JUDE (épître de)

Contenu. Ce petit écrit, car on peut à peine l'appeler une lettre (l'adressegénérale et surtout l'action de grâces solennelle qui forme laconclusion ne semblent pas désigner une lettre) est tout entierrempli par une attaque contre des impies qui dénaturent la foitransmise. Ainsi qu'il ressort de (Jude 1:19), ces hérétiquesreprésentent probablement une des premières manifestations dugnosticisme chrétien. Ils prétendent être les seuls possesseurs del'Esprit et méprisent les autres chrétiens, qu'ils considèrent commedes êtres matériels, des «psychiques». Et l'auteur exhorte lesfidèles à se garder de ces impies que le jugement de Dieu atteindra,comme autrefois il atteignit les habitants de Sodome et Gomorrhe. Il est difficile de parler de doctrine à propos de cet opuscule,écrit de circonstance et de polémique. Dieu est un (Jude 1:25);il est notre Sauveur par son Fils Jésus-Christ. Et Jésus, qui estcomplètement soumis à son Père, n'est que l'organe de la volontédivine en vue du salut des hommes. Au jour du jugement divin, leschrétiens seuls recevront la vie éternelle (Jude 1:21), tandisque les «psychiques», ceux «qui n'ont pas l'Esprit» (Jude 1:19),recevront la condamnation. La foi--qui est un don de Dieu (Jude1:20), l'oeuvre de la grâce divine (Jude 1:24) --est la seuleforce agissante de salut. Les conceptions eschatologiques de Jude sont toutes empruntées auxapocalypses juives (livre d'Hénoch, Assomption de Moïse) aveclesquelles l'auteur semble très familier. La citation qu'il fait dulivre d'Hénoch, en (Jude 1:14), ne correspond ni au texte grec ni autexte éthiopien que nous avons de cette apocalypse. Elle semble êtrefaite de mémoire.Auteur et date. L'auteur se désigne lui-même commet esclave de Jésus-Christ et frèrede Jacques». Cette appellation vise très probablement Jude frère deJésus (Mr 6:3,Mt 13:55). Mais il faut se demander si c'est à luique doit être attribué cet écrit. Les critiques allèguent plusieursraisons qui parlent en faveur d'une origine post-apostolique. Al'époque où écrit l'auteur, le nom de Jésus est déjà placé très haut;la tendance qui cherche à dégager le Christ de tout lien de parentéavec des hommes commence à se faire jour, et l'on n'ose plusrevendiquer la qualité de frère du Seigneur. C'est pourquoi l'auteuremploie un chemin détourné pour montrer cette qualité. Les apôtresapparaissent déjà comme un corps unique, une autorité sur laquelle ons'appuie pour condamner et réfuter. Enfin ces critiques font valoirle fait que l'hérésie en présence de laquelle nous met l'épître nesemble pas appartenir à l'histoire première du christianisme.Toutefois le gnosticisme chrétien remonte beaucoup plus haut qu'on nel'admet généralement, et il se rattache probablement à un gnosticismejuif. Précisément le milieu judéo-chrétien, dans lequel notre écrit acertainement pris naissance, était tout imprégné de gnosticisme. Ilest difficile, tellement sont vagues les renseignements que nousdonne l'auteur, de préciser quels sont ces gnostiques. Il s'agitd'hérétiques libertins qui troublent l'Église par leurs enseignementségarés. Certains critiques ont vu dans ces gnostiques lesCarpocratiens, secte gnostique. libertiniste du II° siècle(Jülicher), mais il semble impossible de descendre aussi bas.D'ailleurs, à l'époque des Carpocratiens, le gnosticisme était déjàséparé de l'Église, ce qui n'est nullement le cas dans notre épître.Il semble plus naturel de penser qu'il s'agit ici d'une secteapparentée à celle des Nicolaïtes mentionnés dans l'Apocalypse(Apo 2:6-15), ou des dissidents des épîtres pastorales (1Ti 4:1-3,2Ti3:1-8,Tit 1:10 et suivant). D'autre part, la mention que Jude faitdes apocalypses juives prouve qu'à cette époque encore ces livresjouissaient d'une certaine autorité dans l'Église. L'utilisation del'écrit par la deuxième épître de Pierre (voir art.) milite égalementen faveur d'une certaine ancienneté. Pour tant les témoignagesexternes de l'épître sont assez mauvais. A la fin du II° siècleseulement, elle fait partie du canon. Clément d'Alexandrie la cite (Strom., 3:2 - 11) comme épître catholique écrite par Jude frater filiorum Joseph exstans. Elle se trouve dans le Canon deMuratori, et Tertullien la connaît. Origène la mentionne, mais avecdes réserves quant à son authenticité .(In Matth, 10:17 17:3023:2) Eusèbe la range dans les Antilégomènes (H.E., III,25:3). Pour ces raisons, on place généralement la date de compositionentre 90 et 110. Mais peut-on admettre la composition de l'épître par Jude lui-même?Les connaissances que nous avons de ce personnage sont très minimes.La date de sa mort est inconnue, et le texte d'Eusèbe qui nousprésente les petits-fils de Jude comparaissant devant Domitien,semble faire croire que Jude est mort assez tôt dans le I er siècle (H.E., III, 20:1). Pourtant l'hypothèse de l'authenticité n'estpas complètement impossible. Aucun passage de l'épître ne nous défendd'une façon absolue de l'attribuer au frère de Jésus. A la fin de savie, Jude pourrait avoir éprouvé le besoin de rappeler à certainescommunautés où des troubles existaient, l'enseignement de Jésus.Toutefois, en présence des difficultés que soulève l'identificationde l'auteur avec le frère de Jésus, il vaut mieux penser à unjudéo-chrétien sorti du même milieu que Jude et qui a tenu à placerson écrit sous l'autorité du frère de Jésus. Nous savons que, pour lejudéo-christianisme, la parenté charnelle avec Jésus constituait unedignité particulière. Le rapport de notre auteur avec cejudéo-christianisme qui se vantait de continuer la tradition de lapremière communauté ne saurait être nié, et c'est ce qui donne sonimportance à cet opuscule conservé dans le recueil du N.T.Lieu d'origine.Il est difficile de fixer l'endroit d'où l'auteur a écrit, de mêmeque de désigner ceux à qui il s'adresse. Certains, en raison même durôle important qu'ont joué, en Egypte, les sectes gnostiques au débutdu II° siècle, ont cru pouvoir prétendre que notre épître étaitoriginaire de cette région où elle semble avoir été connue toutd'abord. D'autres ont pensé à l'Asie Mineure. Mais il est plusprobable que l'écrit est originaire de la Syrie. Dans les communautéssyriennes de l'Est de la Palestine, en effet, le judéo-christianismeétait très vivant; c'est même en elles qu'il survécut le pluslongtemps. Or les destinataires de la lettre semblent être tout àfait familiarisés avec les apocalypses juives. De plus, le souvenirde Jude, le frère du Seigneur, était très vivant dans cette région.Malheureusement, les indications de l'épître et notre connaissanceactuelle de ces Églises syriennes sont trop vagues pour qu'il soitpossible de préciser davantage. Une étude plus approfondie dujudéo-christianisme permettra peut-être de faire émerger de la nuitces communautés qui furent des foyers religieux extrêmementpuissants, et d'où sont sortis très probablement d'autres écritscanoniques. O. C.