyme, tandis qu'on écrira: Matthieu, en toutes lettres, lorsqu'ils'agira de l'apôtre lui-même.