JEU

I Chez les Israélites. Les jeux n'ont pas tenu dans la vie du peuple d'Israël la placeconsidérable qui leur était faite dans la société gréco-romaine, oùl'existence eût paru bien vide sans le théâtre et le cirque.L'Israélite était, en effet, plus préoccupé des réalités intérieureset soucieux de trouver ou de garder le contact avec Dieu que de serépandre au dehors et de se divertir; le trait essentiel de soncaractère était le sérieux et la gravité; il n'y avait, en Palestine,d'autres réjouissances publiques que les grandes fêtes religieusestraditionnelles (De 12:7,12 16:13-15,2Ch 30:23-27,Ne 8:9,10-1712:13); et lorsque, sous les Séleucides, puis sous Hérode, destentatives furent faites pour y introduire les jeux publics en usageailleurs, cela fut regardé par les éléments les plus sains et lesplus pieux de la population comme un outrage au sentiment national etun péril pour la foi religieuse (2Ma 4:13 et suivant). Si austère que fût la vie des enfants d'Israël, elle comportaitcependant des délassements, et les jeux n'étaient pas tout à faitinconnus ou proscrits. Il va de soi que l'enfance, comme partoutailleurs, se passait en distractions et amusements de toutes sortes.Le prophète Zacharie évoque, à l'avance, le tableau des rues de laJérusalem restaurée retentissant, comme autrefois, des cris joyeux etdes ébats des enfants (Za 8:5); et Jésus fait allusion aux jeuxdes troupes de garçons et de filles qui, sur les places publiques,jouant aux grandes personnes, simulaient des noces et desfunérailles (Mt 11:16 et suivant); le livre de Job mentionne undivertissement à l'aide d'oiseaux apprivoisés (Job 40:24); leprophète Ézéchiel emprunte à un jeu de garçons (pratiqué encoreaujourd'hui par les jeunes Malgaches) le thème d'une de ses actionssymboliques (Eze 4:1,3); les évangiles apocryphes, enfin,représentent Jésus, enfant, occupé avec des camarades de son âge, àjouer à cache-cache, à faire des personnages ou des animaux en terreglaise, etc. Voir E. Le Camus, Les enfants de Nazareth, Paris,1900. Les délassements habituels de l'âge mûr étaient le chant et ladanse, accompagnés du jeu de divers instruments de musique (voirart.): trompette, luth, harpe, flûte ou chalumeau, tambourin, sistre,cymbales et triangle; on s'y livrait aux banquets de noces (peut-êtrele Cantique des Cantiques est-il un recueil de chants nuptiaux),après les vendanges et les moissons, ou après quelque exploit fameuxpour célébrer une victoire (Ex 15:20,Jug 11:34 21:21,1Sa 18:6,Esa5:12,Jer 31:4,13,Ec 3:4,Jug 3:7). Les chants et la musique avaientnaturellement, comme de nos jours, leur place dans les cérémoniesreligieuses (Ne 7:67 12:27,46); mais la danse elle-même y avaitaussi sa part: elle y était même si intimement mêlée que le mothébreu qui désigne les fêtes rituelles dans les plus anciensdocuments bibliques appartient à la même famille que le verbe khâgag qui signifie danser; ainsi que dans l'antiquitéhellénique, des processions circulaient en dansant autour des autelsou devant l'arche de l'alliance pour honorer la divinité (Ex32:6,19,Jug 21:19-21,23,2Sa 6:13-15,Ps 87:7 149:3 150:3); àl'époque hasmonéenne, à partir d'Alexandre Jannée, lors de la fêtedes Tabernacles, les fidèles exécutaient chaque soir, dans le parvisdu Temple, une danse aux flambeaux avec accompagnement de cantiques,et terminée par des sonneries de trompettes (Mischna, Soucca, 5). Proposer et deviner des énigmes était aussi un passe-temps favorides Israélites (Jug 14:10-14,1Ro 10:1-3,Eze 17:2,Pr 1:6). Le jeude dés, si répandu dans le monde ancien, les jeux de dames ou demarelle (fig. 111), et une sorte de jeu de cartes apparurent tard, enPalestine, à l'époque talmudique. Quant aux sports que les Israélites semblent avoir connus etpratiqués, on trouve dans l'A.T, des allusions: au lancer de lafronde (Jug 20:16,1Sa 17:49,1Ch 12:2); au tir à lacible (1Sa 20:20,35-39 Job 16:12 La 3:12 s); au maniement despoids (Za 12:3); à la course (2Sa 1:23,Ec 9:11); à laballe (Esa 22:17 et suivant). On peut inférer aussi de certainspassages que les tournois ne devaient pas leur être inconnus (1Sa17:10,2Sa 2:12,17). L'art dramatique et les spectacles demeurèrent ignorés des enfantsd'Israël jusqu'au moment où, à la faveur de la politique habiled'Alexandre le Gd et de certains de ses successeurs, l'influence del'hellénisme pénétra en Palestine. (Si, comme le veulent certainscritiques, le Cantique des Cantiques est, non un recueil de chantsnuptiaux, mais un drame, il n'y a pas d'apparence qu'il ait étéeffectivement représenté.) A l'époque des Séleucides, le grand-prêtreJason, pour plaire à Antiochus Épiphane, fit construire dansJérusalem, au-dessous de la citadelle, c'est-à-dire tout à proximitédu Temple, une palestre ou gymnase et une éphébie (salle d'exercicespour jeunes gens) où le jeu du disque fut très en faveur (2Ma 4:9,15); à partir du même moment, on célébra à Tyr de grandsconcours sportifs qui, à l'imitation des jeux olympiques, revenaienttous les cinq ans: des Juifs y descendaient en spectateurs (2Ma 4:18 et suivant). Plus tard, Hérode le Gd fit bâtir un théâtredans l'enceinte de la capitale et un amphithéâtre aux portes de laville et il institua, en l'honneur de l'empereur de Rome, dont ilétait le vassal, de somptueuses fêtes quinquennales avec combats etcourses de chars: l'appât de prix importants y attirait de nombreuxcompétiteurs.II En Grèce et à Rome. Dans la société gréco-romaine, les jeux constituaient une partimportante de la VI° sociale. A Rome, en particulier, ils avaientpris un tel développement que, sous l'empire, il y avait centsoixante-quinze jours de jeux publics par an: le reste du temps, «onvivait dans le souvenir des fêtes passées et dans l'attente des fêtesà venir». La fureur des spectacles était telle que, même en pleinevictoire du christianisme, au IV e siècle, les empereurs gagnés à lafoi nouvelle n'osèrent pas s'attaquer à cette vieille institutioncomme l'Eglise les y exhortait, ou ne le firent que timidement, avecles plus grandes précautions, et, du reste, sans succès. L'apôtre Paul y faisant de fréquentes allusions dans ses épîtres,ce sont surtout les jeux de la Grèce qui doivent retenir l'attentiondu lecteur de la Bible. A l'origine, ils se célébraient en l'honneurdes dieux ou des héros. Ainsi les jeux olympiques, qui se tenaienttous les quatre ans à Olympie (Élide), étaient dédiés à ZeusOlympien; les jeux pythiques, qui avaient lieu tous les quatre anségalement, auprès du sanctuaire de Delphes, étaient dédiés à ApollonPythien; les jeux isth-miques se célébraient tous les deux ans àl'isthme de Corinthe, en l'honneur de Poséidon; les jeux néméens, quirevenaient tous les deux ans à Némée (Argolide), étaient consacrés àHéraclès ou Hercule, vainqueur du lion de Némée. Ces quatre grandsjeux rassemblaient des foules considérables, venues non seulement del'Hellade, mais de toutes les régions avoisinantes. Les plus ancienset les plus importants étaient les jeux olympiques, dont le retourpériodique servait de repère pour la notation chronologique desévénements, chaque intervalle de quatre ans compris entre deux jeuxsuccessifs constituant une olympiade. En dehors de ces quatre grandesmanifestations panhelléniques, des jeux analogues se tenaient un peupartout dans la métropole et dans les colonies, où stades et théâtresne manquaient pas. Les voyages de l'apôtre Paul ont dû lui permettrede connaître de plus près les jeux de Corinthe et ceux d'Éphèse,après avoir certainement vu dans son enfance ceux de Tarse. Les fêtes commençaient de grand matin par des sacrifices offerts àla divinité: des processions de spectateurs déposaient leursoffrandes au pied des autels. Après quoi, les jeux commençaient: dansle champ appelé stade, se disputaient courses à pied, luttes, cesteou pugilat, saut, disque, javelot; dans l'hippodrome, quatre foisplus grand que le stade, courses à cheval et courses de chars. Lesarbitres, dont les noms étaient tirés au sort parmi les magistrats dela Cité, devaient s'être préparés à leurs fonctions dix mois àl'avance, en présidant, en particulier, à l'entraînement des athlètesengagés pour les épreuves. Seuls les Hellènes de condition libreétaient admis à concourir; les esclaves et les barbares étaientexclus. Les concurrents juraient, sur l'autel du dieu en l'honneurduquel se donnaient les jeux, de combattre loyalement et suivant lesrègles. Le dernier jour des fêtes avait lieu la distributionsolennelle des récompenses, qui consistaient simplement en unebranche de palmier et une couronne de feuillage: d'olivier à Olympie,de laurier à Delphes, de pin à Corinthe, de lierre à Némée. Un hérautproclamait devant la foule le nom et le pays du vainqueur, auquel lesmodestes mais pourtant glorieux insignes de son succès étaient remispar les arbitres, et qui, à son retour chez lui, était reçu avec leshonneurs du triomphe: il entrait dans sa ville, non par l'une desportes, mais par une brèche pratiquée spécialement à cet effet dansles remparts; vêtu de pourpre, il était monté sur un char traîné parquatre chevaux blancs; pour le reste de sa vie, il était unpersonnage sacré, exempt de charges et d'impôts, nourri dans lessanctuaires, partout assis à la place d'honneur; sa victoire étaitchantée en vers et commémorée par une statue à son effigie. L'apôtre Paul a trouvé dans ces jeux des images dont il s'est servipour illustrer l'idée, qui lui est chère, que la vie chrétienne estun long et dur combat où il faut apporter énergie, méthode, ténacité,abnégation, et qui s'achève par un magnifique triomphe. On trouvesous sa plume de nombreuses allusions aux diverses phases de cesfêtes sportives. Ainsi, il déclare que la piété exige del'entraînement (grec 9 ymnase), aussi bien et même plus que lessports, car elle est de plus grande importance et de plus lointainesconséquences: d'où toute une série de conseils pour cet «exercice dela piété» (1Ti 4:7-16); il rappelle à son jeune ami Timothée quele conducteur d'âmes, pour avoir un ministère efficace, doit posséderméthode et discipline, tout comme l'athlète qui veut remporter leprix est obligé de se conformer à certaines règles établies (2Ti2:5); il affirme qu'il est indispensable que le chrétien saches'imposer, comme le lutteur de l'arène, un régime d'abstinencessévères et ne pas ménager son corps (1Co 9:25,27); il compare lechrétien à un coureur dont la volonté, les muscles et l'être toutentier sont tendus en avant vers le but (1Co 9:24,26,Ga 2:2,Php2:16 3:12-14,2Ti 4:7), ou bien à un lutteur engagé dans la lice(1Co 9:25 et suivant, 1Ti 6:12,2Ti 4:7); dans le passagebien connu de l'épître aux Éphésiens où il décrit «l'armure de Dieu»,peut-être songe-t-il à la course en armes qui terminait le plussouvent les jeux et où les concurrents engageaient le combat équipésen hoplites, c'est-à-dire avec casque, cuirasse, jambières, épée etbouclier (Eph 6:11,17); au cours de son long développement surla résurrection des morts dans 1 Cor., il compare aux combats desbestiaires, importés de Rome vers cette époque dans le bassin de laMéditerranée orientale, les assauts qu'il eut à soutenir à un certainmoment à Éphèse, peut-être au cours d'une émeute (1Co 15:32; ilest difficile de prendre à la lettre les mots: contre les bêtes;comme citoyen romain, Paul ne pouvait, en effet, être livré auxfauves; et d'autre part, il n'eût pas manqué de mentionner une siterrible épreuve avec celles dont il fait la gloire de son apostolatdans 2Co 11:23-28); il évoque, enfin, à plusieurs reprises,l'heure du triomphe et la remise de la couronne au vainqueur, et ilinsiste sur l'inestimable valeur de la récompense assurée au fidèle(1Co 9:24 et suivant, Php 3:12,14 4:1,1Th 2 2Ti 4:8);cf. Sag 4:2 5:17 et suivant, Sir 32:3. En dehors des épîtres pauliniennes se trouvent encore quelquesallusions aux jeux du stade. Ainsi, lorsque l'auteur de l'épître auxHébreux exhorte le chrétien, appelé à accomplir sa course sous lesyeux de témoins invisibles, à se libérer de tout fardeau et de touteentrave et à fixer ses regards uniquement sur Jésus qui entraîne lescroyants et les conduit au but (Heb 12:1 et suivant), il acertainement présente à l'esprit l'image du coureur qui, au milieu del'amphithéâtre garni de spectateurs, se lance résolument dans lacarrière après s'être débarrassé de ses vêtements et ne perd pas devue un seul instant le but à atteindre. Les apôtres Pierre et Jacqueset l'auteur de l'Apocalypse enfin paraissent songer au moment dutriomphe et à la gloire du vainqueur des jeux, lorsqu'ils parlent dela couronne glorieuse promise au chrétien fidèle à sa vocation et despalmes offertes aux martyrs de la foi (1Pi 5:4,Jas 1:12,Ap 2:107:9). Ch. K.