Introduction. L'administration moderne de la justice ne correspond pas à lacivilisation de l'Israël primitif. Les récits des missionnairesaideront à comprendre le genre de ces jugements où le vieillard ou lechef exprime son avis après avoir patiemment écouté les «palabres»des deux parties; sur quoi plaignants ou tribu se chargent de mettreà exécution la sentence. Notre Moyen âge, empêtré de superstitions etde théologie simpliste, donnera également une idée de cette «justice»tout imprégnée de la peur de Dieu (bien différente de la «crainte deDieu»). Comme à ces époques lointaines, le prêtre, agent officiel dela divinité ici-bas, prétendra être seul qualifié pour rendre desarrêts dignes d'elle. Ce pouvoir se heurtera ou s'arrangera avec deuxautorités rivales: celle du père de famille, qui tend à décroître;celle du roi, qui s'affirme de plus en plus, si le pouvoir royal estfort. Chez nous, les conflits entre rois, parlements, tribunauxecclésiastiques, sont un exemple de cette rivalité universelle. VoirGouvernement; Crimes, délits et peines.Époque nomade. Plus on remonte haut dans l'histoire d'Israël, mieux on voits'affirmer l'autorité du père de famille. Elle n'est pas proprementjudiciaire. Elle est tout simplement autoritaire, puisque le père estle maître absolu et le propriétaire indiscuté de ses gens comme deses biens. L'histoire d'Abraham est typique à cet égard (Ge 21:1422:10). De même Isaac bénissant Jacob (Ge 27:37, cf. Laban:Ge 29:19). Tamar est condamnée à mort par son père, à la simplenouvelle de son déshonneur (Ge 38:24), comme on tue une bêtemalfaisante. D'ailleurs la famille entière est responsable del'affront fait à l'un de ses membres; ce sont les frères de Dina quise chargent de la venger (Ge 34:7,13-25). Comp, le «vengeur dusang» (voir art.) dans De 19:6,12. L'histoire des famillesitaliennes au XIV° siècle et des «vendette» corses nous donne uneidée de ce stade de la justice. Il va de soi qu'à cette époque l'idée de justice était à peinedégagée d'autres notions similaires. L'injustice était considéréecomme une offense à Jéhovah, ce qui est normal, mais pouvait seconfondre aussi avec sa volonté (Ge 20:3), tant que morale etreligion n'étaient pas nettement unies.Le clan. Lorsque les familles s'unirent pour se constituer en clans,l'autorité judiciaire passa à un groupe d'anciens (No 11:16). Detels usages sont courants dans les familles agricoles. Nous avonsrencontré, dans un département du Midi de la France, un père defamille breton qui était devenu l'arbitre écouté des autrescultivateurs bretons établis dans son voisinage. Cette justice entresemblables est infiniment plus souple et plus efficace quel'officielle.Moïse. La notion de loi (divine) a toujours été rattachée à la personne deMoïse. Quelque bref qu'ait pu être le Décalogue primitif, on ne voitaucune raison de contester que ce grand chef ait pu donner un codesubstantiel et fondamental au troupeau qu'il avait converti ennation. Le récit de Ex 18:13 et suivants fait allusion à quelquecrise d'autorité que nous discernons mal. Il est sûr qu'avant cemoment les chefs de famille avaient déjà à régler mille conflitsimmédiats. Il ne peut être question ici que d'une extension de cesystème traditionnel, sur le conseil de Jéthro d'après notre récit.Le Jugement de Dieu. On ne sait au juste comment fonctionnait cette institutionthéocratique (Ex 22:8 et suivant). Dans Jos 7:16 etsuivants, il est fait mention d'une sorte de tirage au sort par unprocédé sacré. (cf. 1Sa 14:41 et suivants, où Dieu désigne parle sort celui qui a désobéi à l'ordre formel du roi Saül) Une fois lacondamnation prononcée, l'exécution appartenait aux plus convaincus,aux fidèles (Ex 32:26), plus tard aux témoinsaccusateurs (De 17:7).Époque sédentaire. L'établissement des Israélites en Canaan ne modifia pas profondémentle système judiciaire. On trouve mentionnés les «anciens de laville». C'est à eux que le père peut remettre son filsindocile (De 21:18 et suivants). Les anciens figurent déjà dansJug 8:16. Mais les personnages de cette époque appelésimproprement juges (voir Juges, livre des) étaient de petitssouverains temporaires et non pas spécialement des magistrats. Lelieu où se rend la justice est la porte de la ville, seul espaceassez vaste pour contenir une foule, car les débats sont publics.Absalom voulant se substituer à David, son père, dans l'exercice dupouvoir, interpellait les plaignants près de la porte (2Sa15:2). Plus tard Salomon, qui aimait le luxe, instaura un Porche dujugement, attenant à son palais (1Ro 7:7).La royauté. Avec la royauté, la justice entre dans une phase toute nouvelle, etcela pour deux raisons: 1° Le roi se réserve les causes graves(2Sa 14:10 15:2,1Ro 3:16 2Ro 15:5). D'ailleurs, lorsque lesIsraélites demandaient un roi, c'était pour être jugés etconduits dans les guerres (1Sa 8:20). 2° Le roi établit dans certaines villes des jugesprofessionnels, des officiers royaux, analogues à nos «baillis»royaux (De 16:18). Il est probable que de cette époque (IX esiècle av. J.-C.) date le petit code inséré dans Ex 21-23:9,fort incomplet d'ailleurs et peut-être destiné à guider ces nouveauxfonctionnaires. Ce code est le seul qui nous soit connu entre laconquête et le Deutéronome. On ignore jusqu'à quel point il fut enusage dans tout Israël. Il était sans doute conforme à l'enseignementdonné dans les grands centres, tels que Jérusalem, Béthel, Samarie.Il va de soi que ce code ne prétend pas innover, mais entend résumerles usages judiciaires existants. Les accusations des premiersprophètes: Amos, Osée, Ésaïe, Michée, contre ceux qui violentsciemment la justice, supposent l'existence d'un tel code. Au VII esiècle apparaît un code autrement important: le Deutéronome, qui seréclame de Moïse, mais reflète la mentalité des prophètes. S'il futproclamé en 621 (2Ro 22), il s'effondra bientôt avec Josias, ceroi mystérieusement victime des pharaons, et ne trouva toute sonautorité qu'après l'exil. Il prévoit des juges et des fonctionnairesdans toutes les villes (De 16:18). Les juges ordinaires sonttoujours les «anciens de la ville» (De 19:12 21:19 22:15 etsuivants). La malédiction de Dieu est encore le châtimentsuprême (De 28:15 et suivants). Un nouvel instrument judiciaire y apparaît, le prêtre ou lévite,qui dans certains cas s'associe aux «anciens» (De 17:9 etsuivants 19:17 21:5 24:8). Si le Deutéronome est un magnifique manifeste de l'esprit prophétique:droiture et fidélité, il dévoile une plaie de ce temps, déjà dénoncéedans le Décalogue (Ex 20:16), savoir le faux témoignage (De19:16 et suivant); il interdit au juge de se laisser corrompre pardes présents (De 16:19, cf. Ex 23:8,2Ch 19:7). Lesprophètes s'élèvent contre la vénalité des juges (Am 2:3 5:12,Mic3:11 7:3,Sop 3:3,Esa 12:3 5:7,20,23,Eze 22:12); Esa 11:3-5donne le portrait du vrai juge. Le cas d'Achab et Jézabel a faitscandale en révélant un état de décomposition sociale (1Ro 21).Il ne faut pas oublier toutefois que les «anciens» des villescontinuaient à juger tous les cas ordinaires. Deux textes font mention de la création de juges: 1Ch 23:4 et2Ch 19:5 et suivants. Le premier veut que 6.000 Lévites eussentété créés par David «magistrats et juges» (Sg.), hyperbole etanachronisme évidents. Le second raconte que Josaphat établit desjuges dans toutes les villes fortes du pays de Juda, ce qui peutfaire allusion à une nouvelle organisation de la justice, un siècleaprès David. L'exil eut cet effet inattendu, mais bien compréhensible, de donnerune autorité immense à cette Loi qui avait été si peu ou sidifficilement appliquée du temps de l'indépendance, et qui devenaitlettre morte sous une domination étrangère. De cette époque datel'étude minutieuse de la Loi (voir ce mot). Au retour de l'exil se constitua dans le territoire retrouvé unecommunauté religieuse plutôt qu'une puissance politique. LePentateuque fut son code; il fut solennellement lu etproclamé (Ne 8-10). La justice locale est toujours rendue parles «anciens» (Esd 7:25 10:14); il y en a sept dans les petitesvilles, trente-trois dans les grandes. Durant la domination perse, legouverneur perse était naturellement le juge suprême; mais pourtoutes les affaires religieuses, il laissait pleins pouvoirs augrand-prêtre et à ses conseillers. C'est à cette époque quel'autorité des prêtres s'accrut considérablement. Au début de ladomination grecque, qui suivit, leur puissance était établie. Il estprobable que nous avons là l'origine du Sanhédrin (voir ce mot),cour suprême située à Jérusalem. Il juge les causes dépassant lacapacité des cours locales, où la procédure était la suivante: leplaignant portait ses doléances devant la cour, dûment avertie, et enpublic; après quoi l'autre partie présentait sa défense (Job31:35, «une défense toute signée» implique un acte écrit, destinésans doute à la lecture publique). D'après De 17:6 19:15,renforcé par le Talmud, le témoignage de deux personnes, depréférence trois, hommes et adultes, était nécessaire pour validerune accusation. Le témoignage d'un esclave était sans valeur. Avantde déposer, les témoins devaient jurer de dire la vérité et toute la vérité. Les faux témoins étaient condamnés à subir la peine quieût été infligée à la victime de leurs machinations, comme le préciseDe 19:19. A défaut de témoins, il appartenait aux juges dedégager la vérité par leurs questions et leur bon sens. L'accusateurse tenait à la droite de l'accusé. Ce dernier, en tout cas aprèsl'exil, était en costume de deuil (Za 3:1 et suivants). A la finde la période des Macchabées, et sous la domination romaine, lesPharisiens gagnent de l'influence et forment un parti important dansle Sanhédrin, sans détrôner toutefois le parti Sadducéen (lesprêtres, parmi lesquels on choisissait le grand-prêtre). VoirBertholet, Hist. Civ. Isr., p. 295SS.Nouveau Testament. Deux cas donnent un intérêt extrême à la question de la justice au Ier siècle: 1° LE PROCES DE JESUS.Les Juifs, et surtout le Sanhédrin, voulaient la mort de Jésus. Orles Romains leur avaient retiré le droit de prononcer la peinecapitale; d'après le Talmud, ils perdirent ce droit quarante ans avantla chute de Jérusalem, ainsi fort peu de temps avant le procès deJésus. Il leur fallait donc faire condamner Jésus par le gouverneurromain, Pilate. Ce dernier devait évidemment rester insensible àleurs griefs véritables qui étaient, pour les Pharisiens, leressentiment de voir leurs traditions attaquées; pour les Sadducéens,la crainte de voir saper leur autorité branlante. Le motif officielmis en avant par le Sanhédrin fut le blasphème contre Dieu. Ce chefd'accusation religieux et proprement juif ne pouvant non plusaffecter un gouverneur romain, ils accusèrent Jésus de vouloirsupplanter César (Lu 23:2,Jn 19:15), ce qui finalement arrachaau lâche gouverneur, par peur de se compromettre, la condamnation àmort, sous la forme romaine: la crucifixion (et non la lapidation,qui eût été la forme juive). Voir Jésus-Christ. 2° L'ARRESTATION DE PAUL.L'apôtre étant citoyen romain, sa position diffère totalement decelle d'un Juif quelconque. Le magistrat fixe à sa guise l'époque duprocès, et maintient l'accusé en prison jusqu'à cette date. Il peutlui infliger trois modes de captivité: (a) l'enchaîner dans une prison (Ac 12:6 21:33); (b) lui adjoindre un soldat, auquel il est lié par unechaîne et qui répond de lui; (c) le laisser libre sous la surveillance et laresponsabilité d'un magistrat, ce qu'on n'accordait qu'auxpersonnages de rang. Paul connut le second système. Tout citoyen romain pouvait arrêter le cours de son procès enfaisant appel à l'empereur. Il prononçait: Coeswremappello (Ac 25:11 et suivant). Dès lors on le déférait àl'empereur à Rome, sous bonne escorte, soit en profitant de la relèved'une garnison lointaine, soit en le joignant à d'autres prisonniers,qu'on embarquait souvent sur les navires impériaux ravitaillantl'Italie en blé d'Egypte, pendant la saison de la navigation(avril-octobre), ou bien qu'on envoyait par les routes impériales,militairement gardées et pourvues de gîtes d'étapes.--Voir Paul.J. D.