VI Origine. L'auteur de l'évangile est juif d'origine, comme le trahissentses citations araméennes, fidèles reproductions de celles qu'enfaisait Pierre, sa connaissance des habitudes juives et de leursinterprétations (voir plus bas), ses notes explicatives sur la saisondes figues (Mr 11:13) ou sur la situation du mont desOliviers (Mr 13:3), notes destinées à des lecteurs qui neconnaissaient pas la Palestine. On a donc vu, tout le long de cetteétude sur la forme et le fond de notre évangile, s'accumuler defortes présomptions, dont la réunion peut paraître décisive, enfaveur de son unanime attribution par les premiers siècles à Marc«interprète de Pierre», «disciple et interprète de Pierre», qui«longtemps suivit Pierre», etc. Sans doute cette tradition ne retientpas le souvenir de Marc auxiliaire de Paul tel qu'il apparaît dansles Ac et dans quelques épîtres de l'apôtre des païens, mais ellecadre fort bien avec les données de Ac 12 montrant Pierre reçuchez la mère du jeune Marc et avec la mention de la 1re ép. dePierre de «Marc, mon fils» (1Pi 5:13), expression qui pose entreeux une différence d'âge d'environ une génération et qui réunit ledisciple et le maître vers la fin de la carrière de celui-ci. Qu'àdifférentes époques Marc se soit trouvé au service de l'un ou l'autredes deux grands missionnaires, c'est une trace de plus des liens quirapprochèrent «l'apôtre des circoncis» et «l'apôtre despaïens» (Ga 2:7 et suivants), et qui se retrouveront dans latradition chrétienne postérieure réunissant à Rome la mémoire de«saint Pierre et saint Paul». On sait que Paul y fut martyr après unou deux séjours plus ou moins prolongés; on doit tenir pour à peuprès certain que Pierre y partagea le même sort, s'étant rendu dansla capitale de l'empire quelque temps avant la grande persécution deNéron en 64 (voir Simon Pierre, parag. III). C'est donc à Rome tout particulièrement que Marc futl'interprète de Pierre, et c'est là qu'il écrivit son évangile. Maisnous voyons par l'épître de Paul aux Romains (voir art.) que dans leurÉglise la majorité était passée de bonne heure des judéo-chrétiensaux pagano-chrétiens; or il est évident, précisément, que l'évangile deMarc a en vue des lecteurs d'origine païenne: il n'introduit aucunegénéalogie du Christ; il ne cite l'A.T, que lorsque la citation estfaite par Jésus lui-même (seule exception: 12; quant à Mr 15:28,ce verset manque dans les manuscrits les plus anciens); chaque foisqu'il reproduit, d'après la citation textuelle qu'en faisait Pierre,les mots araméens prononcés par Jésus, il en ajoute toujours latraduction (Mr 3:17 5:41 7:11,34 14:36 15:22,34) preuve qu'il aconscience de s'adresser à d'autres qu'à des Juifs; il prend soin dedéfinir les us et coutumes, les vocables du culte israélite (Mr2:26, la parenthèse «pains qu'il est permis aux sacrificateursseuls de manger»; Mr 7:2,4,11, explications significatives;Mr 14:12, définition du premier jour des pains sans levain,comme, Mr 15:42, du jour de préparation); dans Mr 7:21 s ilsemble paraphraser à l'usage des non-Israélites les commandements dela seconde table du Décalogue. Marc paraît même s'adapter quelquefoisau langage de Rome, lorsqu'il rend littéralement une locution latine: to ikanon poïêsaï =satis facere-- satisfaire (Mr 15:15), oulorsqu'il transcrit sans les traduire les mots latins eux-mêmes: nonseulement ceux qu'on pouvait connaître en Palestine province del'empire (denarius =denier (Mr 6:37 etc.), legio-- légion (Mr 5:9,15), proetorium =prétoire) (Mr 15:16)et qui se trouvent aussi dans Matthieu ou Luc mais d'autres plus spéciauxpour lesquels l'expression ne manquait pas en grec: krabattos-- grabat, pour lit (Mr 2:4 6:55), speculator =bourreau (Mr 6:27), quadrans =1/4 d'un sou (Mr 12:42), centurio-- centenier (Mr 15:39,44 et suivant), xestes (forme populaire de sex-tarius =vase, Mr 7:4). On a même généralisé cet emploi du latin, en supposant quel'évangile avait d'abord été composé dans cette langue; si l'ondevait prendre le terme d' «interprète» au sens strict de traducteur,il pourrait indiquer que Marc traduisait Pierre non pas surtout dansle grec courant, qu'au cours de ses missions Pierre avait bien dûapprendre à parler, mais plutôt dans la langue même de Rome, lelatin. Seulement, c'est à coup sûr dans le sens large de secrétairequ'il faut comprendre le titre de Marc «interprète»; le grec étaitcompris à Rome, comme le prouvent les ép. aux Romains de saint Paul et desaint Clément. L'idée d'un Marc original latin ne tient pas à l'examende notre texte grec, lequel est sans conteste un original et non unetraduction (cette observation vaut aussi bien contre l'hypothèse d'unMr original en araméen). Il peut encore se trouver un indice de la rédaction de Marc à Romedans la valeur particulière que semblent lui reconnaître un certainnombre de manuscrits occidentaux comme les plus anciennes versionslatines et le codex gréco-latin de Bèze. Ajoutons que la mention,inutile en soi, dans Mr 15:21, des fils de Simon de Cyrène,Alexandre et Rufus, avait son intérêt pour les chrétiens de Rome, quiconnaissaient Rufus si c'est le même que Paul salue dans Ro16:13 (Identification possible, mais non certaine). Enfin le surnomde Jean Marc, Marcus, est un prénom romain. Quant à l'époque de cette rédaction, malgré les quelquesanciens témoignages qui montrent Marc l'écrivant déjà du vivant dePierre, les autres témoignages sont plus naturels: ce futcertainement quand l'apôtre eut la bouche fermée par la mort, quel'Église éprouva le besoin auquel répondit son secrétaire, d'ypourvoir en reproduisant ses souvenirs par écrit. Si comme il estprobable Pierre périt dans la grande persécution de Néron qui suivitde près l'incendie de Rome--lequel éclata le 19 juillet 64--, la datela plus ancienne possible pour la rédaction de Marc doit être la fin del'an 64 ou mieux l'an 65. D'autre part on ne peut à notre avis larepousser au delà de 70, car l'évangéliste, qui se borne auxallusions vagues de Mr 13:1 14:58 à propos de la destruction dutemple, ne semble pas connaître ce que devait être en cette année-làla ruine irréparable de la ville sainte et du saint lieu. Il parledans Mr 2:26 de ce qui est permis (temps présent) auxprêtres du Temple. Il est même assez vraisemblable qu'il ne sait rienencore des révoltes juives qui dès 65 ouvrirent en Palestine l'èredes troubles et des implacables répressions. Marc aurait donc été écritentre 64 et 70, plus probablement vers 64-66.