JÉSUS-CHRIST (7)

VI Christologie. 1. LA CHRISTOLOGIE PRIMITIVE.D'après les discours renfermés dans la première partie du livre desActes, qui sont généralement considérés comme renfermant desconceptions très anciennes, la messianité de Jésus n'a été effectivequ'à dater de la résurrection. Nulle part, l'humanité de Jésus n'est aussi fortement accentuéeque dans ces discours. Jésus y est désigné simplement comme le serviteur de Dieu. Dans leurs prières, les disciples disent:«Étends ta main, pour qu'il y ait des guérisons, des signes et desmiracles par le nom de ton saint serviteur Jésus» (Ac 4:30). Lapensée des Actes se trouve complétée, il est vrai, par l'allusion àla messianité de Jésus (Ac 4:27). Il n'en est pas moins certainque, selon les Actes, Jésus est un homme que Dieu a oint de sonEsprit (Ac 10:38). Sa royauté date de sa résurrection,prélude de son exaltation dans la gloire (Ac 3:13). Auparavant,il était accrédité par Dieu au moyen d'actes de puissance (Ac2:22), mais ce qui le caractérisait essentiellement c'était lasainteté. Messie, il l'était déjà en vertu de l'onction de l'Esprit,mais sa messianité était toute virtuelle. Voir le discours de Paul àAntioche de Pisidie: «La promesse qui avait été faite à nos pères,Dieu l'a accomplie pour nous, leurs enfants, en ressuscitant Jésus,comme il est écrit au Ps 2: Tu es mon Fils, je t'ai engendréaujourd'hui» (Ac 13:33 et suivant). La parole du Psaume, quecertains manuscrits placent dans le récit du baptême, est doncappliquée ici à la résurrection. La résurrection elle-même, d'ailleurs, passe au second plan,l'accent étant mis sur la glorification de Jésus (Ac 2:332:36). La royauté de Jésus doit se réaliser sur la terre. Il yreviendra dans la gloire. Le rôle de ses disciples est de préparer savenue en prêchant la repentance (Ac 2:38 3:19 et suivant), et enexhortant leurs contemporains à invoquer le nom de Jésus de Nazareth,afin de subsister dans les catastrophes qui précéderont la venue duMessie (Ac 2:21 4:12 10:43). Jésus est donc le Messie glorieux de l'avenir, le Fils de l'Homme(Ac 7:55 et suivant, cf. Ac 17:31). Il est aussi le Seigneur, et cette appellation de Dieu dans l'ancienne alliance,le désigne généralement dans le livre des Actes. Son nom a unepuissance merveilleuse (Ac 3:6 16:18 19:13-17). Il est l'objetde la foi. L'attitude de ses disciples est celle del'adoration (Ac 7:59 et suivant). Ce terme: ton saintserviteur Jésus (Ac 4:27-30) pourrait nous étonner davantage,s'il n'évoquait pour nous le Serviteur de l'Éternel dont il estquestion dans la seconde partie du livre d'Ésaïe. Le type humble etsouffrant du Serviteur se combine, dans les Ac comme dans lesévangile, avec le type glorieux du Fils de l'Homme: c'est direl'importance de la souffrance du Christ pour l'auteur d' Ac (voir enpartie. Ac 8:32 et suivants). L'oeuvre de Jésus culmine dans sonsacrifice: c'est la conviction de la génération apostolique toutentière. Les apôtres sont surtout des témoins de larésurrection (Ac 1:22). Le fait qui domine tout à leurs yeux,c'est que Jésus est désormais à la droite de Dieu. Mais dès lors, samort perd son caractère infamant. Elle concourt au dessein de Dieu.Elle est un élément du plan divin. Jésus est mort pour nos péchés, etcela, selon les Écritures. Tel est, suivant l'apôtre Paul,l'enseignement commun de l'Église primitive (1Co 15:11). 2. L'APOTRE PAUL.Dans le langage de l'apôtre Paul, Jésus est le Seigneur. Quesignifie ce terme? C'était le titre que les LXX donnaient au Dieu del'A.T. Il a été aussi donné aux dieux du paganisme, partout où s'estmanifestée l'influence de l'Orient. Quand un homme pieux de ce tempsse choisit un dieu pour patron, il l'intitule son seigneur et seproclame lui-même son esclave. C'est ce qu'on retrouve chez l'apôtrePaul (Ro 1:1). Le terme de Seigneur comporte donc laconsécration sans réserve, l'obéissance absolue. Depuis quand, et envertu de quoi le Christ a-t-il été élevé à cette dignité? L'apôtre ledit au début de Romains et dans Php 2: c'est en vertu de sarésurrection que le Christ a été établi Fils de Dieu avecpuissance, c'est-à-dire Seigneur. Désormais, il est Kyrios. Etce terme n'est pas l'équivalent du terme de politesse orientale dontles Juifs se saluaient volontiers. Comme Seigneur, Jésus est associéà Dieu. Au commencement de ses lettres, Paul souhaite à ses lecteurs«grâce et paix de la part de Dieu le Père et du SeigneurJésus-Christ». Cependant, Paul laisse subsister un intervalle entre le Christ etDieu. Ceci est très nettement indiqué dans 1Co 3:21-23: «Toutest à vous, vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.» Plus expliciteencore est le fameux passage, 1Co 15:20-28, où l'apôtre esquissel'avenir du monde et où, après avoir annoncé le triomphe du Christ,il déclare qu'à la fin des temps, celui-ci remettra la royauté à sonPère, en sorte que «Dieu sera tout en tous» (1Co 15:28). Ons'est demandé s'il n'y aurait pas des textes où tout intervalle entrele Christ et Dieu serait supprimé. Ceci ne paraît pas probable. Ladoxologie de Ro 9:5 dit-elle: «Que le Christ selon la chair, quiest Dieu au-dessus de toutes choses, soit béni éternellement», ou:«Que le Dieu qui est au-dessus de toutes choses soit béniéternellement»? Il semble difficile que l'apôtre ait désigné leChrist comme le Dieu qui est au-dessus de tout. Ce serait envérité une grave atteinte au monothéisme, et Php 2 ne nous yautorise pas. Mais pratiquement, et jusqu'à la fin de l'ère actuelle, le Christreprésente Dieu vis-à-vis de l'humanité. S'agit-il d'une divinitépurement acquise? Ce n'est guère croyable à première vue. Paul nesonge pas à l'apothéose d'un juste. Le Christ est d'emblée un Êtredivin. Ensuite, «Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nomqui est au-dessus de tout nom» (Php 2:9). Ce nom, c'est celuiqui désigne le dominateur de l'univers, le Roi. Jésus est leSeigneur. Il s'agit d'une souveraineté divine, ou quasi divine. LesJuifs, dans leur crainte de profaner le nom de Dieu, disaient: Adonaï(le Seigneur). Partout où les LXX trouvent Adonaï, ils disent Kyrios(le Seigneur), qui devient une manière de nom propre. Ce nom, Dieul'a donné au Christ. Et par là (étant donnée la vertu mystérieuse dunom), il lui a assigné une part de souveraineté dans le monde. C'estce que corrobore un texte curieux de 1Co (8:5 et suivant): «S'il y aen quelque façon, au ciel et sur la terre, des êtres qu'on appelledieux (comme, aussi bien, il existe en fait plusieurs dieux etplusieurs seigneurs), pour nous il n'y a qu'un seul Dieu, le Père,par qui sont toutes choses, et pour qui nous sommes nous-mêmes, etqu'un seul Seigneur, Jésus-Christ, à qui l'univers doit son existenceet à qui nous devons aussi la nôtre.» L'apôtre va jusqu'à appliquer au Christ des textes de l'A.T, quise rapportent en réalité à Dieu (voir p. ex. 1Co 1:31). Ilconsidère que l'existence terrestre de Jésus n'a été qu'un régime detransition. Le Christ n'a fait que passer sur la terre, où il avait,revêtant la forme d'un esclave, éteint la splendeur de l'Esprit divinsous le vêtement transitoire de la chair humaine (Php2:5,8). Lorsqu'il veut définir le Christ par rapport à l'humanité,Paul l'appelle le second Adam (1Co 15:45). A la fin destemps, selon lui, le second Adam est venu s'insérer dans la trame del'histoire. Ceci fait songer à cette notion apocalyptique suivantlaquelle ce qui avait existé à l'origine devait reparaître à la findes temps. Il devait y avoir un nouveau déluge, un nouveau ciel, unenouvelle terre. En tant que prototype de la véritable humanité, leChrist représente l'image divine. Il est Esprit: l'homme est chair.«Le Seigneur est l'Esprit» (2Co 3:17). Il a un corps spirituel,enveloppe adéquate de l'Esprit et que caractérisent, par oppositionau corps de l'homme, la gloire, l'immortalité, la puissance. Ce corps est formé de cette substance lumineuse, sorte d'éther, quiconstitue le nimbe ou le nuage resplendissant qui sert demanifestation visible à Dieu, et qu'on nomme la gloire (2Co3:18). Étant l'image de Dieu, et le premier-né de toute lacréation (Col 1:15), le Christ occupe dans l'univers unesituation unique. Il a repoussé la tentation, qui s'offrait à luicomme au premier homme, d'usurper la royauté divine. Étant au-dessusde tous les êtres, il aurait pu être pris de vertige, et étendre lamain vers le sceptre de Dieu. Au contraire, par obéissance et paramour, il s'est dépouillé de ses prérogatives: il s'est abaisséjusqu'à la mort ignominieuse de la Croix. C'est pourquoi il est leSeigneur. Si nous examinons de plus près cette existence antérieure à lavie terrestre, nous voyons--et c'est ce qu'il y a pour nous de plusmystérieux dans cette gnose--que le Christ a un rôle cosmique. Cen'est pas dans les ép. aux Col et aux Éph., qui contiennent lesdéveloppements tardifs de la métaphysique de l'apôtre, c'est dans 1Coque Paul écrit: «Par lui est l'univers, et nous sommes parlui» (1Co 8:6). Ailleurs, il est vrai (Ro 11:36), Paul diraà propos de Dieu ce qu'il a dit à propos du Christ, parcequ'aussi-bien, l'initiative première appartient à Dieu. De même, lebut suprême de l'univers, c'est Dieu. Mais le Christ est l'organe dela création: Paul développera cette considération dans l'épître auxColossiens. Là, il a affaire à des populations dont l'âme curieuse etexaltée a soif de métaphysique. Il leur donne librement cesspéculations, sur lesquelles il n'insistait pas vis-à-vis desCorinthiens, parce que ceux-ci, nouveau-nés à la foi chrétienne, nepouvaient encore supporter que le lait des instructions pratiques, etnon la gnose, cette viande des forts. Dans cette lettre se trouvedonc l'exposé de la théosophie paulinienne, que l'apôtre oppose à cespremiers essais de gnosticisme paganisant par lesquels des docteurssans mandat entreprenaient de détourner les âmes de la simplicitéchrétienne. Paul y développe le rôle du Christ dans la création, enl'opposant à ces êtres intermédiaires, à ces éons, dontl'imagination d'alors peuplait l'invisible. Col 1 renferme unvéritable hymne dogmatique: «En lui, tout a été créé, ce qui est auciel et ce qui est sur la terre: les Trônes, les Dominations, lesPouvoirs, le Visible et l'Invisible. L'univers est créé par lui etpour lui; il est à la tête de tout, et l'univers subsiste enlui» (Col 1:16 et suivant). Ainsi, le Christ n'est pas seulementle premier-né de la création. Il en est l'auteur; et non seulement dela création visible, mais de l'invisible. De lui procèdent leshiérarchies célestes; et même, tout cela a été créé pour lui: il està la fois cause et fin de l'univers. Cependant, il fait encore partiede la création; il appartient donc lui-même au monde du devenir: ilest nettement subordonné à Dieu. L'univers subsiste en lui: c'estdire que, s'il venait à manquer, l'univers s'écroulerait. Il sembledifficile de concilier cette donnée avec l'existence personnelle. LeChrist apparaît comme la force organisatrice du Tout. Mais comment s'expliquer qu'il soit représenté parfois comme lafin de la création?--Il n'est pas nécessaire d'entendre les textesdans un sens panthéiste et de voir dans le Christ une sorte d'âme dumonde. Dans le parallèle des deux Adam, le second Adam est qualifiéd'Esprit qui donne la vie. Dans le récit de la Genèse, l'Esprit planesur la face de la mer primordiale. Or, l'Esprit de Dieu estidentifié, chez Paul, à l'Esprit du Christ (Ro 8:9). Avoirl'Esprit du Christ, c'est avoir le Christ en soi: «Christ en vous,l'espérance de la gloire» (Col 1:27). Le Christ peut donchabiter en beaucoup d'êtres; et ceux-ci sont en lui. Il est unprincipe de vie: âme du inonde, âme des croyants. C'était une idéecourante, à cette époque d'interprétations allégoriques, que celled'êtres mi-concrets, mi-abstraits. Le Logos de Philon d'Alexandrieest à la fois un principe cosmique et l'homme idéal. D'autre part,ces expressions: de lui, par lui, pour lui, appliquées à l'unitéprimordiale et à la création de l'univers, sont les formulesfondamentales du mysticisme gréco-égyptien. Sur le Christ, Paultransfère les attributs du Logos, avec cette différence toutefois,qui est essentielle, que la personnalité vivante est au point dedépart, et non l'être impersonnel. Tandis que le Logos, chez Philon,n'est qu'une abstraction, le Christ impersonnel, chez Paul, est uneémanation de l'Homme céleste, du second Adam. On comprend les allusions que fait l'apôtre à une manifestationdu Christ antérieure à sa venue sur la terre (1Co 10:1 etsuivant). La manne est le type du pain de la Cène; la sourcejaillissante du rocher est le type du vin de la Cène. Mais ce ne sontpas des allégories: ce sont des faits. Quant au rocher d'oùjaillissait la source, c'est le Christ préexistant. On trouve descomparaisons de ce genre chez Philon. Et les commentateurs juifs del'A.T. parlent abondamment du rocher de Moïse, qui accompagne lesIsraélites à travers le désert. Ainsi, l'interprétation messianiquedu rocher peut bien venir des rabbins. Mais chez Paul, le sens decette histoire est que le Christ se manifeste à Israël et lui donnel'eau vive, étant l'Esprit de révélation, qui réconforte les âmesdans tous les siècles. Il ne faut pas trop s'étonner de cet appareil théosophique. LeChrist, âme du monde, n'a pas ôte à Paul le Christ personnel. Aucontraire, ce qui motive toutes ces spéculations, c'est la placesouveraine que le Christ occupe dans l'âme de son apôtre, c'estl'adoration que Paul lui a vouée. Sur le chemin de Damas, il a euaffaire au Christ glorifié. C'est un être radieux, appartenant déjàau monde supérieur, qui l'a arraché par violence au milieu ancestral«comme un avorton» (1Co 15:8), et l'a fait naître brusquement àla vie nouvelle. C'est pourquoi il peut dire: «Si nous avons connu leChrist selon la chair, nous ne le connaissons plus de cettemanière» (2Co 5:16). Le Christ-Esprit a agi sur lui; le Christhistorique n'a jamais été en rapport avec lui. Voilà ce qui afacilité à ses yeux cette transformation du Christ en une puissancecréatrice de l'univers. Il faut ajouter que les limites de la viepersonnelle sont, dans la pensée de ce temps-là, extrêmementflottantes. Si ce qu'il y a d'éternel dans le Christ, c'est l'Esprit,puissance rayonnante de Dieu, on conçoit que l'apôtre rapprochejusqu'à les identifier le Seigneur et cette activité divine créatrice. Mais, si la connaissance historique du Christ lui paraîtinsuffisante, il n'en faut pas conclure que la figure même de Jésusle laisse indifférent. Le Seigneur, pour lui, c'est l'être qui asouffert ici-bas, et dont la souffrance absorbe à ce point sa penséeet son coeur, qu'il peut écrire aux Corinthiens: «Je n'ai voulusavoir parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christcrucifié» (1Co 2:2). Si nous avions la prédication missionnairede l'apôtre, nous y trouverions des peintures de la croix quiferaient songer au réalisme poignant des Primitifs. Qu'on sesouvienne de l'apostrophe aux Galates: «Vous à qui Jésus-Christ a étédépeint comme s'il eût été crucifié sous vos yeux» (Ga 3:1). Lacroix, dont il ne cessait d'évoquer les douleurs pour communier avecelles et les achever, en quelque sorte, en lui-même (Col 1:24);la résurrection, dont il a été le témoin, mis par là sur le même rangque Pierre, que Jacques, que tous les apôtres, ce qui fait son sujetde gloire: voilà les éléments essentiels de son Évangile. Question deperspective. Mais aussi, question de principe: c'est au Christvainqueur qu'il a affaire; c'est de lui qu'il est apôtre. L'exemple et les préceptes de celui qui s'est ainsi donné gardentà ses yeux l'autorité absolue. Quand il parle en son propre nom, toutapôtre de Jésus-Christ qu'il est, il se borne à émettre une opinion (1Co 7:25). Mais là où il peut s'appuyer sur unprécepte du Seigneur, ce n'est plus affaire d'opinion seulement.«C'est ainsi que j'ordonne dans toutes les Églises» (1Co 7:17).«Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Seigneur» (1Co 7:10). Sonenseignement moral s'inspire de très près, et constamment, de celuide Jésus. On y retrouve à chaque instant, sinon une citation, dumoins une réminiscence de l'Évangile. Les vertus sur lesquelles ilinsiste comme étant les vertus cardinales, ainsi l'humilité et ladouceur, sont celles qui, selon les évangiles, caractérisent leChrist. Le psaume de la charité (1Co 13) est écrit à lagloire du Christ: chacune des caractéristiques de la charité est untrait de la figure de Jésus, telle qu'elle s'est gravée dans l'âme deses disciples. Paul n'a jamais versé dans le docétisme: le Christ n'a pas été àses yeux un fantôme. Quand il avoue aux Philippiens son désir de s'enaller pour être avec Christ, «ce qui serait de beaucoup préférable»(Phi 1:23), il ne s'agit point, certes, d'un principe impersonnel,mais d'un être concret auquel il a consacré sa vie, et qu'il aimecomme personne sur la terre ne l'aimera jamais. Qu'il ait transportédans l'au-delà la physionomie morale du Christ, ceci paraît certain.L'amour du Christ, il ne l'a pas considéré uniquement dansl'existence historique de Jésus de Nazareth, et ce n'est pas là,peut-être, qu'il l'admire le plus. Il l'a contemplé dans ce mystèred'amour qui est l'abaissement d'un Être céleste se dépouillant de sacondition divine pour subir tous les hasards de la condition humaine,et descendant, par l'effet de sa libre naissance, jusqu'à la mort,même jusqu'à la mort de la croix! C'est ainsi qu'il relie, dans lavie de Jésus, la terre au ciel. Il ne fait en cela qu'étendre lesconséquences des récits évangéliques. Et s'il vit, dès à présent, enChrist, si, dans cette atmosphère vitale, toutes les relationsprennent un caractère nouveau, il est impossible de distinguer entrece qui est influence du personnage historique et ce qui est actionconstante du Ressuscité (voir A. Sabatier, l'Apôtre Paul, 3 e édit. 1896; Albert Schweitzer, Die Mystik des ApostelsPaulus, Tûbingen 1930). 3. L'EPITRE AUX HEBREUX.Ce qu'il y a de particulièrement remarquable dans la christologie del'épître aux Heb (voir art.), c'est que l'humanité du Christ y ressortplus nettement que partout ailleurs, tandis que l'auteur trouve pourexalter sa majesté des termes d'un éclat inégalé. Très informé de latradition apostolique, il se tient près de l'histoire concrète. Ilprécise que Jésus est de la race de David et de la tribu deJuda (Heb 7:14), il rappelle que sa prédication a été accréditéepar des signes, par des miracles, par toutes sortes de manifestationsde l'Esprit (Heb 2:2,4). Il parle des contradictions que leSeigneur a essuyées. Il fait allusion à sa souffrance de Gethsémané,à sa prière à Celui qui pouvait le sauver de la mort (Heb 5:7).Il situe le supplice de Jésus «hors des portes de Jérusalem» (Heb13:12). Il trace de Jésus un portrait magnifique. Il relève son humilité ,(Heb 5:5) sa piété (Heb 5:7: le termeemployé par lui, eulabeïa, signifie proprement crainte de Dieu), son obéissance et sa fidélité envers Dieu (Heb 3:2 5:810:5-7), sa miséricorde envers les hommes (Heb 2:17);enfin, en pleine lumière, au-dessus de toutes les autres vertus, sa foi par laquelle il est le modèle des croyants (Heb 12:2).Même, Jésus a connu l'espérance, qui, dans le coeur des fidèles, estassociée à la foi. Il a porté la foi à son achèvement; et il asouffert les yeux fixés sur la joie du ciel qui lui étaitpromise (Heb 12:2). Semblable à nous en toutes choses, sauf lepéché (Heb 4:15), c'est à cause de cette parfaite assimilation ànotre humanité qu'il a pu être l'intercesseur de la race humaine, le véritable souverain sacrificateur. Comme les enfants des hommes,il a été un être de chair et de sang. Il a enduré latentation (Heb 2:18), ce qui le rend capable de comprendre ceuxqui sont tentés, de sympathiser avec eux (Heb 4:15). Il aconquis la sainteté de haute lutte, et la royauté du ciel a été larécompense de sa victoire. Et cependant, ce représentant qualifié de l'humanité devant Dieuest tout autre chose encore. Il est aussi haut au-dessus des angesque la nouvelle alliance est au-dessus de l'ancienne, dont les angesfurent les médiateurs. Il a existé avant le monde. «Sans père, sansmère, sans généalogie, n'ayant ni commencement ni fin» (Heb7:3), il a pour type prophétique, à ce titre, Melchisédec. Il est le«reflet de la gloire» de Dieu, «l'empreinte de son être» (Heb1:3); il porte l'univers par sa parole puissante, ce quisignifie qu'il est l'agent de la création. Aussi les titres divinss'accumulent-ils sur lui: le titre de Seigneur, avant tout, dans lestextes mêmes de l'A.T, où il s'applique à Dieu (Ps 110:1, p.ex.). Il est même désigné comme Dieu (Heb 1:8 et suivant), ce quin'empêche pas qu'ailleurs il soit subordonné à Dieu, qui est appelé son Dieu dans ce même texte (O Dieu, ton Dieu t'a oint d'unehuile de joie). Ces atténuations du monothéisme sont familières à lapensée de ce temps. Et la situation du Fils à l'égard du Père esttoute semblable ici à ce qu'elle est chez l'apôtre Paul. C'est auChrist que l'auteur applique la parole du Ps 8 (verset 6 etsuivant): «Tu l'as couronné de gloire et d'honneur: tu as mis touteschoses sous ses pieds.» Mais avant tout, il a souffert, et c'est par là qu'élevé à laperfection il est devenu l'auteur et le chef dusalut (Heb 2:10). Il est venu sur la terre pour s'offrir ensacrifice. Par où il met fin aux sacrifices de l'anciennealliance (Heb 10:9 et suivant). Pour expier les péchés du monde,il fallait du sang, le Christ a offert le sien (Heb 9:18,22). Ilest à la fois sacrificateur et victime. Comme sacrificateur, ilrelève de l'ordre de Melchisédec, qui est supérieur à celui deLévi (Heb 7:1,17). Comme victime, il possède une vertusanctifiante infiniment supérieure à celle des victimes que l'onoffrait sous l'ancienne alliance (Heb 9:12-14). Il offre sonsacrifice dans le sanctuaire céleste, tandis que le grand-prêtre del'ancienne alliance l'offrait dans le sanctuaire terrestre. De là, lecaractère permanent et définitif de ce sacrifice (Heb 10:14). Lesacrifice du Christ apporte aux hommes le pardon et l'accès du trônede grâce (Heb 10:19-22). Il a ce résultat pour tous leshommes (Heb 2:9). Il a un effet rétroactif, une valeuruniverselle (Heb 9:26). Entre cette conception et celle de Paul, il y a une nuance. Paulinsiste davantage sur le côté juridique de l'expiation; l'auteur del'épître aux Heb sur l'aspect rituel de cette même expiation. L'épître auxHeb formule, dans toute sa rigueur, ce qu'on appelle la «théologie dusang». Mais l'idée de l'expiation par le sang est universelle en cetemps-là. Et les analogies de l'épître aux Heb avec le philonismepermettent de voir dans sa doctrine une spiritualisation de l'idée dusacrifice, que le Christ accomplit dans le tabernacle divin. Le Christ est l'objet de la foi. Il est devenu, pour tous ceux qui lui obéissent, l'auteur du salut éternel .(Heb 5:9) Il procure la rémission des péchés. C'est par luiqu'on passe pour aller à Dieu (Heb 13:15). Et il peut sauverparfaitement ceux qui par lui s'approchent de Dieu (Heb 7:25). Le Fils de Dieu n'est pas désigné expressément comme le Logos. Iln'en est pas moins beaucoup plus rapproché du Logos philonien que nel'est le Logos du 4 e évangile. Sa position vis-à-vis des angesressemble à celle du Logos. (voy. Heb 1:4) Il est le reflet oule rayonnement de l'essence divine. Le même terme, chez Philon, estappliqué à l'âme humaine que le Logos visite, mais un terme analogueest employé à propos du Logos. Quand le Fils est appelé l'empreintede Dieu, ceci s'applique au Logos chez Philon (De Plant., 5).L'image de Melchisédec, le grand-prêtre intemporel, est chez Philon (Allég. des Lois, 3:25 et suivant). La situation du Logosintercesseur chez Philon est semblable à celle du Fils dans l'épître auxHeb (Quis rerutn divinarum hoeres, 42). On peut multiplier cesanalogies. Pourtant, il y a tout autre chose dans l'épître aux Hébreux.L'Alexandrin qui l'a écrite a pensé le christianisme avec les formeset les expressions qui lui étaient familières. Il n'y a pas ici uneffort d'apologétique pour rattacher le christianisme à laphilosophie du temps. L'alexan-drinisme est le terrain où s'épanouitla plante chrétienne. Aucun sol ne pouvait être plus favorable à sondéveloppement (voir E. Ménégoz, La Théol. de l'Ép. aux Héb., Paris 1893). 4. LA 1ere EPITRE DE PIERRE.Le Christ tient ici la même place que dans la théologie de Paul, etil se présente sous le même aspect. Il est fait allusion à sapréexistence. Il est dit que les prophètes ont tâché de découvrir letemps et les circonstances que leur indiquait l'Esprit du Christ quiétait en eux (1Pi 1:11). Il y a bien là une activitépersonnelle, non point de création, sans doute, comme dans l'épître auxCol., mais de révélation, et qui est antérieure à l'existencehistorique de Jésus de Nazareth. C'est d'ailleurs l'idée générale desPères que le Christ s'est révélé par les prophètes (Tertullien, Adv.Marc,3°). L'auteur de l'épître de P. Identifie la révélation présente etla révélation ancienne; le message des prophètes et celui desapôtres. Comme Paul, il admet que le Christ a revêtu la chair. Maisla chair a été anéantie par la mort; l'Esprit est revenu à lavie: (1Pi 3:18) ce sont les deux moments essentiels del'histoire du salut. Pour ce qui est de la vie du Christ, nous ne trouvons guère dansl'épître de P. que des allusions à la sainteté de Jésus. Il est qualifiéde juste (1Pi 3:18). Il est appelé l'Agneau sans défaut etsans tache (1Pi 1:18). Il est dit (d'après Esa 53:9)qu'il «n'a point commis de péché», et qu' «il n'y a point eu defraude dans sa bouche» (1Pi 2:22). A part cela, aucune allusionà la vie terrestre de Jésus. La notion du sacrifice du Christ est très voisine desaffirmations pauliniennes. On a voulu la dériver des évangile; il y aici, pourtant, telle affirmation qui va plus loin que les textesévangéliques. L'idée dominante est la rédemption. «Vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous aviez apprise devos pères, non par des choses périssables..., mais par le sang duChrist» (1Pi 1:18 et suivant). La notion juridique de la rançonse combine avec la notion rituelle de l'expiation. Mais ce qui estessentiel, c'est cette idée de la victime expiatoire (1Pi 2:24),où l'on retrouve l'inspiration de Esa 53, qui est même citélittéralement (cf. 1Pi 2:25 et Esa 53:7,1Pi 2:22 et Esa53:9,voir encore Esa 53: et suivant). Le fait premier de lafoi, c'est l'aspersion par le sang de Jésus (1Pi 1:2). Larelation entre le croyant et le péché est la même que dans les ép. dePaul. Le rapport entre le croyant et les péchés portés par le Christse précise. Le sacrifice du Christ mène les hommes à Dieu, et produitchez eux, dans la communion de ses souffrances, une rupture nonfatale, mais consciente et volontaire avec le péché (1Pi 4:1). Entre la mort et la résurrection de Jésus-Christ, s'intercale iciun nouveau moment, qui est la descente aux enfers (1Pi3:19-22). Le Christ, dépouillé de la chair, et devenu Esprit, s'enva prêcher aux esprits qui sont en prison. Il leur annonce lesalut. Or ces esprits sont ceux que l'on considère comme les pluscorrompus: savoir, les représentants de la génération du déluge.C'est le développement d'un thème paulinien (qu'on retrouve p. ex.Eph 4:8 et suivant) et un élargissement de l'oeuvre rédemptrice,qui est bien dans le prolongement de la prédication de Jésus. 5. L'APOCALYPSE.La christologie de l'Apocalypse renferme des éléments très divers.Par endroits, une conception juive du Messie guerrier: c'est le Lionde Juda, le Dominateur des païens, qui paît les peuples avec unehoulette de fer (Ap 2:26 et suivant 12:5 19:15, cf. Ps 2:9,Psaumes de Salomon 17:24); il livre à la puissance de Satan uneépouvantable bataille (Ap 19:11-16). Ailleurs, et fréquemment,des allusions précises à Jésus: à son origine davidique (Ap5:5), à sa mort rédemptrice, dont la portée est universelle (lesurnom qui lui est constamment donné, c'est l'Agneau). Enfin, dansl'adoration de l'auteur, il s'identifie à Dieu. Il est le Vivant. Ila les clés de la Mort et de l'Hadès (Ap 1:18). De ses yeux deflamme, il sonde les reins et les coeurs (Ap 2:18-23). Ilpénètre les secrets des destinées humaines (Ap 5:5). Il est «leprincipe de la création de Dieu» (Ap 3:14). Il possèdel'intimité de Dieu à un degré où nul autre ne la possède. Et le titrequi seul correspond dignement à son être, c'est «la Parole deDieu» (Ap 19:13). Plus encore: il est le Premier et leDernier: (Ap 1:17 2:8 22:13) la raison d'être et l'aboutissementde l'univers. Toute la création adore inséparablement «Dieu etl'Agneau» (Ap 5:13 7:10). Rien de tout ceci ne porte atteinte à la souveraineté divine.Dieu est l'auteur de la révélation que Jésus-Christ transmet auVoyant (Ap 1:1). Jésus parle, dans les lettres aux sept Églises,de son Dieu. L'autorité qu'il est appelé à exercer sur le mondeest un don de son Père (Ap 2:27). Et sa royauté apparaît parfoiscomme la récompense de son oeuvre d'amour (Ap 3:21 5:9), de sonsacrifice, de sa victoire. 6. LE JOHANNISME.Le but du 4 e évang, est de démontrer que Jésus est le Messie. Sansdoute, les autres évang, ont bien un caractère apologétique; maispour celui-ci, la démonstration de la messianité du Christ est aupremier plan: «Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez queJésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en le croyant, vous ayezla vie par son nom» (Jn 20). Dès lors, l'auteur considère tout,dans la vie de Jésus, du point de vue messianique. C'est pour celaqu'il déplace la purification du temple, acte messianique au premierchef, pour en faire l'acte inaugural du ministère de Jésus (Jn2:13-17). Le terme de Messie ne comporte plus désormais, dans le langagedes disciples de Jésus, aucune équivoque; c'est pourquoi l'évangilen'hésite pas à le mettre dans la bouche du Maître. Toutefois, ilemploie volontiers deux autres expressions: Fils de l'Homme, et Fils de Dieu, parce qu'elles se prêtent excellemment à définir cemessianisme spirituel qui a été celui de Jésus. Il est remarquableque le terme de Fils de l'Homme soit, comme dans la traditionsynoptique, mis uniquement dans la bouche de Jésus. Il n'a point iciun sens d'humilité, mais de gloire (Jn 1:51 12:23). L'originecéleste du Fils de l'Homme est proclamée (Jn 3:13 6:62) en mêmetemps que son retour au ciel, et son accession à la royauté divine.La qualité de juge du monde est impliquée dans le terme de Fils del'Homme: «Il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement, parcequ'il est Fils de l'Homme» (Jn 5:27). Seul, le Fils de l'Hommedispense le pain de vie (Jn 6:27). Il est question, dans le mêmesens, de -manger la chair du Fils de l'Homme (Jn 6:53). Lamort de Jésus étant le stade préliminaire de sa glorification,l'évangile parle de l'assomption du Fils de l'Homme lorsqu'il veutparler de la mort de Jésus (Jn 8:28 12:23 12:32). L'expression Fils de Dieu est moins fréquente que l'autre (neuf foisseulement), mais il faut ajouter qu'à vingt reprises il est questiondu Fils, de son Fils, du Fils unique Certains de ces textes ont un sens théocratique, et ne sortentpas des cadres du messianisme juif. Jésus est et reste Messied'Israël aux yeux de Jean-Baptiste (Jn 1:30). Il l'est aussi auxyeux de Nathanaël (Jn 1:49). Et Jésus ne trouve pas que la foide Nathanaël soit insuffisante. L'expression Fils de Dieu, interprétée au sens de Roid'Israël, il ne la rectifie pas. La foi de Marthe est semblable àcelle de Nathanaël: «Je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu,Celui qui vient dans le monde» (Jn 11:27). Tel est le langagedes croyants. Voici maintenant le langage des adversaires. A Pilate,qui leur dit: «Je ne trouve en lui aucun motif decondamnation» (Jn 19:4-6), les Juifs répondent: «Nous avons uneloi, et suivant cette loi, il doit mourir, parce qu'il s'est fait leFils de Dieu» (Jn 19:7). C'est évidemment comme faux Messie queJésus est traduit devant Pilate, et la suite le prouve: «Si tu lerelâches, tu n'es pas ami de César: quiconque se fait roi, estl'adversaire de César» (Jn 19:12). Jésus est donc envisagé par l'évangile de Jean comme Fils de Dieu ausens théocratique. Ceci rend compte de la plupart des textes. Il y ena toutefois qui ont un sens philosophique, et qu'il faut examinerdans l'ensemble de la grande métaphysique de Jean. Cette métaphysique est exposée dans le prologue de l'évangile, oùl'on voit le Logos descendre du ciel sur la terre. Le Logos estantérieur au monde sensible. Il existe dès lecommencement (Jn 1:2), ce qui n'implique pas qu'il participe àl'éternité de Dieu, mais ce qui lui confère à l'égard du monde unesituation unique, analogue à celle que l'épître aux Col lui assigne. La relation entre le Logos et la nature fait songer auphilonisme, où le Logos est le plus ancien des êtres qui ont prisnaissance (voir les oeuvres de Philon, éd. Cohn et Wendland, t.II, p. 26). Nous retrouvons une conception semblable dans l'épître auxHeb (Heb 1:2,3,6,7,10). L'auteur parle du Logos comme d'unêtre connu. En effet, il est très souvent question, chez lesphilosophes de ce temps, de cet intermédiaire entre Dieu et lacréation. Comment faut-il traduire ce terme, qui a joué un tel rôledans l'histoire des idées? Le Logos, c'est bien la Parole, mais laParole douée de vie et d'énergie, devenue l'expression adéquate de lapensée, et comme la pensée en action. C'est la pensée divine agissantet modelant le monde. Le sens premier de parole doit doncs'effacer, suivant l'intuition géniale de Goethe, pour faire place ausens d'action créatrice. Il nous est dit, ensuite, que le Logosest tourné vers Dieu. C'est donc un Etre individuel, quicontemple Dieu face à face, et qui entretient avec lui des relationspersonnelles. Défini par son orientation, il l'est ensuite par sanature intime. Il était Dieu Théos, mais sans article. Par ledéfaut d'article, l'auteur marque une nuance, encore que légère,entre le Logos et le seul vrai Dieu dont il est questionailleurs (Jn 17:3). Cependant, il ne dit pas que le Logos soit divin: ce serait chose trop simple; et, pour le temps, tropbanale. La grande différence entre le point de vue de Jean et celuide Philon, c'est que, d'emblée, le Logos est caractérisé comme unepersonne, comme un être distinct de Dieu. Mais ce n'est pas assezdire. Philon ne parle pas de l'état où se trouvait le Logos avant lacréation. Ce qui l'intéresse, c'est de savoir comment le monde a étéfait, et comment Dieu s'y révèle. Son Logos est trop peu individuel,en vérité, étant l'ombre de Dieu, pour que le mystère de sonexistence originelle l'intéresse. Par contre, l'auteur chrétienaborde l'explication du mystère dernier. Il remonte au delà du mondevisible, jusqu'aux origines de l'Être, étant mû, d'ailleurs, parl'adoration, et non par un besoin intellectuel. Ensuite il revient au commencement, c'est-à-dire à l'univers créé. De cette création, le Verbe est l'organe. «Tout s'est réalisé parlui, rien de ce qui est ne s'est réalisé sans lui» (Jn 1:3).Nous avons vu l'apôtre Paul distinguer entre l'action divine, causepremière du monde, et l'action du Seigneur, moyen de la création.Mais cette idée d'un Être intermédiaire entre le Dieu infini etl'univers n'a rien de particulier à Paul. Le Verbe est créateur,selon le 4 e évangile, parce que, dans sa communion avec Dieu, ilpossède la vie. En lui est la vie. Et cette vie estlumière (Jn 1:4). Elle est donc vie de l'esprit, comme elle estvie des choses. Désormais, l'auteur laissera le Verbe, pour s'entenir à la Vie, qui est à ses yeux la notion essentielle. Et lesseuls attributs du Logos qu'il retienne sont ceux qui se rapportent àla Vie, c'est-à-dire au salut du monde. Jésus est le Vivant. Il estdonc, pour ses disciples, la nourriture de vie. Sa parole est l'eauvive, c'est-à-dire l'eau de source, qui jaillit des profondeurs, etqui fait vivre. Le prologue n'est pas seulement une introduction à l'évangile Ila déteint sur l'évangile, et c'est comme un glacis philosophique quise superpose à l'image du Christ, telle que la représente latradition première. Le 4e évangile, dans son affirmation de la préexistence duChrist, déborde le cadre des év. syn. Dès le début du livre, l'auteurprête à Jean-Baptiste l'affirmation catégorique de la préexistence duMessie. Par opposition à l'ensemble des hommes, Jésus est Celui quivient d'En-haut, ou encore Celui qui vient du ciel. Sans doute,il est tel texte où il est fait allusion à la nature spirituelle deJésus beaucoup plus qu'à sa préexistence, et où les mots: «Je suisd'En-haut» signifient: J'appartiens au monde supérieur. Il en est demême de l'idée de mission. La mission prophétique de Jésus n'apas nécessairement un caractère métaphysique. Quand Jésus dit: «J'aiété envoyé dans le monde», il n'est pas obligatoire de toujourssonger à l'Incarnation. Mais il y a des textes qui affirmentnettement l'origine divine du Christ. Et notamment la déclarationpéremptoire de Jn 8:58: «Avant qu'Abraham fût, je suis.» Ce quipeut bien s'entendre de l'état mystique d'union avec Dieu, quitransporte l'âme du temps dans l'éternité, mais ce qu'il est plusaisé de rapporter à une existence du Messie, antérieure à sa missionterrestre. On a voulu voir dans les textes du 4 e évangile l'affirmationd'une préexistence idéale, pour laquelle les points d'attache nemanqueraient pas dans le judaïsme. Mais quand le Christ fait allusionà la gloire qu'il possédait auprès de Dieu avant que le mondefût (Jn 17:5), il paraît bien difficile qu'il s'agisse d'un étatpurement idéal. Faut-il admettre que ce soient des lueurs d'uneexistence antérieure, des réminiscences de l'au-delà qui traversentl'âme du Christ? Il y a cela, mais il y a bien davantage. Si leChrist est en état de parler du monde supérieur, c'est qu'il envient (Jn 8:23-38). Il a connu Dieu (Jn 17:25). Il peutdire aux Juifs: Vous ne le connaissez pas, moi, je le connais (Jn8:55). «Nul, dit le Prologue, n'a jamais vu Dieu: le Fils unique,qui est dans le sein du Père, est celui qui nous l'a faitconnaître» (Jn 1:18). Il y a là, en dernière analyse,l'explication du mystère de la personnalité de Jésus. Est-ce duphilonisme? Non. Car le Logos philonien ne peut pas s'incarner.Est-ce du paulinisme? Si l'on veut. Qu'on se rappelle aussi lestextes d' Hebreux et ceux d' Apo (Ap 3:14). Sur cette question de lapréexistence, Jean n'a pas innové: il y a unanimité dans lespremières générations chrétiennes. Voir Logos, Johannisme. Les textes johanniques sont nombreux qui semblent affirmer que leChrist possède la connaissance de toutes choses. Il a le don deseconde vue, d'après l'entretien avec Nathanaël (Jn 1:48) et laconversation avec la Samaritaine (Jn 4:16-18); ou encorel'histoire de l'enfant du fonctionnaire royal de Capernaüm (Jn4:49). Jésus possède en particulier le don de lire dans le coeur del'homme (Jn 2:24 et suivant), Ce surnom qui, d'après Matthieu, a étédonné à Simon en raison de sa foi, Jésus le lui décerne d'emblée enapercevant d'une intuition soudaine tout l'avenir qui se dérouledevant le pêcheur de Galilée (Jn 1:42). Il n'y a pas là,d'ailleurs, de quoi différencier le Christ johannique du Christsynoptique, qui devine la trahison de Judas et le reniement dePierre, qui lit dans le coeur de Lévi et dans celui de Zachée. Jésuspossède enfin le don de prophétie proprement dit. Il aperçoit lescampagnes déjà blanches, prêtes à être moissonnées (Jn 4:35,38).Il va jusqu'à dire à ses disciples: «Je vous ai envoyés moissonner oùvous n'aviez pas travaillé», et il semble qu'il soit ici faitallusion à la grande mission de la fin du premier siècle, quimoissonnera ce que les travaux de Paul et de ses contemporains aurontsemé. C'est donc le Christ vivant qui parle, mais ce n'est pas leLogos des philosophes. Par contre, quand Jésus dit: «J'ai encore d'autres brebis, qui nesont pas de cette bergerie: il faut que je les amène» (Jn10:16), ce pressentiment de la mission universelle de l'Évangile n'arien qui dépasse l'humanité. Et que le Christ entrevoie les effets desa mort en ce qui concerne le salut du monde (Jn 12:23 etsuivant), ceci non plus ne déborde pas le cadre de l'histoire. Jésusprédit la mort de Pierre (Jn 13:36, cf. Jn 21:18 etsuivant); mais il prédit aussi, dans les Synoptiques, la mort desfils de Zébédée (Mr 10:38 et parallèle). Il y a cependant, dans les textes johanniques relatifs auxintuitions de Jésus, une continuité qui nous impressionne. Très peude traces d'incertitude, en dehors du rappel de la scène deGethsémané (Jn 12:27) et de l'épisode de Lazare (Jn 11:3).Le Christ sait exactement l'heure de sa mort (Jn 7:6 13 1 17:1).Il y a chez lui une certitude calme et continue qui fait contrasteavec les progrès que nous observons chez les Syn., quant à la penséede sa mort. Et cette impression de certitude est confirmée par le cridu disciple repentant: «Tu sais tout: tu sais que je t'aime» (Jn21:17). Le même témoignage est rendu au Christ par la collectivitédes disciples (Jn 16:30). L'omniscience du Christ est lefondement de leur foi; et elle provient de son origine céleste. Iciencore, le Christ historique, contemplé à travers la gloire du Christvivant, rejoint le Verbe, et les deux ne font qu'un. Nous arrivons à la même conclusion en ce qui concerne latoute-puissance. Dans les miracles innombrables qu'il attribue àJésus, l'auteur fait un choix. Il n'en retient que sept; et il y a làun exemple de chaque catégorie de miracles, sauf ceux qui étaientenvisagés comme moins extraordinaires, et que les exorcistes juifsprétendaient accomplir également: les guérisons de démoniaques. Etdans chaque catégorie, l'auteur a gardé ce qu'il y avait de plusextraordinaire. Des miracles rapportés par les Syn. II ne raconte queceux qui, dans la pensée de leurs narrateurs, impliquent un pouvoirmystérieux sur la nature: le miracle des pains et la marche sur leseaux. Partout ailleurs, il renchérit sur les Syn.: ceux-ci rapportentdes guérisons d'aveugles; chez Jean, il s'agit d'unaveugle-né: (Jn 9) non d'une guérison par conséquent, maisd'un acte de création. Enfin, la résurrection du Christ est unmiracle qui commande tous les autres. «Voici pourquoi mon Pèrem'aime, dit le Christ: c'est parce que je donne ma vie...J'ai lepouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendrez (Jn10:17 et suivant). Jésus accomplit donc des actes detoute-puissance. Uni à Dieu, il ne fait qu'un avec lui (Jn10:30). Le Père a tout remis entre ses mains (Jn 3:35). Il luia donné pouvoir sur toute chair (Jn 17:2). D'ailleurs, cette puissance est un pouvoir de salut. Il a latoute-puissance, en tant qu'il crée la vie éternelle dans le coeur del'homme. C'est à Dieu, finalement, qu'il doit tout ce qu'il est, etcette toute-puissance est celle de Dieu lui-même. Elle se rapporte,en définitive, non à la création, mais à la rédemption. Et qu'il nes'agisse pas de la toute-puissance divine, manifestée d'une façonconstante dans un Être qui n'aurait que l'apparence d'un homme, c'estce que prouve cette déclaration: «En vérité, en vérité, je vous ledis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les oeuvres que je fais;il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père» (Jn14:12). De telles paroles sauvegardent l'humanité du Christjohannique. Il ne paraît pas probable que l'évangile de Jean assigne à la naissancede Jésus un caractère surnaturel (Jn 7:27 et suivant). Selon Jean,Jésus est d'origine nazaréenne. Il n'attache aucune importance à safiliation davidique, se séparant sur ce point du siècle apostoliquetout entier. S'il se montre indifférent au surnaturel extérieur etmatériel à propos des origines de Jésus, il accentue avec d'autantplus de force le surnaturel spirituel. Ce qui ne l'empêche pasd'être, des narrateurs évangéliques, celui qui concède la plus largepart à l'humanité de Jésus. Les sentiments de famille et d'amitié deJésus sont beaucoup plus apparents que dans les Syn.: il y a lafamille de Béthanie (Jn 11:5); puis ce mystérieux disciple qui,lors de la Cène, occupe la place d'honneur auprès de Jésus (Jn13:28). Jésus se définit dans ses entretiens avec les Juifs, unhomme qui dit la vérité qu'il a entendue de Dieu (Jn 8:40). Ilpartage toutes les faiblesses de l'humanité sauf celles de l'âme: ils'assied, défaillant, sur la margelle du puits de Jacob (Jn4:6). L'agonie de Gethsémané fait défaut, et la sueur de sang; maisle trouble intérieur manifesté par Jésus devant la mort se fait jouren de mystérieuses paroles (Jn 12:23-26). Dans l'histoire de laPassion, on a coutume de faire ressortir l'impassibilité du Christjohannique. En réalité, les Syn. accentuent fortement, dansl'attitude du Crucifié, la victoire sur la souffrance et sur la mort.Quant au Christ johannique, après avoir confié sa mère à sondisciple, il murmure, épuisé: «J'ai soif.» Puis, vaincu par lasouffrance, il se sent défaillir: «C'est fini», dit-il, et il rendl'âme. Comment ces traits s'accordent-ils avec la philosophiemajestueuse qui fait apparaître devant l'Église l'image d'un Dieuincarné? Les conjectures critiques ne suffisent pas à résoudre ceproblème: il faut admettre que la vie mystique intervienne ici, quise passe au besoin de l'histoire, et qui sait l'interpréter et larefaire. L'apôtre Paul a commencé par l'idée de la vie en Christcette transfiguration des données primitives. Le disciple idéalauquel fait allusion le 4 e évangile, a continué. Ici s'achèvel'histoire du siècle apostolique; ici commence l'histoire du Christdans les âmes. Elle doit se poursuivre jusqu'à l'achèvement du plande Dieu dans l'humanité.