AMOUR

I L'AMOUR DE DIEU. Si nous avions besoin d'une preuve incontestable de la réalité dela Révélation, nous n'aurions aucune peine à la découvrir, car ellese trouve éminemment dans cette affirmation: «Dieu estAmour» (1Jn 4:8). En effet, comment l'homme, avec les seuleslumières de sa raison, aurait-il été capable d'acquérir cetteconnaissance? Il a pu, par lui-même, avoir l'idée de latoute-puissance de Dieu. Tout l'y portait: le spectacle de la natureet le sentiment de sa faiblesse propre. Il a dû, de très bonne heure,donner une signification religieuse aux forces naturelles et voir enelles autant de manifestations d'une Puissance mystérieuse, devantlaquelle il fallait s'incliner dans un sentiment de crainte sacrée.Nous trouvons dans l'A.T. de nombreuses traces de cette crainte; p.ex. Jacob à Béthel: «Lorsqu'il se réveilla, il dit: Certainementl'Éternel est en ce lieu, et moi je ne le savais pas! Il eut peur etdit: Que ce lieu est redoutable...» (Ge 28:16,17). La saintetéde Dieu, elle, porte sans doute la marque de la Révélation, surtoutlorsqu'elle apparaît dans sa pleine évidence, grâce à la prédicationdes prophètes. Mais il faut reconnaître que, si l'homme étaitincapable par lui-même de la concevoir, il pouvait, une fois qu'ellelui était révélée, l'accepter comme une réalité normale, comme unattribut nécessaire de la nature divine, car elle répondaitentièrement aux exigences absolues de la conscience, et elle avaitpour elle le témoignage intérieur de la loi morale. Il en va tout autrement de l'amour. Rien, a priori, ne permetd'affirmer qu'il fait partie de l'essence de Dieu. Ce qui le montrebien, c'est que les philosophes s'efforçant de construirerationnellement une définition de Dieu ne mettent point l'amour aunombre de ses attributs. Et rien dans notre expérience humaine nepermet, quand il est connu, de le considérer comme allant de soi. Ilreste le mystère insondable; bien plus, il est une folie pour lasagesse des hommes. Si nous cherchons sa raison d'être, c'est en luiet non en nous que nous la trouvons. Il est à la fois le principe deson existence, puisqu'il ne dépend que de soi, et la source de notreconnaissance, puisque ce que nous savons de lui nous ne le savons quepar lui. La certitude de l'amour est elle-même un don de l'amour.«Dieu a tant aimé le monde...» (Jn 3:16). Comment aurions-nouspu le savoir, s'il ne nous l'avait lui-même dit? Et pourquoi nousl'a-t-Il dit, sinon parce qu'il nous aime? La Révélation tout entièren'a de sens que par l'amour surnaturel qui l'a voulue et réalisée. S'il en est ainsi, il est aisé de comprendre que l'amour, premierdans l'ordre de l'existence, n'ait été saisi que le dernier dansl'ordre de la connaissance. Sa réalité était si incroyable, elledépassait tellement tout ce que l'homme pouvait concevoir ouimaginer, qu'il lui a fallu des siècles et des siècles pour arriver àsortir de la nuit de l'ignorance. Avec quelle timidité, à travers quels tâtonnements et quelleshésitations les Inspirés de l'A.T. se risquent à l'affirmer! Le faitmême de l'alliance établie par Dieu entre lui et Israël s'est imposéà leur esprit; il a été le fondement de leur foi et, dans les mauvaisjours, le secret de leur espérance. Mais ils n'ont compris que forttard le pourquoi de ce fait. Osée, le premier (milieu du VIII esiècle av. J.-C), parle de l'alliance de Jéhovah avec son peuple dansdes termes empruntés à la vie conjugale. Dans son amour humaintrompé, dans la souffrance qu'il éprouve à cause de l'infidélité desa femme, le prophète a la révélation de l'amour de Jéhovah pour sonpeuple,. de sa douleur et de son légitime courroux quand Israël,semblable à Gomer l'adultère, abandonne son époux pour se prostituer.Et, de même qu'il pardonne à l'infidèle, de même Dieu renonce aujuste châtiment, car Il aime son peuple. Il ne peut cesser de l'aimermalgré ses reniements et ses trahisons (voir en particulier Os 1et Os 2). D'autres prophètes reprendront cette image de l'amourconjugal et du pardon accordé par Jéhovah à l'épouseinfidèle (Esa 54:5-6,Jer 3:6-13,Eze 16:1-63 etc.). Ils mettronten relief le caractère immuable de l'amour de Dieu qui, participantde sa sainteté, est, comme elle, éternel: «Je t'aime d'un amouréternel; c'est pourquoi je te conserve ma bonté» (Jer 31:3, cf.Esa 54:8-10). Le lien qui unit Jéhovah à son peuple est aussi comparé à celuiqui existe entre un père et son fils (Ex 4:22,Jer 3:1931:9,20,Mal 1:6 etc.). Quelques remarques sont nécessaires ici: Dans un bon-nombre de passages le mot pèresignifie simplement créateur ou procréateur (voir par ex. De32:6,Esa 64:8,Mal 2:10). C'est fort rarement qu'il a, comme dansEsa 63:16, un sens spirituel pour exprimer l'amour de Dieu. Noussommes donc encore très loin de la révélation de la paternité divinetelle que l'apportera au monde l'Evangile. C'est le peuple d'Israël, en tant quecollectivité, qui reçoit le titre de fils (Os 11:1,Ps 80:16);c'est lui qui est l'objet de l'amour de Jéhovah (De 7:6-8,1Ro10:9,2Ch 2:11 9:8, Esa 41:8 43:4,Mal 1:2). Nous trouvons sansdoute quelques textes où il est dit que Dieu aime des hommes prisindividuellement, mais il s'agit alors d'un amour conditionnel:«J'aime ceux qui m'aiment» (Pr 8:17). «L'Éternel aime ceux quile craignent» (Ps 147:11). «L'Éternel aime les justes» (Ps146:8, cf. Ps 103:11,13,Pr 15:8). Longtemps Israël a été considéré comme le seulpeuple aimé de Dieu. Cette idée a favorisé singulièrement leparticularisme juif. Nous trouvons pourtant chez les prophètes uneréaction vigoureuse contre cet esprit nationaliste: ils affirment quesi Jéhovah a établi une alliance particulière avec Israël, il n'a pasexclu les autres peuples de ses bénédictions (Jer 4:2,Esa2:2-4,7, cf. Mic 4:1-3,Esa 19:25 25:6 52:15). Une placespéciale doit être faite au livre de Jonas qui nous montre en Dieul'universalité de sa compassion et de sa miséricorde. L'amour n'aplus de frontières: au delà d'Israël, il s'étend sur toutes lescréatures. Avec le N.T. s'opère, d'un seul coup, une révolution complète.L'amour de Dieu n'est plus, comme dans l'A.T., le point culminant dela Révélation vers lequel tend la foi; il est le fondement sur lequeltout repose, le terrain dans lequel la certitude enfonce profondémentses racines: «Étant enracinés et fondés dans l'amour...» (Eph3:18). Il est à la fois la réalité première et la connaissancepremière; il est l'essence même de l'Évangile (1Jn 4:7,8,16). Dieu est notre Père, le Père céleste, le Père parfait.(Mt 5:48 6:9 7:11,Jn 4:23 16:27,Ro 1:7,1Co 1:3,Jas 1:17,1Jn 3:1) Ilaime tous les hommes d'un même amour; sa providence s'exerce enverstous indistinctement (Mt 5:45,1Co 8:6). Cette affirmation de lapaternité divine est le secret de l'uni-versalisme chrétien (Mt23:8,9). «Il n'y a plus ici ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, nihomme ni femme; vous êtes tous un en Jésus-Christ.» (Ga 3:28).Universel, l'amour du Père est en même temps individuel. Dieu connaîtchacun de ses enfants (Mt 6:4,6 10:29-31). Il n'en oublieaucun (Mt 18:10); dans sa grâce prévenante, Il sait d'avance dequoi ils ont besoin (Mt 6:8-32); Il veut leur vrai bien et leurvéritable bonheur (Mt 5:3-10); tout don excellent et toutprésent parfait viennent de Lui (Jas 1:17). Cette volonté d'amour est une volonté de salut. Les hommes,esclaves du péché, révoltés contre Dieu, sont perdus. Mais Dieu lesaime et parce qu'il les aime, Il veut les arracher à la perdition età la mort (Mt 18:14). Il est le berger qui va chercher sa brebisperdue; Il est le père qui reçoit dans ses bras l'enfant prodiguerepentant (Lu 15). «Il y a de la joie au ciel pour un seulpécheur qui se repent» (Lu 15:7). Jésus nous fait pénétrer dansle coeur même de Dieu et nous y montre cette réalité humaine entretoutes: la joie. Dieu reste Dieu dans sa souveraineté absolue; maisIl devient en même temps un Dieu humain, car, dans son amour, Ilconnaît comme nous la joie, la tristesse et même l'inquiétude del'espérance: «Je leur enverrai mon fils bien-aimé; peut-être lerespecteront-ils?» (Lu 20:13). L'amour se consomme dans le sacrifice. Pour nous sauver, Dieului-même se donne à nous dans la personne de son Fils: «Dieu a tantaimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croiten lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle» (Jn3:16). En Jésus-Christ, c'est l'amour du Père qui s'incarne, quidevient une réalité visible, qui s'impose à nos sens pour gagnernotre foi: «Ce qui existait dès le commencement, ce que nous avons vude nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains onttouché...» (1Jn 1:1). Jésus aime comme Dieu seul peut aimer. Ilconsole, il pardonne, il guérit; il se penche sur toutes lesdétresses et toutes les misères; il arrache les hommes à la puissancedu péché qui les asservit (Lu 19:10). Il se donne toutentier (Mr 10:45), librement (Jn 10:17-13), jusqu'à laperfection (Jn 13:1), jusqu'à la mort (Eph 5:2,Php 2:8). Lacroix est l'accomplissement de l'amour rédempteur.II. L'AMOUR POUR DIEU. Il est la conséquence normale de l'amour de Dieu pour nous. Il nesuppose donc pas seulement la réciprocité, comme dans les relationshumaines, mais il implique un rapport de cause à effet: c'est Dieuqui a l'initiative, c'est lui qui nous aime et qui fait naître ennous l'amour. Notre amour pour le Père est lui-même un don de l'amourdu Père. Il est, en nous, un fruit surnaturel de l'Esprit (Ga5:22). Le désir, c'est Dieu qui le fait surgir dans nos coeurs;l'appel, c'est Lui qui le fait entendre; la réponse, c'est Lui qui lasollicite. Sans doute notre liberté entre en jeu, car, sans elle,l'amour n'aurait aucune valeur morale (Dieu veut être aimélibrement); mais elle apparaît surtout comme une possibilité derefus; par elle-même, elle ne crée rien dans l'ordre de la grâce. Ilsuffit que l'homme ne résiste pas, qu'il n'endurcisse pas son coeur,pour que spontanément l'amour réponde à l'amour. Encore faut-il que l'homme prenne conscience de l'amour divincar, aussi longtemps qu'il ne le soupçonne pas, rien en lui nesaurait y répondre. Il est ainsi aisé de comprendre que les progrèsde l'amour pour Dieu coïncident avec les étapes de la Révélation. Au début, nous l'avons vu, le sentiment qui domine est lacrainte. Cette crainte, nous la retrouvons dans les premiersbalbutiements de l'amour, car Dieu se montre toujours redoutable,plus encore par sa sainteté que par sa puissance, et ce n'est qu'entremblant que le fidèle s'approche de Lui. Si Jéhovah manifeste sabonté, Il le fait comme un maître qui veut bien accorder une faveur àson serviteur. L'amour demandé à l'homme en retour est un devoir, unesorte de serment d'allégeance au Seigneur. Des bénédictions sontaccordées à ceux qui observent ce commandement; le châtiment menaceceux qui s'en détournent (De 11:1,13-17 13:1-4 30:15-20). Dansle livre des Psaumes nous trouvons pourtant une piété faite deconfiance en Dieu et d'intimité avec Lui, qui est un pressentimentémouvant de l'amour chrétien. Avec la révélation du Dieu-Père apparaît l'amour filial. Par lafoi en Jésus-Christ, par la nouvelle naissance, l'homme devient unenfant de Dieu (Jn 1:12,13,Ga 3:26,1Jn 3:1,2). Il se sait enfant de Dieu, non par un effort de sa pensée propre, mais par letémoignage de l'Esprit: «L'Esprit atteste lui-même à notre esprit quenous sommes enfants de Dieu» (Ro 8:16). Ayant reçu cet «Espritd'adoption», il peut avec une joyeuse assurance appeler Dieu: Abba!Père! (Ro 8:15), cf (Ga 4:6).. N'étant plus «esclave» mais«fils», il jouit de toutes les prérogatives nouvelles qui lui sontconférées; il possède «la liberté glorieuse des enfants deDieu» (Ro 8:21); il est héritier, «héritier de Dieu, cohéritierde Christ» (Ro 8:17, cf. Ga 4:7). Toutes ces bienheureusescertitudes le libèrent définitivement de la crainte: «La crainten'est pas dans l'amour; au contraire l'amour parfait bannit lacrainte, parce que la crainte suppose une punition et celui quicraint n'est pas parfait dans l'amour» (1Jn 4:18, cf. Ro8:15). C'est par son respect filial, son adoration, sagratitude, sa confiance et sa joyeuse obéissance qu'il essayed'exprimer son amour envers Dieu. Cet amour, il doit le donner toutentier: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, de toute taforce» (Mr 12:30), car la plus grande infidélité est celle ducoeur partagé et du double service (Mt 4:10 6:24,Jas 4:4,1Jn2:15,16). L'amour pour Dieu, tel que nous le révèle et nous le donnel'Évangile, est inséparable de l'amour pour le Christ. Sithéoriquement une distinction est possible, pratiquement ellen'existe pas: c'est le même mouvement du coeur qui porte le chrétienà vivre dans la communion de son Père et à s'unir étroitement à sonSauveur bien-aimé.III L'AMOUR POUR LES HOMMES. Il est, lui aussi, un don de la grâce, un fruit surnaturel del'Esprit, car le coeur humain est naturellement égoïste. Il fautentendre par égoïsme, non le simple amour de soi, forme normale del'instinct de conservation, dont l'Évangile reconnaît la légitimité:«Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mr 12:31), maisl'hypertrophie du moi qui prétend tout ramener à lui et fairetoujours passer son intérêt avant celui des autres. Or, quoi qu'endisent certains moralistes, il est impossible de transformerl'égoïsme en altruisme, car il y a entre les deux une oppositionabsolue. Ce n'est pas par une évolution insensible et continue quel'on peut passer de l'un à l'autre, mais par une révolution totalequi substitue à une réalité donnée une réalité radicalementdifférente. «Ce qui est né de la chair est chair; ce qui est né del'Esprit est esprit...Il faut que vous naissiez de nouveau» (Jn3:6,7). Seuls sont capables de posséder véritablement l'amour ceuxqui sont «nés de nouveau». L'amour chrétien ne saurait donc, malgrécertaines ressemblances extérieures, être assimilé à un simplesentiment d'humanité ou de philanthropie, car ce qui constitue sonoriginalité propre, ce qui lui donne son caractère irréductible,c'est son inspiration religieuse. Avant de se tourner vers leshommes, il s'oriente vers Dieu en qui il trouve sa cause et sa fin:«...les sentiments d'amour que l'Esprit vous inspire» (Col 1:8);«Vous avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres» (1Th4:9); «Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère» (1Jn 4:21,cf. 1Jn 4:7-11-12). L'amour pour le Père est si étroitement liéà l'amour pour les frères que l'absence du second est la preuve de lafausseté du premier (1Jn 4:20). Et les deux ensemble n'existentque par l'amour de Dieu pour nous: «Nous devons aimer parce qu'ilnous a aimés le premier» (1Jn 4:19). En dernière analyse, iln'existe qu'un seul et même amour: celui qui vient du ciel et qui yretourne, en laissant ici-bas les traces lumineuses de son passage.La langue du N.T. rend sensible cette identité en employant un seulmot: agapè, pour désigner l'amour de Dieu pour nous, notre amourpour Dieu et notre amour pour les hommes. Pour nommer ce dernier, lemot charité est devenu si courant qu'il est pratiquementimpossible de s'en passer; mais nous devons nous souvenir que, danstous les passages où nous le rencontrons, dans le ch. 13 de I Cor. enparticulier, il correspond au même mot agapè que l'on traduittoujours ailleurs par amour. L'amour pour les hommes se manifeste sous des formes différentesqu'il faut essayer de préciser: (a) Nous trouvons tout d'abord l'amour chrétien dansson sens le plus large, objet d'un commandement universel: «Tuaimeras ton prochain comme toi-même» (Mt 22:39). Cet amour estprésenté comme le résumé et l'accomplissement de la Loi (Ro13:9,Ga 5:14); il est aussi appelé la Loi royale (Jas 2:8). Or,en tant qu'il est commandé, il ne saurait être affaire de sentiment.Le sentiment, en effet, ne se commande pas; il représente en nous,dans son jaillissement, la spontanéité pure. On arrive à lediscipliner, à le refouler et même à l'inhiber; mais son apparitionéchappe à toute action réfléchie et à tout effort conscient. De plus,on ne peut exiger de lui qu'il devienne universaliste, car il est paressence limitatif, sinon exclusif. Seule la volonté est capabled'obéir à la loi, seule elle est susceptible de recevoir un ordre.C'est donc en fonction d'elle que nous devons définir l'amour, objetd'un commandement. Comment en douter quand nous constatons le rôleprépondérant que la volonté joue dans la haine? Haïr quelqu'un, c'estlui vouloir du mal. L'aimer, ce sera donc lui vouloir du bien. Il n'ya pas d'autre définition à chercher: l'amour est la bienveillance, lavolonté de faire du bien au prochain. Personne ici ne peut serécuser, c'est-à-dire à la fois se réclamer du Christ et se dérober àsa Loi, car l'amour que le Maître commande est à la portée de tousceux qui veulent le posséder. Cet amour exclut l'esprit devengeance (Ro 12:19); il réclame le pardon des offenses (Mt6:12,14,15 18:21-35,Eph 4:32,Col 3:13); il se donne à tous, même auxennemis (Mt 5:41,Ro 12:20). Non content de ne pas faire du mal,il saisit, il cherche les occasions de faire du bien (Ga 6:10).Par lui s'éclaire et prend une signification nouvelle la notion duprochain. «Qui est mon prochain?» sommes-nous tentés de demander avecle légiste (Lu 10:25-37). Et, restant tranquillement là où noussommes, nous attendons qu'une réponse nous soit donnée, prêts à fairetoutes sortes de distinctions pour esquiver éventuellement notredevoir et éluder notre responsabilité. Le Maître, par sa parabole dubon Samaritain, nous pose tout autrement la question: «Es-tu, toi, leprochain de tous ceux que Dieu met sur ton chemin? As-tu toujours etpartout la volonté de t'approcher d'eux avec amour, pour les servir,les aider et au besoin les secourir?» (b) Si l'amour commence par la bienveillance, il nesaurait s'arrêter là; en vertu de son exigence de perfection, il tendà devenir l'amour des âmes. Cette nouvelle forme de l'amour apparaît,elle, spontanément, car elle prend naissance dans une intuition: lavision de l'humanité en Dieu ou, plus exactement, la vision de Dieuen tout homme. Le chrétien acquiert un sens nouveau, le sens de lavaleur unique de l'âme humaine pour laquelle Dieu a donné son Fils etpour laquelle Jésus est mort sur la croix. Il voit désormais leshommes non pas seulement tels qu'ils sont, avec leurs défauts, leurstares, leurs péchés, mais tels que Dieu les aime; il découvre enchacun d'eux une intention, une espérance de Dieu. Aussi se sent-ilpoussé irrésistiblement à les aimer à son tour, à les aimer pourl'amour de Dieu, à aimer Dieu présent en eux. C'est cet amour que l'apôtre Paul a chanté dans son hymne à lacharité: «Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, sije n'ai pas la charité, je ne suis qu'un airain qui résonne ou unecymbale qui retentit...La charité excuse tout, elle croit tout, elleespère tout, elle supporte tout...La charité ne péritjamais...» (1Co 13) C'est ce même amour qui est le secret de l'esprit de service etde sacrifice: «J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger...Toutesles fois que vous avez fait cela à un seul de ces plus petits de mesfrères, c'est à moi que vous l'avez fait» (Mt 25:31-46, cf.Mr 9:37). «Voici comment nous avons connu l'amour: Il a donné savie pour nous; nous aussi nous devons donner notre vie pour lesfrères» (1Jn 3:16). C'est encore cet amour qui est le secret de l'esprit d'apostolat.Comment, en effet, celui qui le possède pourrait-il accepter que tantd'hommes continuent à se perdre loin de Dieu, alors que le salut estpour eux comme pour lui? Il faut qu'il leur apporte le messagelibérateur, la bonne nouvelle du pardon et de la délivrance. C'est làune nécessité intérieure à laquelle il ne peut, sous peined'infidélité, se dérober: «Malheur à moi si je n'annonce pasl'Évangile» (1Co 9:16). L'amour des âmes devient chez certainschrétiens une vraie passion qui brûle en eux comme un feu dévorant.N'est-ce pas cette passion qui a arraché à l'apôtre Paul ce cri dedouleur: «Je voudrais être anathème, séparé du Christ pour mesfrères, pour ceux de ma race et de mon sang»? (Ro 9:3) (c) Il est une autre forme de l'amour que nous devonsdistinguer des deux premières car, si elle a une même origine, ellepossède par ailleurs certains caractères propres qui nous obligent àlui donner une place à part. Nous voulons parler de l'amourfraternel. Le texte grec, marquant nettement la différence, emploiepour le nommer, non le mot agapè, mais le mot philadelphia qui, dans son sens ordinaire, désigne le sentiment d'affectionéprouvé par quelqu'un pour ses frères ou soeurs et, dans son sensreligieux, l'amour qui existe entre les chrétiens en tant qu'ils sereconnaissent frères et qu'ils se traitent comme tels. (voir Ro12:10,1Th 4:9,Heb 13:1,1Pi 1:22 3:8,2Pi 1:7) Dans le livre desActes et dans les épîtres revient continuellement l'expression: «lesfrères» pour parler des chrétiens des différentes Églises. Noustrouvons également dans plusieurs passages l'expression: «les frèresbien-aimés». (voir Ac 9:30 15:23 17:10 21:7,1Co 15:58 16:20,2Co8:23,Col 4:15,1Th 1:4,2Th 2:13,Jas 1:16,19 etc.) La fraternitédont il est question ici ne doit pas être confondue avec lafraternité que Dieu a établie entre tous les hommes «en les faisantnaître d'un seul», car, si elle l'implique, en même temps elle ladépasse. Elle est le lien surnaturel unissant tous ceux qui, par lanouvelle naissance, sont devenus «enfants de Dieu» et membres de lamême famille spirituelle. «Vous êtes concitoyens des saints etmembres de la famille de Dieu» (Eph 2:19). Frères de Jésus-Christ et frères les uns des autres, leschrétiens doivent, par un mutuel amour, affirmer ce lien nouveau créépar l'Esprit: «En vue d'une sincère affection fraternelle(philadelphia), aimez-vous ardemment les uns les autres, de toutcoeur, vous qui êtes nés de nouveau» (1Pi 1:22). «Ne soyez tousqu'un coeur et qu'une âme, aimant vos frères» (philadelphoï) (1Pi 3:8, cf. Php 2:1,2). L'apôtre Paul compare lacommunion des âmes ainsi créée par l'amour fraternel à l'unionorganique des membres qui, dans leur diversité, forment un seulcorps: «Nous ne faisons qu'un seul corps en Christ et nous sommestous membres les uns des autres» (Ro 12:5, cf. 1Co12:12-27). Cette communion spirituelle trouve son expressionvisible et sa confirmation dans la sainte Cène: «Parce qu'il y a unseul pain, nous formons tous un seul corps, car nous participons tousà cet unique pain» (1Co 10:17, cf. Ac 2:42,46). Seul l'amour fraternel a le pouvoir de réaliser et de maintenir,entre tous les disciples du Christ, l'unité de l'Esprit; seul il rendpossible l'affirmation de leur foi commune (Eph 4:2,6). Il estdonc la seule apologétique efficace que nous puissions présenter aumonde pour le convaincre, par une démonstration visible, de laréalité de l'amour de Dieu et de la valeur unique de l'oeuvreaccomplie par Jésus-Christ: «Qu'ils soient un comme nous sommes un,moi en eux et toi en moi; que cette unité soit parfaite, afin que lemonde reconnaisse que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les asaimés comme tu m'as aimé.» (Jn 17:22,23). Alb. D. Voir Ami, Bien-Aimé, Bienveillance, Bonté, Charité, Compassion,etc.