III Composition. On l'a dit au parag. I, nous n'avons pas pour Luc comme pour Marc et Matthieule témoignage de Papias sur la façon dont fut composé cet évangile;mais nous avons mieux que cela, dans la préface de l'évangélistelui-même: «Plusieurs ayant entrepris d'écrire l'histoire des faitsaccomplis parmi nous,--tels que nous les ont transmis ceux qui en ontété dès le commencement les témoins oculaires et qui sont devenusministres de la Parole,--j'ai cru aussi, excellent Théophile, que jedevais te les écrire dans leur ordre, après m'être exactement informéde tout depuis l'origine, afin que tu reconnaisses la certitude desenseignements que tu as reçus» (Lu 1:1,4). Ainsi, un auteur queles croyants tiennent avec raison pour inspiré n'invoque pas desoudaines intuitions divines, mais une méthode d'information dans larecherche et la critique des témoignages, qui conditionne aujourd'huitoute oeuvre historique: il veut raconter exactement les faits, grâceaux documents qu'il a pris soin de réunir, de contrôler et declasser, dans le souci de la vérité. Il nous autorise donc, en nousprévenant qu'il s'est efforcé de puiser aux sources les meilleures, ànous demander ce que nous pouvons constater de certain ou supposer devraisemblable au sujet de ces sources mêmes. 1. LES SOURCES.La préface invoque à la fois des documents écrits: ceux des «divershistoriens des faits, témoins oculaires et prédicateurs qui les onttransmis dès le début» (verset 1 et suivant), et des confirmationsorales: celles des «informateurs» dont il a obtenu un témoignage«exact» (verset 3). Il n'en nomme aucun. Mais en ce qui concerne lesinformateurs possibles, la tradition sur Luc compagnon de Paul le met enrelations étroites non seulement avec l'apôtre des païens, qui du reste nepouvait affirmer en son propre nom sur le ministère de Jésus que cequ'il avait «lui-même reçu», (cf. 1Co 15:3 11:23) mais avecnombre de chrétiens capables de préciser leurs souvenirs personnels;ceux-ci pouvant d'ailleurs, comme aussi saint Paul, rapporterfidèlement de seconde main bien des témoignages oculaires souvententendus de la bouche de compagnons de Jésus. Les souvenirs deschrétiens venus de Jérusalem à Antioche, en particulier (Ac11:19 et suivants), même si Luc n'était pas originaire de la grandecité syrienne, ont pu lui parvenir par l'intermédiaire même de Paul.Durant la captivité de deux ans à Césarée, Luc qui s'y est trouvé aumoins un certain temps («nous»: Ac 27:1) a eu le loisir et lesmoyens de consulter en Palestine bien des témoins; sa qualité demédecin pouvait lui donner accès partout et de grandes facilités pourse renseigner. Il serait incroyable qu'il n'eût pas cherché àconnaître les survivants--après une trentaine d'années--del'incomparable histoire du Christ maintenant adoré comme le Seigneur.Au cours de ses voyages il a pu compléter ses recherches en maintescontrées de la Dispersion, où se trouvaient des chrétiens d'originepalestinienne, comme sans doute Rufus et d'autres (Ro 16:13). ACésarée même demeurait le diacre Philippe, ancien évangéliste de laSamarie (Ac 8:40), chez qui Luc avait été reçu avec Paul auretour du 3° voyage (Ac 21:8), et dont les quatre filles,prophétesses (verset 9), ne pouvaient qu'entretenir les souvenirssacrés du Seigneur. Luc a été, pendant le 2 e voyage, compagnon deSilas, «prophète de Jérusalem» (Ac 15:32). Il connaissait aussiJean Marc, avec qui il est cité dans les trois passages où saint Paulmentionne l'un ou l'autre (voir Luc, parag. 2) et qui pouvait setrouver à Rome en même temps que Luc, lors de la captivité del'apôtre; il aurait donc pu y entendre jusqu'à Pierre lui-même. La plupart des informations ainsi recueillies au cours des annéesauraient été surtout purement orales; mais lorsqu'il s'agit deprédication et plus encore d'enseignement régulier, la différences'atténue assez vite entre traditions orales bientôt stéréotypées parla répétition et notices écrites que recueille de préférence unauteur précisément soucieux de documentation, et qu'il peut mêmeobtenir de ses informateurs. Notre évangéliste a certainement utilisédes unes et des autres, mais la part la plus notable de sesinformations doit avoir consisté en écrits. Quand nous manquons determes de comparaison, nous ne pouvons préciser, et lesdéterminations hypothétiques de sources doivent être maintenues surle terrain d'une sage réserve (voir Évang, synopt., t. I, p. 400);mais les données du problème synoptique nous fournissent amplement,par la comparaison avec Marc et Matthieu, de quoi déterminer en une grandemesure les «deux sources» mises en oeuvre par Luc comme par Matthieu (voirart. sur Matthieu, parag. III). 1° L'EVANGILE DE MARC. Quand on compare Marc et Luc disposés en deux colonnes, on retrouve dansLuc presque toutes les péricopes de Marc (plus des 5/6); la plupart sontdes épisodes narratifs, avec un appoint relativement réduitd'éléments didactiques; et on les y retrouve presque toujours dans lemême ordre. Cette substance de Marc est évaluée aux 2/5 environ del'évangile de Luc. Si l'on distingue dans Marc une centaine de péricopes,il n'en manque guère dans Luc qu'une douzaine, dont quatre sontspéciales à Marc: 1° intervention de la famille de Jésus inquiète poursa raison (Mr 3:20), 2° parabole de la semence (Mr 4:26,29), 3° guérison d'un sourd-muet (Mr 7:32-36) 4° guérisons d'un aveugle (Mr 8:22,26), --les autres ayant été conservées par Matthieu: 5° martyre du Précurseur (Mr 6:17,29), 6° marche de Jésus sur les eaux et retour àGénézareth (Mr 6:45-56), 7° critique des traditions rituelles (Mr 7:1,23), 8° la Cananéenne (Mr 7:24,30), 9° seconde multiplication des pains (Mr 8:1,10), 10° question du divorce (Mr 10:1-12), 11° malédiction du figuier (Mr 11:12-14,20-25) 12° exhortation à veiller (Mr 13:33,37), 13° outrages des soldats (Mr 15:16,20). Onindiquera plus loin (parag. 2, 2°) divers motifs probables pour ces suppressions deLuc. La forte proportion qu'il conserve de Marc prouve que cet évangileest pour lui (comme pour Matthieu) une source historique de valeurprimordiale. 2° LES «LOGIA». La deuxième source de Luc serait-elleMatthieu? Plusieurs savants le pensent encore, mais c'est extrêmementimprobable. Il faudrait expliquer pourquoi le 3 e évangélisten'aurait pas conservé de Matthieu le récit de la visite des mages et tantd'affirmations évangéliques antijudaïsantes qui eussent été siprécieuses pour son point de vue universaliste et missionnaire, commela parabole des deux fils avec sa conclusion sensationnelle (Mt21:28 et suivants), la sentence prononcée par Jésus contre lesprêtres juifs, en conclusion de la parabole des vignerons: «LeRoyaume de Dieu vous sera ôté, et sera donné à une nation qui enproduira les fruits» (Mt 21:43), déclaration qui manquejustement à la version de cette parabole dans Luc. Et pourquoiaurait-il laissé passer et accentué, au lieu de chercher à les éviterou à en rendre compte, les différences si marquées, d'apparencequelquefois même contradictoire, entre les deux récits de la Nativitédans Matthieu (Mt 2:14 et suivant, fuite en Egypte) et dans Luc (Lu2:39, retour à Nazareth), les deux généalogies (Mt 1 et Lu3), les deux formes du discours soit sur la montagne (Mt 5:1s) soit dans la plaine ou sur le plateau (Lu 6:17 et suivants),les apparitions du Ressuscité en Galilée (Mt 28) ou àJérusalem? (Lu 24) Nous ne voyons pas comment Luc aurait pu seservir de Matthieu d'une façon si incomplète, et se présenter parfois d'unefaçon si incompatible avec lui. Or puisqu'il a tenu compte, d'aprèssa préface, des évangiles antérieurs, il faut en conclure qu'il nel'a pas connu; peut-être même l'a-t-il précédé (voir parag. VI). Mais si Matthieu n'a donc pas été une source de Luc, la secondesource de celui-ci se trouve pourtant bien dans Matthieu, ou mieux,derrière cet évangile: c'est l'ensemble des nombreux matériaux qu'ilsont en commun, généralement des instructions de Jésus, où l'on voitl'incorporation d'une partie des «Discours du Seigneur», ouvrageremontant à l'apôtre Matthieu. Comme il est dit ailleurs (Év. syn.,IV, 1, 2° B), l'utilisation des deux sources par Matthieu et par Lucse trahit dans le fait curieux de leurs doublets: les textesqu'ils reproduisent deux fois, dans des situations différentes. Laparole sur la lampe dans Lu 8:16 est empruntée à Marc (Mr4:21), celle de Lu 11:33 est parallèle à Mt 5:15; ladéclaration du verset suivant, sur les secrets qui serontdécouverts (Lu 8:17), vient de Mr 4:22, et celle de Lu12:2 rappelle Mt 10:26; l'exhortation à secouer la poussièredes pieds, dans l'envoi des Douze de Lu 9:5, vient de Mr6:11, et, dans l'envoi des Soixante-dix de Lu 10:11, répèteMt 10:14; bien des auteurs considèrent même toute la péricopedes Soixante-dix (Lu 10) comme un doublet de la mission desDouze de Mt 10. Quoi qu'il en soit, ces divers exemples, quipourraient être multipliés, sont des «témoins», pour Luc comme pourMatthieu, de l'emploi qu'ils ont fait l'un et l'autre à la fois del'évangile de Marc et du document des Discours. L'apport de ce document doit représenter le cinquième environ del'évangile de Luc: évaluation rendue possible par le caractèredidactique de ses morceaux qui les rend souvent reconnaissables etpar la comparaison entre Luc et Matthieu lorsqu'ils les ont en commun; ettoutefois évaluation approximative, car il est impossible, puisqu'onn'en connaît pas l'original, de le retrouver toujours à coup sûr, àtravers les affinités ou les disparates des textes, dans lesremaniements plus ou moins considérables qu'il a pu subir chez l'unet chez l'autre évangélistes. Ceux-ci, par surcroît, ont dû se servirchacun d'une édition différente des Logia: hypothèse presqueindispensable pour expliquer bon nombre des divergences que l'onconstate encore entre eux et le fait qu'ils n'ont pas toujoursconservé l'un et l'autre tous les enseignements de réelle importance.Matthieu dispose les sujets, à travers la trame historique de Marc, d'unemanière assez apparente, en blocs de discours encadrés de formulesconsacrées; Luc les répartit en entretiens plus dispersés, ou bienaccumulés en séries décousues interrompant alors la narration de Marc.Il suit de là que malgré la grande place accordée par Luc aux parolesdu Seigneur, il n'est pas l'évangile didactique par excellence: cecaractère appartient à Matthieu, grâce aux discours-programmes sur leRoyaume qui retentissent le long de son ouvrage; d'un autre côté,l'évangile des faits, c'est Marc, chez qui l'enseignement du Maître n'aqu'une part restreinte et secondaire; quant à Luc, en combinant avecplus de proportion et plus de variété ce que Jésus a fait et ce qu'ila dit, il reçoit ses principales caractéristiques des richesses qu'ilest le seul à révéler, dans sa II e partie, ce qui pose le problèmed'une ou de plusieurs sources nouvelles. 3° LE MINISTERE ITINERANT. Il s'agit des 10 chap (Lu 9:51-19 28). ouverts par le départ dela Galilée pour Jérusalem et l'entrée en Samarie, jalonnés de notessur la marche vers la capitale, et se terminant à ses portes (Lu9:51,57 10:38 13:22,33 14:25 17:11 18:31,35 19:1,11,28). Plus d'un auteur a considéré ce long passage comme un récit devoyage, source particulière de Luc caractérisée quant à la compositionpar ce cadre géographique, et quant au fond par la révélation de lagrâce de Dieu pour les pauvres et les pécheurs, qu'illustrentéloquemment certains de ses épisodes et surtout ses paraboles. Maisni l'un ni l'autre de ces points de vue, géographique ou religieux,n'impliquent ici un document primitif homogène; cette hypothèseaurait contre elle, comme on l'a dit ailleurs (voir Év. syn., IV, 2,2°, B), le parallélisme d'importantes péricopes avec Matthieu, sans douteemprunts communs aux Logia (Lu 9:57-60 10:1,24 11 12:1-12,22-5913:18-35 14:15-35 15:3-7 16:10,18 17:1-10,20-37) et aussi dequelques éléments avec Marc (Lu 11:17,23 12:1 13:18 17:118:15-43). D'ailleurs, le ton d'incontestable sympathie à l'égard desdédaignés de ce monde n'est pas particulier à cette 2 e section: ildonne son timbre à tout l'évangile (voir parag. IV). Quant au cadregéographique, il se montre décevant à l'examen: ni les faits ni lesenseignements ne sont presque jamais rattachés à des lieux précis nimême à des régions (voy. le vague des indications dans Lu 10:1-3811:1 13:10,22,31 etc.). il est impossible de relever un itinérairequelconque, les jalons apparents du voyage supposé ramènent parfoisle lecteur en arrière (ex.: Lu 9:52, Jésus entre en Samarie;mais, huit chap, plus loin, Lu 17:11, il se trouve encore «surles confins de la Samarie et de la Galilée»); l'ambiance même desrécits évoque tantôt la Galilée centrale (Lu 10:13) etsuivant, tantôt la basse Judée près de Jérico (Lu 10:30 18:35et suivants), tantôt la Judée et Jérusalem (Lu 13:1-4,6-9),tantôt les alentours du temple (Lu 11:45,54 17:20-37, cf. lesparallèle de Matthieu, en effet situés au temple). Les péricopes sont rarement enchaînées l'une à l'autre comme lesscènes d'une narration primitive identique. Ce n'est point là letableau d'un voyage continu, mais une énumération de déplacementsirréguliers au cours d'un ministère itinérant. Il n'est même pas sûrque Jésus et ses disciples y doivent être supposés constamment «enchemin». Sous cette multiplicité épisodique semble se perdre parmoment le fil de l'histoire, devenu moins perceptible quand Luc n'aplus Marc pour guide. C'est pourquoi l'on tend à voir aujourd'hui danscette division maîtresse de l'évangile la succession desrenseignements, fort importants pour la plupart, qui manquaient depoints de repère chronologiques ou topographiques; Luc les aurarépartis pour le mieux, en intercalant de temps à autre les brèvesannonces de la prochaine arrivée à Jérusalem. Comme les instructionsde Jésus qu'il y a reproduites, aussi bien que les incidents de sonministère, mettent souvent en relief le salut des pécheurs par lagrâce de Dieu--et ceci, tout particulièrement dans les émouvantesparaboles par lui seul conservées--, on est fondé à parler ici, avecAug. Sabatier, d'un «évangile de Jésus missionnaire»; et un compagnonde voyage de l'apôtre des païens n'aura guère pu l'écrire sans pensercontinuellement au ministère du missionnaire saint Paul,--d'ailleursbien différent mais animé de la même inspiration largement humaine.Il est même légitime de supposer que là pourraient se trouver,notamment dans les mentions de la Samarie et des Samaritains,certaines des informations orales dont nous avons plus haut reconnula vraisemblance, fournies à Luc par le diacre Philippe, l'ancienévangéliste de cette province. 4° L'EVANGILE DE L'ENFANCE. Nous avons essayé decaractériser ailleurs la source sans doute écrite, d'originehébraïque et judéenne, qu'on pressent à travers les chap, 1 et 2 deLuc, conçus presque exclusivement du point de vue de Marie, ettotalement différents à cet égard comme à d'autres des chap. 1 et 2de Matthieu (Évang, synopt., IV, 2, 2e, A). On remarque son accentisraélite mais fortement piétiste, issu de la ferveur messianiste deshumbles qui «craignaient Dieu». La forme quasi liturgique et lescitations scripturaires de leurs cantiques, leur utilisationsubséquente dans le culte chrétien ne compromettent nullement à nosyeux leur vraisemblance; il faut seulement admettre une part du stylepersonnel du rédacteur hébreu de la source et peut-être del'évangéliste grec, quoique Luc ait très fidèlement respecté tout lelong de ces 2 chapitres les idées et les termes de l'A.T., quiconstituait l'unique culture des humbles croyants d'Israël. Enfin lesoppositions statuées par bien des critiques entre les faitsmiraculeux de la naissance de Jésus et la résistance des sienspendant son ministère ne nous paraissent pas inexplicables: cessouvenirs extraordinaires ne pouvaient qu'inciter la famille àattendre--comme tant de Juifs que Jésus a déçus--un glorieux Messie,à l'oeuvre royale toute tissée de merveilleux. Il faut d'ailleursreconnaître dans les traditions de ces pages intimes et poétiques,qui demeurèrent longtemps dans le domaine privé, un genre detémoignages moins rigoureusement contrôlable que la narrationhistorique du ministère public dont se nourrirent de bonne heure laprédication apostolique et l'édification des fidèles. Notons que la généalogie de Jésus (voir art.), différente decelle que Matthieu donne en tête de son évangile de l'enfance (Mt 1:1 etsuivants), est transportée par Luc hors de ses pages préliminaires, aumoment où le ministère de Jésus entre positivement dansl'histoire (Lu 3:23 et suivant). 5° AUTRES SOURCES. Arrivés à ce point, les critiquesles plus disposés aux distinctions de sources reconnaissent combienil est délicat de vouloir préciser les diverses provenances desautres éléments de Luc. Dans un ouvrage expressément composé surdocumentation méthodique, quoi d'étonnant si nous ne pouvonsidentifier, de beaucoup, toutes ses informations écrites, lesquellesdu reste peuvent avoir été simplement orales? Ainsi, lesressemblances propres à Luc entre son récit de la sainte Cène et celuide Paul (Lu 22:19 et suivants, 1Co 11:23 et suivant) ontfait supposer que l'évangéliste aurait connu pour la Passion unesource apparentée à la pensée de l'apôtre; cette hypothèse,défendable si l'évangéliste doit être considéré comme notablementpostérieur à saint Paul, est inutile si l'évangile est bien l'oeuvremême de son compagnon, auditeur et témoin de sa parole et de sonactivité. Plusieurs détails précis spéciaux à Luc sur le milieud'Hérode Antipas (Lu 8:3 13:31 23:7-12,Ac 13:1) peuvent luiavoir été donnés par quelqu'un de la cour du tétrarque: mais alors,de vive voix, car ces indications sont trop brèves pour justifier del'existence d'un document écrit; et il serait bien étrange que,possédant un tel document, Luc fût le seul des synoptiques à ne pasraconter la fin tragique du captif d'Hérode (Mr 6:14-29parallèle Mt 14:1-12,Lu 3:19 et suivant). Il fautnaturellement admettre, dans la contribution personnelle del'évangéliste, tous les matériaux recueillis qu'il a tenus pourvérifiés et, avec eux, les éléments imputables à son propre travailde rédaction (raccords, notices, mises en scène) ou bien à sestendances particulières de rédacteur. On trouvera plus loin (II, 2,3°) l'énumération des plus notables éléments ajoutés ainsi auxdonnées de ses sources principales. 2. LA DISPOSITION.En partant du fait que Luc (comme Matthieu de son côté) combine Marc et lesLogia, ainsi que d'autres sources, il est fort instructif de comparer(1) avec Marc sa première source principale, (2) avec Matthieu,combinaison différente du même Marc avec les Logia leur deuxième sourceprincipale commune: on entrevoit ainsi--par les modifications que Lufait subir à Marc, et par les différences entre Matthieu et Luc les deuxcombinaisons indépendantes l'une de l'autre--d'abord leurs habitudesde rédaction, puis leurs points de vue généraux, d'où découlent leurscaractères dominants. 1° DEPLACEMENTS.On l'a vu par l'analyse du plan, Luc suit de près l'ordre de Marc.Alors que Matthieu le rompt parfois singulièrement, en y apportant dunouveau, pour rapprocher des éléments similaires, les disposersymétriquement, et même suivant des procédés de numération assezartificiels (voir Matthieu [évangile de], III, 2), au contraire lesrares cas où Luc s'en sépare ouvrent comme des parenthèses n'endisloquant guère la charpente maîtresse. Les déplacements dansMatthieu affectent surtout la première partie, où Luc reste plusproche de Marc; dans la seconde, Luc apporte de nombreusesadjonctions, qui ne provoquent guère d'interversions dans la trame deMarc. Il semble que Luc, lorsqu'il a manqué de repères historiquespour ses informations dispersées et souvent épisodiques, aitjuxtaposé des éléments plus ou moins analogues, ou même simplementceux que, en dehors de toute analogie, il ne savait où situer. C'estpourquoi, malgré son intention de principe de suivre l'ordre desfaits, la réalisation de ce principe paraît quelquefois moinsprobable que l'ordre de Marc: comme Matthieu, Luc était plus éloignéque Marc des témoignages directs sur la vie de Jésus. Mais sonprogramme de contrôle et de confirmation des traditions évangéliquestendait à l'en rapprocher autant qu'il était possible à sagénération, tandis que Matthieu, en se proposant de présentersystématiquement la doctrine du Seigneur, attachait moinsd'importance à l'enchaînement des faits. La transposition la plus intéressante chez Luc est celle de laprédication à Nazareth, qu'il place à l'entrée du ministère enGalilée, anticipant ainsi sur Marc (Lu 4:16,30 parallèle Mr6:1,6): l'anticipation est prouvée par l'allusion du verset 23 àl'activité déjà exercée à Capernaüm, alors que Luc ne l'aborderaqu'ensuite (verset 31 et suivant). Son intention semble avoir étéd'ouvrir chacune des trois divisions de l'évangile par une entrée enscène de Jésus se heurtant immédiatement à un mauvais accueil, icid'abord en Galilée, puis en Samarie (Lu 9:52 et suivants), etenfin à Jérusalem (Lu 19:41 et suivants). Cette conceptiontémoigne en tout cas du sens dramatique de l'écrivain; elle peutaussi représenter la philosophie de l'histoire d'un disciple de saintPaul, qui marque le rejet par son peuple de Celui qui venait exaucerles prophètes, (cf. Lu 4:17,21) mais que les païens étaientprêts à recevoir, (cf. Lu 4:25,27) et que la résistance desJuifs ne devait pas arrêter dans son oeuvre rédemptrice. (cf.Lu 4:28,30) --Une deuxième modification d'une certaine importance chezLuc est sa version de la vocation des «pêcheurs d'hommes» (cf. Mr1:16-20) en conclusion de la pêche miraculeuse (Lu 5:1,11);encore ici, une scène dramatique et symbolique à la fois. --D'autres déplacements d'épisodes peuvent mieux s'expliquer parle fait que Luc suivrait une autre source: par exemple, la discussionsur Béel-Zébul est transportée de Lu 6:16 (où l'aurait placée leparallèle Mr 3:19) à Lu 11:4-22 qui renferme des élémentsnouveaux; la réponse de Jésus sur sa vraie famille est transportée dumême contexte (parallèle Mr 3:31-35) à Lu 8:19-21. Parailleurs Luc a dû ranger dans une même enclave certaines sériesd'adjonctions, pour éviter de trop morceler Marc: telle la successionde Lu 6:20-8:3, qu'il savait avoir à placer au cours duministère en Galilée, et quelques-unes au cours des chap. 9-18. Quant à son plan général, il ne peut y avoir aucun doute surl'intention de l'évangéliste de commencer une nouvelle division avecLu 9:51. La déclaration particulièrement solennelle de ce versetannonce le voyage vers Jérusalem, qui correspond à la deuxième partiede Marc (Mr 8:27-10:52) ou de Matthieu (Mt 16:13-20:34); maischez ceux-ci cette deuxième partie était déclenchée par l'entretienvoisin de Césarée, pivot central où s'accusaient les intentionspédagogiques du Maître des Douze et la perspective désormais tragiquede la croix inévitable, ce qui permettait d'intituler la divisionnouvelle: «ministère auprès des Douze, de Galilée en Judée». En fait,Luc conserve sa place et son importance à ce pivot central, mais fortprobablement il a retardé la coupure entre les deux parties afind'ouvrir sa deuxième division comme la première par un tableau derésistance à Jésus (Lu 9:52 et suivants). De plus, la forteproportion dans cette deuxième partie de Luc d'apports nouveaux d'uneportée profonde quant à la prédication du salut en général, rendramoins apparente, fondue en 10 chapitres au lieu des 2 1/2 de Marc etdes 4 1/2 de Matthieu, l'oeuvre d'éducation des Douze par le Seigneur.Voilà pourquoi il a mieux valu simplement intituler cette partie:«ministère itinérant». La troisième division de Luc rejoint le parallélisme avec Marc, nonsans quelques modifications de détail. L'annonce de la trahison y esttransportée après l'institution de la Cène, l'avertissement à Pierreavant le départ de la chambre haute, son reniement avant l'uniqueséance du Sanhédrin que Luc rapporte au lieu des deux de Marc etMatthieu (Lu 22). 2° ABREVIATIONS.Luc ayant donc à se réserver une place considérable pour insérer dansla narration de Marc les développements fort étendus qu'il tenait deses autres sources, pratique couramment des abréviations et dessuppressions, comme l'a fait aussi Matthieu pour le même motif; mais chacund'eux procède suivant sa tournure d'esprit et son but particuliers. 1. Le style sobre et concis de Luc fait volontiersdisparaître ce qui lui semble inutile dans la phrase abondante etfacilement prolixe de Marc. Lorsque celui-ci s'exprime à la façonhébraïque, en deux locutions équivalentes, il arrive souvent qu'uneseule soit conservée.Exemples: