Jésus dit expressément: «Ne jugez point» (Mt 7:1); il ajoute:«Ne condamnez point, pardonnez» (Lu 6:37). Il affirme ainsi que nous n'avons pas le droit de formuler desappréciations impitoyables sur la personne de notre prochain; il nousinvite à nous juger nous-mêmes premièrement (Image de la poutre et dela paille). Dans Mt 15:1 et suivants, il refuse de répondre à unequestion des Pharisiens parce que ceux-ci, qui accusent lesdisciples, ont eux-mêmes transgressé gravement la loi sur laquelleils s'appuient. Jésus fait la guerre à l'esprit de jugement, esprit de critique etde censure, que les apôtres, après lui, ont combattu dans l'Églisenaissante. (cf. Ro 14:10,Jas 4:11 etc.) Cet esprit est faitd'ignorance, d'orgueil et de jalousie; il est donc injuste, dur pourautrui, implacable même, il prononce sur l'apparence ou d'après despréjugés, il sème le découragement, il dessèche le coeur et endurcitl'âme, parfois même il devient violent et persécuteur. Il estl'ennemi le plus néfaste de la vie fraternelle et de la paix entreles hommes et dans l'Église. Au contraire, celui qui se juge lui-même premièrement (Mt 7:3)et qui se souvient de ses propres fautes entretient en lui l'humilité(voir ce mot), qui lui dicte des jugements empreints de douceur et debienveillance; il est de ceux qui «procurent la paix» (Mt 5:9).Cette attitude, magnifiquement décrite dans 1Co 13:4,7, est lefruit d'une vie spirituelle riche et approfondie, qui se garde dejuger sur l'apparence (cf. Jn 7:24 8:15) et de découragerautrui, qui respecte la liberté de conscience des frères (Ro14,1Co 10:29), qui, surtout, s'interdit de se mettre à la place deDieu (1Co 4:5,Ro 14:10), juge suprême, seul juste, seul saint,juge de tous. Mais les actions et les pensées des hommes sont bonnes oumauvaises; et le christianisme, qui se distingue par son caractèreessentiellement moral, implique l'approbation ou la condamnation deces actes (Ro 2:14,2Co 4:2,1Co 2:16), selon qu'ils sont ou nesont pas moraux et conformes à l'esprit de l'Évangile (Phi1:10,1Th 5:21). Déjà pour les croyants de l'A.T, le discernement du bien et du malétait une nécessité de la foi (Ge 2:17,1Ro 3:9,Jon 4:11,Job6:30,Pr 1:4, Sir 17:7 etc.); à plus forte raison l'est-ilpour le disciple du Christ, ce discernement du bien et du mal (Heb5:14), de ce qui est juste (Lu 12:56 et suivant), de lavolonté de Dieu (Ro 12:2), des cas de conscience (Ro 2:18,Bbl. Cent.), des nuances (Php 1:10, id.), et ce «discernementdes esprits» qui consiste à distinguer vrais et faux prophètes, etque saint Paul considère comme un don de l'Esprit (1Co 12:10). Jésus lui-même, tout en mettant en garde ses disciples contrel'esprit de dénigrement, sous-entend qu'ils doivent pourtantidentifier les coupables, les indignes: considérer et traiter enconséquence telles ou telles personnes comme «chiens», «pourceaux»,«faux prophètes», «reconnaître à leurs fruits les mauvais arbres»,etc. (Mt 7:6,15,19) sont des jugements de valeur qu'il commandeaussitôt après avoir condamné l'esprit de jugement (verset 1-5); cefait prouve bien que sa condamnation porte sur les jugements inspiréspar une âme malveillante ou superficielle. Quant à l'expression de nos blâmes concernant le prochain, s'il estvrai que Jésus a émis sur certains de ses contemporains des jugementsparfois sévères et même indignés,--qui sont surtout provoqués parl'hypocrisie (voir ce mot),--son exemple en l'espèce n'est pasnormatif pour nous: lui, c'est sa sainteté et sa connaissanceparfaite du coeur humain qui l'autorisaient à s'indigner sans erreurni injustice possible; nous, ignorants et imparfaits, nous devonssans doute énergiquement réprouver le mal (Eph 5:11), mais nousne devons prononcer sur les personnes que dans le même esprit debienveillance que nous souhaitons pour nous-mêmes (Mt 7:12). Certes, la solidarité est étroite entre les actions et leursauteurs, et chacun est dans une grande mesure responsable des actesqu'il commet; mais le mystère des justes responsabilités est connu deDieu seul, et lui-même ne veut pas la mort du pécheur, mais saconversion et sa vie (Eze 18:23, cf. Jn 3:17).