V Valeur historique et religieuse. L'évangile se présente donc, dans l'ensemble, non pas comme uneanthologie d'anecdotes relatives à Jésus, mais comme le déroulementgénéral de sa carrière unique entre toutes. C'est le plus ancien destémoignages venus jusqu'à nous de l'Église primitive et dont nousavons ailleurs reconnu l'autorité (Év. syn., t. I, pp. 400, 401).Sans doute l'exactitude historique peut n'en être pas toujoursabsolue dans le détail, et l'évangéliste a pu grouper certainsmatériaux par sujets, introduire en certains récits le reflet despréoccupations de l'Église de son temps (comme les amplificationsapocalyptiques du discours eschatologique confondant plus ou moins laruine de Jérusalem et l'avènement du Christ), voire laisseréchapper--lui ou quelque copiste--un lapsus facile à rectifier(Abiathar au lieu d'Abimélec, Mr 2:26). Mais d'aussi légèresdéformations, bien explicables au cours des trois ou quatre décadesécoulées entre les faits et leur narration, ne sauraient en entamerla valeur profonde. C'est le simple et vivant exposé, sansprétentions littéraires ni développements théologiques de parti, desfaits extraordinaires encore tout récents d'où étaient issuesl'Eglise et la mission chrétiennes, et tout rempli de souvenirs desplus intimes disciples du Seigneur, qui, après avoir participépersonnellement, dans l'ignorante candeur de leur noviciat, à cettesurhumaine histoire, avaient été rendus capables par l'inspirationdivine d'en devenir les humbles et fervents continuateurs. Dans saspontanéité, sa fraîcheur de souvenir, l'évangile de Marc est l'écrit leplus proche de la vie de Jésus, le témoin le plus sûr que nouspuissions consulter. Lors des premières rédactions évangéliques, cefut le document le plus consulté et le plus utilisé, puisqu'il entrapresque tout entier dans Luc et Matthieu, fut connu de Jean (cf. Mr 6:37et Jn 6:7,Mr 14:5 et Jn 12:5, etc.) et même de l'apocrypheévangile de Pierre, qui paraît le citer plus directement qu'il ne faitpour Matthieu et pour Luc. 1. LES FAITS. 1. LE CADRE DU MINISTERE DE JESUS.Dépositaire avant tout d'un témoignage apostolique, Marc n'a pas misson intérêt dans la documentation extérieure, historique et sociale;mais même à ce point de vue il nous est des plus précieux, par lesdonnées fort nombreuses quoique incidentes qu'il fournit en passant,avec son information précise. Il abonde en menus détails de la viecourante, . souvent rendus en termes expressifs qui lui sontpropres, et dressant en un vivant relief l'entourage de Jésus:agriculture, commerce, pêche, domestiques, malfaiteurs, juges,armées, maladies, médecine, sépulture, cérémonies, alimentation,vêtements, logements, ustensiles, chauffage, monnaies, divisions dutemps, animaux, etc. Les deux sections de Marc ont pour théâtre deux régions, Galilée et Judée, avec deux centres, Capernaüm etJérusalem, quelques villes ou villages (Nazareth, Bethsaïda, Jérico,Béthanie, etc.) et mentions occasionnelles de contrées voisines (Tyret Sidon, Décapole, Idumée, etc.), au delà de la mer de Galilée, dudésert de Judée ou du fleuve du Jourdain. A vrai dire, les déplacements de Jésus sont souvent résumés, avec le minimum denoms d'endroits, et plus volontiers décrits que localisés; sestournées au bord du lac pivotent autour de Capernaüm; lescirconstances le décident parfois à se retirer à l'écart, avant de serendre volontairement à la capitale. Sans définir les conditionspolitiques dont Jésus a dû tenir compte, le récit confirmepleinement ce qu'on en peut connaître par ailleurs: en Galiléegouvernait le «roi» Hérode (Mr 6:14), le tétrarque hostile,gouverneur païen sous ses dehors juifs; Jésus était relativement ensûreté dans la tétrarchie de Philippe au delà du lac, dans leterritoire de Césarée de Philippe, comme en Phénicie. Il savait dureste que le péril serait beaucoup plus grave à Jérusalem, où lesautorités juives le livreraient aux autorités païennes (Mr10:33), au pouvoir d'un César (Mr 12:17) dont le procurateur leferait mourir d'un supplice romain.--Quant (Mr 8:34) aux pouvoirs ecclésiastiques, ce sont en Galilée les chefs desynagogues (Mr 5:22,35-38) à Jérusalem les principauxprêtres (Mr 8:31 14:1 15:1); dans les deux provinces, lesscribes, instructeurs religieux (Mr 2:6 11:18); des deux grandessectes, les Pharisiens paraissent en Galilée comme en Judée (Mr2:16 7:1 12:13), les Sadducéens à Jérusalem seulement (Mr12:18). Au cours de la Passion, les scribes pharisiens se fondent àl'arrière-plan et l'action passe aux mains des prêtres Sadducéens quidominent le Temple: dès que Jésus y entre, il se heurte à lahiérarchie (Mr 11:18), qui prépare sa mort, lui fait poser parune délégation du Sanhédrin la question de son autorité (Mr11:27 et suivants), puis par une délégation de Pharisiens etd'Hérodiens (prêtres politiciens) celle de l'impôt (Mr 12:13 etsuivants), puis reprend l'offensive au sujet de larésurrection (Mr 12:18), négocie l'arrestation avecJudas (Mr 14:1,11), lui fournit une troupe (Mr 14:43) oùl'on remarque un serviteur du grand-prêtre (Mr 14:47); c'estchez ce dernier que Jésus est amené, jugé par le Sanhédrin, condamnésous la pression de son clergé (Mr 14:53-64), livré augouverneur romain, et ce sont les prêtres qui portent lesaccusations (Mr 15:3); si le libéralisme du Christ avaitscandalisé le conservatisme des scribes, ce sont ses prétentionsdivines qui lui ont aliéné les prêtres, et ceux-ci l'ont condamné nonpour son indépendance à l'égard de la Loi (Mr 14:58 et suivant),mais pour sa prétendue usurpation messianique (Mr 14:63 etsuivant). Il y a dans ce déplacement des responsabilités,indépendamment de la condamnation officielle par le tribunal romain,la marque d'une profonde connaissance de la complexe situationreligieuse du temps.--L'évangéliste se montre aussi au courant de ses conditions sociales: en Galilée, surtout des ruraux, autour desbourgs, travailleurs des champs ou du lac, «la foule» qui est lepersonnage principal dans les relations de Jésus; et dans cette fouleenthousiaste et mélangée, des péagers, fonctionnaires du postecentral de Capernaüm, et des pécheurs en général, foule dont leChrist a compassion (Mr 2:17 6:34), à laquelle il accordeguérisons, simples instructions imagées, alors que les grands sontmassés en ville (à Tibériade) autour des plaisirsd'Antipas;--en (Mr 6:21) Judée et à Jérusalem, où pour lapremière fois dans l'évangile apparaissent les pauvres (Mr10:21,46 12:42 14:5-7), Jésus n'a guère avec lui, à part quelquesamis nommés ou anonymes, que les pèlerins venus de Galilée; auprocès, la foule est menée par les prêtres (Mr 15:11); pour lecondamné, le supplicié, objet de moqueries, aucune sympathie dupublic, hors l'hommage de l'officier romain et la fidélité dessaintes femmes...Rapproché (Mr 15:39 et suivants) des autressources de renseignements qu'on possède sur la Palestine de cetteépoque, le tableau constitué par tant de traits épars en reçoit etleur apporte d'éclatantes confirmations d'où se dégage l'exactitudehistorique de notre évangile. 2. LE MINISTERE DE JESUS.Dans ce cadre bien déterminé se place désormais avec la plusnaturelle vraisemblance l'oeuvre brève mais définitive du Christcomme nous l'avons vue ressortir de l'analyse du livre. Précédé par la mission de Jean-Baptiste, qui accomplit laprophétie messianique (Mr 1:2 et suivants), consacré Sors de sonbaptême comme «Fils bien-aimé de Dieu» (Mr 1:11), c'est bien enMessie juif que Jésus ouvre son ministère. Il répète la prédicationde Jean, mais il l'approfondit: (Mr 1:15) n'attendant pas sesauditeurs dans le désert (Mr 1:5), il va les chercher dans lapopuleuse Galilée (Mr 1:14-17); il confirme ses appels mieux quepar un acte symbolique comme le baptême: par sa puissance réelle surles malades (Mr 1:27), tout en répudiant dès le début leshommages compromettants des détraqués nerveux, considérés commevictimes des démons (Mr 1:34 3:11 5:7). Dès le début ils'applique le titre de Fils de l'homme, qui tout en le solidarisantavec l'humanité (cf. Eze 2:1-3, etc., Da 7:13) le met àpart comme l'homme-type, l'homme normal, détenteur de droits divinstels que le pardon des péchés, l'appréciation des règles du sabbat,les rétributions futures (Mr 2:10-28 8:38 et suivant). Mais sesdons extraordinaires demeurent inexplicables aux témoins: son villagede Nazareth s'étonne et lui en veut (Mr 6:2 et suivant), safamille le croit fou (Mr 3:21), les scribes venus de Jérusaleml'accusent de possession satanique (Mr 3:22 et suivants). Ildécrit les aspects du Royaume de Dieu en des paraboles que ni lafoule ni même les disciples ne comprennent dans leur portéespirituelle (Mr 4:10,33). Entre temps, le bruit court que c'estun prophète, égal à ceux de l'A.T., peut-être Élie lui-même au retourannoncé, ou bien, après le martyre de Jean, sa réapparitionmiraculeuse (Mr 6:14 8:28 9:11). Les disciples eux-mêmespartagent l'incertitude du public (Mr 4:41); tout le long duministère en Galilée Jésus a souvent réprimé ou fui les acclamationspopulaires (Mr 1:44 5:43 6:45 7:24,36 9:30). on ne l'y voitpas se définir ouvertement comme le Messie, et personne n'en répandla découverte sensationnelle. C'est aux Douze qu'elle était réservée, mais ils ne devaient laproclamer que sur la question directe de leur Maître relative à sapersonne; la réponse lapidaire de Pierre: «Tu es le Christ!» (Mr8:29) marque décisivement l'éveil de leur foi en Lui: désormais ilsappartiennent au Christ (Mr 9:41); et celui-ci leur parle de sagloire céleste (Mr 8:38), dont une sorte d'anticipation estrévélée aux trois disciples témoins de sa transfiguration: plus grandque les prophètes, même qu'Élie et Moïse, Jésus est le Fils bien-aiméde Dieu (Mr 9:7), à l'avance apparu pour eux dans un rayonnementd'En-haut. Seulement, cette grandiose révélation du ciel se doubledes tragiques perspectives de la terre: de la confession de foi dePierre, Jésus a tout de suite tiré les inévitables conséquences,voulues dans le plan de Dieu, en annonçant aux Douze ses souffranceset sa mort (Mr 8:34), sinistre prédiction à laquelle il revientplusieurs fois par la suite, en la complétant de l'assurance de sarésurrection (Mr 9:9,12,31 10:33 et suivant). Mais le profil dela croix pour leur Maître, qui les entraînerait à sa suite commeeux-mêmes porteurs de croix (Mr 8:34 et suivants), les inquiètesans les convaincre: ils semblent avoir peur de comprendre (Mr9:10,32); c'est alors au contraire qu'ils se jettent à l'extrêmeopposé, vers les espérances de grandeur et de domination, et leSeigneur cherche à les ramener aux lois fondamentales du Royaume deDieu, celles du service et du sacrifice, dont lui-même va donnerl'exemple rédempteur (Mr 9:33-35 10:21,24,29-31 35-45). Une fois quittée la Galilée, plus de risques d'engouementspolitiques en faveur du rabbi populaire; donc plus de raisons pourgarder la réserve sur sa personne révélatrice de Dieu. Sa messianitéest connue des disciples et de la grande foule qui lesaccompagne (Mr 10:46), évidemment les pèlerins de la Pâque. AJérico retentit pour la première fois le titre messianique de Fils deDavid (Mr 10:47 et suivant); en vue de Jérusalem ce sont lesacclamations messianiques des fidèles (Mr 11:10), bientôtsuivies des conflits: leçon du temple, leçon du figuier (Mr11:12,25). Au cours des discussions avec les chefs juifs, Jésus sequalifie clairement de Fils bien-aimé de Dieu, et d'Héritier (Mr12:6), il fait allusion à sa messianité par sa question sur leChrist Fils de David (Mr 12:35 et suivants). A l'adjuration dugrand-prêtre: «C'est toi qui es le Christ, le Fils du Dieu béni?» ilrépond nettement: «Je le suis», et s'associe aux visions messianiquesde Daniel (Mr 14:61). C'est en qualité de Messie qu'il estcondamné, comme l'exprime en termes intelligibles au juge romainl'épithète «le roi des Juifs» (Mr 15:2,9,12,26). et les suprêmesoutrages des passants contre «le Christ, roi d'Israël», lesrailleries des témoins à propos du secours d'Élie (Mr 15:32,36)montrent à quel point tous les Juifs mêlés au drame le sentaientdominé par l'évocation du Messie que décidément cet homme avaitprétendu incarner. Dans le témoignage même de l'officier païen, toutremué par le spectacle de la mort d'un héros (un «fils de Dieu»),l'évangéliste voit sans doute un hommage du paganisme pieux à celui«qui était véritablement le Fils de Dieu» (Mr 15:39). La fin de Marc s'étant perdue (voir ci-dessus, II, 2), l'évangile nemène pas le lecteur jusqu'à l'apparition du Christ ressuscité; maisle récit de l'ensevelissement du Crucifié et de la visite des femmesau tombeau établit avec une précision absolue le fait qu'ausurlendemain du supplice ce tombeau était vide, et que «Jésus deNazareth» allait être vu par ses disciples, ressuscité, comme il leleur avait annoncé. Telle est la trame simple et psychologique dans sa dramatiqueprogression, que nous vaut le plus ancien recueil évangélique sur leministère de Jésus. Aucune âme chrétienne ne la suivra sans ressentiravec une émotion profonde la valeur historique et religieuse de sontémoignage. 2. LES IDÉES.Le point de vue objectif du narrateur des actes de Jésus ne pouvaitdonner une grande place au développement de la pensée du Seigneur. Simince que puisse paraître toutefois la théologie d'un évangile écritsans préoccupation dogmatique, les paroles du Maître inextricablementunies à son activité et ses diverses instructions conservées par Marcnous ouvrent des points de vue révélateurs sur l'essentiel tout aumoins de sa doctrine. 1. LA DOCTRINE DANS MARC. 1° Dieu .Le Dieu de Jésus-Christ, dans Marc est tout-puissant (Mr 10:27 1224 14:36) et, dans l'absolu, il est le seul Être bon (Mr10:18). La parabole des vignerons le décrit comme Maître, ayant ledroit d'exiger le service (Mr 12:2) et le pouvoir de châtier lesrebelles (Mr 12:9). Elle montre aussi en Dieu le Père de Jésus,envoyé de sa part aux hommes (Mr 12:6 et suivant); trois autresfois le Christ désigne Dieu comme son Père ou comme le Père (Mr8:38 13 32 14:36); une seule fois comme le Père des hommes engénéral, duquel le pardon est conditionné par le pardon qu'ilss'accordent entre eux (Mr 11:25 et suivant). Il convient enfinde rattacher à la volonté de Dieu l'expression consacrée: «Ilfallait...»; elle établit que les souffrances du Messie et savictoire (Mr 8:31) faisaient partie du plan rédempteur divin. 2° Jésus .Comme nous l'avons noté, le titre de Fils de l'Homme que s'attribueJésus affirme par là, quoique ce ne fût pas une désignationproprement messianique, son autorité dans le Royaume de Dieu (Mr2:10,28); toutefois il l'emploie le plus souvent à propos de saPassion (Mr 8:31 9:12,31 10:33), voulue d'En-haut, de sarésurrection (Mr 8:31 9:9,31) et de sa gloire future (Mr14:62 13:26 8:38), mettant ainsi dans cette expression la relationnécessaire entre lui et le salut des hommes qu'il apportait au monde,telle qu'elle se définit dans son programme de Sauveur: «Le Fils del'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner savie pour la rançon d'e plusieurs» (Mr 10:45). L'image de larançon pour le pécheur est ensuite complétée par le symbole de lacommunion en son corps et en son sang, sceau de l'alliance avecDieu (Mr 14:22,25). Quant au titre de Fils de Dieu, Jésus ne sel'attribue jamais; il le reçoit seulement, soit de la voix du ciel,qui le désigne comme l'unique objet de l'amour divin, remplissant samission d'En-haut à la satisfaction de Dieu (Mr 1:11 9:7), soitdes témoignages de malades démoniaques (Mr 3:11 5:7; cf. leSaint de Dieu, Mr 12:4), soit dans l'adjuration du grand-prêtreacceptée par Jésus (Mr 14:61), soit enfin dans le cri ducentenier (Mr 15:39); la qualité de Fils de Dieu ressort en toutcas des paroles mêmes de Jésus citées au paragraphe précédent, où ildésigne Dieu tout spécialement comme son Père. La proclamation duciel au baptême et à la transfiguration, comme la déclarationrédemptrice de Jésus peuvent renfermer l'idée de la préexistence duChrist, mais seulement implicite (Mr 1:11 9:7 10:45). L'ensemblede ces passages montre d'abord la subordination au Père de Celui quile prie, qui ignore le jour et l'heure suprêmes (Mr 13:32), puisla conscience en Jésus d'une harmonie profonde entre la volonté duPère et la sienne (Mr 14:36), enfin la remise à Jésus par lePère du droit de juger au dernier jour (Mr 8:38 9:1). VoirJésus-Christ (noms et titres de). 3° Le Royaume de Dieu .Cette expression, qu'emploie Marc était la plus générale dans lelangage messianique juif. C'est le point de départ des appels deJean-Baptiste (Mr 1:15). Les conditions d'appartenance auRoyaume sont la conduite, l'état d'âme: repentance (Mr 1:4,15),renoncement (Mr 9:47 10:23 et suivants), humilité (Mr10:14 et suivant), amour pour Dieu et pour le prochain suivant lesommaire de la Loi (Mr 12:28,34). Mais le mystère du Royaumeimplique les souffrances, la résurrection et le triomphe glorieux duChrist; et il faut prévoir le temps nécessaire au développement duRoyaume (Mr 4:26-29,30-32). Certaines manifestations peuvent enêtre prochaines (Mr 9:1), et il peut traverser des crises commeen décrivent les tableaux eschatologiques (Mr 13), mais leSeigneur transporte aussi la perspective du Royaume de Dieu dans lagloire du ciel (Mr 14:25). Voir Royaume de Dieu. 4° Salut et jugement .Aussi, tout en affirmant certaines sanctions divines déjà dans la vieprésente, Jésus reporte-t-il nettement la vie éternelle au siècle àvenir (Mr 10:29 et suivant). Les conditions de l'acquisition dece salut, ce sont les relations personnelles avec lui-même: suivreavec lui la voie du sacrifice, n'avoir pas honte de lui dans le mondepervers (Mr 8:34-38), entretenir sous son influence larepentance et la foi qui obtient le pardon de Dieu (Mr 1:15 2:56:12); à cet égard, les malades guéris par Jésus grâce à leur foireprésentent le pécheur sauvé (Mr 5:34 10:52). La part duSeigneur dans le salut ne se borne point, du reste, aux appels et àl'exemple de Jésus de Nazareth: il faudra le don de sa propre vie enrançon, de son propre sang comme sacrifice de la nouvelle alliance;le cycle intégral de son oeuvre rédemptrice est: service, sacrifice,salut (Mr 10:45 14:24). Quant au jugement futur, il est indiquédans Marc par la certitude qu'un jour tout sera mis en lumière (Mr4:22), que le Fils de l'homme aura honte des infidèles (Mr8:38), que le péché non dominé mènera à la géhenne (Mr9:43,48), que chacun sera salé de feu (Mr 9:49), et que Dieufera périr les révoltés (Mr 12:9). On voit combien la valeur religieuse de tous ces élémentsdoctrinaux réside en ce qu'ils sont inséparables de la personne mêmede Jésus-Christ; c'est pourquoi ils constituent déjà un noyau fortimportant de la doctrine chrétienne. 2. L'INDEPENDANCE DOCTRINALE DE MARC.On est donc loin aujourd'hui des théories critiques qui naguèreconsidéraient Marc comme un ouvrage de théologie polémique soit àl'appui, soit à l'encontre du paulinisme. Même en se contentant d'ydéceler des idées tributaires de la pensée de saint Paul, on exagère,bien souvent l'influence du grand apôtre sur l'évangéliste. Lanécessité de la mort du Messie n'est point une conceptionspécifiquement paulinienne: ne suffit-il pas que Jésus l'aitaffirmée? (cf. Esa 53) Les condamnations par Jésus des pratiquesjuives dans Marc (Mr 2:23-3:6 7:1,23) restent sur le terrainpratique des discussions de cas précis, indépendamment de la théoriepaulinienne sur le régime de la Loi aboli par le régime de lafoi (Ga 3). La citation par Jésus de Esa 6:9 et suivant àpropos des paraboles et de l'incompréhension des foules (Mr 4:et suivant) ne se réduit point à la théorie paulinienne del'endurcissement d'Israël (Ro 9-11,11:8), car il y a loin de lasituation de fait devant laquelle se trouvait Jésus et qui devait lemener au Calvaire, au système de l'apôtre qui doit aboutir àl'évangélisation des païens. Qu'on voie plus simplement dans cepassage d'Esaïe l'expérience décevante de tout messager de Dieu parmiles hommes, et l'on comprendra pourquoi ce passage se trouve--sansportée théologique particulière--si souvent cité dans le N.T. (Mr4:11 8:18,Mt 13:14,Lu 8:10,Jn 12:40,Ac 28:28 et suivant, Ro11:8). On peut sans doute, à la rigueur, tirer argument, en faveurde la mission de Paul auprès des païens, de textes comme (Mr 7:27 9:3813:10). mais cela n'autorise nullement à y voir une apologieintentionnelle de l'apôtre. On peut relever l'analogie des formulesde Mr 11:5 et de Ga 4:4 (le temps accompli), ou de Mr14:36 et de Ga 4:6 (les seules mentions bibliques du terme: abba), ou de l'opposition de la chair et de l'esprit dans Mr14:38 et Ga 5:13 et suivant, Ro 8, etc.; mais cesrencontres occasionnelles de locutions religieuses déjà répanduescorrespondent en chaque cas à des situations différentes. Lesrapprochements les plus intéressants pourraient être celui de lamalédiction du figuier (Mr 11:12,20) avec la notion pauliniennede la malédiction de la Loi (Ro 7 etc.), ou celui de ladéchirure du voile du temple (Mr 15:38) avec ledeutéro-paulinisme de l'épître aux Hébreux (Heb 10:20); mais ils'agit alors de faits qui ont pu influer sur les doctrines, et non dedoctrines ayant pu créer les faits. La langue même de Marc estindépendante de celle de Paul; les termes comme les idées qu'ils onten commun appartenaient au patrimoine de la chrétienté primitive.L'influence de la pensée de Paul sur la doctrine dans Marc est donc àpeu près insignifiante. Une analogie avec Marc a déjà été signalée, à propos de l'analysede l'évangile, dans deux des premiers discours de Pierre (Ac1:21 et suivant Ac 10:37,43): de Pierre, précisément,informateur de Marc. En dehors de ces passages les résumés des discoursde Pierre rédigés par l'auteur des Actes diffèrent du contenu de laprédication du même Pierre d'après son interprète Marc: ceux desAct., dont la rédaction a subi, elle, à travers Luc, une indéniableinfluence paulinienne, sont des discussions scripturaires avec desJuifs (sauf justement la prédication chez Corneille), tandis qu'àRome Marc entendait Pierre parler en témoin devant des auditeurs enmajorité païens. Du reste, même dans les discours des 1 er et suivantchapitres des Ac on retrouverait quelques idées maîtresses de Marccomme celle du dessein divin relatif à la Passion (Ac 2:23), oucomme la conception de Jésus serviteur (le grec d' Ac 3:13,26dit même: enfant), Saint de Dieu (Ac 3:14, cf. Mr 12:4),pierre de l'angle (Ac 4:11, cf. Mr 12:10), etc. De toutesces comparaisons, la valeur religieuse comme la valeur historique denotre évangile ressort de plus en plus apparente et sensible.