MAGIE

La magie est un ensemble de croyances et de pratiques dont lecaractère commun est de dépasser les effets et les causes qu'unesuccession régulière a conduit les hommes à considérer comme normaux.Elle suppose un certain surnaturel. Mais la conception du surnatureln'est pas primitive. Elle suppose l'admission de lois naturelles. Estsurnaturel ce qui est au-dessus de ces lois, se passe d'elles, oumême les viole. L'idée d'une nature aux lois fixes est tardive dansl'humanité. Le magique est sur le chemin du surnaturel. Il se réduitau début à l'extraordinaire, à ce qui est en dehors des conditionshabituelles. On a voulu définir la magie en fonction de la religion. MM.Hubert et Mauss (Esquisse d'une théorie de la magie, p. 19)distinguent régulièrement les deux phénomènes. Ils font remarquer queles rites magiques et les rites religieux sont accomplis par desagents différents. Quand le magicien est un prêtre, il a soin deprendre des attitudes qui ne sont pas normalement celles de safonction: il tourne le dos à l'autel, il fait avec la main gauche cequi devrait être fait avec la main droite, et ainsi de suite. Lacérémonie magique et la cérémonie religieuse ne se passent pas dansles mêmes lieux. Le magicien fuit le grand jour et le public; l'acteet l'acteur sont enveloppés de mystère. La conclusion de cetteanalyse est que le rite magique ne fait pas partie d'un culteorganisé. «Il est un rite privé, secret, et tendant, comme limite,vers le rite prohibé.» La magie, qui dans cette description a bienl'air d'être un phénomène anti-social, est identifiée avec lasorcellerie, ce qui est une grave erreur. Le magicien joue trèssouvent un rôle social admis, respecté, intentionnellementbienfaisant; par exemple lorsqu'il cherche à débarrasser quelqu'und'une, maladie, ou lorsque, publiquement, avec l'approbation de touteune peuplade et même à sa demande, il essaie de procurer la pluie. Lesorcier est un magicien qui agit dans des intentions égoïstes, soitpour lui, soit à la requête de gens qui sollicitent son interventionen vue d'un but illicite. C'est le cas de celui qui jette des mauvaissorts, qui pratique l'envoûtement, etc., etc. Tandis que lasorcellerie est toujours condamnée par une religion quelconque, il ya une magie qui ne répugne pas à la religion, qui peut s'allier àelle et qui, dans certains cas, va jusqu'à se confondre avec elle. En Afrique, les Bantous--et ils sont loin d'être uneexception--appellent d'un nom tout différent ces médecins empiristesqui essaient de guérir à l'aide d'opérations magiques, et la personnetrès méprisable de leurs sorciers. «On honore les premiers, dit MgrLe Roy, d'un titre honorifique qui veut dire: guérisseur,diagnostiqueur. On stigmatise les seconds du vocable malsonnantd'ensorceleurs, de rôdeurs de nuit, de maléficiers.» (La Religiondes Primitifs, p. 341). Voir Sorcellerie. Il serait faux de dire qu'il n'y a pour la magie aucune loi dansla nature. On en reconnaît au moins deux: la loi de similarité et laloi de sympathie, qu'il serait peut-être plus exact d'appeler avec lemissionnaire H.-A. Junod: la loi de communauté de vie et d'action. Lapremière peut se formuler ainsi: Le semblable produit lesemblable. «Le rat, écrit Eug. Casalis, est singulièrement agilepour éviter les projectiles qu'on lance sur lui. Le poil de ratcommuniquera cette agilité au guerrier qui saura s'en procurer.» (Les ba-Souto, p. 287). La seconde loi s'exprime ainsi: Leschoses qui ont été une fois unies conservent, même après leurséparation, des relations telles que ce qui est fait à l'une affectel'autre de la même façon. Cette loi explique ou doit expliquer,croit-on, que des corps étrangers l'un à l'autre, s'ils sont mis encontact, se communiquent, par une sorte de contagion, leurs vertusoccultes. Chez les Indiens de la Colombie britannique, par exemple,une flèche qui a blessé un homme doit être gardée, par les amis dublessé, loin du feu, jusqu'à la complète guérison de la blessure. Siune flèche ou un couteau encore ensanglanté était jeté dans le feu,le blessé verrait son état empirer. De là le soin qu'apportent lesnon-civilisés à ne pas laisser prendre, de peur du mauvais usagequ'on pourrait en faire, des parties d'eux-mêmes: cheveux, rognuresd'ongles, etc. L'ombre d'un homme est considérée comme faisant partiede lui. L'image du corps projetée dans un miroir ou reproduite surune photographie est encore si intimement liée à la personnereprésentée qu'elle est comme le prolongement de celle-ci et qu'enagissant sur elle on agit aussi sur la personne elle-même. Dans la pratique de la magie, certaines paroles prononcées jouentun rôle important. Des formules semblent ajouter quelque chose à laforce de la magie imitative ou de la magie sympathique. Si on regardede près ces formules, on s'aperçoit que leur influence ne rentre nidans la magie imitative, ni dans la magie sympathique. Il faut leurfaire une place à côté des deux premiers types de pratiques: unetroisième loi de la nature, pour tous les primitifs, c'est la forcepossédée par l'expression du désir ; incantations, malédictions,bénédictions paraissent être les trois formes principales, trèsapparentées d'ailleurs les unes aux autres, que prend ce troisièmegenre de magie. Il ne semble pas que tout ce qui se passe dans la magies'explique par ces trois lois. Les ethnologues contemporains yajoutent un pouvoir mystérieux, séparé, superposé aux autres, qui,pour les personnes croyant à la magie, est une force indéfinissableet permet, à leurs yeux, cette contrainte, cette action à distance,cette efficacité immédiate, perpétuelle caractéristique de la magie.Cette puissance qui prépare d'une certaine manière la notion dusurnaturel, on l'appelle le tnana, d'après un mot que l'onemprunte à la langue des indigènes mélanésiens. Le tnana, c'estce qui produit le résultat merveilleux sur lequel on compte. A la magie proprement dite se rattache, comme une annexe presqueconstante, la divination (voir ce mot). Celle-ci consiste en unensemble de procédés pour connaître ce qui est caché aux hommes; ilpeut s'agir, soit d'être fixé sur l'innocence ou la culpabilité d'unindividu accusé d'un crime, soit de savoir si tel événement tournerabien ou mal, et d'une façon générale ce que sera l'avenir. Elle seréduit parfois à la science des présages, c'est-à-dire àl'interprétation d'événements qui, isolés ou combinés, révèlent cequi échappe à la connaissance ordinaire. Elle se double alors laplupart du temps de croyances superstitieuses; mais ellesn'interviennent pas dans l'effet. La divination peut aussi consisteren des pratiques dont l'homme prend l'initiative: provoquer, parexemple, dans l'ordalie, les signes d'après lesquels il prononcera. Dans la première sorte de divination, on mettra: l'interprétationdu vol des oiseaux, l'examen des entrailles ou des viscères desvictimes sacrifiées, la lecture des osselets jetés. Dans la secondesorte de divination, on mettra toutes les épreuves qu'on a appeléesau Moyen âge les jugements de Dieu, et qui, primitivement, ontété des procédés purement magiques. La nécromancie ou évocation des morts est aussi un moyen de magie. Les pratiques de la magie n'ont pas été ignorées dans le peupled'Israël. On citera: l'évocation de Samuel par la devineressed'Endor (1Sa 28:7,25); la faveur accordée par le roi Manassé auxastrologues, augures, nécromanciens et devins (2Ro 21:6); lesanathèmes des prophètes sur ceux qui font évoquer les morts et lesconsultent (Esa 8:19,22,Jer 23:32 27:9), leur proscription de lamagie et des magiciens (Mic 5:11,Ex 22:18). La magie n'est pas condamnée par la Bible comme étantessentiellement fausse, mais comme risquant d'entraîner au culte dedivinités étrangères. II y a des traces de magie dans certainescérémonies de la religion israélite: la Pâque, par exemple, doit êtreconsommée avec des épices. Les rabbins, plus tard, diront que celarappelle les amères souffrances d'Israël en Egypte; type de cesexplications historiques qu'ils aimaient et où le sens primitif d'unusage n'était plus compris. «Les épices, dit Bertholet, ont dû êtreautrefois un moyen de préservation contre les démons; ainsi, dans lafête grecque des âmes, les esprits circulant tout autour, on mâchaitcertaines herbes pour les tenir à distance. C'est encore un usagemagique qui veut qu'aucun os de l'agneau pascal ne soit brisé. Ilsemblerait que cela ait eu pour but de protéger les autres animaux dutroupeau, peut-être aussi les convives, ou les uns comme les autres,pour qu'ils puissent rester sains et saufs d'une fête à l'autre.» (Hist. Civ. Isr., p. 384.) Il faut pourtant reconnaître avec lemême historien que «le terrain israélite en général ne se prêtait pasbien à la magie qui use de contrainte envers la divinité». Voir Divination, Mages, Revenant, Simon le magicien. BIBLIOGRAPHIE.--Consulter, en outre des volumes ci-dessus cités,les travaux suivants: Le P. Fréd. Bouvier, Religion et Magie, dans Recherches de Science Religieuse, 1912, n° 5, p. 393SS, et 1913,n° 2, p. 109SS. --F. Cumont, Les Relig. orient, dans lepaganisme romain, 1909, passim.--Ch. Clerc, Les théories relat.an culte des images chez les auteurs chrétiens du II e s. ap.J.-C, 1915, passim, et notamment pp. 635s.--Nous nous permettons derenvoyer également à nos deux livres: Psychologie de la Conversionchez les Peuples Non-Civilisés, 1925, t. I, ch. IX, X, et LeNon-Civilisé et Nous, 1927. R.A.