MALACHIE

Dans nos Bibles françaises, Malachie est le dernier livre de l'A.T.,le dernier des douze petits Prophètes. Mais pour rétablir laperspective de l'histoire littéraire, il faut se souvenir que laBible hébraïque fait suivre le Canon des Prophètes du Canon desÉcrits, ce qui est un souvenir mieux conservé de la composition del'A.T, (voir Canon de l'A.T.). On peut diviser le livre de Malachie en deux parties principales:dans la première (Mal 1:2-2:16), le prophète se faitl'accusateur des prêtres et du peuple en stigmatisant les abuscommis; dans la seconde (Mal 2:17-4:6), le prophète annonce lavenue du Jour de l'Éternel.Contenu du livre. L'introduction (Mal 1:2-5) proclame l'amour de l'Éternel pourson peuple, et en donne pour preuve l'humiliation du peuple frère,Édom. Le prophète s'adresse à ceux qui offrent des victimes indignes deDieu (Mal 1:6,9); il vaudrait mieux qu'il n'y eût pasd'offrandes (Mal 1:10); parmi toutes les nations on offre àl'Éternel un sacrifice pur qui honore son nom (Mal 1:11); lesprêtres, complices des offrandes souillées, méprisent la part quileur revient (Mal 1:12,14). Le prophète est porteur d'unterrible message de condamnation contre les prêtresinfidèles (Mal 2:1,3); l'Éternel avait établi Lévi comme gardiende la Loi et dispensateur de l'enseignement religieux (Mal2:4,7); les prêtres actuels, corrompus, sont méprisés (Mal 2:8et suivant). Enfin le prophète dénonce un double crime commis par lesIsraélites: les mariages avec les femmes étrangères (Mal2:10,12), facilités par la répudiation abusive des femmesisraélites (Mal 2:13,16). L'annonce de la venue du Jour de l'Éternel (voir art.) est faitesous la forme d'une double polémique avec les croyants découragés.Croire que l'Éternel ne punit pas le mal est une impiété (Mal2:17). L'Éternel va envoyer son messager (son ange) pour préparer savenue (Mal 3:1). Le Jour de l'Éternel sera redoutable; ilapportera la purification des fils de Lévi (Mal 3:2) et lacondamnation des méchants de toute espèce (Mal 3:5). L'Éternelest fidèle et patient (Mal 3:6), il veut la conversion de sonpeuple (Mal 3:7). La fidélité du peuple à payer la dîme et àapporter les offrandes prescrites fera éclater la fidélité et labonté de l'Éternel (Mal 3:13,15). La superbe des méchants induitles croyants à douter de Dieu (Mal 3:13,15); mais devantl'Éternel est un «livre de souvenir» qui contient les noms desfidèles (Mal 3:16 et suivant) destinés à être protégés par lafaveur divine au Jour de l'Éternel (Mal 3:17 et suivant); lacolère de l'Éternel consumera les méchants (Mal 4:1), tandis quele soleil de justice éclairera les justes (Mal 4:2 et suivant). Le livre se termine par une exhortation à observer la Loi deMoïse (Mal 4:4) et l'annonce de la venue du prophète Élie avantl'irruption du Jour de l'Éternel (Mal 4:5 et suivant).Auteur. L'auteur du livre de Malachie demeure un inconnu pour nous; nous nepossédons aucun détail biographique nous permettant de le rattacher àun fait historique précis. Certains même pensent que le livre deMalachie est l'oeuvre d'un prophète anonyme, circonstance quin'enlèverait rien à la valeur religieuse de notre écrit! A l'appui decette opinion on allègue que le Targum indique Esdras comme auteur dulivre de Malachie, et que le nom Maleâki de Mal 1:1 auraitété emprunté à Mal 3:1 (où il est trad.: mon messager), pourdésigner le prophète anonyme par sa fonction d'envoyé de l'Éternel(cf. le terme de maleak =ange, ou envoyé, appliqué au prophèteAg 1:13). C'est ce que semblent avoir compris les LXX, quitraduisent Mal 1:1: «par l'organe de son ange» (maleâkô lupour Maleâki) ; seulement, quand les LXX donnent le titre dulivre, ils écrivent Malachias, ce qui est un nom propresignifiant «Ange (ou Envoyé) de Jéhovah». Le texte hébreu portepartout Maleâki, ce qui signifie «mon ange» ou «mon envoyé», etl'on doit sous-entendre que c'est Jéhovah qui envoie. Or, nous avonsprécisément un nom hébreu sous deux formes semblables à celles quinous occupent: la même personne est nommée Abija dans 2Ch 29:1et Abi dans 2Ro 18:2. Ainsi nous pouvons conclure que Maleâki de Mal 1:1 est bien un nom propre qui signifie «Ange(ou Envoyé) de Jéhovah». Mais cela ne lève pas le voile, et nous ne savons rien de lavocation ni de la vie du prophète, bien que ce nom figure dans latradition rabbinique parmi les membres de la Grande Synagogue, à côtéd'Aggée et de Zacharie. Étant donné le grand rôle que jouent au point de vue religieuxles noms symboliques dans la littérature prophétique, nous ne pouvonspas écarter l'idée que son nom (Ange ou Envoyé de Jéhovah) aurait eudans la vie intérieure du prophète l'importance d'une révélation sursa vocation et sur le message qui lui était confié.Date du livre. On en est réduit à chercher à quelle situation historique s'appliquele message du prophète. Mais il ne faut pas se dissimuler ce qu'il ya d'artificiel et d'arbitraire à faire dépendre trop étroitement lapensée et l'activité d'un prophète des idées et des besoins de sonépoque: l'Esprit souffle où il veut. Le gouverneur de Jérusalem est appelé pèkhâ (Mal 1:8);c'est le titre officiel du représentant du suzerain perse (Ag1:1,14 2:21,Ne 5:14,18 12:26). Nous sommes donc dans la période dela domination perse en Palestine (538-332 av. J.-C). Il ne semble pas que le retour de l'exil soit au premier plan del'horizon de Malachie. Pour prouver que l'Éternel aime Israël, leprophète n'en appelle pas à la restauration du peuple déporté, mais àla ruine d'Édom, le peuple frère (Mal 1:2,5). Cette ruine estprésentée comme définitive malgré les tentatives des Édomites derelever leur pays. C'est la situation qui est annoncée par leprophète Abdias, et il faut y voir sans doute le début des conquêtesarabes à partir du V e siècle avant J.-C.; Édom a dû subir un premierdésastre au moment où Malachie prophétise. On voit déjà l'importancede l'élément arabe en Palestine quand Néhémie doit lutter avecGuésem (Ne 2:19), bien que le premier témoignage positif del'établissement des arabes nabatéens à Pétra (voir ce mot) soit del'année 312 av. J.-C. (Diodore, XIX, 94). Nous connaissons par les livres d'Esdras et de Néhémie lasituation de la communauté israélite à Térusalem au milieu du V esiècle; il ne s'agit plus de bâtir le Temple, mais de relever lesmurailles et les maisons de la ville sainte. Il faut encoreréorganiser la communauté religieuse et le culte. Esdras et Néhémieauront à lutter contre les négligences du clergé et les abus desmariages avec les femmes étrangères. C'est aussi le point de vue deMalachie. On est généralement d'accord pour fixer la composition du livrede Malachie au milieu du V e siècle av. J.-C. Il nous semble que leprophète doit avoir appartenu à ces milieux fidèles qui n'ont jamaismanqué en Israël, fermement attachés à la Loi de Moïse. Tandis quedans l'exil Esdras et les scribes babyloniens maintenaient le cultede la Loi, il devait y avoir à Jérusalem des cercles pieux quescandalisaient les impiétés des habitants de la capitale. Malachienous a transmis la protestation de leur fidélité qui a permis lesuccès de la restauration d'Esdras-Néhémie en 444 av. J.-C,l'alliance solennelle racontée Ne 8:10.Valeur littéraire et religieuse. Le livre de Malachie est l'écho de la prédication orale du prophète.Malachie argumente avec ses contradicteurs, il énonce une objectionet la réfute dans la forme d'une discussion d'école. On sent quel'âge du scribe a commencé. Cela donne quelque lourdeur à son styleet ne permet qu'une série de courts développements encadrés de pointsd'interrogation. Ce n'est plus le souffle prophétique de la grandeépoque. Le livre de Malachie est un témoin intéressant pour la période dela restauration d'Esdras-Néhémie: il nous montre les tendancesprofondes qui vont se faire jour dans l'histoire du judaïsme. Malgréla terrible secousse de l'exil, l'orgueil du peuple juif n'est pasabattu: il se sent le peuple élu. Malachie fonde sur l'électiongratuite de Jacob et sur l'amour de l'Éternel que ne justifie aucunevertu particulière les obligations des Israélites vis-à-vis de Dieu.Mais le prophète doit reprocher âprement leurs infidélités à sescompatriotes; il est dans la ligne des prophètes antérieurs dont ilsemble résumer le message dans Mal 3:5, condamnation de ceux quine craignent pas l'Éternel et se laissent aller à la magie, auparjure, aux iniquités sociales. Malachie a surtout un grand souci de la pureté du culte.L'influence d'Ézéchiel a été profonde sur la piété exilique etpostexilique. Malachie annonce l'époque où les obligations rituelles vont passer au premier plande la piété israélite jusqu'à en faire un joug écrasant. Cependant untexte offre quelques difficultés d'interprétation. Malachie parled'un sacrifice universel qui honore l'Éternel (Mal 1:11). Lathéologie catholique salue dans le texte de Malachie la prophétie dela Messe, ce que nous ne pouvons accepter. Il faut remarquer que lacentralisation exclusive du culte à Jérusalem n'a jamais été réaliséeparfaitement. Nous savons que les Israélites ont eu avant l'exild'importantes colonies à l'étranger, et nous connaissons par lespapyrus d'Éléphantine le Temple de Yahou, dans lequel on offrait enEgypte des sacrifices à l'Éternel. Jer 44 nous a conservé lesouvenir de cette situation des Juifs de la Diaspora égyptienne.L'oracle de Esa 19:18-25 parle de cinq villes d'Egypte quiparleront la langue de Canaan, et auront un autel pour l'Éternel.Malachie devait connaître l'existence de ces communautés, etpeut-être y a-t-il dans ces paroles un écho atténué de la lutte entrele particularisme palestinien, jugé infidèle et corrompu, etl'universalisme des grands prophètes. Certains vont même jusqu'àpenser que Malachie ferait recueillir par l'Éternel le culte offertau Dieu du ciel. Il est certain qu'il y a eu dans la penséepostexilique un courant spiritualiste dont témoigne Esa 66:1,4;il faudra attendre Jésus pour le voir s'épanouir et triompher.L'ensemble du livre de Malachie ne permet pas d'aller jusque-là, etil vaut mieux penser que Mal 1:10 et suivant oppose le cultesouillé de Jérusalem au culte de la Diaspora dans les béttephillim =maisons de prière. Malachie reste fidèle à l'eschatologie prophétique dans lesdéveloppements qu'il consacre au Jour de l'Éternel. Ce qu'il apportede nouveau, c'est la notion du retour du prophète Élie; Jésus seréférera aux textes de Malachie quand il indiquera que Jean-Baptisteest l'Elie qui devait venir (Mt 11:14 17:11 et suivant, etc.).Le livre du souvenir (Mal 3:16) reparaîtra dans l'Apocalypse deJean. (Ap 20:12) La piété chrétienne salue enJésus-Christ (Lu 1:78) le Soleil de justice qui porte la santédans ses rayons. (Lu 4:2) J. R.