Le troisième dans la plupart des anciennes collections d'évangilescomme dans l'ordre actuel des livres du N.T.; dans l'ordrechronologique, il est en tout cas postérieur à Marc peut-être aussi àMatthieu (voir Évangiles synoptiques, introduction générale aux articlesparticuliers sur chacun de ces évangiles).I Témoignages de la tradition. 1. L'AUTEUR.Si notre évangile est anonyme comme les trois autres, en ce sens quel'auteur ne s'y nomme pas, pourtant il s'introduit dans sa préface,très nettement mais une fois pour toutes, en parlant de lui-même à la1 re personne du singulier pour définir le but qu'il s'est assignédans son ouvrage: «j'ai cru bon, moi aussi...» (Lu 1:3); et ilintroduit le premier lecteur auquel il le destine par la 2 e personnedu singulier et par le nom même de ce personnage: «...t'exposer,excellent Théophile..., afin que tu reconnaisses...» (Lu 1:3 etsuivant). Or un autre livre du N.T., celui des Actes des apôtres,commencera de la même manière: «Dans mon premier livre, ô Théophile,j'ai parlé...» (Ac 1:1); et cette 1 re personne du singulier,ici encore employée une seule fois, se prolongera au cours du récitdans plusieurs apparitions de la 1re personne du pluriel, quidésigneront explicitement l'auteur comme témoin oculaire des scènesqu'il raconte: «Nous cherchâmes à partir...» (Ac 16:10), etc. D'où deux constatations, connexes et capitales, (a) Cet emploi du «je», en nous ouvrant un jour surles intentions et la méthode de l'auteur, et cet emploi du «nous», ennous renseignant sur certaines périodes de sa vie, constituent unphénomène littéraire remarquable, qui unit plus étroitement que dansles trois autres cas l'évangéliste à son évangile, (b) Le 3e évangile et le livre des Actes ont lemême auteur: ils sont dédiés au même Théophile, et le deuxième luiest explicitement présenté comme la suite d'un ouvrage en deuxparties (Lu 1:1,4,Ac 1:1); ils ont même style, même vocabulaire,même genre narratif et descriptif, même inspiration générale, mêmemode de composition. Les témoignages anciens au sujet de l'un desdeux portent donc implicitement sur l'autre, soit qu'ils nommentl'auteur de l'évangile, soit qu'ils nomment l'auteur des Actes, soità plus forte raison qu'ils nomment l'auteur des deux volumes. Nous ne pouvons remonter pour Luc, comme pour Marc et Matthieu,jusqu'au témoignage de Papias, dont l'ouvrage ne nous a été conservéque par fragments, dans les citations d'Eusèbe. Le contemporain dePapias, Justin Martyr (avant 150 ou même 140), parlant de la sueur desang, mentionnée par Luc seul (Lu 22:44), donne pour référence«les mémoires soit des apôtres, soit de ceux qui les accompagnèrent» (Dial., III, 8): attribuant ainsi deux évangiles à des apôtres etles deux autres à des disciples, il envisage comme un disciplel'auteur du passage auquel il fait allusion, puisque celui-ci ne setrouve pas dans les écrits des deux apôtres, Matthieu ou Jean. --Aucun texte aujourd'hui connu ne donne avant Irénée (vers 180)le nom de l'auteur soit du 3° évangile, soit du livre des Actes. Cesilence n'implique en soi rien de défavorable à la traditionsubséquente; il doit être purement accidentel. Le cas est le mêmepour des livres aussi peu contestés que les épîtres de saint Paul auxGalates et aux Romains, que les Pères de l'Église avaient pourtantplus d'occasions de citer, et qui furent connues publiquement dèsleur apparition dans les grandes Églises destinataires, alors que Lucparut d'abord sous un patronage privé. Le témoignage d'Irénée,représentant de l'Asie mineure, de Rome et de la Gaule, attribueouvertement à Luc, compagnon de Paul, la rédaction de l'évangileprêché par celui-ci; il énumère toute une série de traits qui luisont propres et les assigne explicitement à Luc, observant que ceuxqui récuseraient l'autorité de ce dernier rejetteraient bien deséléments essentiels de l'Évangile qu'ils professent, l'histoire deZacharie et de Jean, la visite de l'ange à Marie, etc. (Adv.Hoer., III, 14:3 10:1, etc.). Par cette remarque, il ne supposenullement la possibilité d'attribuer l'évangile à un autre que Luc;il combat seulement les doutes relatifs à l'autorité de cetévangéliste. --A la même époque, à Rome, le catalogue appelé canon deMuratori, en quelques phrases dont certains détails peuvent prêter àdiscussion, mais dont le sens général est très clair, nomme deux foisLuc, comme disciple de Paul et comme auteur du 3 e évangile et desActes, et met en oeuvre assez librement les données de leurs deuxpréambules et de Col 4:14, passage auquel il se réfèreexpressément à propos du «médecin». --Vers 200, Clément d'Alexandrie, qui avait reçu les traditionsapostoliques de maîtres venus de Palestine, d'Assyrie, de Grèce etd'Egypte, fait aussi remonter avec précision l'évangile à Luc (Strom., I, 21). --Tertullien (190-220), de l'Église d'Afrique, le cite tout aulong contre Marcion, en tant qu'évangile de Luc; il observe: «parmiles apôtres, Jean et Matthieu nous inspirent la foi; parmi les aidesapostoliques, Luc et Marc l'affermissent»; il signale l'opinioncourante de son temps qui rattache Luc à Paul et Marc à Pierre; ildéclare que dans toutes les Églises chrétiennes, fondées ou non parles apôtres, cet évangile a été admis sans opposition dès qu'il aparu (Adv. Marc, IV, 2:5). --Origène (avant 250), cité par Eusèbe (H.E., VI, 25), dit:«En troisième lieu l'évangile selon Luc, cité par Paul avecapprobation», allusion à 2Co 8:18 et suivant, qu'ilappliquait à Luc (voir ce mot, parag. 4) et à l'expression del'apôtre: «mon Évangile». --Eusèbe (Ro 2:16 etc.) de Césarée (après 300) le confirme:«On dit que Paul parle de l'évangile selon Luc lorsqu'il écrit: monévangile» (H.E., III, 4). --Jérôme (fin du IV e siècle) rapporte à «quelques-uns» la mêmeinterprétation (De Vir. M., 7). Inutile de poursuivre plus loin la série des témoignages: la voixdes huit premiers siècles, dans toute la chrétienté, y compris uncertain nombre de prologues de vieux manuscrits, dont quelques-unsdoivent être fort anciens (voir Lagrange, Luc, pp. XIIIss),désigne unanimement Luc. Il ne s'agit pas de vues particulières à cesdivers témoins, mais d'une conviction générale, incontestée, et quepersonne n'ignore dans l'Église. 2. LA NOTORIETE DE L'EVANGILE.Si donc le nom de l'auteur n'est pas, à notre connaissance, prononcéplus tôt que 180 dans les anciens écrits, en revanche nous avonsmaintes preuves que longtemps avant cette époque l'évangile étaitconnu, répandu, utilisé dans tous les grands centres chrétiens. Déjàla plupart des témoins précités qui l'attribuent à Luc l'invoquentcouramment comme une autorité décisive: Clément d'Alexandrie en faitde fréquentes citations, empruntées à toutes les parties du livre;Irénée plus encore, qui en cite à peu près tous les chapitres, etplus spécialement ceux qui sont presque entièrement particuliers àLuc (Lu 2,Lu 9-19,Lu 24 etc.); Tertullien ne se borne pas à leciter: il construit sur l'ensemble de cet évangile, du chap. 4jusqu'à la fin, son traité contre l'hérétique Marcion. --Celui-ci fournit en faveur de Luc un témoignage involontaire, etplus ancien, par «l'évangile du Seigneur» qu'il introduisit (vers145) dans son N.T. personnel à sa communauté. Cet évangile de Marcionn'était en aucune façon un écrit original qui, modifié et augmentépar la suite, serait devenu le 3° évangile canonique, comme l'asoutenu depuis Albert Ritschl toute une école critique au XIX°siècle; cette thèse est complètement abandonnée aujourd'hui: ilressort de l'examen des autres livres du N.T. marcionite (épîtres dePaul tendancieusement remaniées, etc.), comme de la comparaison entreLu et les morceaux actuellement connus de l'évangile en question, quecelui-ci est au contraire, sans nul doute possible, le résultat desremaniements et des mutilations de tendance opérés par Marcion surl'évangile même de Luc. L'autorité du 3 e évangile se rehausse ainsi,d'abord de sa priorité sur Marcion, puis de l'emploi qu'en fit cethéologien en l'expurgeant pour les besoins de son gnosticisme. --D'autres gnostiques: Basilide, Valentin, Héra-cléon (125-180),ont fait aussi quelque usage de Luc; le dernier des trois en a mêmeécrit un commentaire. --Le païen Celse (après 160), adversaire militant de l'Évangile,le connaissait également, car il parle (d'après Origène, Cont.Cels., 2:32) de la généalogie de Jésus remontant à Adam (cf. Lu2:23) --La composition même par Tatien (vers 175) du Diatessaron, harmonie de nos 4 évangiles canoniques (voirÉvangiles, harmonie des), établit la valeur alors reconnue à Luc commeaux trois autres. --Le maître de Tatien, mentionné plus haut, Justin Martyr (vers150), cite bien des traits propres à Lu: Elisabeth, l'ange Gabriel,le recensement, etc. --Le Testament des XII Patriarches (voir Apocalypses), ouvragejudéo-chrétien (av. 135), a de nombreuses rencontres d'idées etd'expressions avec le 3 e évangile. --On croit encore pouvoir en relever de fréquentes citationsprobables dans la Didachè ou Doctrine des Apôtres (100-120); letitre même de cet antique document chrétien pourrait bien êtreemprunté à Lu: «Ils persévéraient dans la doctrine desapôtres».--En (Ac 2:42) remontant plus haut, il est permis desupposer aussi des allusions chez les Pères apostoliques: Polycarped'Éphèse, Ignace d'Antioche, Clément de Rome (vers l'an 100); mais onne peut plus reconnaître à coup sûr si ces allusions renvoientexclusivement à Luc plutôt qu'à Matthieu, ou qu'à une harmoniesynoptique, ou qu'à une autre source, ou même qu'à la traditionorale. Toutefois il semble bien que ces trois derniers auteurs citentles Actes, ce qui suppose par contre-coup l'usage de l'évangile deLuc dès la fin du I er siècle, dans quelques-unes des plusimportantes régions, fort éloignées les unes des autres, où lechristianisme s'était développé autour des plus puissantes Églises.