JÉSUS-CHRIST (4)

III Le ministère. 1. BAPTEME.Quand se répandit en Palestine le bruit de l'apparition d'un prophètepareil à ceux des anciens jours, Jésus se joignit au peuple quidescendait vers les rives du Jourdain pour recevoir le baptême. Quesignifiait cette démarche? Le baptême de Jean était un baptême derepentance. Jésus a pu se solidariser avec son peuple dans cet actecollectif. Mais cet acte de repentance était aussi un acte deconsécration. On trouve dans les cérémonies lustrales des mystèresces deux éléments, et, avec la consécration, l'initiation qui enrésulte. Jésus venait se consacrer à Dieu en vue du Règne dontJean-Baptiste (voir ce mot) annonçait la venue. Il s'offrait ainsi«par les humiliations, aux inspirations». Le résultat fut la visionilluminatrice du Jourdain. En venant demander à Jean le baptême,Jésus a marqué qu'il reconnaissait l'inspiration divine duprédicateur de repentance. Jean-Baptiste a-t-il eu, en voyant Jésusvenir à lui, le geste de recul que lui attribue l'évangile de Matthieu?Il n'y a à cela rien d'invraisemblable. Il nous est dit que ceux quivenaient à Jean confessaient leurs péchés (Mt 3:6,Mr 1:5).L'étonnement du Baptiste en face de celui qui n'avait aucunefaiblesse personnelle à lui confesser paraît assez naturel. Jésus eut une vision analogue à celles qui avaient déclenchél'activité des prophètes (Amos, Ésaïe, Jérémie). Il reçut à ce momentla certitude qu'il était le Messie. Il se savait Fils de Dieu; ilcomprit qu'il était son Fils de prédilection, appelé par lui àannoncer à son peuple le salut et à préparer l'avènement de sonRègne. La vision du Jourdain n'est pas dans la vie de Jésus un faitisolé. Elle est la réponse divine à un acte de consécration où seramasse le travail d'âme de trente années. Le rôle du Baptiste a étéde fournir l'étincelle qui a fait exploser les matériaux accumulésdans l'âme de Jésus. On a fait observer qu'entre les vocations de prophètes que décritl'A.T., et la vocation messianique de Jésus, il y a une différence:l'appel de Dieu est là, mais non la réponse de l'homme. C'est quel'appel de Dieu était déjà une réponse à la prière de l'homme qui seconsacrait a lui. Dans cet épisode, il peut sembler qu'il n'y aitqu'une définition de l'être de Jésus. Mais quand cette définitions'applique au Messie, elle est une vocation. A ce moment, des énergies divines descendirent en lui. Ce futcomme une nouvelle création (d'après une tradition ancienne, appuyéepar le texte «occidental» de Lu 3:22, Jésus aurait entendu laparole du Ps 2:7: «Tu es mon Fils, je t'ai engendréaujourd'hui»). Dès lors, Jésus avait reçu la puissance divine, quifaisait de lui «Celui qui devait venir». On conçoit que l'Esprit l'ait poussé au désert. Dans la solitude,il a dressé le plan de son ministère. Serait-il le Messiequ'attendaient ses contemporains? Ce qui s'offrait à lui toutd'abord, c'étaient des visions de gloire, qui contrastaientsingulièrement avec sa pauvreté. Devait-il accueillir ces visions? Ils'est rendu compte qu'il y avait là des suggestions de l'esprit desténèbres. Il a repoussé comme satanique l'idéal de ses contemporains.Successivement, il a renoncé à se servir de son génie pourl'acquisition des biens de la terre; il s'est refusé à éblouir sonpeuple par des prodiges qui auraient été une façon de forcer la mainà Dieu; il a rejeté l'idée d'une royauté messianique qui aurait étéintronisée par la force et par la ruse, ces armes de Satan (Mt4:1,11,Lu 4:1,13). Il est normal qu'il y ait eu au début du ministère de Jésus unetelle crise, aboutissant à une victoire, et qu'ensuite, jusqu'à lafin, Jésus ait eu à lutter contre des assauts du messianisme charnelqu'il avait dès l'abord condamné. Il a trouvé dans l'Écriture dessecours dont le récit de la tentation renferme le témoignage. Serait-il donc le Messie transcendant qu'annonçait Jean-Baptiste,l'Être plus fort que Jean qui devait baptiser d'Esprit saint et defeu, le Juge? Jésus a accepté cet idéal, le plus élevé qui fût. Ilcroyait à la victoire de Dieu. Il s'est donc identifié avec le Filsde l'Homme, Messie céleste, mais il a accepté résolument l'obscuritéde sa condition présente. Et le chemin qu'il a choisi a été un cheminsingulièrement paradoxal: celui de l'humilité et de la souffrance. Que s'est-il passé tout d'abord? Il semble que Jésus ait commencépar suivre quelque temps la voie tracée par le Baptiste. Il avaitconscience d'être sur un plan supérieur. Mais le Baptiste était unprophète: donc un inspiré, et des plus grands qui fussent. Jésus acommencé par baptiser comme lui, et dans son voisinage (Jn3:22-24). C'est alors, vraisemblablement, qu'il a fait laconnaissance de ceux qui devaient être ses premiers disciples (Jn1:35,42). A ce moment-là, Jésus n'est pas disciple de Jean. Commentpourrait-il l'être, après la révélation du baptême? Aucun texte nel'a jamais présenté comme tel. Il y a des raisons de croire qued'emblée, tout en baptisant comme Jean, il se soit distingué de lui.Comme Jean, il prêchait la repentance. Et les foules allaient à lui.Bientôt, il a eu plus d'auditeurs que Jean. De là des difficultésauxquelles le quatrième évang, fait une allusion obscure (Jn3:25). Une controverse s'était élevée au sujet de la purification (donc des effets du baptême) entre les disciples deJean et un Juif. On s'est demandé s'il n'y avait pas eu uneerreur dans ce texte, et s'il ne fallait pas lire, au lieu d'unJuif, dont on ne voit pas ce qu'il viendrait faire ici, Jésus En tout cas, il semble que les Pharisiens aient exploité lesdivergences naissantes pour faire naître un conflit. C'est à cemoment que Jésus a quitté la contrée du Jourdain et le voisinage deJean (d'après les Synopt., il n'a commencé son ministère en Galiléequ'après l'arrestation de Jean). Le ministère de Jésus s'est dès lorsdétaché de celui de Jean. A certains égards, il est un continuateur du Baptiste, puisqued'aucuns verront en lui Jean-Baptiste ressuscité: mais il renonce àl'ascétisme qui donnait à Jean une physionomie si particulière. Il nese borne plus à attendre les âmes au désert: il va les chercher dansleur milieu habituel. Et le message qu'il leur apporte est un messagede joie. De Jean, l'ascète, on dira: «Il est fou»; mais de Jésus ondira: «C'est un mangeur et un buveur, un ami des péagers et despécheurs» (Mt 11:18,Lu 7:33 et suivant). Sans doute, désormais,il pense que le baptême de repentance ne suffit pas. Que sont lesoeuvres les meilleures, au regard de ce que Dieu est en droitd'exiger? Mais Dieu est un Dieu d'amour, et il faut se confier en sonpardon. Aussi Jean, qui est le plus grand des prophètes,appartient-il encore au passé (Mt 11:9,11,Lu 7:26-28) Il clôtl'ère ancienne, «la Loi et les Prophètes jusqu'à Jean-Baptiste» (Lu 16:16). Il est au seuil de l'ère messianique.Mais le plus petit, dans le Règne de Dieu, est plus grand que lui. Ledépart de Jésus n'attestait pas forcément une rupture avec Jean, maisil prouve qu'une séparation était devenue nécessaire. Il ne fallaitpas qu'on pût établir une confusion entre la méthode de Jésus etcelle de Jean. Dès lors, pour marquer le contraste, Jésus a cessé debaptiser. Selon toute vraisemblance (et c'est là seulement qu'il estpermis de trouver dans sa pensée une évolution), il a considéré lebaptême comme un élément de cette religion rituelle qu'il se sentaitappelé à remplacer par la religion de l'Esprit. Ceci pourrait s'entendre sans désavouer le baptême chrétien, quia un tout autre caractère que le baptême de Jean. Les circonstancesferont un jour aux disciples de Jésus un devoir d'établir dansl'Église une cérémonie d'initiation, et ils auront conscience de lefaire sous l'inspiration du Ressuscité (Mt 28:19). Voir Baptême. Le Baptiste n'a pas compris la disproportion entre les oeuvres del'homme et l'absolu de la sainteté divine, non plus que l'initiativedu Dieu de miséricorde, annonçant son pardon à la créature déchue.Ceci, c'est la révélation propre de Jésus. Le salut, d'après Jésus,est un don gratuit de Dieu, non la récompense de l'effort humain. Ilest donc offert à tous et non aux justes seulement. Jésus, enapportant ce message, remplit une mission qui est celle du Messie,puisque le pardon qu'il apporte ouvre aux hommes l'accès du Règne deDieu. Et ceci confirme la révélation du baptême. Il ne semble pas que le contraste entre les deux initiateurs aitjamais pris le caractère d'une rivalité. Jésus a tout fait pourl'éviter, et le noble langage que le quatrième évangile prête àJean (Jn 3:30) est conforme à tout ce que l'on sait du caractèred'un tel homme. On a quelque peine à comprendre, toutefois, que leBaptiste ait expressément désigné Jésus comme le Messie, ainsi qu'ilest dit dans cet évangile (Jn 1:29-35). L'idée que Jean sefaisait du Messie était trop différente de sa réalisation en Jésus. Est-il inconcevable, comme le pensent certains, que Jean aitenvoyé deux de ses disciples demander à Jésus s'il était celui quidevait venir, ou s'il fallait en attendre un autre? (Mt 11:2-6,Lu7:18-23) Cette question, tous ceux qui attendaient la Consolationd'Israël pouvaient la poser. L'attente messianique était devenuefiévreuse, et nous savons qu'il y a eu dans le rabbinisme unedoctrine du Messie caché, dont Justin, au II° siècle, nous apporte letémoignage. Sans doute, Jean devait être moins apte que beaucoupd'autres à se poser une telle question, étant donnée l'imagegrandiose et terrible qu'il se représentait du Messie (Mt 3: etsuivant et parallèle). Mais Jésus lui-même ne s'identifiait-il pasavec le Messie transcendant? Il y avait des gens qui se demandaient,dans l'entourage de Jean, si leur maître ne serait pas leMessie (Lu 3:15). Jean écartait cette supposition. Quand il aappris dans son cachot que Jésus accomplissait des oeuvres divines,la logique de sa conception messianique n'a-t-elle pu être traverséepar les lueurs de son intuition religieuse? Il n'y a pas eu accordcomplet entre la pensée de Jésus et celle du Baptiste. La révélationde Jésus n'en est pas moins dans la ligne de celle de Jean. Comme ledit son plus récent historien, Jean a été le précurseur duchristianisme, mais non son initiateur. 2. MINISTERE GALILEEN.Quel a été le thème de la première prédication galiléenne? Elle arepris, d'après la tradition synoptique, le motif essentiel de laprédication de Jean: «Le Règne de Dieu s'approche» (Mr 1:15,Mt4:17). Il n'est pas certain que Jésus ait ajouté dès ce temps-là:«Croyez à l'Évangile» (Mr 1:15). La foi, dans les évangiles, serapporte toujours à une personne, jamais à une abstraction. Le mot Évangile ne semble pas faire partie du vocabulaire courant deJésus, selon la tradition la plus ancienne. Il se trouve trèsrarement dans les évangiles (Mr 8:35 10:29 13:10 parallèle Mt24:14,14:9 parallèle Mt 26:13). Il s'y rapporte à laprédication future du message chrétien. C'était d'ailleurs un termed'un usage assez répandu dans le monde contemporain. Dansl'inscription de Priène, il s'applique aux bienfaits de l'empereurAuguste. Il n'a sa pleine signification que dans le christianisme. Ily désigne essentiellement le message qui a Jésus pour objet. Maisdans la prédication de Jésus, il y a eu d'emblée un évangile ausens où l'a entendu l'Église: un message de pardon, le message parexcellence. C'était la parole d'un inspiré, et une parole nond'effroi, comme celle de Jean, mais d'amour, réunissant la terre etle ciel. Voir Évangile. On ne peut évaluer que de façon conjecturale la durée duministère galiléen. Il se termine au printemps, l'herbe étant verteoù Jésus fait asseoir la foule lors du grand repas (Mr 6:39).Quand les disciples, passant par les blés, arrachent des épis pours'en nourrir (Mr 2:23), c'est le temps de la moisson. Onmoissonne de bonne heure en Palestine. Et il est probable que laliberté des disciples suppose une connaissance approfondie del'enseignement de Jésus. Il faut donc admettre que le ministèregaliléen ait duré tout près d'un an. On peut distinguer dans cette période, d'après le récit de Marc,sept sections. Il y a d'abord les premiers succès deJésus (Mr 1:14-45) qui ont un caractère foudroyant: au point dedépart, la journée de Capernaüm. Après le succès, l'opposition à laquelle Jésus seheurte, mais qui n'empêche pas son activité de redoubler (Mr2:1-3 12). L'institution des Douze (Mr 3:13-20). Tandis que l'action de Jésus ne cesse de grandir,les résistances se précisent. Sa famille veut l'arracher à sonministère, le croyant malade. Les Pharisiens l'accusent de chasserles démons par Béelzébul (Mr 3:20-35). Jésus expose son enseignement sous forme deparaboles, auxquelles l'évangile attribue un caractèremystérieux (Mr 4:1,34). Jésus traverse le lac. Il guérit le démoniaque deGadara. Il rappelle à la vie la fille de Jaïrus. Il est rejeté par saville natale (Mr 4:35-6:6). Jésus continue néanmoins d'aller de l'avant: ilenvoie des missionnaires (Mr 6:7-12). Son activité a pour champ la contrée de Génézareth. Le pays étaitpopuleux et prospère. Mais Jésus ne s'y est pas confiné. Sonministère a un caractère essentiellement itinérant: «C'est pour celaque je suis sorti» (Mr 1:38), dit-il, ce qui signifie: «C'estpour cela que je suis parti en mission.» Il a prêché dans lessynagogues, mais aussi sur les rives du lac, sur les hauteursavoisinantes, dans les maisons, partout où il en trouvait l'occasion.C'était l'essentiel de son ministère: prêcher et guérir. Ce ministèrene semble pas avoir eu pour but d'établir la messianité de Jésus,mais de préparer les hommes à la venue du Règne de Dieu. Les gestesde miséricorde que Jésus accomplissait avaient eux-mêmes pour but demanifester les énergies du Règne de Dieu. Ses prédications semblentavoir été brèves. C'était l'explication d'un passage de l'A.T., ouune parabole, ou quelque apophtegme dont il développait lesapplications en ces paroles incisives que nous trouvons dans leSermon sur la Montagne ou dans les discours relatifs aux Pharisiens. Le centre de l'activité de Jésus fut d'abord Capernaüm. C'étaitla ville de Jésus (Mt 9:1). Ce ne fut pas Nazareth, parcequ' «un prophète n'est méprisé que dans sa patrie» (Mr 6:4).Capernaüm (voir ce mot) était une petite ville commerçante, trèsaffairée, le grand marché de poisson du lac. Il y avait là un bureaude péage très important à cause de la route qui, de Damas, allaitvers l'Egypte ou vers Césarée. Il y avait aussi une garnison, etplusieurs synagogues. Capernaüm commandait la plaine de Génézareth.Le charme de ce pays était alors extraordinaire. Josèphe l'a décritdans une page célèbre, où il y a d'ailleurs quelque soupçon derhétorique G.J., III, 10:8. Il est certain que la Galiléed'alors était beaucoup plus cultivée et aisée que celled'aujourd'hui, qui a connu l'administration turque après tantd'autres calamités. C'est une région où la vie était douce. Les «lisdes champs» y donnaient une leçon de confiance plus persuasivequ'ailleurs. Dans ce paradis, l'évangile de Marc évoque l'apparition de Jésus.Il passe le long du rivage. Quatre hommes sont là qui, dans leursbarques, raccommodent leurs filets: Simon et André, Jacques et Jean.«Suivez-moi, leur dit-il, je vous ferai pêcheurs d'hommes» (Mr1:16 et suivant). Cet appel suppose des entrevues antérieures dugenre de celles dont il est parlé dans Jn 1. En une telleparole, il y avait une prophétie, qui n'a pu être comprise d'emblée,mais qui s'est éclairée dans la suite. Elle ne se rapportait pasencore, d'ailleurs, à l'activité universelle des envoyés de Jésus.Ils n'ont pas tout laissé, d'abord, pour le suivre (Il ne semblepas que Simon l'ait accompagné dans son premier voyage: Mr1:39); mais Jésus les a attachés aussitôt à sa personne. Ainsi commence ce qu'on a appelé l'idylle galiléenne. Le premiersabbat où Jésus prend la parole, dans la synagogue de Capernaüm, vadéclencher l'enthousiasme de la foule. Qu'est-ce que Jésus disait? Il parlait du Règne de Dieu et de savenue prochaine. Il annonçait la destruction des puissances mauvaisesqui tenaient le monde en esclavage. Interrompu à cet endroit par undémoniaque qui saluait en lui le Messie, il le fit taire, et la crisenerveuse qui tordit cet homme à ses pieds s'acheva en un apaisementqui fit l'admiration du peuple (Mr 1:23-27). Il parlait avecautorité (Mr 1:22), donc, comme quelqu'un qui a reçu mandatpour parler au nom de Dieu. C'était un prophète, non un Scribe. Et les esprits lui étaient soumis. Sa réputation traversa laGalilée. On vint lui apporter des malades de partout. Et la demeuremise à sa disposition par son disciple Simon fut assiégée à telpoint, que Jésus et les siens n'avaient même plus le temps de prendreleurs repas (Mr 3:20). Le jour, il enseignait; il chassait lesdémons. La nuit, il se retirait sur les hauteurs pour prier (Mr1:35 6:46). Bientôt les Pharisiens furent jaloux, et l'enseignement de Jésusparut suspect. La liberté souveraine avec laquelle il procédaitvis-à-vis du sabbat suscita contre lui la méfiance et lahaine (Mr 2:23 3:6). L'idylle ne dura pas longtemps. C'est lapériode de la prédication au peuple, sur les hauteurs qui dominent lelac, et des guérisons nombreuses. C'est aussi le temps descontroverses. Et les Pharisiens insinuent que, si Jésus chasse lesdémons, c'est par l'aide de Béelzébul, leur prince (Mr 3:22).Tou-tefois, la popularité de Jésus est immense. On parle de lui àHérode, dont la conscience hallucinée évoque Jean-Baptiste qu'il afait mettre à mort (Mr 6:14). Comme Jean-Baptiste, comme les rabbins, Jésus a groupé autour delui des disciples. Et, sans doute, en les groupant, a-t-il désiréréagir contre l'opposition pharisienne. La plupart de ses auditeursconservaient leur domicile et leur genre de vie: certains étaient appelés par lui, et devaient renoncer à tout pour le suivre.Jésus les invitait à ne pas céder aux entraînements del'enthousiasme, mais à examiner de sang-froid le sacrifice qui leurétait demandé (Mt 8:19 et parallèle). C'est une question souventdébattue de savoir dans quelle mesure ces disciples se confondaientavec le cercle des Douze. Ceux-ci constituaient-ils, au centre desdisciples de Jésus, un groupement fermé? On aurait quelque peine à endonner les caractéristiques. Quand Jésus dit qu'il faut tout quitterpour le suivre, on se demande ce que les Douze auraient pu faire deplus pour marquer leur fidélité. N'y avait-il que les Douze quieussent tout quitté pour lui? Cela paraît probable; mais on s'estdemandé s'il n'y avait pas une catégorie intermédiaire de disciplesattachés en principe à Jésus, et le suivant d'habitude dans sesdéplacements. Il y a dans les noms des Douze quelques flottements quisemblent indiquer que les limites du cercle des disciples n'étaientpas aussi arrêtées qu'on est d'abord porté à le croire. Les Douzesemblent avoir été le résidu de ce ministère galiléen qui devaitaboutir à une rupture avec l'ensemble du peuple. Et il semble bienque Jésus les ait choisis, d'accord avec la volonté divine, pour enfaire les compagnons permanents de sa vie. Il avait besoin de leurcompréhension et de leur sympathie. Il fallait qu'ils donnassentl'exemple de cette justice nouvelle qu'il prêchait. Enfin, il voulaitfaire d'eux ses envoyés, investis de pouvoirs spirituels semblablesaux siens, capables à la fois de prêcher la repentance et de chasserles démons (Mr 6:12 et suivant). Il se peut que d'autres disciples aient été associés aux Douzedans cette première mission: c'est ce qui expliquerait l'histoire desSoixante-Dix, ou mieux des Soixante-Douze (Lu 10:1-20), qui faiten réalité double emploi avec celle des Douze. De toute façon, lesuccès de cette première mission fut grand. Au retour de ses envoyés,Jésus leur dit: «J'ai vu Satan tomber du ciel comme unéclair» (Lu 10:18). Il y a dans les instructions aux disciples une parole trèsmystérieuse: «Je vous le dis en vérité, vous n'aurez pas achevé deparcourir les villes d'Israël, que le Fils de l'Hommeviendra» (Mt 10:28). Ceci, qui. est certainement authentique,signifie-t-il que Jésus s'attendait, à ce moment-là, à la venuefoudroyante du Règne de Dieu? En tout cas, c'est un tempsd'enthousiasme et de ferveur, la période des succès de l'Évangile. Après l'envoi des disciples, le ministère galiléen touche à sonapogée. Mais ces succès ont redoublé l'appréhension et la haine desadversaires de Jésus, Pharisiens et Hérodiens. Si l'on excepte lespremiers événements--la journée de Capernaüm, la guérison duparalytique, l'appel des Douze, le Sermon sur la Montagne--il n'estpresque aucun épisode des évangiles qui soit purement lumineux. Lesâpres controverses déchaînées par les Scribes semblent avoir étépresque contemporaines des premiers jours. Qu'il y ait eu, aucommencement, un enthousiasme, cela est certain. Que l'Évangile aitpu tout d'abord être prêché sans susciter de contradiction, cela estvraisemblable. Mais, dès qu'on s'est aperçu que Jésus était l'ami despéagers et des gens sans loi (et on a dû s'en apercevoir très vite),que ses disciples ne jeûnaient pas, qu'ils ne pratiquaient pasd'ablutions avant les repas, qu'ils ne se faisaient pas scrupuled'arracher des épis le jour du sabbat, que le Maître lui-mêmen'hésitait pas à guérir des malades ce jour-là, l'opposition s'estmanifestée. Jésus n'ayant pas hésité à faire ressortir le contrasteentre l'idéal de moralité qu'il apportait et le formalisme desScribes, la haine a commencé de gronder dans ces âmes jalouses. Ilslui reprochaient son genre de vie, ses fréquentations (Mr 7:1),sa prétention de pardonner les péchés, qu'ils jugeaientblasphématoire (Mr 2:7). Sa famille elle-même voulait l'arracherà son ministère, parce qu'on disait qu'il avait perdul'esprit (Mr 3:21). Et cette opposition, malveillante chez lesuns, bien intentionnée chez les autres, aboutit à l'épisode deNazareth, qui est un échec. La petite ville où il a grandi refused'écouter son enfant. Épisode qui tourne au tragique dans le récit deLuc. Mais, avec ou sans tentative de meurtre, l'échec est certain:dans sa ville natale, il n'a trouvé qu'incrédulité (Mr 6:1,6,cf. Mt 13:53-58 Lu 4:16-30) Cependant, jusqu'à la fin, la popularité de Jésus n'a cessé degrandir. Elle a atteint son apogée le jour de la multiplication despains (Mt 14:13-21, cf. Mr 6:32-44,Lu 9:10,17,Jn 6:1,13,Mt15:32-39, cf. Mr 8:1,10). Jésus a voulu se retirer avec sesdisciples fatigués sur la rive N. du lac. Mais on l'a vu partir: aumoment où il atterrit, la foule est là. Jésus en a pitié: ce sont desbrebis qui n'ont pas de berger (Mr 6:34). Dans ce peuple, il y ades femmes et des enfants. Jésus, après les avoir exhortés tout lejour, ne veut pas les renvoyer sans nourriture. Or, il n'a que cinqpains et deux poissons. Il les fait asseoir sur l'herbeverdoyante (Mr 6:39); puis il prie. Et il se trouve que Jésusaura entre les mains de quoi nourrir ce peuple. Comment expliquer cette chose prodigieuse? Un fait certain, c'estque Jésus a toujours refusé de donner à ses auditeurs le signe duciel qu'ils lui ont demandé. Il n'y aura pas d'autre signe quecelui du prophète Jonas, a-t-il dit (Mt 16:4,Lu 11:29, cf. Mr8:12), ce signe étant vraisemblablement l'apparition soudaine d'unmessager de repentance. Jésus n'a donc pas accompli de prodige ausens matériel, ni ce jour-là, ni un autre jour. Il semble que nousn'ayons le choix qu'entre deux hypothèses: l'explication rationalistedes arrivages inattendus de poissons, qui sont bien un exaucement deprières et une confirmation de l'acte de foi de Jésus, oul'explication mystique qui voit ici un des cas extraordinaires où deshommes nourris de la parole «qui sort de la bouche de Dieu» ont étéélevés par là au-dessus des nécessités matérielles. Ce repas,effectué avec un minimum de nourriture, serait la première Cène, etune anticipation du Règne de Dieu. Il faut convenir que nous nepouvons trouver aucune explication satisfaisante; mais le fait estlà, avec ses conséquences, qui furent décisives. Jésus, ayant congédié le peuple, s'était retiré sur la montagnepour prier. La foule, dans un élan d'enthousiasme, revint le chercherpour le faire roi (Jn 6:14). Mais lorsqu'il entendit leursacclamations, il s'enfuit. Et bientôt il se retrouva seul avec lesDouze dans la contrée solitaire qui avoisine les sources du Jourdain.Là se place l'épisode de la confession de Pierre (Mr 8:27-30,cf. Mt 16:13-20,Lu 9:18-21). Au moment où Jésus venait derépudier ce faux idéal d'un messianisme charnel, qui était celui deson peuple, il eut la douceur de se sentir compris de ses fidèles.Dès lors, il leur enseigna que, pour lui, le chemin de la gloiredevait passer par la mort. Six jours après, dit le récit évangélique (cette donnéechronologique est exceptionnelle), Jésus conduisit ses trois intimessur une haute montagne (Mr 9:2-13,Mt 17:1-13,Lu 9:28-36). Al'origine de ce récit, où certains voient un épisode des apparitionsdu Ressuscité, détaché de son contexte primitif, il est permis dedistinguer une vision de Pierre, qui, dans un état de demi-sommeil,aperçoit son Maître transfiguré par la prière, et tel qu'il luiapparaîtra un jour. L'utilité de cette vision sera d'aider lesdisciples à ne pas se décourager quand viendra l'apparent désastre.Il est impossible d'éliminer de l'histoire des âmes l'élémentvisionnaire. Et comme l'a dit Ed. Meyer, «il n'y a pas dansl'histoire biblique de vision qui soit décrite de façon plusnaturelle; il n'y a point à douter que Pierre ait vécu cetépisode, l'ait raconté, et ait cru fermement à sa réalité» (Urspr., etc., I, 1921, pp. 152-157). 3. DERNIERE PERIODE.Elle a duré environ un an (du repas offert aux foules, à la Pâque del'année suivante). Elle ne ressemble pas à la précédente. Il apparaît à Jésusqu'entre le peuple et lui il y a un malentendu. Ils veulent unMessie, ils ne veulent pas se repentir. Et, malgré tant de chosesextraordinaires qu'ils ont vues, il ne s'est fait en eux aucunchangement profond. C'est alors que Jésus jette l'anathème aux villes galiléennes,avec une gravité où il n'y a nulle haine, mais un regretinfini (Mt 11:20-24,Lu 10:13-15). Désormais il lui arriveraencore de passer par la Galilée, mais en s'efforçant d'y garderl'incognito pour ne pas accroître le malentendu qui le sépare de cepeuple. Peu de guérisons, et accomplies en secret (le sourd-muet,Mr 7:31-35; l'aveugle de Bethsaïda, Mr 8:22-26). C'est làque se placent des paroles propres à décourager ceux qui auraient desvelléités de le suivre: «Si quelqu'un ne hait pas son père, sa mère,jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple» (Lu14:26,35). «Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce àlui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive» (Mr8:34). Cette dernière parole, où il est question du supplice romain,a pu recevoir de la tradition sa couleur particulière; quant àl'idée, il n'est pas douteux que ce ne soit celle de Jésus. Cependant, Jésus se consacre à l'éducation des siens. Il formeune élite en vue du martyre. C'est à ce moment qu'il faut placerl'appel au jeune homme riche et la constatation mélancolique qui lesuit (Mr 10:17-27). En formant cette élite de disciples, a-t-il eu la pensée defonder une Eglise,--l'Église? On en peut douter. Le terme d'Église(voir ce mot) ne figure que deux fois dans les évangiles, et les deuxtextes ont été contestés. Il y a d'abord la parole rapportée par Matthieu:«Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce n'est pas la chair et lesang qui t'ont révélé cela. Et moi, je te dis: Tu es Pierre, et surcette pierre je bâtirai mon Église, et les portes des enfers neprévaudront point contre elle» (Mt 16:17 et suivant). Ce passagen'est pas primitif dans le contexte où il se trouve, et avec lequelil est en contradiction, puisque Jésus y traite Pierre deSatan (Mt 16:23,Mr 8:33). Il est ignoré des Pères du II° sièclejusqu'à Tertullien (sauf le verset 17). Toutefois, la forme en estarchaïque. Il se peut que Jésus ait dit quelque chose de ce genre enune autre occurrence. Le surnom donné à Pierre impliquait bien unesituation à part. Il devait être, dans la pensée de son Maître, la pierre sur laquelle se fonderait la communauté des disciples. Ilest question à plusieurs reprises (Hen 38:1 46:8 53:6 62:8), dans lesParaboles d'Hénoch (ch. 37-71 du texte éthiopien), d'une assembléedes élus, désignée par des termes qui répondent au grec synagogè, à l'hébreu qâhâl, et que les modernes ont rendus par Gemeinde, congrégation, ou rassemblement (voir Léon Gry, les Parab. d'Hén. et leur Messianisme, Paris 1910). Il ressort deces textes que le peuple des saints des temps messianiques estqualifié d'assemblée, voire d'assemblée du Juste et de l'Élu, donc du Messie. Celui qui avait conscience d'être le Messie a donc pudire: mon assemblée, en parlant du peuple de ses fidèles, employantle terme juif de qâhâl, que ses disciples devaient traduire, dansla suite, par ekklêsia. Il est normal qu'il ait envisagé laconstitution de cette communauté future. Toutefois, ce n'était encorequ'une perspective lointaine, à laquelle il n'attachait pas sonesprit. La législation de l'Église n'est pas son oeuvre. L'uniqueprécepte où il soit question du qâhâl (Mt 18:17) était sansdoute un élément de la discipline des communautés palestiniennes. Sateneur s'écarte de l'enseignement du Maître. Ce qui est bien établi, c'est que Jésus, dans la seconde partiede sa carrière, s'est consacré à la formation de ses disciples. Il nesemble pas avoir renoncé définitivement à l'instruction du peuple,mais, désormais, c'est plutôt en Pérée qu'il se tient (Mr 10:1,Jn10:40 et suivant); sans doute aussi en Samarie et à Jérusalem. Sonactivité dans la capitale nous est mal connue, mais elle a étébeaucoup plus considérable que la tradition synoptique ne l'affirme.Cette tradition elle-même, qui essaye de faire rentrer l'activitéhiérosolymitaine de Jésus dans le cadre trop étroit de la semaine dela Passion, se donne un démenti par le cri de douleur qu'elle metdans la bouche de Jésus: «Jérusalem, Jérusalem, qui tues lesprophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j'aivoulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussinssous son aile, et vous ne l'avez pas voulu!» (Mt 23:37).Jérusalem est-elle devenue dès lors, comme on pourrait l'inférer dela tradition johannique, le centre du ministère de Jésus? Ce n'estpas certain. Mais il se peut que les fêtes auxquelles Jean faitallusion aient été réellement pour Jésus autant d'occasions deprendre contact avec la ville où il devait mourir. A la fête des Tabernacles (sept.-oct.), Jésus serait venu àJérusalem. Il aurait pris la parole dans les parvis du Temple, etaurait gagné de nombreux adhérents (Jn 7:2 et suivant). Il seserait retiré pour un temps, et serait revenu pour la fête de laDédicace (nov.-déc.): Jn 10:22. A ce moment, il aurait risqué lalapidation. Puis, il se serait retiré au delà du Jourdain, et c'estlà que se placerait le séjour en Pérée dont il est parlé dans lesévangile (Jn 10:40,42,Mr 10:1,Mt 19:1). Il serait retourné àBéthanie en apprenant la maladie de Lazare. Après la résurrection deLazare, il s'en serait allé à Éphraïm (Jn 11:11,54). Il faut prendre garde que l'encadrement de la vie de Jésus dansun certain nombre de fêtes peut être une méthode d'exposition ayantpour but de faire alterner les épisodes galiléens et les épisodesjérusalémites. En tout cas, le mouvement de la vie de Jésus sembleplus fidèlement rendu dans les Synoptiques. La mort de Jésus aura le caractère d'un sacrifice volontaire. Cequi n'ôte rien à la tristesse de ce temps où, les foules l'ayantabandonné puisqu'il n'a pas voulu satisfaire leurs rêves charnels, ilmène une existence errante, au milieu des intrigues de sesadversaires. C'est d'alors que doit dater la douloureuse parole: «Leschacals ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais leFils de l'Homme n'a pas où reposer sa tête» (Lu 9:58). Pourtant, il y a encore des dévouements qui s'offrent. Et il y ales Douze. Les disciples ont retenu de ses discours des lambeauxgrâce auxquels on peut se faire une idée de la façon dont ilenvisageait sa mort. D'abord une définition de son ministère, dont le service est l'élément essentiel. Il s'achèvera dans la mort, etcette mort, Jésus l'envisage comme devant être la rançon del'humanité (Mr 10:45). Ensuite, l'exemple de son modèleprophétique, le Serviteur de l'Eternel, qui porte sur lui lespéchés de son peuple (ou, d'après une autre leçon, les péchés despeuples: cf. Esa 53:8). Ses disciples entrevoient, à traversle mystère de ses paroles voilées, que la mort est pour lui le seulchemin qui mène à la victoire. Sans doute, il y a un feu qu'il estvenu jeter sur la terre, et combien il lui tarde que ce feu soitallumé! Mais cette crise, d'où doit sortir, par l'initiative divine,un monde nouveau, elle ne peut et ne doit se produire que par samort. «Il y a un baptême dont je dois être baptisé, et combien il metarde que ce baptême s'accomplisse!» (Lu 12:49 et suivant). Une impatience sacrée de mourir s'est emparée de lui. «Voici queje chasse les démons et que je guéris les malades, aujourd'hui etdemain, et le troisième jour je finis», fait-il dire à Hérode. «Maisil faut que je marche aujourd'hui, demain et le troisième jour. Caril ne sied pas qu'un prophète meure hors de Jérusalem» (Lu13:32 et suivant). La façon dont il traite ce misérable tétrarque deGalilée n'indique nulle crainte. Un chacal c'est une bête deproie si l'on veut, mais c'est un animal faible et lâche, quis'attaque à la basse-cour et aux cadavres. Jésus n'avait pas quittéla Galilée pour fuir Hérode, puisqu'il était d'abord allé en Pérée,c'est-à-dire dans une région qui était le domaine propre dutétrarque, et où il avait fait arrêter Jean. Jésus passe donc par Jérico, qui est le chemin des caravanes deGalilée et de Pérée. Dans les rues de Jérico, on s'écrase sur sonpassage: le péager Zachée, pour le voir, se hisse sur unsycomore (Lu 19:3). L'aveugle Bartimée le salue du cri de «Filsde David» (Mt 20:29-34,Mr 10:46,52,Lu 18:35-43). L'espoir renaîtdans le coeur de ce peuple avide de prodiges. Du moment où Jésuss'achemine solennellement vers Jérusalem, c'est que le Règne viendrabientôt (Lu 19:11). La foule grossit sans cesse. Elle approchede Bethphagé (Mr 11:1). Jésus ne va pas s'arrêter à Béthanie. Ilcontinue sur Jérusalem, monté sur un ânon qui n'a été profané paraucun contact (Mr 11:2). Ce n'est pas le cheval de guerre desconquérants; c'est la monture qui doit être, d'après le prophète,celle du Prince de la Paix. (voir Za 9:9) Un enthousiasmes'empare des Galiléens, qui jettent leurs manteaux sur le chemin pourlui faire un tapis triomphal (Mr 11:8,10). Jean ajoute à cedétail les palmes qui jonchent la route (Mr 12:13). Les évangiles ont marqué la solennité de cette heure. C'est lesuprême appel au coeur d'un peuple qui ne veut pas serepentir (Lu 19:40). Il sera vain comme les autres; et Lucraconte qu'à ce moment, Jésus pleure sur Jérusalem en prédisant lacatastrophe (Lu 19:41,44). Si les pèlerins de Galilée acclamentJésus, s'ils chantent même, sur son passage, le grand hallel messianique qui doit saluer le Messie à son entrée dans la capitale(voir Hosanna), les Judéens restent froids (Mt 21:10 etsuivant). Il y en a cependant qui sont venus au-devant de Jésus,d'après le témoignage de Jean (Jn 12:12). Vainement les Pharisiensl'avertissent: (Lu 19:39) Jésus, en cette occasion suprême qu'iloffre à son peuple, accepte d'être salué comme Messie. Le seul effetde cette entrée triomphale sera d'attirer sur lui les coups de sesadversaires. Mais il a résolu de mourir. C'est pourquoi, à cette manifestation publique, il va en ajouterune autre où il accomplira plus nettement encore un gestemessianique, en chassant les vendeurs du Temple (Mt 21:12 etsuivant, Mr 11:15,19,Lu 19:45 et suivant, Jn 2:14-16).Ainsi il consommera sa perte, en faisant entrer en ligne une nouvellecatégorie d'adversaires, les seuls dont la haine soit irrémissible,et qui aient le pouvoir d'assouvir leur haine: les Sadducéens,bénéficiaires de la foire du Temple. Jean, pour expliquer la haine du sanhédrin, se réfère à larésurrection de Lazare. Ce miracle serait vraiment le signe duciel, que les Juifs ont demandé à Jésus, et que Jésus s'esttoujours refusé à faire. La résurrection d'un homme mort depuisquatre jours est un événement dont nous ne devons pas dire qu'iloutrepasse la puissance de Jésus, mais qui concorde bien peu avec ceque nous savons de lui. Et c'est un acte qu'il est malaisé de situerdans la carrière de Jésus. Il y a cependant une ingénieuse hypothèsequi permet de tout concilier. On suppose que Jésus, après larésurrection de Lazare, se retire à Éphraïm, à vingt milles au Nordde Jérusalem, et que là il attend, pour rentrer à Jérusalem, la venuedes caravanes de Galilée (Jn 11:54). Il reviendra alors àBéthanie, qui sera son quartier général pendant les événements de lasemaine sainte. Tout cela ne cadre guère avec le récit desSynoptiques. Et les Pères de l'Église placent Éphraïm au Nord deJérusalem, ce qui ne s'accorde pas avec l'itinéraire supposé de Jésus. Il faut cependant retenir du récit de Jean la parole de Caïphe etla délibération du sanhédrin (Jn 11:47,57). La déclarationque le quatrième évang, met dans la bouche de Caïphe a une certainevraisemblance. Toute agitation messianique devait inquiéter lesSadducéens, qui ne croyaient pas au Messie, et qui avaient peur queRome ne prît prétexte de cette effervescence pour retirer aux Juifsles franchises qu'elle leur avait encore laissées. La condamnation deJésus rentre donc dans la catégorie des crimes qui ont la raisond'État pour excuse. Il est permis d'ajouter que ces craintes ont prisaux yeux des Sadducéens toute leur gravité et les ont déterminés àagir, le jour où leurs intérêts ont été menacés par l'expulsion desvendeurs. Ce haut clergé de Jérusalem passait pour étrangement avideet sans scrupule. Les Sadducéens avaient le pouvoir. Sans eux, on nepouvait rien entreprendre contre Jésus; mais, si Jésus avait étésoutenu par les Pharisiens, les prêtres, de moins en moinspopulaires, auraient hésité à sévir contre lui. Par extraordinaire,il s'est trouvé que les Pharisiens étaient d'accord avec lesSadducéens. Il y avait chez eux une jalousie de plus en plus ardente,suscitée par le succès de celui qui leur avait soudainement enlevél'âme du peuple. Il y avait aussi des motifs plus respectables, tirésde leur amour pour la Loi, dont l'enseignement du nouveau prophèteébranlait l'autorité. Les manoeuvres préliminaires des adversaires de Jésus ont étérapportées par les évangiles. Il y a eu trois tentatives. D'abord ilsont demandé à Jésus d'où venait son autorité, et qui lui avait donnémandat d'agir comme il faisait. Jésus leur a demandé de lui dire d'oùvenait à Jean-Baptiste son autorité. Le baptême de Jean était-ild'inspiration divine ou d'initiative humaine? Ils se sont tus (Mt21:23-27,Mr 11:27-33,Lu 20:1-8). Ensuite, l'attaque directe, menée par un groupe de Pharisiens etd'Hérodiens. «Est-il permis, ou non, de payer le tribut à César?» Laréponse de Jésus devait le perdre: rebelle ou mauvais patriote, c'estla condamnation romaine ou l'abandon. Et ce fut la grande parole quirègle pour tous les temps les rapports de la conscience et del'autorité: «Rendez à César ce qui appartient à César, à Dieu ce quiappartient à Dieu» (Mt 22:17,Mr 12:14,Lu 20:22). On s'est demandé si l'épisode de la femme adultère (Jn 8:1-11)n'avait pas sa place normale dans ces entretiens deJérusalem. Il y avait là une occasion de mettre l'enseignement deJésus en opposition avec celui de Moïse, et de le rendre suspect defavoriser le relâchement par sa doctrine de pardon. La réponse deJésus est de la même venue que les deux autres. Il a dû paraître clair à ses ennemis qu'ils n'arriveraient à rienpar cette méthode. Pour abattre l'autorité de Jésus, il fallaitrecourir à un coup de force. C'est alors qu'intervint Judas (Mt26:14,16,Mr 14:10 et suivant, Lu 22:3,6). La trahison de Judasa été contestée. Cependant, le rôle qu'il a joué était essentiel.Étant donnée la popularité de Jésus, il fallait une arrestationsecrète, qui permît de régler l'affaire en mettant le peuple enprésence de la chose jugée. On a aujourd'hui tendance à ne passupposer à la trahison de Judas (voir ce mot) des raisons trop viles.Sans doute, l'avarice est un trait de son caractère, et il s'estvendu. Mais ses ambitions étaient déçues; sa foi messianique étaitébranlée. N'aurait-il pas eu pour but de forcer la main à Jésus, dele mettre en nécessité d'accomplir ce signe du ciel que le peupleattendait, et qu'il s'était refusé à lui donner? 4. INSTITUTION DE LA SAINTE CENE.Elle est attestée par les trois Synoptiques (Mt 26:17-29,Mr14:12-25,Lu 22:7,23), et leurs relations sont confirmées par letémoignage de l'apôtre Paul (1Co 11:23 et suivant). Étant donnéel'ancienneté de ce témoignage, il semblerait qu'on dût s'incliner.Toutefois, il y a des divergences de détail dans les textes, et il ya une version de l'événement chez Luc (D et Syr. Sin.) qui réduitl'élément sacramentel en faisant de la Cène un repas attristé par laperspective de la mort prochaine de Jésus, et éclairé quand même parl'idée de son retour, mais sans l'affirmation que son corps soit lanourriture des fidèles (voir Goguel, l'Eucharistie, pp. 59-103).Partant de là, on a contesté le récit de Paul. On y a vu une créationinspirée des mystères (voir ce mot). L'apôtre vivait dans un milieuhellénique tout imprégné de ces superstitions dont l'idée centraleétait la mort d'un dieu qui servait de nourriture à ses fidèles. Il aappris du Seigneur ce qu'il raconte aux Corinthiens quant audernier repas de Jésus, ce qui signifie que ce visionnaire en a reçuconfidence du Seigneur ressuscité, dans un de ces entretiensmystiques qu'il avait coutume d'avoir avec lui. Le récit de Paul seserait répandu aussitôt dans le milieu hellénistique, tout disposé àécouter des inventions de ce genre. De là, il aurait passé dans latradition évangélique, où il aurait refoulé et à peu près éliminé latradition authentique qui circulait relativement au dernier repas duSeigneur. Et ainsi, le sacramentarisme païen se serait infiltré dansl'Église naissante. Il y a à cela des réponses qui paraissent décisives. On ne voitpas comment une invention de Paul se serait imposée à la chrétientépalestinienne, où il ne semble pas avoir eu un prestige excessif.L'analogie avec les cérémonies des mystères, qui étaient enabomination aux Juifs, n'aurait pas été pour cette fable unerecommandation. Mais ensuite, il ressort des éléments les plusanciens du livre des Actes que la fraction du pain, commémorationdu dernier repas de Jésus, était pratiquée dans l'Église primitive,qu'elle était un élément permanent de son culte. Faut-il croire quede cette commémoration était banni tout élément sacramentel? Ilparaît impossible d'en exclure l'idée d'un lien permanent créé àtravers la mort entre les disciples et le Maître. Enfin, c'est sereprésenter bien mal l'attitude de l'apôtre Paul vis-à-vis de Celuidont il se déclarait l'esclave, que de le supposer capabled'inventer un tel récit. Quand il dit: «Ce n'est pas moi qui le dis,c'est le Seigneur», il distingue entre son affirmation personnelle etl'enseignement historique du Maître, qui constitue pour luil'autorité absolue. Nous n'avons aucune raison de croire qu'il aitvoulu créer lui-même, tout en la distinguant de sa propre pensée,l'autorité dont il se proclame l'esclave. Quant à la cérémonie de la Cène, on a contesté la coupe, à causedes variations relatives à ce second élément du repas pascal.Pourtant, le pain et le vin constituent, dans ces temps et ce milieu,le repas-type. Et, s'il était question de la mort, le symbolisme dela coupe était trop parlant pour être négligé. Dans quelle mesure ce repas avait-il le caractère d'un sacrement,d'une nourriture communiquant au fidèle la vie divine? Nous nesaurions entrer dans le détail des innombrables explications qui ontété proposées. La grande divergence, comme on sait, pour ceux quiadmettent l'authenticité fondamentale du récit, consiste àinterpréter les paroles: «Ceci est mon corps», comme une parabole, oucomme l'énoncé d'une vérité concrète. La théologie catholique affirmeque le pain de la Cène se change dans le corps de Jésus. Il y auraittranssubstantiation, le pain et le vin gardant leurs propriétésphysiques et chimiques, mais la substance elle-même ayant changé. Ilest aisé de voir dans quels abîmes de difficultés on s'enfonce enadoptant ces explications artificielles inspirées par une philosophiedu passé. Le Christ, dans cette double parabole de la Cène, a affirmésa volonté de créer entre lui et ses disciples une associationpermanente. Qu'il ait pensé être leur nourriture, ainsi que le ditl'évangile de Jean, ceci paraît très vraisemblable. Mais il ne faut pasoublier ce que dit le même évangile: «C'est l'Esprit qui vivifie; lachair ne sert de rien. Les paroles que je vous dis sont Esprit etvie» (Jn 6:63). On ne peut pas éliminer de ce récit, ni del'institution elle-même, le mystère. Mais il est inutile d'en donnerune formule qui n'évoque rien de saisissable dans notre esprit. Ilest permis de parler de présence réelle, et cela concorde avec lestextes de Paul. Il n'y a pas lieu de parler de transsubstantiation.Voir Cène; Communion, parag. 3. Le quatrième évang, ne renferme pas le récit de l'institution dela Cène. Par contre, il montre Jésus lavant les pieds de sesdisciples. Et ailleurs, il donne (dans le discours du pain de vie:Jn 6:22,58) un commentaire de cette institution qu'il ne relatepas, comme si, pour lui, le repas offert aux foules, sur les rives dulac, représentait la véritable institution de la Cène. Tout ce quel'on peut conclure de son silence à cet endroit, c'est qu'il entendfaire de la communion mystique avec le Seigneur une donnée permanentede la vie chrétienne. 5. ARRESTATION.Jésus franchit l'enceinte de Jérusalem. Il passele torrent du Cédron avec ses disciples. Il s'arrête dans un jardinsitué sur le versant occidental du mont des Oliviers, Gath-Chamena(=le pressoir d'olives). C'est son habituel lieu de retraite, où ilconsacre à la prière ses heures de veille. Il fait appel àl'assistance de ses trois fidèles. Mais eux, vaincus par la fatigue,s'endorment. Ils ont entendu, cependant, les premiers mots de saprière. Elle est une supplication au Père de lui épargner la coupe dusacrifice, s'il est quelque autre moyen d'accomplir son oeuvre desalut. Et elle est un acte de soumission par lequel il unit une foisde plus sa volonté à la volonté du Père (Mt 26:36-46,Mr14:32-42,Lu 22:40-46). Sous les oliviers, dans le silence de la nuitet de l'abandon, la lutte se poursuit. Jésus pourrait encore fuir, ilne le veut pas. Il se courbe devant la volonté mystérieuse. Danscette coupe, qu'y a-t-il donc? Est-ce la crainte de la mort? Est-cel'horreur de finir ainsi, rejeté de son peuple et méconnu? La foichrétienne y a vu autre chose: l'angoisse d'une mort qui est lasanction du péché, mais qui ne devrait pas frapper un être innocent;l'appréhension de cette solidarité qu'il accepte avec le crime deshommes, et qui va faire de ces dernières heures, par la sensationd'être abandonné non plus seulement des hommes mais de Dieu, unenfer. L'histoire ne peut constater que le fait sur lequel elle estdocumentée: la prière de Jésus, qui comporte de multiplesexplications. Il réveille ses disciples endormis pour leur annoncer la venue dutraître. Judas est accompagné d'une solide escorte. Il salue sonmaître; il l'embrasse; et par là, il le désigne à ceux qui viennentl'arrêter. Les disciples font un simulacre de résistance. Jésusordonne à Pierre de remettre l'épée au fourreau: «Tous ceux quiauront pris l'épée, périront par l'épée» (Mt 26:52). Et lesdisciples s'enfuient (Mt 26:47-66,Mr 14:43-50,Lu 22:47-53,cf. Jn 18:3-12). 6. LES RESPONSABILITES.C'est un grave problème de savoir si ce sont les Juifs qui ont étéles instigateurs et les auteurs responsables de la condamnation deJésus, ainsi qu'on l'a toujours cru jusqu'à nos jours, ou si ce sontles Romains, comme l'affirment aujourd'hui des historiens autorisés.On allègue en faveur de cette hypothèse: (a) que Jésus, d'après le témoignage de l'évangile deJean, a été arrêté par les représentants de l'autorité romaine:tribun et cohorte (Jn 18:12); (b) que, sans doute, il est question dans le mêmetexte d'une participation juive, mais qu'il n'est guère vraisemblableque les Romains aient accepté de jouer un rôle dans l'arrestationcomme auxiliaires des Juifs; (c) que la sentence portée contre Jésus et exécutée,fut une sentence romaine prononcée par un magistrat romain; (d) que Tacite ne parle que de Ponce Pilate lorsqu'ilfait mention de la condamnation de Jésus; (e) que la tendance à décharger Pilate se conçoit,étant donné que les premiers missionnaires du christianisme onttoujours trouvé devant eux l'opposition fanatique des Juifs, tandisque les autorités romaines ont été leur recours. Il ne faut pas méconnaître la force de ces raisonnements. Mais ilsemble difficile que les choses se soient passées autrement, quellequ'ait été la responsabilité des Juifs. On sait que le pouvoir deprononcer des sentences capitales avait été retiré aux autoritésjuives, suivant le Talmud, quarante ans avant la ruine de Jérusalem.Le sanhédrin était compétent comme juridiction criminelle pour lesaffaires de peu d'importance. Mais Rome se défiait trop de ses hainespour ne pas lui interdire de mettre à mort. Le récit del'arrestation, tel que le rapporte Jean, renferme desinvraisemblances. L'une d'elles est justement l'intervention de lacohorte. Toute la garnison de Jérusalem--un régiment avec sonchef--pour arrêter Jésus la nuit, dans le secret de sa retraite! Cetexcès de précautions supposerait, chez un magistrat aussi averti etrésolu à sévir, une étrange ignorance. Et la tentative de résistancedes disciples serait alors inconcevable. Il est certain que Jésus aété condamné par un magistrat romain à subir un supplice romain. Làn'est pas l'intérêt de la question. Il s'agit de savoir qui étaitmoralement responsable. Les sanhédristes n'avaient aucun désir derevendiquer la condamnation de Jésus. Ils devaient manoeuvrer defaçon à laisser aux Romains l'odieux d'une telle mesure. Cependant,ils ne pouvaient pas se borner à dénoncer Jésus à Pilate. Il leurfallait une condamnation religieuse pour détacher le peuple de Jésus.Qu'il fût condamné comme blasphémateur par la suprême autorité de sonpeuple, c'était pour eux une nécessité. Il est certain qu'entre leprocès juif et le procès romain, il n'y a aucune liaison logique.D'une part, Jésus est le Fils de Dieu. De l'autre, il est le Roi desJuifs. Devant le sanhédrin, c'est un procès religieux, dont l'utilitéest de mettre la conscience des sanhédristes à l'abri. Devant Pilate,c'est un procès politique. Mais ceci atteste simplement l'habiletédes adversaires de Jésus. La tradition est unanime à attribuer aux Juifs la responsabilitéde la mort de Jésus. Sans doute, l'apôtre Paul en fait remonterl'initiative dernière aux puissances mauvaises intermédiaires entrele ciel et la terre auxquelles appartient, selon lui, dans le siècle présent, la direction de l'histoire (1Co 2:8). Maisquant aux auteurs humains de la mort de Jésus, il n'a aucun doute. Ilen parle très clairement dans la première auxThessaloniciens (1Th 2:15). Les discours de la première partiedu livre des Actes, dont le caractère archaïque a été souvent mis enrelief, attribuent aux Juifs, de la façon la plus expresse, laresponsabilité de la mort de Jésus (Ac 3:13-15 4:10 5:30 7:52). Il n'y a pas un très grand intervalle entre les deux thèses. Caril n'est ni contesté, ni contestable que la responsabilité ait étépartagée. Il n'y a de controverse que relativement au degré deresponsabilité des uns et des autres. S'il était démontré que Pilateeût pris l'initiative des poursuites et que les Juifs se fussentbornés à lui donner leur avis, ce serait un changement important dansla façon de concevoir l'histoire de Jésus; mais comment prouver ceci,qui serait en contradiction avec toute la tradition évangélique, etqui ne s'appuie que sur quelques détails du récit johannique, peuvraisemblables par eux-mêmes et qu'on isole pour les mettre encontradiction avec l'ensemble? Il faut noter que la tradition juiven'a pas songé à écarter la responsabilité de la mort de Jésus. Endéfinitive, nous pouvons tenir pour solide la relation qui est faitepar les évangiles de l'ensemble du procès. 7. PROCES.Jésus fut conduit d'abord devant Hanan. C'est une donnée précieuse duquatrième évangile (Jn 18:13-24). Le vieux Sadducéen, malgré sadisgrâce (Il avait été dépossédé de ses fonctions de grand-prêtrevingt ans auparavant), ou peut-être à cause d'elle, était resté trèsinfluent, et Caïphe n'agissait que par son conseil. Sa maison decampagne était située sur le mont des Oliviers. C'est là qu'il avaitses bazars, où il faisait élever des colombes qui alimentaient lessacrifices des petites gens. Il interrogea donc Jésus sur sesdisciples et sa doctrine. Ce n'était d'ailleurs qu'un examenpréliminaire. Jésus le repoussa en invitant Hanan à produire sestémoins. D'après la loi juive, c'était la condition préalable detoute accusation. A ce moment, on emmena Jésus devant le sanhédrin, ou du moinsdevant une commission du sanhédrin qui s'était réunie précipitammentsur la convocation de Caïphe. L'interrogatoire comporta deux phases.La première aboutit à un résultat négatif. Elle portait sur unedéclaration relative au Temple, dont il fallait d'abord établir lateneur exacte. Jésus aurait dit: «J'abattrai ce temple et je lereconstruirai en trois jours.» Marc dit que cette parole lui a étéattribuée à tort (Mr 14:57). Nous la trouvons cependant, sousune forme un peu différente, chez Jn 2:19, et il y est faitallusion, non seulement dans l'histoire d'Etienne (Ac 6:13),mais dans le récit du crucifiement (Mr 15:39). Il est certainque Jésus a prédit la destruction du Temple. A-t-il dit qu'ill'opérerait? Cela paraît plus douteux. Jésus a voulu purifier leTemple. Purifier n'est pas détruire. A-t-il parlé du nouveau Templequi s'élèverait dans la Cité future, à la place de l'ancien? A-t-ilsongé à l'économie nouvelle qui allait naître par ses soins, autriomphe de la religion de l'Esprit? Le propos qu'on lui prêtaitétait rapporté trop confusément: il garda le silence. Il fallait en finir. Le grand-prêtre attaqua le chef d'accusationprincipal: la messianité. Là encore, Jésus garda le silence. Mais legrand-prêtre lui déféra le serment: «Par le Dieu vivant, je t'adjurede nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu» (Mt 26:63).Alors Jésus parla: «Tu l'as dit. Au reste, je vous le déclare, vousverrez désormais le Fils de l'Homme assis à la droite de la Puissanceet venant sur les nuées du ciel» (Mt 26:64). Ainsi, Jésuslaissait à Caïphe la responsabilité de son dire. Était-il le Messie?Ne l'était-il pas? A cette question, il ne pouvait faire de réponsecatégorique. En un certain sens, il était bien le Messie; en un autresens, il ne l'était pas. Mais puisque le chef de son peuple voulaitconnaître le mystère de son être, il allait lui révéler son identitéavec le personnage glorieux de la vision de Daniel, annonçant par làmême à ses juges qu'il leur donnait rendez-vous devant son propretribunal. Cette prétention étant attentatoire à la majesté divine,ils firent à leurs vêtements la déchirure de deuil que la Mischnaprescrit en cas de blasphème, (cf. Ac 14:14) et ils votèrent lamort. Mais il fallait une seconde séance pour que la décision fûtratifiée. Le sanhédrin se réunit donc en séance plénière à la pointedu jour (Mr 15:1). Ce fut d'ailleurs une pure formalité. Dans cecourt récit, les incorrections pullulent, au point qu'on a mis endoute la réalité d'un tel procès, mené à l'encontre de toutes lesrègles du droit juif. La Mischna multiplie les précautions poursauvegarder la vie humaine. Sauf le recoupement des témoignages,aucune d'elles, ou peu s'en faut, n'a été observée. Au cours de cesfiévreux débats nocturnes, on retrouve partout l'impatience de lahaine et de la peur. L'accusation aurait dû être notifiée aupréalable à l'accusé. Elle devait être appuyée par des témoignagesconcordants. Nul ne devait être condamné à mort sur son propretémoignage. Pour qu'il y eût blasphème, il fallait que le nom de Dieueût été prononcé. La condamnation ne pouvait être prononcée qu'unjour après les débats. Il y fallait la présence de 23 juges sur les71 membres du sanhédrin. Enfin, un crime capital ne pouvait être jugéla veille d'un sabbat ou d'un jour de fête. La condamnation peutavoir été conforme à la loi juive (voir Salvador, Histoire desInstitutions de Moïse, 3 e éd. 1862); le procès lui-même n'acomporté aucune des garanties qui, dans tous les temps, ont étédonnées aux accusés. Au vrai, d'ailleurs, le verdict du sanhédrin n'avait qu'unesignification morale, puisque seuls les Romains avaient le droit decondamner à mort. Ce que les sanhédristes avaient cherché, c'étaientdes prétextes qui leur permissent de livrer Jésus en bonneconscience. Ils avaient toutes les raisons de faire endosser à Pilatela responsabilité de la condamnation de Jésus. Ils en laissaientl'odieux au procurateur. Mais Jésus allait être condamné sur uneéquivoque. Une accusation politique, qui était fausse, allait êtresubstituée à une accusation religieuse. Si Jésus était le Messie del'espérance prophétique, il n'était pas le Roi des Juifs qu'unprocurateur pouvait redouter, et les sanhédristes le savaient bien.Or, d'après le récit des évangiles, ils ont incité le peuple àdemander la mort de Jésus et la grâce d'un agitateur, Barabbas (Mt27:20-26,Mr 15:6-11,Lu 23:18 et suivant, Jn 18:40), lepoussant ainsi à arracher à la justice romaine un malfaiteurpolitique qu'elle pouvait redouter, tout en la pressant de sévircontre celui qui ne pouvait lui donner nul sujet de crainte. CarPilate ne pouvait pas percevoir dès ce temps-là le conflit quis'élèverait un jour entre la conscience chrétienne et l'autoritéromaine. Devant Pilate, Jésus observa la même attitude que devant lesanhédrin, car l'admirable dialogue de Jean (Jn 18:33 etsuivant) est une interprétation inspirée qui dégage le sens profondde l'événement, et non le compte rendu sténographique d'un entretienqui n'eut pas de témoins. Jésus garda le silence. On s'est étonnéparfois des scrupules de Pilate: on y a vu une invention de latradition chrétienne, désireuse de noircir les Juifs et d'innocenterle représentant de Rome. Il faut se représenter pourtant que Pilate,si mauvais magistrat qu'il fût, était justement un Romain, qui, à sontribunal, devait agir suivant la loi. La justice romaine était uneréalité dans le monde d'alors, comme la paix romaine. Or, Pilaten'avait pas l'habitude de voir défiler à son tribunal des accusés dece genre. On peut admettre qu'il ait hésité avant d'envoyer à lacroix un rebelle comme Jésus. Ce qui devait le troubler, c'était lahaine des prêtres contre cet homme en apparence inoffensif, comme lezèle étrange et inattendu qui enflammait soudain ces Juifs à l'égarddes intérêts de Rome. Il se dit que Jésus devait être populaire, etque ses adversaires étaient jaloux de lui. Il offrit donc au peuplela grâce de Jésus. Il fit ce qu'il put pour le sauver; et cettehésitation, chez l'homme sceptique et cruel qu'était Pilate, estl'épisode le plus honorable de sa carrière. Mais elle ne dura paslongtemps. Devant les menaces des Juifs, cet homme qui avait tant àse faire pardonner n'insista pas. Ce fut d'abord la flagellation,puis la mise en croix, avec, au-dessus de la tête du condamné,l'écriteau indiquant le motif de la sentence: Le Roi des Juifs (voir Inscription de la croix). 8. CRUCIFIEMENT.Le rôle du sanhédrin était terminé. Il n'avait plus à se mettre enpeine de rien. Il y avait chose jugée. Jésus, désormais, était unvaincu. Le supplice de la croix (voir ce mot) était destiné par lesRomains aux esclaves et aux rebelles. Il inspirait l'épouvante, nonseulement par l'atrocité des souffrances, mais par leur caractèreignominieux. La loi d'Israël ne disait-elle pas: «Maudit estquiconque est pendu au gibet»? (De 21:23) Cette exposition aupilori, sous un soleil de feu, avec la morsure des clous, les mouchesqui venaient irriter les blessures, les courbatures intolérables desmembres maintenus dans l'immobilité, la fièvre, la soif ardente, et,dans le cas de Jésus, la torture morale que représentaient l'abandondes uns, les sarcasmes des autres, les regards de haine qui serepaissaient de ses douleurs, le ciel envahi par des nuages de plusen plus lourds: ces ténèbres dont un historien non chrétien, Thallus,a confirmé la réalité, tout concourt à faire de l'agonie de Jésus unesouffrance à laquelle on a pu rapporter l'apostrophe desLamentations: «Vous qui passez, regardez et voyez s'il est unedouleur pareille à ma douleur» (La 1:12). Les évangiles nous ont rapporté sept paroles que Jésus auraitprononcées sur la croix. L'Église chrétienne y attache un priximmense. Elles ont été contestées. Il y avait assez de témoins pourles garder et les transmettre: le centurion qui se tenait tout prèsde la croix, Simon de Cyrène, qui ne devait pas être loin, d'autrespeut-être parmi les passants. Ceci ne fait pas de difficulté. Ce quiest plus malaisé, c'est d'expliquer les divergences entre les récits.Comment se fait-il que, sur ces sept paroles, aucune ne soitrapportée par l'ensemble des témoins, alors que la moindre paroletombée des lèvres de Jésus, à ce moment, a dû être si avidementrecueillie par les disciples? Cependant il ne faut pas trop sepresser de tirer argument de cette diversité. Jésus a-t-il dit: «Père, pardonne-leur: ils ne savent ce qu'ilsfont»? (Lu 23:34) Il y a des manuscrits très anciens (B,D) quine contiennent pas cette parole, et c'est troublant. Elle manque dansla Syriaque du Sinaï, dans les versions coptes. Mais elle estattestée par Justin Martyr. Et dans l'histoire d'Etienne, on trouvecomme un rappel des mots que la tradition place dans la bouche deJésus: «Seigneur, ne leur impute pas ce péché», dit Etienne enexpirant (Ac 7:59). L'excuse donnée par Jésus en faveur de sesbourreaux (car ils ne savent ce qu'ils font) n'a-t-elle pu fairehésiter certains copistes? Il est plus malaisé de comprendre pourquoi l'épisode du brigandcrucifié se trouve seulement chez Luc (Lu 23:39-43). Sans doute,c'est cet évang, qui met en relief les épisodes où il est question dela pitié de Jésus envers les méprisés. Mais les disciples de Jésusn'auraient-ils pas dû retenir avidement ce témoignage suprême del'action de leur Maître? Disons toutefois que la forme de ce récitest particulièrement archaïque, que le contraste entre la requête dubrigand et la réponse de Jésus est bien frappant, et qu'enfin on a pumettre en circulation des versions différentes auxquelles on tenaittrop pour avoir le souci d'uniformiser. Il est plus difficile d'admettre la présence de la mère de Jésusauprès de la croix, malgré l'émotion qu'inspire un telépisode (Jn 19:25-27). Car les évangiles synoptiques n'en savent rien.Même, ce qu'ils disent des saintes femmes semble exclure la présencede Marie (Mt 27:55 et suivant, Mr 15:40 et suivant; Lu23:49 est moins formel). Cependant, Marie n'était-elle pas venue àJérusalem pour les fêtes de Pâque? Le fait est que nous la trouvonsdans la société des fidèles de Jésus, dès les premiers jours (Ac1:14). Il y a là un mystère qu'il n'est pas aisé d'éclaircir. Par contre, l'accord se fait aisément pour affirmerl'authenticité de la parole qui est l'expression suprême de ladouleur: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?» (Mt27:46,Mr 15:34). Les auteurs qui y ont vu un désaveu suprême donnésur la croix à toute son oeuvre par celui qui constatait alors que tout était vide, n'ont pas songé, d'abord, que l'abandon pouvaitêtre un élément du sacrifice accompli par le Christ; ensuite, quecette parole, dont il ne faut pas vouloir atténuer l'angoisse, n'enest pas moins le commencement d'un Psaume (Ps 22) qui s'achèveen affirmation de foi triomphante et dont il faut évoquer l'ensemblepour interpréter les sentiments de celui qui le récitait dans sonagonie. Ce qui est certain, c'est que la dernière parole de Jésus aété un cri de victoire, qui a arraché au centurion ce témoignage: «Envérité, cet homme était Fils de Dieu!» (Mr 15:39). 9. MISE AU TOMBEAU.L'intervention de Joseph d'Arimathée n'aurait pu être inventée parune tradition qui rapportait que la condamnation prononcée par lesanhédrin avait été unanime (Mr 14:64). Les auteurs qui ontcontesté sur ce point le récit des évangiles ont poursuivi un but trèsclair: supprimer la sépulture honorable de Jésus, afin de pouvoirdire que son corps avait été mis à la hâte dans un des innombrablestombeaux qui parsemaient les environs de Jérusalem, ou qu'il avaitsubi le sort qui était habituellement celui des cadavres descondamnés. Il n'est pas très naturel de croire que ces femmes quiétaient venues de Galilée, et qui devaient tout à Jésus, n'aient faitaucun effort pour ravoir le corps de leur Maître. On n'a jamaisrefusé à ceux qui pleuraient les corps qu'ils voulaient ensevelir. Detoute façon, il est certain que Jésus a reçu une sépulture. L'épisodede Joseph d'Arimathée n'était pas nécessaire. Et c'est une graveraison d'en admettre l'authenticité. Mais il est sûr que ce sépulcreneuf, qui devait être (l'évangile ne le dit pas, mais il ne faut pas ungrand effort d'esprit pour le supposer) celui que Joseph se destinaità lui-même, rend difficile de trouver des causes naturellesauxquelles serait due la disparition du corps de Jésus. De toutes lessuppositions qu'on a faites à cet égard, il n'en est aucune quisatisfasse l'esprit. 10. RESURRECTION.Il n'y a pas de doute, dans les textes, quant à la résurrection letroisième jour. Cette donnée ne concorde pas avec les prophétiesmises dans la bouche de Jésus, où il est dit qu'au bout de troisjours il ressuscitera (Mt 12:40). a conservé une tradition où ilest question du signe de Jonas , et qui suppose un séjour de troisjours et trois nuits dans l'Hadès Il n'y a aucun texte de l'A.T,qu'on puisse invoquer à l'appui de la résurrection le troisièmejour. Il serait vain de recourir à l'analogie du mazdéisme, d'aprèslequel l'âme d'un mort reste auprès du corps jusqu'au troisième jourVendidad 19:28: Darmes-teter, Zend-Avesta, t. II, p. 269,Paris 1892. Les textes mazdéens, comme les textes juifs Moé'd-qaton, 826 dans le Talmud Jér., Sabbah 1516 dans leTalmud Bab., signifient que l'âme reste auprès du corps jusqu'à ceque le corps se soit modifié, et ceci suppose une durée de troisjours: cf. Jn 11:39. Donc, la résurrection le troisième jour n'a aucun point d'appui dans le folklore, ni même dans les textes deMarc. Les seuls textes des évangiles, où il en soit parlé sont Mt16:21 20:19,Lu 9:22 18:33. C'est un argument solide à l'appui del'authenticité de la tradition relative aux événements de Pâques. L'Église chrétienne s'est fondée sur la foi à la résurrection,c'est-à-dire sur la croyance à la réalité des apparitions de Jésus.Il n'y a aucune incertitude dans l'esprit des premiers chrétiens,quant à la survie de leur Maître et à la manifestation de cettesurvie.Les apparitions qui sont narrées par l'apôtre Paul (1Co 15) sontau nombre de six: il est apparu à Pierre; aux Douze; à plus de cinq cents frères à la fois; à Jacques; à tous les apôtres; à Paul lui-même.Les évangiles ajoutent: à des femmes, au moment où elles revenaient dutombeau (Mt 28:8-10); à Marie-Madeleine (Jn 20:11-18, cf.Mr 16:9-11); aux disciples d'Emmaüs (Lu 24:13-35, cf. Mr16:12 et suivant); aux Onze, le même jour, à Jérusalem (Lu24:36-49, cf. Jn 20:19-23); aux Onze, une semaine plus tard, àJérusalem (Jn 20:26-29); à quelques disciples, dont quatre desOnze tout au moins, au lac de Galilée (Jn 21:21-23); aux Onze,renforcés probablement d'autres disciples, sur une montagne enGalilée (Mt 28:16-20); aux Onze, à Jérusalem, avantl'Ascension (Ac 1:4,9). Enfin Luc fait allusion, dans les Actes,à des apparitions multiples qui peuvent déborder le cadre, en sommerestreint, des manifestations précitées (Ac 1:3). Il est vraisemblable que certaines de ces apparitions coïncidentavec celles aux Douze, aux Cinq Cents et à tous lesapôtres qui figurent dans l'énu-mération paulinienne. Si Paullaisse de côté certains témoignages, c'est sans doute qu'il lesconsidère comme moins probants. Il faut remarquer que l'apparition duchemin de Damas est mise par l'apôtre sur la même ligne que lesautres, et qu'elle doit avoir, dans sa pensée, le même caractère.Elle doit donc être distinguée des visions dont il est parlé dans2Co 12:1 et suivants. Il y a des difficultés dans le récit de la Résurrection. Ellesrésultent d'abord de la présence de deux cycles d'apparitions. Il y aune tradition galiléenne et une tradition jérusalémite. Laquelle estla plus ancienne? Les critiques varient de sentiment sur ce point. La plupart des auteurs penchent à admettre que les premièresapparitions ont eu lieu en Galilée, dans le cadre habituel dessouvenirs des disciples. Ceux-ci se seraient rendus en Galilée pourreprendre leurs tâches familières, se souvenant de l'invitation queleur Maître leur avait faite de le retrouver en Galilée (Mr14:28). Là, soustraits à l'impression horrible de la défaite et dela mort, ils auraient vu revivre celui qu'ils aimaient. Cette explication semble artificielle à d'autres. Ceux-ci pensentque la tradition galiléenne pourrait bien être née d'un malentendusur le sens de la parole de Jésus faisant allusion à un retour enGalilée (Mt 26:32,Mr 14:28,16:7). En tout état de cause, il leurparaît impossible d'exclure les apparitions à Jérusalem. Elles fontcorps avec l'histoire du tombeau vide. L'apparition à Pierre a été,d'après la tradition (Lu 24:34), presque immédiate. Elle nes'identifie pas avec celle dont il est parlé dans l'épilogue duquatrième évangile, étant, d'après le témoignage de Paul, uneapparition à Pierre seul. D'autre part, l'état d'âme des disciples,après la mort de Jésus, n'est nullement celui de gens hallucinés, ouprêts à l'être. Croire à son triomphe sur la mort? Ils en sont bienloin. Ce sont des vaincus. «Nous espérions que ce serait lui quidélivrerait Israël!» (Lu 24:21). Maintenant tout est fini: iln'y a plus de place dans leur coeur que pour une immense déception.Si Jésus leur a annoncé à la fois sa défaite imminente et sa victoirefuture (Mt 16:21 17:22 20:17-19 et parall.), la catastrophe arejeté dans l'ombre ces espérances de triomphe qui faisaient partiede la foi à la messianité de Jésus, et auxquelles la croix est venuedonner un démenti. Sans doute, une foi héroïque aurait pu triompherdu découragement, mais la foi de ces disciples apeurés et fugitifsn'avait rien d'héroïque. Comment une telle déception a-t-elle pu setransformer en enthousiasme? Comment sont-ils devenus les conquérantsdu monde? Les prophéties n'y ont été pour rien. Il eût fallu d'abordles découvrir dans l'A.T. Ce fut le labeur ingénieux des témoins dela résurrection. Le tombeau vide n'a pas été tout d'abord à leursyeux une preuve de la survivance de leur Maître. Ils ont cru que, sile corps n'y était plus, c'est parce qu'il avait été enlevé (Lu24:4 et suivant, Jn 20:13). Leur sincérité est hors de doute.Elle a fait d'eux des martyrs. «J'en crois des témoins qui se fontégorger...», a dit Pascal. Aucune des explications qu'on a données deces choses extraordinaires ne résiste à l'examen. Pour expliquer la naissance de la foi à la résurrection, il fautadmettre qu'il y ait eu des apparitions, et des apparitions àJérusalem. Ce qui n'exclut nullement la possibilité d'un retourtemporaire des disciples au pays natal. Mais ils n'ont pas tardé à seconvaincre que ce n'était plus l'heure de reprendre les travauxcoutumiers: leur poste était désormais à Jérusalem. Comment faut-il concevoir l'événement de la résurrection? Il y aune dualité apparente dans les textes. Tantôt le Ressuscité traverseles portes fermées (Lu 24:36,Jn 20:19), tantôt il se nourrit desmêmes aliments que quand il était sur la terre (Lu 24:41 etsuivant, Jn 21:9-13). Y a-t-il moyen de concilier ces deux états du corps duRessuscité? Peut-on concevoir qu'un être désincarné se soitmatérialisé sous les yeux de ses fidèles pour leur donner lacertitude qu'il était vivant? Il ne semble pas que ceux qui ont eudes apparitions du Ressuscité l'aient jamais envisagé comme un puresprit. Le corps dont il était revêtu pouvait s'être transformé;c'était bien le même qui avait été enseveli. C'est ce qui résulteencore de l'affirmation de l'apôtre Paul--qui croyait pourtant àl'existence d'un corps spirituel et glorieux. Il y a un lien certainentre ses deux affirmations: «Il a été enseveli...Il est ressuscitéle troisième jour» (1Co 15:4). On a supposé parfois que les relations spirituelles du Christavec ses disciples, subsistant à travers la mort, avaient suffi àcréer entre eux la certitude qui s'est objectivée dans lesapparitions. C'est méconnaître l'infécondité d'une hallucination.Comme le dit le P. de Grandmai-son, «ou bien elle tend à devenirhabituelle et, sous ce stigmate morbide, l'équilibre de la viementale et morale fléchit peu à peu, ou, restée à l'état d'incidentsans lendemain dans une vie normale, elle n'y exerce pas d'influencedurable» (o. c, t. Il, p. 427). La relation spirituelle dont on parlene se fût jamais établie sans un contact réel. Il paraît difficile dedistinguer entre la revi-vification originelle et la glorificationqui s'ensuivit. On s'est demandé s'il n'y aurait pas lieu de s'inspirer de ladéfinition que le Vocabulaire de la Société Française de Philosophiedonne de l'hallucination (p. 318s). Il y aurait eu une perceptionsensible éprouvée à l'état de veille, sans objet réellement présent;mais ceci n'exclurait pas la présence d'une cause spirituelle. Ils'agirait, en somme, d'une hallucination véridique. Hypothèseséduisante. Mais s'harmonise-t-elle avec les récits de larésurrection? N'a-t-il pas fallu, à l'origine, des apparitionsconcrètes d'un corps identique à celui qui avait été déposé dans letombeau? Apparitions sans lesquelles ces réalistes qu'étaient lespremiers chrétiens n'auraient pu croire. C'est à l'école de cesrelations intermittentes, de ces matérialisations temporaires duChrist, que se sont élaborées les relations permanentes qui ont fondél'Église chrétienne. Les apparitions du Ressuscité se sont prolongéesle temps nécessaire pour affermir ces relations spirituelles, quiétaient seules appelées à durer. On a pu dire qu'elles étaient laseule manifestation apparente du monde invisible qui fût vraimentcertaine. Normalement, l'Invisible atteste son existence au coeur,non aux sens. Ce qui complique le problème, c'est la disparition du corps deJésus. Mais il fallait que le corps du Maître disparût: sans quoi ileût été un obstacle irréductible à la foi des disciples. Commenta-t-il disparu? S'est-il transformé? S'est-il évanoui? A-t-il étéenseveli par des amis? Enlevé par des adversaires? Aucune hypothèsene tient. Mais ce qui importe, ce n'est pas la survivance momentanéed'une matière appelée à disparaître: c'est l'identité personnelle duChrist, se maintenant à travers la mort. Quel est, au point de vue spirituel, le rôle de la résurrection?Quels en sont les effets? Que son importance soit unique, personne nele conteste. «Sans un acte divin intervenant dans la chaînefatalement solidaire des générations, nous ne comprenons pas l'anneauqu'y forme la grande et sainte vie de Jésus, comme, sansrésurrection, nous ne comprenons pas le développement historique duchristianisme.» Ainsi s'exprime Auguste Sabatier (Encycl., art.cit.). «Il a été, dit l'apôtre Paul, livré pour nos offenses, ilest ressuscité pour notre justification» (Ro 4:25). Est-ce unbalancement littéraire, sans plus? Calvin ne l'a pas pensé. Il montreen un raccourci saisissant que les deux termes sont inséparables:«Pourtant nous par-tissons tellement la substance de notre salutentre la mort du Christ et sa résurrection que nous disons: par lamort, le péché avait été détruit et la mort effacée; par larésurrection, la justice établie et la vie remise au-dessus; et ce entelle sorte que c'est par le moyen de la résurrection que la mort ason efficace» (Inst. Chrét., II, 16:13). Pour comprendre ceraisonnement, il faut insérer un moyen-terme qui est la foi. Noussommes justifiés par la foi. La résurrection déclenche lajustification de l'homme parce qu'elle fait naître la foi dans soncoeur. Si le Christ n'est pas ressuscité, la foi est vaine; l'apôtre le dit: vaine, c'est-à-dire illusoire quant à son objet.Mais la résurrection du Christ est son élévation sur le planmystique. C'est pourquoi Paul a pu dire: «Si nous avons connu leChrist selon la chair, ce n'est plus ainsi que nous le connaissonsdésormais» (2Co 5:16).