LUC (évangile de) 6.
VI Origine. Il ressort de tout ce qui précède que notre évangéliste n'étaitpas juif et n'écrivait pas pour des Juifs. Son destinataire porte unnom grec: Théophile (voir ce mot), personnage réel et non passymbolique, dont l'épithète officielle: excellent (voir ce mot)marque la haute position. L'auteur lui dédie son livre en deuxvolumes pour affermir son instruction chrétienne au moyen d'un exposédes faits objectif et indépendant, conçu par un esprit classique.Peut-être devait-il en même temps obtenir de son premier lecteur lepatronage pouvant en assurer la copie et la circulation. A travers Théophile l'évangile a donc pour destinataires despagano-chrétiens, ou chrétiens d'origine païenne. Voilà pourquoi n'y paraissent pas les mots hébreux de Marc: abba (Mr 14:36 parallèle Lu 22:42), hosanna (Mr 11:9 parallèle Lu 19:38), Golgotha (Mr 15:22 parallèle Lu 23:33);
ou bien ils sont traduits en grec: Cananite devient Zélote (Mr 3:18 parallèle Lu 6:15), rabbi devient maître (Lu 9:33 etc.)
La Judée désigne au sens large le pays des Juifs, la Palestine (Lu 1:5 etc.). L'épithète d'impur qualifie le terme de démon (Lu 4:33,etc.), parce que pour les Grecs il y avait de bons démons, au sensd'esprits (cf. le démon de Socrate); la tournure de Lu 9:29,pour décrire la transfiguration, évite le mot grec métamorphose du texte de Marc (Mr 9:2), qui était associé aux mythologiespaïennes (Ovide, etc.); le changement du «toit percé» (Mr 2:4)en «tuiles enlevées» (Lu 5:19) s'accommode à des lecteursoccidentaux ne connaissant guère les toits plats en terrasses. Tout en respectant l'autorité de la loi israélite(Lu 16:17), Luc ne garde pas les nombreux exemples que d'aprèsles Logia Jésus en avait cités et interprétés (comp. Mt 5:17parallèle Lu 6:27 et suivants). Ses citations de l'A.T, sont rares, presque toujours faites parJésus lui-même ou par des Juifs; et pourtant elles suivent latraduction grecque des LXX, l'A.T, hébreu ne devant pas êtreaccessible à notre évangéliste, de culture grecque. Dès lors, la tradition qui désigne en cet auteur, précisément, un Grec instruit, gagné au christianisme, compagnon del'apôtre Paul, ce compagnon étant le médecin Luc que nomme celui-cidans trois de ses épîtres, concorde avec bien des données del'ouvrage lui-même. Sans doute, la majorité des critiquesn'attribuent aujourd'hui à Luc que le récit de voyage des Actes écrità la 1 re personne du pluriel, et le distinguent ainsi de l'auteur àThéophile, qui aurait fait de ce récit la source principale de son 2e volume. Cette conclusion s'appuie surtout sur des différences depoints de vue entre les Actes et saint Paul, à propos desquelles onva jusqu'à dire qu'elle seule peut sauver la sincérité de Paul et deLuc (voir Actes des apôtres). Il nous semble encore permis, sans méconnaître la réalité dequelque divergence entre les conceptions générales de ces deuxauteurs, de la juger explicable et même naturelle, si d'une part ontient compte des conditions respectives du genre historique des Acteset du genre épistolaire de circonstance des épîtres (par ex. sur laquestion des voyages à Jérusalem d' Ac 11:30 15:1 etsuivants et de Ga 1:18 2:1,10), et si d'autre part on admetque Luc n'étant pas théologien comme le grand apôtre n'a pas saisidans toute leur portée les principes essentiels pour l'Égliseprimitive (par ex. sur les rites juifs et la liberté chrétienne):peut-être son coeur généreux et conciliant a-t-il inconsciemmentestompé certains des conflits dont les grandes épîtres nous donnentun écho frémissant, tandis que le but et le plan de son ouvragepouvaient le décider consciemment à ne pas accentuer sous les yeux depaïens récemment convertis des controverses probablement périméespour leurs milieux à l'époque où il écrivait. L'autorité de savantstels qu'Ad. Harnack, W. Ramsay, J. Hawkins, résolument favorables àla tradition sur Luc ami de Théophile, auteur de l'évangile et desActes, prouve bien, en regard des nombreux adversaires de cettetradition, que la solution du difficile problème divise à l'heureactuelle les spécialistes les plus éminents. L'époque de la rédaction de l'évangile--qui dut précéder dequelques années celle du livre des Actes--dépend d'abord de celle deMarc, sa première source, après laquelle il faut supposer unecertaine période pour l'évolution d'une vénération grandissante àl'égard des apôtres. Cette évolution nous a paru moins avancéepeut-être chez Luc que chez Matthieu; ayant donc admis entre Marc etMatthieu un intervalle de 10 à 15 ans, nous serons amené à uneévaluation analogue, plutôt un peu moindre, pour l'intervalle entreMarc et Luc, soit 8 à 12 ans, ce qui pourrait placer l'évangile entre72 et 75 environ; le livre des Actes aurait alors paru vers 80. Cette évaluation n'est guère affectée par la question de savoirsi l'apocalypse de Luc (ch. 21) fut écrite avant ou après l'événementqu'elle annonce, de la ruine de Jérusalem (en 70). C'est qu'il estdifficile de se prononcer avec objectivité en présence d'apparencescontradictoires: paraissent postérieures à cette ruine les précisionsdu verset 20, «Jérusalem investie par des armées», (cf. Lu19:43: «tes ennemis t'environneront de tranchées, t'investiront detoutes parts, te détruiront entièrement, etc.») qui remplacent commepar une description de quelque chose de vu le prophétique etmystérieux hébraïsme du parallèle «l'abomination de ladésolation» (Mr 13:14,Mt 24:13); mais paraît antérieure auxévénements la prédiction du verset 21, car en fait les chrétiensdevaient s'enfuir à Pella, dans une vallée, et non pas «dans lesmontagnes». Cette page eschatologique a du reste un. caractère siparticulier qu'elle a pu avoir une existence indépendante et circuleren subissant diverses retouches, avant d'être insérée successivementdans les trois synoptiques. Il faudrait d'ailleurs, pour traiter soustous ses aspects le problème de la date du 3 e évangile, tenir comptedes éléments du problème pour le livre des Actes (voir art.). L'incertitude de la date rend la question du lieu decomposition tout à fait insoluble. Si l'ouvrage en deux volumes étaiten rapport avec le procès de Paul, ce serait sans doute Rome. En cecas, la date devrait en être reportée en arrière, ce que rend fortimprobable le caractère secondaire de l'évangile. De toute manière,il est issu de milieux pagano-chrétiens.