MAGES

Les mages ne figurent en nom qu'une seule fois dans la Bible, auchap. 2 de l'évangile selon saint Matthieu, où l'on montre quelques-unsd'entre eux, au moment de la naissance de Jésus, arrivant à Jérusalemet cherchant le roi des Juifs dont la naissance leur avait étéannoncée par une étoile en Orient (Mt 2). Cette expression«Orient», par son vague, a donné libre cours aux conjectures sur leurpatrie. On s'est efforcé de déterminer celle-ci par la nature desdons qu'ils ont offerts au nouveau-né: de l'or, de l'encens et de lamyrrhe. On a pensé parfois à l'Arabie, d'autres fois à la Perse,d'autres fois encore à l'Egypte. Certains commentateurs ont voulutrouver à ces dons surtout un sens symbolique religieux; on est alléjusqu'à supposer qu'il y avait eu là un secours providentiel qui fututile à la famille pauvre de Jésus dans son voyage en Egypte. La légende relative aux mages n'a pas cessé de s'enrichir dans lapremière Eglise. Comme les mages avaient offert trois espèces deprésents, on raconta qu'ils étaient au nombre de trois, qu'ilscorrespondaient, d'une part, aux trois personnes de la Trinité,d'autre part, aux trois races descendant des trois fils de Noé et auxtrois parties de l'ancien monde. Peu à peu, on en est venu à préciserau point de donner à chacun d'eux un nom: Balthasar, Melchior etGaspard. L'un d'eux, généralement Gaspard, représentait la racenègre. Plus tard, les mages deviennent des «princes», puis des«rois». Quand l'art des peintres s'est emparé de la légende, il l'aencore embellie: il les a montrés arrivant à Bethléhem suivis d'unefoule de courtisans, splendidement vêtus, montés sur des chameaux etdes chevaux, apportant avec eux de riches trésors, s'agenouillantdans leurs robes royales et adorant l'enfant couché dans la crèche etqui les bénit. On a raconté longtemps que leurs dépouilles étaientrestées à Sainte-Sophie de Constantinople, puis, au moins pendant untemps, c'est la ville de Milan qui a prétendu posséder les précieusesreliques. Finalement, on a représenté la cathédrale de Cologne commeconstruite au-dessus de leurs ossements et symbolisant, par lecaractère inachevé de sa beauté, ce qu'il y avait d'incomplet dans lapensée de ces païens venant adorer le Christ. Ce qu'il y a de plus certain dans les enrichissements successifsde la légende, c'est que l'Église chrétienne, dès ses débuts, avaitrompu complètement avec la croyance que Dieu ne s'était révélé qu'auseul peuple d'Israël, et elle a professé tout de suite que Dieu, enJésus-Christ, parlait à toute l'humanité. La mention de l'étoilemiraculeuse semble même indiquer que, selon la pensée des premierschrétiens, une révélation particulière avait été accordée aux magesde Caldée, ou que Dieu pouvait, pour les conduire à la vérité, seservir de leurs superstitions concernant les rapports entre telle outelle étoile et tel ou tel événement de l'histoire. Primitivement, lenom de «mages» désignait une tribu de la Médie, qui semble avoir étéconsacrée au service religieux médique. Ce mot ne paraît pasappartenir à l'ancien culte de Zoroastre et ne se trouve pas avec cesens dans le Zend-Avesta. D'abord désignation ethnique, le terme de«mages» est devenu peu à peu synonyme de «prêtres, sacrificateurs,devins», par suite de l'importance qu'avait acquise cette caste dansles fonctions sacerdotales. Les Perses les considéraient avec raisoncomme des étrangers, et Strabon montre le rôle que ces étrangersjouaient chez les Perses, en les comparant aux Caldéens quiexerçaient les fonctions sacrées chez les Assyriens. Ce sont cesCaldéens dont il est parlé dans le livre de Daniel (Da 1:4 2:2,etc.); comparer le Rab-Mag, ou chef des mages, de Jer 29:3,13 Ce n'est pas le lieu d'exposer, même en résumé, la religionancienne des Mèdes; on dira seulement que cette religion étaitarrivée à une forme stable et constituait un organisme défini: lesprêtres y jouaient un rôle important bien avant l'époque perse. Sousla dynastie des rois perses, il y eut une grave révolte des mages.L'un d'eux, Gaumatès, voulut se faire passer pour Smerdis, frère deCambyse, et s'empara frauduleusement du trône (522 av. J.-C). Darius,qui était perse, lutta contre l'usurpateur et le vainquit. Le succèsde Darius fut le triomphe des Perses sur les mages et par conséquentsur les Mèdes. Un massacre s'en était suivi, et, d'après Hérodote(III, 79), chaque année, au jour anniversaire de ce massacre, lesmages n'osaient parcourir les rues. A la cour des Achéménides, lesmages représentaient les traditions cultuelles, procédaient auxsacrifices, aux incantations, aux cérémonies divinatoires, etc. Ilsapparaissent comme sorciers ou magiciens plutôt que prêtresproprement dits; de là le sens restreint qui est resté attaché auterme de «mage» et à son dérivé «magie». Il est probable pourtant queleur religion ne s'est pas réduite aux pratiques superstitieusesnotées par Hérodote. Rien n'empêche de supposer que Zoroastre, leréformateur religieux, ait été un mage, car il semble bien avoir étéd'origine médique. Il y avait probablement des mages parmi les initiateurs de géniequi, de l'antique panthéon aryen, faisaient sortir, autour de lafigure d'Ahoura-Mazda, une doctrine qui s'avoisinait de plus en plusau monothéisme. Cela n'a pas été sans conséquence dans l'histoired'Israël. «Si les Juifs, a dit le Père Dhorme, furent soutenus etencouragés par les Perses, ce n'est pas seulement parce que lesPerses trouvaient leur propre intérêt dans cette attitude. C'est bienplutôt parce que les Juifs leur apparurent en possession d'unereligion éminemment supérieure, dont les caractères généraux aussibien que les tendances de l'heure se rapprochaient singulièrementplus de leur idéal religieux que les cultes grossiers de la Caldée,de l'Elam et de l'Egypte. Les Perses furent les premiers à profiterde ce qu'ils firent pour Israël, car ils ne furent pas englobés dansles anathèmes et les sarcasmes que les prophètes lancèrent à la têtedes Caldéens. Aux sombres récits de la captivité de Babylones'opposent, dans les livres sacrés, les explosions de joie quipressentirent et saluèrent l'accession de Cyrus au trône de Nabonideet de Belsatsar. La religion des Achéménides les prédisposait, nonseulement à témoigner aux fidèles de Jéhovah un sentiment detolérance, mais encore à user à leur égard d'un traitement defaveur.» (Rev. Bbl, 1913). Malgré les rancunes laissées par la tentative du faux Smerdis, lenom de «mage» fut peu à peu appliqué aux prêtres de la religionzoroastrienne et il se perpétua sous cette forme. De nos joursencore, les Arabes désignent les sectateurs de la religion mazdéennesous le titre: madjous. Le nom s'introduisit peu à peu en Caldée.Les nations étrangères à la Mésopotamie en vinrent à entendre par«mages» les représentants du sacerdoce caldéen. Le nom de «mage»devint alors synonyme rigoureux de «sorcier» et d' «enchanteur». Maisun grand nombre de mages de l'époque achéménide rendaientprobablement à Jéhovah un hommage qui annonçait à sa façon celui que,d'après la vieille tradition de l'Église primitive, d'autres magesont apporté au Christ naissant. R. A.