La conviction que Jésus était le Christ annoncé par les prophètes,conviction commune à tous les auteurs du N.T. comme à tout lechristianisme primitif, présupposait l'autorité des écritsprophétiques de l'A.T. Or, cette autorité reposait sur la certitudede l'inspiration divine de tout l'A.T. Comme pour le judaïsme, d'oùil était issu, l'inspiration divine du Pentateuque et celle de la loimosaïque ne pouvaient donc faire aucun doute pour le christianismedes premiers temps. Ce n'est qu'au II e siècle que quelquesgnostiques chrétiens, surtout Marcion, ont opposé le christianisme àl'A.T., sans être d'ailleurs suivis dans cette voie par l'Église. Les premiers chrétiens considéraient l'A.T, essentiellement commel'Écriture sainte qui avait annoncé la venue de Jésus, le Christ. Or,à cette interprétation messianique, les livres prophétiques et mêmecertains récits du Pentateuque, grâce à l'exégèse allégorique, seprêtaient bien mieux que les lois contenues dans les 5 livres deMoïse. Tout au plus certaines institutions préconisées par ces lois,par exemple la circoncision ou le culte du temple, pouvaient-ellesêtre interprétées comme des allégories visant l'oeuvre du Christ, etle N.T. contient en effet certaines exégèses de ce genre. L'apôtrePaul a même réussi à trouver dans la loi des preuves de son abolitionpar Jésus. Mais, en général, il fallait laisser aux prescriptions dela loi leur signification d'ordonnances divines. Le christianisme voulait d'ailleurs être lui-même une religion del'obéissance à Dieu. Comme l'A.T. Il insistait sur l'idée de lajustice de Dieu, et non seulement des auteurs du N.T. favorables à lareligion de la loi, comme Jacques ou l'auteur de l'Apoc, mais mêmePaul, affirment souvent que chacun sera traité par Dieu selon sesoeuvres (voir par ex. Ro 2:5,7 12:19). D'autre part, tous leschrétiens étaient d'accord pour voir en Jésus non seulement le Messieprésomptif qui bientôt viendrait établir le règne de Dieu sur terre,mais aussi le Sauveur, dont la personne et l'activité avaientcontribué au salut de ses fidèles. Ces deux idées communes à tous les auteurs du N.T. excluaienttoute hostilité de principe contre la loi morale. D'autre part, ellesles forçaient à réfléchir sur les rapports entre l'oeuvre de salut duChrist et la religion de la loi. Cette question est, en effet,abondamment traitée dans de nombreux livres du N.T., surtout dans lesévangiles synoptiques et dans les épîtres de Paul. Mais Jacq., Héb.,les écrits johanniques et Ac renferment également bien des passagesrelatifs au problème de la loi, et l'écho des discussions sur cepoint se perçoit encore dans d'autres écrits néotestamentaires. Ceproblème présentait d'ailleurs plusieurs aspects. Il s'agissait desavoir: 1° si le salut était dû uniquement à la grâce divineet à l'oeuvre du Christ ou si l'obéissance à la volonté de Dieu ycontribuait également, peut-être même d'une façon décisive; 2° si la volonté divine se trouvait dans la loimosaïque même pour les disciples du Christ; 3° si la révélation du mont Sinaï était identique àcelle du Christ, si elle l'avait préparée ou si d'autres rapportsexistaient entre les deux révélations. Dans certains cas la réponsedonnée à l'une de ces questions déterminait les réponses aux autres,mais souvent ces trois questions recevaient chacune une solutionparticulière. Très souvent enfin, tel texte ne répond qu'à l'une oul'autre de ces questions. Les thèses fondamentales, mentionnées plus haut, de tout lechristianisme primitif limitent le nombre des attitudes possibles àl'égard de ces trois aspects du problème de la loi. Mais il demeureencore assez grand. Or presque toutes les attitudes possibles dans lecadre de la pensée chrétienne d'alors se trouvent dans les écrits duN.T. Nous essaierons de donner un tableau systématique des thèses enprésence. L'obéissance à la volonté de Dieu est-elle l'unique condition dusalut pour le chrétien ou en est-elle au moins une conditionindispensable? A cette question, les chrétiens des premiers tempspouvaient donner et ont probablement donné quatre réponses. Il estvrai qu'en pratique la première se distingue si peu de la seconde quenous ne pouvons trouver aucun texte dans le N.T. où il s'agitcertainement de la première. Celle-ci déclarait qu'il suffisaitd'obéir à la volonté divine pour s'assurer le salut, mais que lechrétien était mieux préparé que les Juifs pieux à l'obéissancesincère. La seconde considérait la foi en Christ comme un complémentindispensable des oeuvres de la loi. L'obéissance à la volonté divineet la foi forment ensemble la voie du salut. Une troisième thèsen'admettait pas qu'il y ait un seul chemin menant à la vie éternelle;il y en avait deux, celui de l'accomplissement des exigences divines,qui était réservé aux justes, et celui du pardon divin, queJésus-Christ avait ouvert aux pécheurs. Une dernière opinion à cesujet, enfin, niait la possibilité d'être sauvé par l'exécution desordres divins et ne laissait subsister que la foi en Christ commeunique moyen d'entrer dans le royaume de Dieu. Les deux thèses qui attribuent une importance capitale pour lesalut du chrétien à son obéissance à la volonté de Dieu, exprimée parla loi divine, sont plus ou moins nettement admises dans d'asseznombreux passages des évangiles, synopt, (voir par ex. Mt 23:1-35:17-20,Lu 1:6 2:22-24,39,Mr 10:17-31,Mt 19:17 5:21,48). La loidont il y est question n'est pas toujours la même, mais le principede l'obéissance à la loi divine comme condition de l'entrée dans lavie éternelle y est reconnu partout. La force avec laquellel'évangile et les épîtres johanniques insistent sur le nouveaucommandement du Christ (Jn 12:47 13:34 14:15,21,23 15:10,12,14,171Jn 2:3-5,7-8 3:10-12 4:21 5:2-4 2Jn 1:4-6) fait supposer quel'accomplissement de ce commandement y est considéré comme une desconditions du salut; d'ailleurs dans Jn 12:47 14:21,23 etsuivant cette idée est énoncée assez nettement. La religion dunouveau commandement n'entend cependant pas être religion de la loi,mais religion de la grâce; car le nouveau commandement ordonne aussila foi en Jésus-Christ (1Jn 3:22,24) et la loi de Moïse estopposée à la grâce et à la vérité venues par J.-C (Jn 1:17).L'Apoc, parle constamment des oeuvres (Ap 2:5 3:1,8,15 9:2014:13 16:11). c'est d'après elles que les morts sont jugés lorsdu grand jugement (Ap 20:12); quelquefois aux oeuvress'ajoute la foi (Ap 2:19 14:12) et aux commandements de Dieu letémoignage de J.-C (Ap 12:17). Mais c'est surtout Jacques quimaintient la thèse de la nécessité des oeuvres de la loi à côté de lafoi: (Jas 2:14,26 1:25) la foi est morte et vaine sans lesoeuvres (Jas 2:20,26); elle n'aide pas le prochain à elleseule (Jas 2:15 et suivant); sans les oeuvres la foi se trouvemême chez les démons (Jas 2:19); Abraham n'a été justifié quepar la foi et les oeuvres; la foi concourt au salut avec lesoeuvres (Jas 2:21-25). Toutes les doctrines que nous venons d'étudier introduisent plusou moins fortement le principe légaliste dans le christianisme. Lespenseurs qui, dans le christianisme primitif, s'opposaient à ceprincipe pouvaient partir d'un double point de vue: ou bienreconnaître que les justes s'assuraient leur salut par les oeuvres deleur justice et affirmer tout de même que la grâce divine pouvaitaussi sauver ceux qui n'étaient pas justifiés par leurs oeuvres; oubien nier toute influence des bonnes actions sur le sort des hommes.Quelques paroles de Jésus s'inspirent de l'idée de la double voie dusalut (Mr 2:16 et suivant, Lu 15:7 25-32 Matthieu 20:1-16) Jésusétait venu sauver les pécheurs, la brebis perdue, le fils prodigue,les ouvriers de la dernière heure; comme les justes, les brebisrestées au bercail, le fils resté près du père, les embauchés de lapremière heure n'avaient pas besoin de lui. Dans d'autres paroles deJésus, par contre, c'est le pécheur qui est justifié par Dieu plutôtque le juste (Lu 18:9,14), car il possède l'humilité; le juste,au contraire, est fier de ses oeuvres et, cependant, lui aussi devrareconnaître l'inutilité de tout ce qu'il a pu faire (Lu 17:10).Ce ne sont toutefois que quelques rares déclarations par lesquellesJésus rejette la confiance dans les oeuvres. Celui qui, dans le N.T.,représente le plus nettement l'opposition à la religion de la loi,c'est l'apôtre Paul. Pour lui, la conviction fondamentale au sujet dela voie vers le salut est celle de la justification non par lesoeuvres, mais par la foi (voir par ex. Ro 3:27-30 4:1-25 11:5 etsuivant, Ga 2:16 5:2-11,Php 3:8-11). Cette doctrine est son armela plus importante dans sa lutte contre l'esprit légaliste dans lareligion chrétienne. Le christianisme est pour lui la religion de lagrâce, non de la loi. Certes, en portant les fardeaux les uns desautres, on accomplira la loi du Christ (Ga 6:2), mais ce n'estpas en cela qu'on sera justifié. Dieu jugera chacun selon sesoeuvres, mais c'est la grâce en Jésus-Christ, acceptée par la foi,qui seule permet d'entrer dans le chemin du salut. Les oeuvres nesauraient y mener. Car le péché empêche tous les hommes d'accomplirla volonté divine (Ro 3:9,18). Quelques autres auteurs du N.T.adoptent la même attitude que Paul. D'après les Actes, le grandconcile des apôtres (Ac 15) a nettement fait sien le principe dela justification par la foi (Ac 15:7,9). Les épîtres à Tim. et àTite soulignent avec la même force que les autres épîtres pauliniennesle point de vue de la religion de la grâce (2Ti 1:8 etsuivants, Tit 3:4,7). On pourrait croire que les partisans du principe de la religionde la loi parmi les chrétiens identifiaient toujours la volonté deDieu avec la loi mosaïque et que leurs adversaires n'admettaient pasl'autorité de celle-ci. Cependant il n'en est rien. Le légalismechrétien pouvait parfaitement reconnaître que la loi mosaïque étaitremplacée par une autre loi, celle du Christ, et d'autre part mêmePaul pouvait admettre l'autorité de la législation du Sinaï, pourvuqu'on ne s'attendît pas à mériter le salut par l'obéissance enverselle. Dans ces conditions, l'attitude du christianisme primitif àl'égard de l'autorité de la loi de Moïse est assez complexe. Parmi les paroles de Jésus, il y en a qui recommandentl'observation la plus stricte de la loi mosaïque dans tous sesdétails, même celle des plus petits commandements, et qui adoptentainsi l'attitude du judaïsme le plus intransigeant (Mt 5:17,2023:1,3). D'après Mt 23:1-3 Jésus reconnaît même aux scribes etaux pharisiens une certaine autorité pour ses disciples: ceux-ci nedevront pas imiter leurs actions, car ceux-là disent et ne font pas;mais leur enseignement mérite le plus grand respect, puisqu'ils sontassis dans la chaire de Moïse. Généralement, il est vrai, les parolesdu Seigneur critiquent à la fois la vie et la doctrine des pharisienset des scribes; elles constatent la divergence entre la loi mosaïqueet l'enseignement des docteurs du judaïsme de son temps (Mr7:1,13). Par là, peut-être Jésus voulait-il constater uniquementl'hypocrisie des pharisiens et l'incohérence de l'enseignement desscribes; mais il est plus naturel d'admettre qu'il oppose l'autoritéde la loi respectée par le Seigneur lui-même à l'autorité factice desscribes. D'ailleurs Mt 5:17-20 est là pour prouver quel'observation intégrale de la loi est considérée comme un idéal deJésus. Et dans divers textes du N.T. 11ous constatons l'action de cetidéal sur certains groupes d'entre les chrétiens, comme par exempleceux d'où provient le récit de la naissance du Christ dans l'évangilede Luc (Lu 1:6 2:22,24,39), ou les adversaires de Paul auconcile des apôtres (Ac 15:5). Jésus lui-même observe pour laguérison des lépreux les règles concernant la constatation de cetteguérison (Mr 1:42-44,Lu 17:14). Cependant d'autres passages des évangiles synoptiques ont unetendance toute différente. Il y est établi une distinction très netteentre grands et petits commandements. On peut faire cette distinctiontout en exigeant le respect de tous les commandements. Il en est, eneffet, ainsi dans Mt 23:23,26. Aussi un docteur de la loiapprouve-t-il cette distinction (Mr 12:32 et suivant). Maisl'importance particulière donnée aux grands commandements nuisaitfacilement au respect des petits, surtout quand ceux-ci empêchaientl'observation des grands. Aussi Jésus donne-t-il très nettement lapréférence aux grands principes moraux de la loi. De là ses conflitsconstants avec le ritualisme des pharisiens, surtout au sujet del'observation du sabbat. Jésus subordonne celle-ci à la règle del'amour du prochain et à celle, plus générale encore, qui ordonne defaire toujours le bien (Mr 3:4,Lu 13:16). Dans ces conditions,il n'est pas étonnant d'entendre Jésus proclamer que faire aux autresce qu'on veut qu'ils vous fassent, c'est là toute la loi et lesprophètes (Mt 7:12). Paul (Ga 5:13 et suivant) tout aussibien que Jacques (Jas 2:8,12) font leur cette opinion de Jésus.Certes d'après Jacques, il faut accomplir tous les commandements;mais il s'agit seulement de ceux du décalogue moral. Une attitude toute particulière au sujet de l'obéissance à la loide Moïse se trouve dans le livre des Actes. Il ne conteste pas queles chrétiens ne soient pas soumis à toutes les prescriptions du codemosaïque. Mais il rapporte que souvent cette liberté a été limitéepar égard pour les Juifs (Ac 15 16:3 21:20 23:5 25:8),La thèse que toute la loi se résume dans un ou plusieurs grandscommandements est certes opposée à la minutie des pharisiens ou deMt 5:17,20 et Mt 23:1,3. Mais elle considère tout de mêmela loi mosaïque comme l'expression de la volonté de Dieu, commel'autorité définitive pour la vie morale. La pensée du christianismeprimitif n'a pas toujours admis cette autorité. Dans beaucoup deparoles de Jésus et dans quelques textes des Actes les prescriptionsde la loi mosaïque sont mises en contraste avec la volonté de Dieu,consistant soit en une décision primitive de Dieu, antérieure à laloi (Mr 10:1,12 2:27), soit en son intention la plus profonderévélée par l'action d'un de ses privilégiés de l'anciennealliance (Mr 2:25 et suivant), ou par une vision (Ac10:9-16,34), ou par la conscience individuelle (Lu 12:57), oupar l'observation de la nature (Mr 7:14,33), ou enfin et surtoutpar Jésus lui-même. Sa révélation des exigences divines abolit celledu Sinaï ou la complète. Il est le nouveau législateur, supérieur àcelui de l'ancienne alliance. Il conseille au jeune homme riched'ajouter à l'obéissance envers le décalogue la vente de ses biens auprofit des pauvres (Mr 10:17-21) il déclare qu'il y a des hommesqui se sont faits eunuques pour le Royaume des cieux (Mt 19:12).Mais Jésus assume le plus nettement le rôle de législateur nouveaudans les antithèses du sermon de la montagne (Mt 5:21,48). Là iloppose à ce qui a été dit aux anciens sa nouvelle révélation de lavolonté divine. Même si les commandements donnés aux anciens d'aprèsce passage ne sont pas tous tirés de la loi de Moïse, la façon dontJésus proclame la volonté de Dieu suffit pour attester chez lui lacertitude d'être investi par Dieu d'une autorité supérieure à cellede Moïse. Parfois, dans les antithèses, il justifie ses déclarationspar des raisonnements et ne fait pas appel à une autorité spécialequi lui reviendrait. Mais d'autres antithèses opposent simplement sarévélation nouvelle à la règle antérieure. L'idée de la nouvelle loi,la loi du Christ, qui trouve dans ces antithèses son expressionclassique, joue un grand rôle dans l'évangile et les ép. johanniques.Le nouveau commandement de s'aimer les uns les autres y est souventproclamé (Jn 13:34 14:15,21,23 15:10,12,14,17 1Jn 2:3-5,7 3:10-124:21 5:2,4,2Jn 4-6). Paul invoque quelquefois l'autorité du Christpour des exigences morales (1Co 7:10 14:37,Ga 6:2) et reconnaîtune certaine autorité même à ceux qui ont son Esprit (1Co7:25,40). Mais jamais il n'oppose l'autorité nouvelle à celle deMoïse. Notons enfin la remarque curieuse, mais peu claire, de 1Ti1:9-11; d'après celle-ci, la loi est valable pour lesmalfaiteurs, mais non pour les justes. Nous avons passé en revue les réponses souvent si divergentesdonnées par les chrétiens des premiers temps aux questions concernantle principe légaliste et son droit dans la religion chrétienne etconcernant l'autorité des lois de Moïse pour les disciples du Christ.Leur divergence est très grande. Elle est même telle pour les parolesattribuées à Jésus qu'il est difficile d'admettre qu'elles remontenttoutes au Seigneur. Mais une troisième question se posait, pluscomplexe encore. Quel était le rapport entre l'ancienne et lanouvelle révélation, entre celle du mont Sinaï et celle deJésus-Christ? La nouvelle alliance était-elle l'achèvement del'ancienne, était-elle virtuellement contenue dans celle-ci? Ouétait-elle préparée par elle, mais s'en distinguant foncièrement? Ouy avait-il opposition irréductible entre la révélation faite à Moïseet la manifestation de Dieu en Jésus-Christ? Là où l'on reconnaissait à la fois le principe de la religion dela loi et l'autorité divine de la loi de Moïse, la première solutiondu problème s'imposait tout naturellement. L'oeuvre de Jésusapparaissait comme une aide, indispensable certes, mais d'aucunefaçon opposée à la réalisation de la volonté divine révélée au montSinaï. Or, dès qu'on abandonnait ce point de vue d'après lequel lechristianisme n'était que le pharisaïsme perfectionné, la questiondevenait un problème bien difficile à résoudre. Aussi la plupart despenseurs chrétiens du N.T. n'ont-ils pas vraiment essayé de trouverune solution. Dans les évangiles synoptiques la transfiguration présenteimmédiatement les deux aspects de la question: elle nous montre Jésusen rapport étroit avec Moïse, mais nous entendons aussi la voix quidit d'écouter Jésus (Mr 9:4,7 et parallèle). La loi a donc savaleur positive, cependant Jésus représente la révélation supérieure.Mais quel est exactement le rapport des deux révélations, c'est cequi n'y apparaît pas. Il en est de même de la déclaration de Jn1:17 qui oppose la grâce et la vérité venues par Jésus-Christ à laloi donnée par Moïse, mais ne nous dit pas si la loi est absolumentcontraire à la vérité et à la grâce. Jn 4:21-24 reste égalementdans le vague. Même les antithèses de Mt 5:21,48 ne s'exprimentpas clairement à ce sujet. Elles ne nous enseignent pas par qui a étédit aux anciens ce qui leur a été dit. Était-ce Dieu qui leur avaitparlé par Moïse ou quelqu'un d'autre, et si c'était Dieu, comments'expliquait le fait qu'il parlait autrement en Moïse qu'en Jésus?Sous ce rapport Mr 10:1,13 contient une déclaration de Jésusbien plus claire: le divorce est contraire à la volonté primitive etréelle de Dieu; Moïse, en le permettant, a fait une concession à ladureté du coeur des Israélites. La remarque d'Etienne dans sondiscours de Ac 7:53, qui fait remonter la loi à une interventiondes anges, est très intéressante elle aussi, mais trop sommaireégalement. Il n'y a que deux auteurs du N.T. qui aient exposé pluslonguement leurs idées à ce sujet: saint Paul et l'épître aux Hébreux.Encore ni l'un ni l'autre n'ont-ils pu aboutir à une conceptionabsolument cohérente. Chez Paul, nous trouvons, l'une à côté de l'autre, troisappréciations différentes de la loi. D'après la première, la loi, enelle-même, est une révélation divine parfaite, dont le sens spirituelest celui du christianisme lui-même; ses effets, il est vrai, ont étéfaussés par le péché. La loi est sainte et le commandement saint,juste et bon (Ro 7:12). La loi est spirituelle et ne s'opposepas aux oeuvres de l'Esprit (Ro 7:14,Ga 5:23). Elle devaitdonner la vie (Ro 7:10). Aussi l'amour du prochain réalise-t-illes exigences de la loi (Ga 5:13 et suivant) et les chrétienssont-ils la circoncision véritable (Php 3:2 et suivant). Levoile qui cache aux Juifs le sens authentique de l'A.T, disparaît enChrist (2Co 3:12,18). Si tout de même cette loi n'a pas produitun effet salutaire, c'est que le péché a réussi à la transformer enun instrument de mort (Ro 7:5-25). Mais par la mort du Christl'impuissance de la loi due au péché et à la chair a été détruite etceux qui sont en Jésus-Christ ne vivent plus selon la chair, maisselon l'Esprit et accomplissent la justice prescrite par laloi (Ro 8:14). Paul peut donc déclarer: «Nous confirmons la loipar la foi» (Ro 3:31). Mais Paul ne pense pas toujours ainsi. Souvent la loi a pour luice seul mérite d'avoir annoncé sa propre abolition et rendu possiblele salut par le Christ; Galates insiste particulièrement surcette idée. La malédiction légale du pendu a contribué à ce queJésus-Christ ait pu l'abolir (Ga 3:10,14), et la lecture del'histoire des deux fils d'Abraham montre à tous ceux qui veulentvraiment observer la loi que celle-ci, l'alliance du mont Sinaï,s'efface elle-même devant la liberté de la nouvelle alliance (Ga4:21-31). Dans Ro 3:21, l'apôtre proclame également que la loiet les prophètes ont rendu témoignage à la justice par la foi,justice manifestée indépendamment de la loi. La loi a en outre été«un pédagogue pour nous conduire à Christ» (Ga 3:24 et suivant),car elle nous a donné une preuve irréfutable de la culpabilité detous les hommes: celle-ci l'a rendue impuissante à donner la vie;pour obtenir la vie il fallait donc aller vers le Christ (Ga3:22-25). La loi donne la connaissance du péché et par cetteconnaissance nous pousse à nous soumettre à Dieu et à accepter lesalut qu'il nous offre par la foi (Ro 3:19 et suivant). Par laloi, le péché est imputé (Ro 5:12,14). Elle est intervenue pourque le péché abondât (Ro 5:20 et suivant). Peut-être est-cecette démonstration écrasante de la culpabilité de l'homme qui faitdire à l'apôtre: «Par la loi, je suis mort à la loi» (Ga 2:19).Mais ce passage ne signifie pas nécessairement que la loi en memontrant ma culpabilité m'a prouvé sa propre impuissance et en mecondamnant à mort m'a soustrait à son propre empire; il peut aussiavoir un autre sens: la loi, déclarerait alors l'apôtre, encondamnant le Christ fait mourir ses fidèles avec lui et les détacheainsi d'elle-même. (voir Ga 3:10-14,Ro 7:1,6) Or cette condamnation de Jésus-Christ par la loi apparaît commeun méfait de celle-ci. Et ce n'est pas là le seul texte qui soulignel'opposition entre la révélation de Dieu en Jésus-Christ et celle deMoïse. Celle-ci n'est pas révélée par Dieu, du moins pas directement,mais par des anges (Ga 3:19 et suivant). Et se soumettre à elleet aux règles concernant les sabbats et les fêtes signifie non passervir Dieu, mais s'assujettir aux anges, désignés par le termeétrange, mais assez souvent employé alors, d'éléments (voir ce mot)ou rudiments du monde (Ga 4:8,10). La loi est venue après lapromesse du Christ, faite par Dieu à Abraham, et ne peut donc pasl'annuler (Ga 3:15,18). Elle est même considérée comme étant lapuissance du péché (1Co 15:56) qui est mort sans elle (Ro7:8). Aussi l'oeuvre de Moïse peut-elle être nommée le ministère dela mort (2Co 3:7). Certes, Paul a tenu à atténuer l'idée enprincipe hostile à la révélation mosaïque qui était contenue dans depareils termes. (voir Ro 7:7,12,2Co 3:6-11,Ga 3:21 et suivant)Néanmoins ce point de vue joue un certain rôle dans son appréciationde la loi mosaïque. Si ces trois appréciations se trouvent chez Paul sans quel'apôtre sente l'incohérence de sa doctrine de la loi, c'est qu'ellesont toutes les trois une importance secondaire à côté de l'idéedominante du salut par la foi et non par les oeuvres de la loi. Orcette idée pouvait s'accorder à la fois avec la thèse de la saintetédivine de la loi pourvu que son impuissance à donner le salut fûtreconnue, avec celle du rôle préparatoire de la loi à l'égard de larévélation en Jésus-Christ, enfin avec celle d'une opposition entreles deux révélations. Or, le premier point de vue s'explique par laconviction de tous les chrétiens du temps de Paul qui affirmaienttous le sens messianique de la loi; en outre la valeur de certainesprescriptions morales de cette loi ne pouvait faire de doute. D'autrepart, la révélation en Jésus-Christ étant pour Paul de beaucoupsupérieure à celle accordée au législateur d'Israël, celle-ci, quitout de même provenait du Dieu de Jésus-Christ, ne pouvait avoird'autre importance que de préparer la révélation définitive. Enfinl'idée maîtresse de la religion de la loi et celle de la religion dusalut se contredisaient nettement, c'est pourquoi Paul était amené àconstater une opposition entre l'ancienne et la nouvelle révélation.Peut-être sur ce dernier point a-t-il d'ailleurs été influencé par lapensée du gnosticisme juif pré-chrétien, dont l'existence est assezvraisemblable. L'épître aux Hébreux insiste d'une part sur l'infériorité de larévélation mosaïque due aux anges (Heb 2:1 et suivant),terrifiante (Heb 12:18-21), faible (Heb 7:23,28),inefficace (Heb 8:6,13), charnelle (Heb 7:16 9:10) etpassagère (Heb 8:6,13), d'autre part elle considère le culteinstitué par Moïse comme l'ombre du culte céleste du Christ (Heb8:5) qui par son apparition l'a annulé. Les opinions des auteurs du N.T. au sujet des rapports entre larévélation par Moïse et celle de Jésus-Christ ne sont donc pas plushomogènes ni même cohérentes que celles au sujet du principelégaliste de la religion et au sujet de l'autorité de la loi mosaïquepour les chrétiens. Mais ces divergences de vue ne les empêchaientpas d'être au fond tous d'accord sur le caractère de la nouvellerévélation. Tous y voyaient la révélation de l'amour divin pour leshommes en Jésus-Christ et l'enseignement, qui en dérive, du devoirdes hommes de s'aimer les uns les autres. Pour défendre ce devoir,que Paul ne nie pas, Jacques combat la doctrine de la justificationpar la foi seule; pour assurer toute l'efficacité possible à l'amourdivin, exalté par Jacques, Paul avait établi cette doctrine (voirFoi, Oeuvres). Aug. B.