JOHANNISME

Un certain nombre de points sont à fixer tout d'abord. DEFINITION ET DELIMITATION DU SUJET.Que faut-il entendre par johannisme, ou théologie johannique?S'agirait-il pour nous d'exposer la pensée religieuse de l'apôtreJean telle qu'elle s'exprime, disons, dans l'épître, dans le prologuede l'évangile, et, éventuellement, dans l'Apocalypse, en laissant lesoin d'étudier l'évangile dans son ensemble à ceux qui ont pour missionde nous renseigner sur la carrière et la prédication de Jésus? Nousne croyons pas à la possibilité d'une telle répartition. Il y a entreles écrits du groupe johannique, et tout particulièrement entrel'évangile et l'ép., une parenté si étroite, pour le fond comme pour laforme, qu'il faut les traiter comme un tout et y voir les documentsd'une pensée qui, si fortement qu'elle ait été influencée par Jésus,n'en a pas moins conservé ses caractères propres et son originalité.Il est certain, d'autre part, que cette pensée s'allie à bien deséléments qui ne sont pas de la création de l'apôtre; le johannisme,comme le paulinisme et l'Évangile lui-même, est né sur le terrain dujudaïsme et en a gardé les croyances; aussi, dans l'exposé qui vasuivre, n'aurons-nous pas à nous préoccuper de relever toutes lesaffirmations doctrinales qui peuvent se rencontrer sous la plume del'apôtre, mais seulement celles qui lui sont particulières ou qu'il amarquées de son empreinte personnelle. NOS SOURCES.Le groupe des écrits johanniques, tel que la tradition l'a constitué,comprend l'évangile, les trois ép. désignées sous les noms de 1, 2 et3_Jean, et l'Apocalypse. Nous n'aurons guère à tenir compte de 2 et3_Jean, qui sont de simples billets et qui, malgré leur incontestableintérêt historique, n'ajoutent rien d'essentiel à la connaissance quenous avons de la pensée de l'apôtre. Mais ferons-nous usage del'Apocalypse? On sait (voir art. spécial sur ce livre) quel'unanimité complète à son sujet ne se fit qu'assez tardivement dansl'ancienne Église et que, parmi les savants modernes, un grand nombreestiment que cet ouvrage est si différent de l'évangile et de l'épître ets'inspire de préoccupations qui leur sont si manifestement étrangèresqu'il est impossible de l'attribuer au même auteur. Nous serionsassez porté à penser que des liens plus nombreux qu'on ne le ditcommunément unissent ces divers écrits; qu'ils s'adressent au mêmegroupe d'Églises; (cf. Ap 1-3) qu'ils emploient les mêmesexpressions caractéristiques du vocabulaire johannique; qu'on yperçoit la même tendance à relever partout les traces de la luttetant de fois séculaire qui met aux prises le bien et le mal, la foiet l'incrédulité, la lumière et les ténèbres, l'Église et le monde,Dieu et Satan; et que, s'il n'est pas absolument certain qu'ilssoient de la même main, il y a des raisons sérieuses d'estimer qu'ilsont vu le jour dans le même milieu et appartiennent à la même famillespirituelle. Il faut pourtant bien convenir que le caractère trèsspécial de l'Apoc, empêche d'amalgamer ses tableaux aux récits del'évangile et aux exhortations de l'ép., et qu'il est indiqué del'étudier pour elle-même. Sans nous interdire d'avance toute allusionà ce livre énigmatique, c'est donc avant tout à l'évangile et à l'épîtreque nous emprunterons les éléments principaux de notre exposé. INTERPRETATION DU LANGAGE JOHANNIQUE.Nous croyons utile de rappeler dès le seuil de notre étude que latournure d'esprit très particulière de l'apôtre Jean impose certainesprécautions à celui qui entreprend de lui servir d'interprète. Ceserait certainement faire fausse route que d'étudier la pensée deJean en usant des mêmes méthodes exégétiques que pour la pensée dePaul. Paul était un logicien; ses idées se distinguent nettement lesunes des autres et en même temps s'enchaînent par un lien toujoursapparent, sinon toujours très solide; aussi peut-on être certain,lorsque l'on trouve sous sa plume une énumération telle que celle de1Co 1:30, que l'analyse grammaticale du passage en donnera laclé; la disposition des mots dans le texte original et lesconjonctions qui les relient avertissent d'emblée le lecteur qu'il ad'abord sous les yeux une affirmation générale: Christ devenu notresagesse, puis que cette affirmation est reprise et justifiée par lestrois termes suivants: justice, sanctification et rédemption, quiintroduisent chacun une idée précise, différente de celle qui précèdeaussi bien que de celle qui suit. Autre est la mentalité johannique.Jean est un contemplatif et un intuitif; il ne procède pas pardéductions, mais par affirmations; et ses affirmations se superposentplutôt qu'elles ne se succèdent; elles se reproduisent tantôt d'unefaçon pure et simple et tantôt avec l'adjonction de quelque élémentnouveau, grâce auquel le deuxième terme, tout en recouvrant lepremier, le dépasse d'un côté ou de l'autre. Il faudra par conséquentse garder, soit dans l'interprétation exégétique, soit dans letraitement homilétique d'un texte de Jean, de tenir ses distinctionsverbales pour des distinctions réelles; la déclaration de Jn14:6: «Je suis le chemin, la vérité et la vie» a un tout autrecaractère que l'énumération paulinienne rappelée plus haut, et ceserait se fatiguer inutilement l'esprit que de vouloir découvrir àtout prix une progression logique de l'un à l'autre de ces termes. Ilserait tout aussi vain, pensons-nous, de chercher dans les écrits deJean les éléments d'un système que l'on s'appliquerait ensuite àreconstruire à grand renfort de «car» et de «donc». Attendons-nousplutôt à y trouver un certain nombre d'intuitions fondamentales ou,si l'on préfère, d'expériences, dont l'ensemble constitue moins unedémonstration qu'un témoignage et qui ont pour but, comme elles ontpour effet, de déterminer chez le lecteur l'attitude de la foi plutôtque de répondre à ses besoins intellectuels. Nous ne pouvons nousdéfendre de l'impression que ces ouvrages, où l'on a découvertparfois tant de métaphysique et de théologie, ont un caractèrebeaucoup plus pratique et plus directement religieux qu'on ne lecroit généralement. DIVISION DE NOTRE EXPOSE.Elle nous sera fournie par l'apôtre lui-même qui, dans la conclusionde l'évangile, formule en ces termes les raisons qui l'ont déterminéà prendre la plume: «Ces choses ont été écrites afin que vous croyiezque Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayezla vie en son nom» (Jn 20:31). Nous avons tout lieu de croire,en effet, que ces quelques mots ne sont pas seulement le résumé del'évangile mais celui de la prédication tout entière de l'apôtre; cetteprédication ou, mieux encore, ce témoignage avait pour but de mettreen lumière: (a) le caractère divin de la personne et de la missionde Jésus, (b) la certitude du salut qu'il apporte, sous la formede la vie éternelle, à ceux qui croient en lui. La personne etl'oeuvre de Christ, tels sont les sujets sur lesquels nous aurons àfixer notre attention.I LA PERSONNE DU SAUVEUR. Nous aurons à distinguer ici entre le témoignage que Jésus serend à lui-même dans les discours rapportés par l'évangéliste et letémoignage qui lui est rendu par son disciple dans l'évangile et dansl'épître.1. Le témoignage que Jésus se rend à lui-même. On constate àpremière vue, en lisant le 4 e évangile, que les discours qu'ilrenferme, loin de posséder la même variété et la même richesse queles propos rapportés par les Synoptiques, roulent sur un uniquesujet; quelle que soit l'occasion qui les fait naître, ces discoursou ces discussions n'ont qu'un thème, et ce thème c'est le témoignageque Jésus se rend à lui-même. Cherchons donc à en recueillir leséléments principaux:A. L'ENVOYE DE DIEU. Ce qui frappe en premier lieu le lecteur del'évangile, c'est l'insistance avec laquelle Jésus s'y donne pour unhomme revêtu d'une mission divine. Assurément, il n'y a pas, sur cepoint, contradiction entre les Synoptiques et Jean. Le Christ desSynoptiques possède à un haut degré la certitude d'agir au nom deDieu et il n'hésite pas à exercer des droits que tous, autour de lui,regardaient comme des prérogatives divines; (cf. Mr 2:10,Mt10:40,Lu 10:16) mais tandis que les déclarations de ce genre sontplutôt rares chez les Synoptiques, il est à peine exagéré de direque, chez Jean, on les trouve pour ainsi dire à chaque page. Inutilede rappeler tous les passages où se rencontre la locution: Celuiqui m'a envoyé ou une expression analogue; voir les ch. 5, 6, 7, 8,12, 14, 17 et spécialement ce dernier, où l'idée de l'envoi de Jésuspar le Père alterne avec celles de son prochain retour dans la gloire(verset 5) et de l'envoi de ses propres disciples (verset 18). Cettecertitude que Jésus possède d'être un envoyé de Dieu est pour lui unsoutien et un stimulant; un soutien, parce que tant qu'il faitl'oeuvre pour laquelle il a été envoyé, il est à l'abri de toutdanger (Jn 11:9), et un stimulant, parce que tant qu'il est aumonde il doit faire l'oeuvre de Celui qui l'a envoyé (Jn 9:4 etsuivant). D'autre part, la mission qu'il avait reçue de Dieu aurait dûlui ouvrir l'accès des coeurs; il ne fait pas son oeuvre propre; ilne cherche pas sa propre gloire et, pour cette raison, il devraitêtre cru sur parole et cela d'autant plus que sa qualité d'envoyédivin, bien loin de n'être attestée que par ses déclarationspersonnelles, l'est par le quadruple témoignage: de Jean-Baptiste, qui l'a présenté à sesdisciples comme l'agneau de Dieu (Jn 1:29) et qui n'a pas hésitéà s'effacer devant lui (Jn 3:25,36, cf. Jn 5:31-35); de l'Écriture et principalement de Moïse, qui ontannoncé sa venue (Jn 5:39-47); de Dieu même, qui a confirmé sa mission par lesoeuvres qu'il lui a donné le pouvoir d'accomplir et qui sontprécisément des signes qui devraient lever tous lesdoutes (Jn 5:37 10:38 etc.); des coeurs droits, qui reconnaissentimmédiatement dans sa parole un message d'En-haut (Jn 7:17).B. LE CHRIST.Bien qu'écrit en dehors de Palestine, après la ruine de Jérusalem etpour des lecteurs qui n'ont pas de raisons spéciales de s'intéresseraux espérances juives, le 4 e évang, tient à relever que Jésus est leChrist et qu'en sa personne les promesses de Dieu à son peuple onttrouvé leur plein accomplissement. L'évangile, nous l'avons vu, futécrit précisément pour établir de façon absolument certaine que Jésusétait le Christ (Jn 20:31). Alors que les Synoptiques nousmontrent Jésus réprimant avec énergie toute proclamation intempestivede sa messianité (Mr 1:25) et, même après l'entretien solennelde Césarée de Philippe, interdisant sévèrement à ses propresdisciples de dire à personne qu'il fût le Christ (Mr 8:30), lamessianité de Jésus, d'après Jean, est chose reconnue dès le débutdans le groupe d'amis qui s'est formé autour de lui (Jn1:41-45); et la Samaritaine a à peine mentionné le nom du Christ queJésus lui répond: «Je le suis, moi qui te parle» (Jn 4:26, cf.9:37 10:24 et suivant). Il faut remarquer, d'autre part, que chez lesSynoptiques l'attente messianique--et c'est précisément ce qui motiveles réticences et les précautions de Jésus--est encore étroitementliée aux espérances de restauration politique de la nation juive,alors que le Messie, chez Jean, a cessé d'être un libérateur juif; ilappartient à l'humanité et sa venue doit avoir pour effet d'abolirles privilèges religieux d'Israël (cf. Jn 2:19 4:21-24 etsurtout Jn 12:20 et suivant). La tâche qui a été confiée à Jésusen tant que Christ n'est pas de glorifier ou d'affranchir une nationparticulière; il est le don de Dieu à un monde mauvais, plongé dansles ténèbres du péché et de la corruption (Jn 3:16), et c'estvers lui qu'un jour se tourneront tous les regards (Jn 12:32).Sa venue parmi nous est précisément la preuve suprême de l'amour deDieu, non pour Israël seulement mais pour tous les hommes. Cettemission universelle implique de toute nécessité l'existence d'un lienétroit et même unique entre Dieu et celui qui en est chargé; et cecinous amène à considérer un troisième aspect sous lequel Jésus s'estprésenté.C. LE FILS DE L'HOMME ET LE FILS DE DIEU.Jésus affirme l'existence du lien qui l'unit à Dieu et en indique lanature en appelant Dieu son Père et en se désignant lui-mêmecomme le Fils de Dieu, ou même d'une façon plus absolue encore comme le Fils. Il faut noter à ce propos que, dans le 4 e évangile, lePère est ainsi nommé par rapport au Fils et non par rapport auxcroyants ou à l'ensemble des êtres humains. Dans les Synoptiques,Jésus, pour se désigner, lorsqu'il ne parle pas à la premièrepersonne, se sert de préférence de l'expression le Fils del'homme. Ce titre n'est pas inconnu de Jean, qui le met plusieursfois dans la bouche de Jésus (Jn 1:51 3:13 6:27,62 8:2812:23 13:31). Plusieurs de ces passages impliquent, comme dans lesSynoptiques, un contraste entre la dignité du Fils de l'homme et sasituation présente; on sent très bien que ce titre, tout en mettantcelui qui le porte en relation avec l'humanité, (cf. Jn 5:27:parce qu'il est fils d'homme) l'isole aussi du reste des hommes enlui donnant un nom qu'il est seul en droit de revendiquer. Le Fils del'homme, chez Jean plus encore que chez les Synoptiques, est unpersonnage qui domine notre race; son origine céleste est nettementaffirmée: «Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendudu ciel, le Fils de l'homme, qui est dans le ciel» (Jn 3:13),c'est-à-dire celui qui, tout en vivant ici-bas, reste en rapport avecsa patrie céleste et avec Celui qui l'a envoyé. Sur sa tête les cieuxsont ouverts et les anges montent et descendent pour lui communiquerles choses d'En-haut (Jn 1:51); sa mission est de faireconnaître aux hommes les mystères du plan divin, les chosescélestes (Jn 3:12); il doit être «élevé» afin que quiconquecroit en lui ait la vie éternelle (Jn 3:15); à l'abaissementauquel il s'est volontairement soumis succédera le retour dans lagloire qu'il a momentanément abandonnée; et ceux-là mêmes qui sescandalisent de ses prétentions et refusent de l'entendre davantagele verront de leurs yeux monter où il était auparavant (Jn 6:62). Si ce titre de Fils de l'homme fait déjà ressortir le rang et ladignité uniques que Jésus revendique pour lui-même, c'est encore biendavantage le cas du titre de Fils de Dieu ou de Fils que Jésus sedonne couramment. Les passages où ces termes se rencontrent sont sinombreux qu'il est superflu de les citer expressément. Deux ou troisde ces passages, où l'expression «le Fils de Dieu» est en appositionau mot Christ (Jn 11:27 20:31), pourraient faire penser qu'ils'agit ici d'une appellation honorifique se rattachant à la fonctionmessianique. Mais un coup d'oeil jeté sur les nombreux versets où lenom du Christ n'est pas mentionné fait constater qu'en appelant Dieu son Père et en se disant lui-même le Fils ou le Fils de Dieu,Jésus entend bien se donner pour un être qu'un rapport unique unit àDieu. Sans doute, c'est un rapport de subordination et dedépendance (Jn 14:28); le Fils prie le Père et lui rend grâces,c'est le Père qui le dirige et lui montre d'heure en heure ce qu'ildoit faire (Jn 5:19). Mais, d'autre part, le Fils est larévélation du Père (Jn 14:9,20,23,26); le Père a remis touteschoses entre ses mains (Jn 13:3); et Jésus va jusqu'à dire: «LePère et moi, nous sommes un» (Jn 10:30, cf. Jn 17:22). Iln'est guère possible de ramener cette unité, comme on tente assezsouvent de le faire, à une unité morale, à une parfaite communion devues et de volonté, comme si Jésus voulait simplement affirmerqu'entre Dieu et lui, il n'y a ni désaccord, ni obstacle. Ses parolesvont incontestablement plus loin. Indépendamment de toutes ses autresdéclarations, il suffit de lire ses derniers entretiens avec sesdisciples pour voir à quel point il réclame des siens une obéissancequi n'est due qu'à Dieu et promet une aide qu'il est au pouvoir deDieu seul d'accorder. De plus, deux paroles au moins nous empêchentabsolument de réduire la conscience de Jésus à la simple convictionde son unité religieuse et morale avec Dieu; ce sont celles danslesquelles il affirme non seulement l'origine céleste de sa personneet de sa mission, mais sa préexistence, sa présence auprès de Dieuantérieurement à toute histoire humaine et même à toute création:«Avant qu'Abraham fût, je suis» (Jn 8:58) et «Rends moi lagloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût» (Jn17:5). Il est certain que, par ces déclarations, Jésus s'attribue,soit par rapport à Dieu, soit par rapport au monde, une place et unrôle uniques. Jamais aucun prophète de l'A.T., jamais aucun chrétien,si convaincu fût-il d'avoir été dès l'éternité l'objet de l'électiondivine, n'a tenu un langage approchant de celui que Jésus tient ici.Nous avons dans ces deux mots l'expression la plus haute de laconscience qu'il avait de la valeur unique de sa personne et del'importance sans égale de sa mission.2. Le témoignage de l'évangéliste. Ce témoignage pourrait être recueilli tout au long de l'évangile.Mais comme l'évangéliste a tenu à exposer dès le prologue saconception de la personne de Jésus et comme c'est là qu'il le fait dela façon la plus complète, c'est tout particulièrement à ce morceauque nous vouerons notre attention. Le prologue du 4 e évang, n'estpas, comme on le dit souvent, un fragment de pure théologie ou dephilosophie religieuse, dans lequel l'auteur se livrerait à desspéculations hasardées sur les origines métaphysiques de l'histoirequ'il s'apprête à raconter. Si on le prend dans son ensemble, on voitque c'est bien plutôt un témoignage, une sorte de profession de foidestinée à faciliter au lecteur l'intelligence des tableaux qui vontpasser sous ses yeux. Il y a correspondance étroite entre le prologueet l'épilogue déjà cité (Jn 20:31) aussi bien qu'entre leprologue de l'évangile et le début de l'ép., dont le caractèreéminemment pratique ne saurait être contesté. (cf. 1Jn 1:1-4) Ilest vrai qu'un lecteur moderne ne peut guère s'empêcher de releverdans ce morceau deux sortes d'affirmations, les unes d'ordredirectement religieux et ayant trait à l'expérience personnelle del'auteur, les autres d'ordre théologique et rendant compte del'impression que la personne de Jésus avait produite sur lui et surses frères en la foi (voir verset 16: Nous avons tous reçu). Maisil paraît peu probable que l'écrivain lui-même eût admis pareilledistinction, et il est évident qu'à ses yeux l'action de Jésus etl'explication qu'il en donne sont étroitement liées; cetteexplication n'était pas pour lui une simple conjecture, maisl'expression de la vérité même, et faisait partie intégrante de safoi. L'apôtre, pour exprimer ce que Jésus lui a apporté, fait usage dequatre termes, qui vont deux par deux, la vie et la lumière, la grâce et la vérité (voir spécialement v. 4 et v. 17). Nousl'avons déjà dit, ce serait une erreur de chercher à distinguernettement ces quatre notions; les deux formules ont le même sens etle second terme explique le premier bien plus qu'il n'y ajoute unélément nouveau, et chacun de ces mots, même considéré isolément,exprime la réalité tout entière. En Jésus, donc, Jean a trouvé lavie, la vraie vie; c'est aussi le témoignage qu'il place dans labouche de Pierre après la crise que provoqua le discours sur le painde vie (Jn 6:68). Nous verrons plus tard ce qu'il entend par ceterme de vie ou de vie éternelle. Pour le moment, nous nous bornons ànoter que, comme toute vie vient de Dieu, dire que Jésus nous apportela vie revient à affirmer que, par son moyen, nous entrons en rapportavec Dieu; en lui et par lui, la grâce divine, la miséricorde divines'est approchée de nous; s'il est en état de nous donner la vie,c'est qu'il est lui-même lumière et vérité et que nous trouvons enlui la révélation parfaite et définitive de Dieu. D'autres messagersdivins, dont le prologue fait mention, Moïse, Jean-Baptiste, ont étédes lumières, nous ont apporté certains dons de la grâce; mais laplénitude de la lumière et de la grâce ne se trouve qu'en celui queJean appelle le Fils unique de Dieu: «Personne ne vit jamais Dieu; leFils unique, celui qui est dans le sein du Père, lui nous l'a faitconnaître» (verset 18). Un être céleste est donc apparu en la personne de Jésus. Nousserait-il possible de marquer le rapport qui l'unit à Dieu autrementque par cet anthropomorphisme de Fils ou de Fils unique que nousvenons de rappeler? Jean le fait en lui donnant dès la première lignedu prologue le nom grec de Logos. Ses deux affirmationscardinales à ce sujet sont celles-ci: «le Logos était aucommencement...» (verset 1) et «le Logos est devenu chair»(verset 14). Que signifie ce terme énigmatique, et d'abord commentfaut-il le traduire? Deux traductions sont possibles: la traductiontraditionnelle de Parole ou de Verbe et la traduction plusphilosophique de Raison. Le mot a les deux sens dans la languegrecque; mais la première traduction a pour elle toutes lesvraisemblances; dans le N.T. tout entier, le terme logos n'ajamais d'autre sens que celui de mot ou de discours; puis, l'auteurdu 4 e évang, (voir Jean, évangile de) est un Juif et un Juifpalestinien, et l'on sait le rôle que joue dans l'A.T, et dans lathéologie du judaïsme la notion de la parole de Dieu; enfin noustenons pour évident qu'il y a analogie voulue entre le début del'évangile et le premier chap, de la Genèse, où reviennent par huitfois ces mots: «Et Dieu dit...» Sans doute, il n'y a pas oppositionni même distinction très tranchée entre parole et raison; le logos, en général, est ou bien la raison en activité ets'exprimant par le langage, ou bien la parole en tant que produit dela raison; suivant le contexte l'un des sens pourra prédominer, sansque l'autre soit complètement exclu; dans le cas qui nous occupe,nous estimons que c'est à bon droit que le sens de Parole a étégénéralement préféré. En ce qui concerne cette Parole antérieurement à son incarnation,l'évangéliste affirme: Sa divinité éternelle: «La Parole était aucommencement, et la Parole était auprès de Dieu et la Parole étaitDieu» (verset 1). On conteste parfois que les mots: au commencement,impliquent l'éternité de la Parole divine; le commencement, ici commedans la Genèse, ne peut signifier, dit-on, que le commencement dumonde, les origines du temps; mais il faut répondre que les trois était qui suivent ont une valeur descriptive plutôt quenarrative, et que si dans la Genèse il s'agit bien d'un acte: Dieucréa, il s'agit ici d'un état: la Parole était. Elle était, elleexistait quand toutes choses commencèrent, quand l'acte créateur seproduisit. La Parole était non pas avec Dieu, comme disent nostraductions, mais auprès de Dieu, vers Dieu (grec pros, terme quin'implique ni l'immanence complète ni la distinction absolue, maisune distinction tendant à l'unité), distincte de Dieu, mais unie àlui. Son activité dans la création. C'est par elleque s'est manifestée la volonté créatrice de Dieu: «Toutes choses ontété faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sanselle» (verset 2), allusion évidente à Ge 1, où chaque créationnouvelle est introduite par un ordre de Dieu. Ses fonctions révélatrices. C'est par elleque Dieu se fait connaître. La même Parole qui retentit à la créationpour tirer le monde du néant se fait entendre dans le coeur del'homme pour lui révéler Dieu. Elle était la lumière des hommes (verset 4), et cette lumière a brillé et brille encore pour retirerde leurs ténèbres les hommes, qui, malheureusement, refusent del'accueillir (verset 6). Il ne nous est pas possible de dire avecprécision comment l'évangéliste concevait l'existence auprès de Dieude cette Parole distincte de lui et pourtant inséparable de lui; lestermes auxquels la théologie eut recours pour exprimer cetterelation: hypostase, personne, ne jettent aucune lumière sur leproblème. Au reste, l'intention de l'évangéliste n'était pas de nousrenseigner sur l'existence prétemporelle de la Parole, mais de nouspréparer au grand fait de son incarnation «La Parole est devenue chair» (verset 14). L'expression nous paraîtchoisie pour écarter l'idée que, par l'incarnation, la Parole auraitchangé de nature. C'est le même être qui a été actif dans la créationet qui est apparu ici-bas, qui a fait sa demeure parmi nous. Cet êtreest devenu chair; il est devenu visible; il a pris un corps; il avécu temporairement sur la terre; mais c'est bien avec la Paroleelle-même et non pas seulement avec un de ses agents que les témoinsdu Christ ont frayé; c'est elle qu'ils ont contemplée et qui les afait naître à la vie d'En-haut. L'incarnation implique-t-elle, commeon le dit parfois, un appauvrissement de la Parole, une sorte dediminution à laquelle elle aurait consenti en venant parmi nous? Nousne le pensons pas. En tout cas rien, dans les expressions del'apôtre, n'est de nature à nous le faire supposer. Pour nous entenir au prologue, nous constatons que l'évangéliste, après avoiraffirmé l'incarnation de la Parole, ajoute immédiatement: «Elle ahabité parmi nous...pleine de grâce et de vérité» et, dans une sortede parenthèse qui retarde la marche de la phrase: «Nous avonscontemplé sa gloire, une gloire semblable à celle d'un fils uniquevenant d'auprès de son père.» Cette gloire, invisible, sans doute,pour les incrédules, brillait de tout son éclat devant les yeux de lafoi, qui n'eut aucune peine à la discerner. Le salut que nous apportela Parole est un salut complet, parfait, définitif; en elle se trouvenon pas seulement un rayonnement, mais la plénitude de la vieéternelle (verset 16). Il est vrai que, dans le cours de l'évangile,sa gloire, qui est identique à la connaissance de sa vraienature, apparaît comme voilée et ne se révèle que progressivement auxyeux des disciples; il fallut la résurrection pour la leur révélerintégralement; néanmoins elle était là, dès le commencement, toutentière; même ici-bas, le Fils de l'homme continue à être celui quiest dans le ciel (Jn 3:13); le lien qui l'unit au Père estparfait (Jn 10:30 11:42 14:9 et suivant); si, à mainte reprise,Jésus parle de son élévation prochaine et de la glorification quisuivra (Jn 3:14 6:62 12:23,32 et surtout Jn 17:5), ce quichangera, ce sont ses rapports avec le monde et les dispositions dumonde à son égard; la gloire qu'il va obtenir n'est pas une béatitudequi lui manquait encore, mais la pleine reconnaissance de ce qu'ilest et n'a jamais cessé d'être. D'où Jean a-t-il tiré sa conception du Logos? Est-ce un empruntqu'il fait à la philosophie du temps, ou une notion biblique qu'iladapte à ses expériences et à ses convictions chrétiennes? Lesdéfenseurs de l'authenticité du 4 e évang, se prononcent, dans larègle, pour la deuxième hypothèse, et les adversaires pour lapremière, ceux-ci étant généralement d'avis que c'est le philosophejuif Philon d'Alexandrie qui a fourni ce terme et la conception quis'y rattache. C'est un problème difficile à trancher et sur lequel,vraisemblablement, les avis se partageront toujours. Il nous paraîten outre que c'est une question secondaire. Cette question n'auraitréellement de l'importance que s'il était prouvé que la notionintroduite dans le prologue a réagi sur la façon dont l'auteur arapporté les faits; si, par exemple, il mettait dans la bouche deJésus des propos sur le Logos qu'il n'a certainement jamaistenus. Mais ce n'est en aucune façon le cas. Si forte que soit ladifférence entre les langages johannique et synoptique, il estcertain que les affirmations fondamentales sont très voisines et quede multiples analogies peuvent être relevées entre le témoignage queJésus se rend à lui-même chez les Synoptiques et celui que Jean metdans sa bouche. Le terme Logos ne se trouve que dans le prologuede l'évangile, au début de l'épître (1Jn 1:1) et dans un passagede l' Apo (Ap 19:13). De plus, ceux-là mêmes qui admettent unecertaine dépendance de l'évangile à l'égard de Philon sont obligés dereconnaître qu'il y a de notables différences entre les conceptionsdes deux écrivains. Il y a peu d'affinité entre le Dieu de Philon,qui est le Dieu transcendant du judaïsme postérieur et du platonisme,et le Dieu Père du 4 e évang, dont la notion est si étroitement liéeà l'A.T, et à l'enseignement de Jésus; peu d'affinité entre le Logos de Philon, qui est surtout la raison divine, principeimmanent de l'être divin, et le Logos johannique, véritablepersonne, capable de s'incarner dans un être humain; peu d'affinitéentre l'intérêt cosmologique qui s'attache au Logos de Philon, etla mission avant tout révélatrice et rédemptrice assignée au Logos du 4 e évangile; peu d'affinité enfin entre le caractèreabstrait et philosophique du Logos de Philon, qui sertd'intermédiaire entre Dieu et le monde de la matière, et le rôlehistorique du Logos de Jean, descendu ici-bas pour répondre àl'espérance messianique. Ces différences tendraient à prouver que siJean a emprunté quelque chose à Philon, c'est tout au plus le termede Logos ; encore cet emprunt purement verbal n'est-il nullementétabli. Pourquoi veut-on qu'il ait été impossible à un Juifpalestinien de se servir de ce mot à moins qu'il n'ait subi uneinfluence étrangère? Nous avons déjà signalé le rôle important quejoue dans l'A.T, la notion de la parole de Dieu; on connaît, d'autrepart, la tendance, perceptible déjà dans les Psaumes et dans lesProverbes, (cf. Pr 8:22-31) à personnifier certains attributsdivins. Pourquoi Jean ne serait-il pas, lui aussi, entré dans cettevoie? Et si l'on nous demandait ce qui aurait pu l'y engager, nousrépondrions que les déclarations de Jésus, telles qu'elles étaientgravées dans son souvenir et telles qu'il les a consignées dansl'évangile, peuvent parfaitement l'y avoir conduit.II L'OEUVRE DU SAUVEUR. La notion du salut qui, dans la théologie paulinienne, se ramène àcelle de la justification, se traduit, dans la théologiejohannique, par la notion de vie ou de vie éternelle. Quelleest la portée de ce terme? C'est ce que nous avons maintenant àdéterminer en recherchant tout d'abord à quoi il s'oppose et quel estle mal auquel la vie éternelle doit porter remède.1. Le monde sans Dieu. Nous aurions pu dire tout simplement le monde (voir ce mot); car,dans le langage johannique, le monde est précisément ce qui s'opposeà Dieu, le royaume sur lequel Satan exerce sa domination. Que faut-ilentendre par ce terme? Pas le monde matériel; il serait aussi inexactde dire que Jean fait de la matière le principe du mal que deprétendre que Paul voit dans le corps la source du péché; ni l'un nil'autre ne peuvent être taxés de dualisme. Le monde, au sensjohannique, c'est l'humanité; la chose ressort avec évidence desnombreux passages où il est question du péché du monde, du jugementdu monde et surtout de l'amour dont le monde a été l'objet de la partde Dieu; mais c'est l'humanité hostile à Dieu, asservie à Satan,travaillée, tourmentée, pervertie par les instincts mauvais dontl'anime celui qui la tient en son pouvoir et qui est appelé pourcette raison le prince de ce monde (Jn 14:30). Le monde,dans la conception de Jean, n'est pas ce champ mélangé de bon grainet d'ivraie dont nous parle l'une des paraboles de Jésus; c'est unchamp qui ne produit que de l'ivraie; tout, dans sa vie, procède d'unprincipe mauvais; il est tout entier au pouvoir du Malin (1Jn5:19). Il résulte de ce fait qu'en plus d'un passage, sans que lanotion primitive d'humanité soit totalement effacée, le terme mondedevient synonyme de péché; être du monde signifie appartenir auroyaume du mal, tout comme, chez Paul, marcher selon la chairsignifie vivre dans le péché. Mais sommes-nous sûrs, avant d'allerplus loin, que lorsque Jean parle du péché, il prend ce terme dans lesens où il est généralement employé dans le reste du N.T.? Dans laBible, le péché est présenté comme un acte de révolte ou tout aumoins de désobéissance; il est défini comme la transgression de laloi et classé ainsi parmi les phénomènes d'ordre moral ou volontaire.Or on rencontre parfois l'assertion que, pour Jean, le péché est unfait de nature, qu'il réside dans notre incapacité de créatures,appartenant à un ordre de choses passager et périssable, à nousélever à une vie supérieure, et qu'il n'impliquait aucuneresponsabilité spéciale jusqu'à la venue du Christ et à la résistanceque les hommes lui ont opposée. «Si je n'étais pas venu et si je neleur avais pas parlé, dit le Christ johannique, ils n'auraient pas depéché» (Jn 15:22). Il est certain que, pour Jean, le péché parexcellence est l'incrédulité, le refus de reconnaître en Jésus leSauveur et de se soumettre à sa parole; c'est le péché auquel il n'ya pas de remède, parce qu'il consomme la rupture entre le pécheur etDieu. Mais, précisément, d'où provient l'incrédulité? De ce que lalumière fait défaut? De ce que la révélation divine est entourée detant d'obscurités qu'il est impossible aux âmes sincères de ladiscerner? Nullement. C'est même l'une des thèses principales del'évangile que l'incrédulité des Juifs a des causes morales. Dieu asuffisamment rendu témoignage à son envoyé pour que celui-ci soit endroit de les rendre responsables de leur égarement (Jn 5:41-47).La venue de Jésus a, sans doute, provoqué une crise; mais, si elle amis en lumière le péché, elle ne l'a pas créé; il était là etn'attendait que l'occasion de se manifester (Jn 3:19-21). Et sinous demandons à Jean quel est le fond ou la nature intime de cepéché, il nous répond que pécher, c'est se vouloir soi-même, c'estrechercher sa propre gloire (Jn 5:44), c'est se laisserentraîner par ses propres convoitises (1Jn 2:16), c'est surtoutrefuser d'aimer ses frères. En péchant, on se met sous le joug dudiable, dont on accomplit la volonté (Jn 8:44); d'où il résulteque le pécheur se sépare de Dieu; il vit dans les ténèbres, c'est-à-dire qu'il est privé de la vraie connaissance de Dieu; il vitdans le mensonge, c'est-à-dire dans ce qui trompe, qui séduit etqui passe; pécher, c'est donc se condamner à périr. Monde, péché,condamnation, ténèbres, mensonge, mort, autant de termes quis'appellent et qui décrivent autant d'aspects de la vie sans Dieu.2. La vie éternelle. Connaissant l'état de l'homme sans Dieu, nous sommes à même decomprendre ce que Jean entend par le salut ou, pour nous servir de sapropre expression, par la vie éternelle. Ce terme, si fréquentsous sa plume, se rencontre aussi chez les Synoptiques, où il estégalement synonyme de salut. Demander ce qu'il faut faire pour êtresauvé ou pour hériter la vie éternelle revient exactement au même. Ily a toutefois cette différence entre les Synoptiques et Jean quelorsque les premiers emploient le terme de vie ou de vie éternelle,ils lui donnent régulièrement une portée eschatologique (Mt 18:819:16 25:46); la vie éternelle est la récompense de ceux qui aurontservi le Christ avec fidélité. Cet aspect de la vie éternelle n'estpas inconnu de Jean; l'évangile, sans y insister, annonce larésurrection (Jn 5:28 et suivant, cf. Jn 11:24 et suivant);l'épître rappelle à ses lecteurs que leur qualité d'enfants de Dieu,bien que réelle, n'éclate pas encore au grand jour (1Jn 3:2);néanmoins, ce qui caractérise très nettement l'enseignementjohannique sur ce point, c'est qu'elle est un bien présent, dont lescroyants sont dès maintenant en possession (Jn 3:36). En quoiconsiste cette vie? Jean ne la définit nulle part; mais il n'est pasdifficile de constater que ce qu'il entend par ce mot se rapprochebeaucoup de ce que Paul appelle la rédemption, c-à-d,l'affranchissement des conséquences morales et religieuses,temporelles et éternelles du péché. Périr est dès à présent le sortauquel est condamné quiconque appartient au monde; «le monde passe,avec sa convoitise» (1Jn 2:17); la vie dont il se vante n'estqu'une illusion; la paix qu'il donne est une fausse paix (Jn14:27); et celui qui lui appartient ne sait sur quis'appuyer (Jn 6:68). Jésus, lui, donne la vie; d'abord la viequi demeure, qui est au-dessus de tous les accidents et que la mortmême ne peut interrompre (Jn 11:25); et c'est aussi la vraievie, celle qui donne conscience d'avoir pris pied dans la réalité,dans le «véritable» (1Jn 5:20); c'est la vie qui satisfait, quine laisse au fond du coeur aucun désir inassouvi; quiconque laconnaît ne va plus chercher ailleurs ce qu'il possède désormais enabondance; en un mot, c'est la perfection du bonheur (Jn 4:13et suivant). Cette vie est une force; celui qui l'a reçue se sentsupérieur au monde; il a vaincu le Malin (1Jn 5:18); bien plus,il devient à son tour générateur de vie; il exerce sur ceux quil'entourent une action qui les arrache au monde et les met en contactavec la vie: «Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vivecouleront de son sein».--Mais (Jn 7:38) cette vie, d'oùvient-elle? Qu'est-ce qui l'engendre en nous? Jean répond à cettequestion en identifiant la vie et la lumière (Jn 1:4). Or, lalumière, c'est la vraie connaissance de Dieu; celui qui est né deDieu et qui, par conséquent, vit, c'est celui qui connaîtDieu (Jn 17:3). De quelle connaissance s'agit-il ici? Évidemmentpas d'une connaissance purement intellectuelle; il ne suffit pas,pour vivre, d'avoir une notion correcte de Dieu et de savoir queJésus est venu de sa part. Le mot connaître est employé ici dans sonacception hébraïque; c'est la connaissance pratique, résultant nond'un enseignement mais d'une relation personnelle. Connaître Dieu,dans le langage des prophètes, c'est l'avoir rencontré et, surtout,c'est lui obéir. De même, dans le langage johannique, connaître Dieu,c'est avoir cru à son amour et faire sa volonté. Vivre revient ainsià aimer Dieu et à garder ses commandements; quiconque en est là estsorti définitivement des ténèbres et a échappé à la puissance de lamort. Enfin, cette vie, qu'est-elle dans sa réalisation pratique? Neserait-elle qu'un sentiment indéfinissable de bien-être et de joieprocédant de la certitude de l'amour de Dieu? Comme elle est née del'amour, elle se réalise et se manifeste dans l'amour. Jésus, chezJean, fait de l'amour la marque distinctive de ceux qui luiappartiennent (Jn 13:35), et l'épître nous rappelle que «noussavons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nousaimons nos frères» (1Jn 3:14 4:7). Il résulte de là que, commenous avons pu établir une sorte d'équivalence entre les termes monde,péché, ténèbres, haine, mort, les termes vérité, lumière, amour, vie,sans être absolument synonymes, sont étroitement liés et décrivent lesalut dans sa cause objective (lumière), dans sa réalisationsubjective (vie), dans sa manifestation et ses effets (amour). Ilnous reste à voir comment ce salut est l'oeuvre du Fils de Dieu etpar quel moyen nous nous l'approprions.3. L'oeuvre du Christ. Pour saint Paul, toute l'oeuvre du Christ se concentre dans sa mortet sa résurrection; la prédication de l'apôtre a pour but unique deprésenter la croix et de tourner les regards de ses auditeurs vers leChrist crucifié. Ce point de vue, qui fut celui de toute l'Égliseprimitive, est loin d'être étranger à Jean qui, en maint passage,fait allusion à l'oeuvre rédemptrice du Christ et à sa mortexpiatoire. Jésus est désigné aux disciples de Jean-Baptiste comme«l'Agneau qui ôte le péché du monde» (Jn 1:29), et l'épître nousrappelle que si quelqu'un vient à tomber en faute, nous avons auprèsdu Père un intercesseur en la personne de Jésus, «qui est une victimeexpiatoire pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, maispour ceux du monde entier» (1Jn 2:2, cf. 1Jn 4:10 5:6).Néanmoins, ce n'est point sous cet. aspect que l'oeuvre du Christ estprésentée en général dans les deux écrits qui servent de base à laprésente étude. Dans la prière sacerdotale, Jésus s'exprime en cestermes: «J'ai achevé l'oeuvre que tu m'as donnée à faire» (Jn17:4); il résulte de ce passage, comme, du reste, de l'ensemble dela prière que, dans la conception johannique, c'est le ministère deJésus, ministère qui se poursuit aujourd'hui par l'intermédiaire del'Esprit (Jn 14:15-21,28 16:12-16); qui constitue son oeuvrepropre; sa mort, heure douloureuse, qui marque le point culminant desa carrière terrestre (Jn 12:23,28), ouvre en même temps unenouvelle phase de son existence; c'est le point de départ de son élévation, la condition et le commencement de sa glorification.En quoi donc,a consisté son oeuvre? Elle n'est définie nulle partplus clairement que dans la prière sacerdotale et notamment dans cemot: «J'ai fait connaître ton nom aux hommes que tu m'as donnés dumilieu du monde» (Jn 17:6). C'est là le point essentiel. Christest le Sauveur, celui qui donne la vie éternelle, parce qu'il apporteou, mieux encore, qu'il est lui-même la parfaite révélation de Dieu.Sa tâche fut de vivre en qualité de Fils de Dieu parmi les hommes,afin qu'en le contemplant, ils en vinssent à connaître Dieu lui-même,dans son amour insondable et sa volonté sainte. L'envoi du Filscouronne et achève toutes les révélations de Dieu; la série desprophètes, de Moïse à Jean-Baptiste, lui a frayé la voie; tous furentd'authentiques messagers de Dieu; tous furent éclairés d'une lumièredivine dont le rayonnement guidait ceux qui consentaient à lessuivre. Il est, lui, la lumière, la vérité; lui seul peut dire:«Je suis le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14:6) parce qu'enlui seul Dieu s'est révélé dans la plénitude de sa grâce et de samiséricorde; ses disciples ont trouvé en lui le seul bergervéritable; il a été pour eux la porte, qui les a introduitsdans le vrai bercail, où ils sont désormais en sécurité (Jn 10);c'est lui qui, en leur manifestant le Père, a fait d'eux tous desenfants de Dieu (1Jn 3:1). Il se trouve que, par cette oeuvre,Jésus a opéré parmi les hommes un jugement ou un triage que certainspassages présentent comme le but même de sa venue (Jn 9:39);ceux qui sont «de Dieu» ou «de la vérité» ont immédiatement reconnusa voix; ceux qui sont «du monde» n'ont ni pu, ni voulu lereconnaître. Pour les premiers, il a été un libérateur; la véritéqu'il leur a fait connaître les a affranchis (Jn 8:30 etsuivants), les a dégagés de l'influence de ce monde, qui ne peut plusni les séduire par ses plaisirs trompeurs, ni les effrayer par sesmenaces et ses mauvais traitements (Jn 16:33). Quant à ceux quisont «du monde», leur attitude à l'égard de Jésus est leur proprecondamnation; en demeurant incrédules, ils montrent ce qu'ils sont età qui ils appartiennent; ils sont les serviteurs ou les fils de celuiqui est appelé le père du mensonge ou de l'opposition à Dieu, et leurchâtiment est de rester ce qu'ils sont, de demeurer dans l'esclavage,attachés à ce qui périt pour périr eux-mêmes avec ce qu'ils ontrecherché. Tel est aussi, d'après les ch. 13 à 16 de l'évangile, ladouble activité de l'Esprit qui, après le départ de Jésus, continuerason oeuvre ici-bas, affermissant les disciples, leur remettant enmémoire les choses que Jésus leur avait annoncées, leur en enseignantmême de nouvelles, les rendant capables d'accomplir des oeuvresencore plus grandes que les siennes et, d'autre part, jugeant lemonde et mettant en lumière sa condamnation. Dans cette oeuvre, la mort de Jésus ne joue pas un rôle distinct decelui de sa vie; avant même de les quitter, Jésus pouvait dire à sesdisciples: «Vous êtes déjà nets, à cause de la parole que je vous aiannoncée» (Jn 15:3, cf. Jn 13:10). Néanmoins, nous l'avonsdit, la mort de Jésus est fréquemment relevée dans l'évangile etl'épître; plus clairement que chez les Synoptiques, on voit dansl'évangile que Jésus y marchait consciemment dès le début de sonministère, mais elle est présentée sous un autre jour que dans lereste du N.T. D'une part, la croix est présentée comme une sorte depiédestal, qui, en élevant le Fils de l'homme, augmentera sonpouvoir d'attraction. A cette hauteur où ses adversaires l'auronthissé, tout oeil le verra; l'humanité tout entière dirigera sesregards vers lui et, dans sa mort même, à la fois si pleine desoumission à la volonté de Dieu et si royale, les hommes, enfinconvaincus, reconnaîtront le Fils de Dieu (Jn 3:14 12:24-32).D'autre part, la mort de Jésus est pour les disciples la confirmationsuprême de l'amour que leur maître leur portait. Pour les sauver,celui qui avait déjà consenti à prendre vis-à-vis d'eux l'attitude del'esclave et à leur laver les pieds, acceptera la mort ignominieusede la croix; berger fidèle au troupeau dont la garde lui a étéconfiée, il combattra jusqu'à la mort pour le salut de sesbrebis (Jn 10). Telle est l'oeuvre de Jésus. Comment nous atteint-elle et par quelmoyen nous l'approprions-nous? La réponse de Jean est identique àcelle de Paul: par la foi. Le salut est un don gratuit de l'amourde Dieu et nous ne pouvons que l'accepter avec confiance etreconnaissance. Il y a cependant une nuance entre la conceptionjohannique et la conception paulinienne de la foi. Pour Jean, la foiest tout d'abord l'intelligence ou l'intuition de la vraie nature deJésus; croire en lui, c'est reconnaître en lui le Fils de Dieu etprendre vis-à-vis de lui l'attitude qu'entraîne une telle découverte.Pour Paul, la foi est avant tout confiance en Jésus et acceptation del'oeuvre de réconciliation qu'il a accomplie en notre faveur. Mais ilest évident qu'il n'y a pas opposition entre ces deux conceptions,dont la différence tient à la façon dont le salut s'était présenté àl'un et à l'autre; il faut même dire qu'elles sont une dans le fond,puisque la foi, chez Paul et chez Jean, a le même objet et porte lesmêmes fruits; chez Jean, la foi, née de la contemplation du Christ,se traduit d'elle-même en amour (voir ce mot), et Paul, après avoirinsisté sans se lasser sur la pleine suffisance de la foi, n'endéclare pas moins avec l'accent le plus convaincu: «Quand j'auraistoute la foi, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai pas lacharité, cela ne me sert de rien» (1Co 13:2). BIBLIOGRAPHIE.--Consulter sur le sujet les ouvrages sur lathéologie biblique du N.T.; ils ne sont malheureusement pas trèsnombreux en français et nous ne pouvons guère citer que: Reuss, Hist. de la Théol. chrét. au siècle apost., 3 e éd. 1864.--J.Bovon, Théol. du N.T., 1893.--G. Fulliquet, La pensée relig.dans le N.T., 1893. Voir aussi M. Gogukl, Introd. N.T., t. II,ch. XII (1924), et la brochure de Jean de Saussure, L'oeuvre duChrist selon le 4e év., 1928. Aug. Th.