LOGOS (le)

Ce terme est employé d'une façon particulière dans le prologue deJean (Jn 1:1,18), dans 1Jn 1:1 et dans Ap 19:13. Danstous ces textes johanniques il désigne le Christ. Nous avons coutumede le traduire par «la Parole» ou «le Verbe». Cette dernièretraduction a été choisie pour conserver au mot le genre masculin;mais la traduction «la Parole» rend mieux le sens du terme, sanscependant correspondre à toutes ses significations. Les allusions dans 1Jn 1:1 et Ap 19:13 ne nousrenseignent pas sur la signification de cette expression, siétonnante au premier abord. C'est que ces deux textes, enl'employant, présupposent soit la connaissance du prologue de Jeansoit, tout au moins, la connaissance de la théorie visée par ceprologue. C'est donc dans celui-ci seul que nous pouvons nousrenseigner sur la signification exacte de l'identification deJésus-Christ avec le Logos. Or le prologue du 4° évang, s'y trouve à la place occupée dans Matthieuet Luc par les généalogies de Jésus et les récits de sa naissance, etincontestablement le rôle que le prologue doit jouer dans Jean estpareil à celui de ces récits dans Matthieu et dans Luc. Il doit montrer queJésus-Christ, tout en n'étant pas un simple mortel, est né homme.C'est ce que signifie dans le prologue la doctrine de l'incarnation.Le Logos en lui-même n'est pas homme, mais il a eu à un certainmoment les marques distinctives de la nature humaine, c'est-à-dire lecorps réellement charnel (Jn 1:14). Mais qu'était ce Logos avant d'être fait chair? Le début duprologue (Jn 1:1) l'indique: «Au commencement était la Parole etla Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu.» Être divin, leLogos a été fait homme. Le Christ a préexisté à son activitéterrestre, en étant auprès de Dieu et en étant Dieu lui-même. Maiscette même idée, l'apôtre Paul et d'autres auteurs du N.T. l'ontexprimée sans se servir du terme: le Logos. Comment se fait-il quel'auteur de Jean le mette au début de son évangile? A quelles tendancesde la pensée chrétienne de Jean ce terme répond-il? La Parole de Dieu, non pas comme un être divin, personnel, maiscomme expression de la volonté divine accomplit, d'après Ge 1,l'oeuvre de la création. Or, sans aucun doute, l'auteur de Jean enparlant du Logos songe à cette action créatrice de la parole divine.C'est pourquoi son évangile commence par les mêmes mots que latraduction grecque de Ge 1. Et dans le verset 3 et le verset 10du prologue l'auteur constate expressément que tout a été fait par leLogos. Mais le Logos s'adresse en particulier aux hommes (Jn 1:9et suivant). En effet, Dieu a parlé aux hommes par les prophètes etles autres envoyés divins de l'A.T. Il s'est révélé à ceux-ci par saparole, adressée par ex. à Amos (Am 1:3,6 etc.) et à Osée (Os1:1 4:1 etc.). La parole de Dieu n'est donc pas seulementcréatrice, elle révèle aussi Dieu aux hommes. Comme la parolehumaine, en exprimant un ordre, réussit souvent à faire exécuter lavolonté de l'homme, et comme cette parole fait souvent connaître auxautres hommes la nature de celui qui l'a prononcée, ainsi c'est parsa parole que Dieu, d'après l'A.T., crée ce qu'il veut, et c'est parelle qu'il se révèle Enfin, au fond de la parole de l'homme nouspercevons ses réflexions, l'exercice de sa raison. Aussi le terme de logos en grec signifie-t-il très souvent raison (cf. p. ex. lemot: logique). La parole de Dieu est donc en même tempsl'expression de sa raison parfaite. En affirmant que Jésus-Christ est le Logos, la parole divine, leprologue de Jean déclare: que la création du monde est elle-même l'oeuvrede Jésus-Christ et ne peut avoir un sens différent de celui del'oeuvre rédemptrice du Sauveur; que le Christ est la parfaite révélation de Dieu,et que sa doctrine, l'enseignement chrétien, estl'expression de la raison divine qui est parfaite. Mais toutes ces idées ne sont pas pour l'auteur du prologue desnotions abstraites, elles sont toutes réalisées en la personne deJésus-Christ. C'est lui qui a été le réalisateur des intentions duDieu créateur, c'est lui qui a révélé Dieu et c'est lui qui aux yeuxde tous les croyants présente la raison parfaite de Dieu. Le Logos deDieu n'est pas une idée pure, il est lui-même une personne divine, lefils unique de Dieu qui s'est incarné en Jésus-Christ. Or, il va desoi que pour le prologue de Jean, Jésus-Christ a la même fonctionessentielle que pour le christianisme primitif en général, qu'il estavant tout le Sauveur. De là cette antinomie apparente, d'ailleurscommune à tout le christianisme primitif, que Dieu est considéré à lafois comme le créateur et le sauveur, qu'il a été l'auteur du mondesans que ce monde soit jusqu'à présent son royaume, que toutes leschoses ont été faites par le Logos, qui, en venant dans le monde,entrait dans son domaine et qui tout de même n'y est point reçu parles siens (Jn 1:11). Le Logos, pour Jean, pouvait d'ailleurs être facilement considérécomme le Sauveur. Car d'après cet évangile les croyants sont sauvéspar la révélation de la gloire divine, par l'apparition de la grâcede Dieu. Le Logos est plein de grâce et de vérité (Jn 1:14). LeLogos a créé le monde, il a parlé par les prophètes, mais c'est enJésus-Christ qu'il s'est incarné et c'est en lui qu'il donne auxcroyants non une loi comme celle de Moïse, mais la grâce et lavérité (Jn 1:16 et suivant). Ce sont donc des tendancesauthentiquement chrétiennes qui s'affirment avec grande force dans ledéveloppement du prologue du 4 e évang, concernant le Logos.Jésus-Christ est véritablement issu du Dieu de l'A.T., du DieuCréateur; il n'en est pas un aspect passager, mais en lui Dieu aréalisé de toute éternité sa volonté créatrice et rédemptrice; en luiil s'est affirmé finalement dans toute sa splendeur par son oeuvre desalut qui comportait la descente du Logos dans la chair. D'autreschrétiens des premiers temps n'insistèrent pas sur tous les points devue développés dans cette doctrine du Logos, ils en mirent d'autresen avant, mais incontestablement c'était sa piété chrétienne quiamena l'auteur de Jean à voir en Jésus-Christ le Logos divin. Aussin'est-il pas étonnant de voir que l'identification de Jésus-Christavec la Parole de Dieu fut accueillie par un assentiment très vif dela plupart des milieux chrétiens d'alors. Dans ces conditions on pourrait croire à l'origine purementchrétienne de la notion du Logos et de son identification avec celuiqui est venu sauver les hommes et leur apporter la révélationdéfinitive de l'essence même de Dieu. Mais de très nombreux faitssont là pour prouver que cette notion a préexisté au christianisme etque dans son histoire préchrétienne elle a eu des significations plusou moins rapprochées de celles que nous avons constatées dans lanotion johannique. Parmi les philosophes grecs un certain nombre ont insisté sur lecaractère raisonnable que l'organisation de l'univers présentait àleurs yeux. C'était la raison qui dominait et gouvernait le monde. Orcette raison, le principe dominant du monde, avait été nommée leLogos dès le V e siècle par Heraclite d'Éphèse. Et, à peu près deuxsiècles plus tard, l'importante école stoïcienne avait égalementemployé ce nom pour désigner le principe divin de la raison quid'après sa doctrine se manifestait dans toute la vie de l'univers. Ilest vrai que pour les Stoïciens cette puissance divine du Logosn'était pas séparée du monde, maïs qu'elle lui était immanente.Néanmoins la notion du Logos, principe divin de l'organisation dumonde, était ainsi familière à la pensée grecque de longs sièclesavant l'apparition du Christ et la publication de l'évangilejohannique. Et comme l'école stoïcienne a été la plus influente dansles derniers siècles ayant et les premiers siècles après notre ère,l'idée du Logos est restée connue dans les milieux quis'intéressaient à la philosophie. Cependant, à elle seule cettenotion philosophique du Logos principe du monde n'a que très peu depoints de contact avec la notion johannique. Car celle-ci nonseulement présuppose la transcendance de Dieu, mais elle prête aussià la divinité un caractère beaucoup plus personnel. Et puis, tout eninsistant sur l'unité de Dieu et du Logos, elle distingue tout demême l'un de l'autre. Enfin elle n'a pas comme la notion stoïcienneun aspect purement intellectuel, mais elle est bien plusspécifiquement religieuse. Or la plupart des nuances qui distinguent la notion johannique decelle des philosophes grecs, nous les rencontrons déjà dans laspéculation religieuse du paganisme et du judaïsme préchrétiens. Lespenseurs religieux du paganisme oriental, de l'Egypte surtout, maisaussi de la Babylonie, de l'Iran et de l'Asie Mineure, ont, en effet,cherché, en partie du moins, à donner à leurs spéculations uncaractère plus général en identifiant leurs divinités, parfois sispéciales, avec des notions générales que, du temps hellénistique,ils tiraient souvent des systèmes philosophiques de la Grèce. Ilsdonnaient cependant à ces notions une forte empreinte religieuse. Or,il semble que d'assez bonne heure la notion du Logos ait joué un rôledans la pensée religieuse de certains théologiens égyptiens quis'inspiraient à la fois de la philosophie stoïcienne et des systèmesreligieux de leur pays. Chez ces penseurs le Logos désigne un dieuinférieur qui sert d'intermédiaire entre le dieu supérieur et leshommes auxquels il veut se révéler. Dans ces systèmes le Logos n'estdonc pas uniquement la raison stoïcienne, il est surtout la paroledivine. Car il est évident que l'idée si simple de la parole divine,manifestation et révélation de Dieu, n'était pas réservée à la seulereligion israélite, mais qu'elle se rencontrait aussi dans le mondepaïen. Cependant, nous ignorons si les théories concernant le dieuLogos ont été très répandues dans le monde païen à l'approche denotre ère. Ce que nous ne savons pas davantage, c'est si le judaïsmepalestinien avait lui aussi développé une doctrine de la paroledivine qui pourrait en une certaine mesure avoir servi de point dedépart à la doctrine johannique. Certes, dans la littératurereligieuse du judaïsme palestinien et babylonien ultérieur, nousconstatons l'usage fréquent de la formule: «La parole (metnra) deDieu a fait ceci ou cela.» Mais d'abord il paraît douteux que cetteformule soit autre chose qu'une façon déguisée de désigner Dieului-même. En effet, par crainte de prononcer le nom de Dieu, lesJuifs depuis le temps de Jésus avaient coutume d'utiliser denombreuses formules de ce genre (voir Ange de l'Eternel). Mais mêmesi la formule dont nous parlons ne provient pas uniquement de cettecrainte, si elle doit effectivement désigner un être divin médiateurentre Dieu et le monde, nous ignorons si l'usage de cette formuleremonte au temps de la publication de Jean. A côté du judaïsme orthodoxe, il y avait en Palestine et dans lesterritoires environnants des sectes plus ou moins hétérodoxes. Ilsemble que parmi ces sectes les disciples de Jean-Baptiste aient jouéun certain rôle. Or il est incontestable que le prologue de Jean estdirigé contre la prétention de ces disciples de Jean-Baptiste deconsidérer leur maître comme le sauveur, prétention qu'on retrouveplus tard dans les écrits mandéens. Ces groupes baptistesidentifiaient-ils déjà Jean-Baptiste avec la parole divine? Leprologue de Jean ne ferait-il que suivre leur exemple dans sa doctrinedu Logos incarné? Nous n'en savons rien et nous ne pouvons ni exclureentièrement cette supposition qui n'a rien d'impossible, ni laconsidérer comme un fait acquis. En tout cas, pour l'histoire de ladoctrine du Logos comme pour tant d'autres problèmes, les lacunes siconsidérables de notre connaissance des mouvements religieux dans lejudaïsme du I er siècle ap. J.-C, ne nous permettent pas de prononcerun jugement définitif. Il reste un domaine, dans la pensée contemporaine de la naissancedu christianisme, qu'il nous faut examiner pour savoir si l'auteur du4° évang, pourrait y avoir puisé les ou tout au moins des éléments desa doctrine concernant le Logos. C'est la pensée religieuse dujudaïsme hellénistique, c-à-d, de ceux d'entre les Juifs qui, ayantémigré dans les pays subissant l'influence de la civilisationmi-grecque, mi-orientale, créée par les conquêtes d'Alexandre,avaient eux-mêmes adopté avec la langue grecque une partie de cettecivilisation. Nous ne connaissons pas non plus parfaitement la penséereligieuse de ces Juifs, mais du moins en possédons-nous dansquelques écrits apocryphes de l'A.T., avant tout dans la Sapience,puis dans des fragments de différents auteurs juifs hellénistiques etenfin et surtout dans l'ensemble des écrits de Philon d'Alexandrie,d'assez considérables documents authentiques. Or si la Sapiencemontre, par le rôle qu'elle attribue à la Sagesse divine dans lacréation et l'organisation du monde, combien la pensée religieusehellénistique même chez les Juifs était portée à admettre desintermédiaires entre Dieu et le monde, nous trouvons chez certainsautres auteurs, surtout chez Philon, des théories concernant le Logosmême. On a longtemps désigné Philon et certains de ses précurseurs dunom de philosophes juifs. En réalité ils sont tous des théologiens,des penseurs religieux. Ils utilisent certes des notionsphilosophiques, mais uniquement pour développer leur penséereligieuse. C'est ainsi que la notion du Logos chez Philon--on peutaisément négliger ici les doctrines de ses précurseurs--contient,pour ainsi dire, toute la notion stoïcienne, mais en outre il s'agitpour lui de la parole divine créatrice, révélatrice et éducatrice. Le Logos est pour Philon un être divin intermédiaire, comme leLogos chez les théologiens païens dont nous avons parlé et comme laSagesse divine dans le livre de la Sapience. Aussi a-t-on souvent crupouvoir dériver uniquement de la doctrine philonienne lesdéveloppements de Jn 1:1,18 concernant le Logos. Et en effet,dès la première moitié du II° siècle, l'influence des écrits dePhilon sur les écrivains chrétiens, par ex. Papologète Justin Martyr,est incontestable. Mais d'autre part la doctrine religieuse du Logosa été certainement plus répandue qu'on ne le supposait autrefois. Jeanpeut avoir connu la notion du Logos sans avoir eu connaissance de ladoctrine philonienne. En tout cas, il est plus que probable que cesoit cette doctrine religieuse du Logos, connue par lui sous la formephilonienne ou sous une autre, qui ait donné à l'auteur de Jean l'idéeque Jésus-Christ a été ce Logos, la parole divine créatrice,organisatrice, révélatrice et éducatrice. Peut-être a-t-il même déjàtrouvé chez certains penseurs religieux, comme par exemple lesdisciples de Jean-Baptiste, l'idée de l'incarnation du Logos. Mais quel qu'ait été le point de départ des réflexions del'auteur du 4 e évang, sur les rapports entre Jésus-Christ et leLogos de Dieu, le résultat auquel ces réflexions ont abouti estconforme, à l'essence même du christianisme primitif. L'usageexclusivement cosmologique que, sous l'influence de Philon, lathéologie chrétienne à partir du IIIe siècle a souvent fait de lanotion du Logos a rendu quelque peu suspecte cette notion elle-mêmeaux théologiens de nos jours. Mais en réalité l'auteur de Jean, endéclarant que Jésus-Christ est le Logos, entend proclamer que toutel'oeuvre de Dieu, l'oeuvre de salut pour les hommes non moins que lacréation et l'organisation du monde, se résume en la révélationdéfinitive, l'oeuvre de salut du Christ depuis son incarnationjusqu'à sa résurrection. Et tout son évangile doit servir à illustrercette thèse authentiquement chrétienne. Voir aussi Johannisme, I, parag. 2. Aug. B.