JEAN-BAPTISTE

Les sources. L'historien juif Josèphe, parlant de Jean-Baptiste (Ant., XVIII,5:2), rapporte l'opinion populaire d'après laquelle la défaited'Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, et de Pérée, par le père dela femme qu'il avait répudiée pour épouser Hérodias, le roi desNabatéens Arétas, aurait été un châtiment divin de la mise à mort duBaptiste. «Celui-ci était, dit-il, un homme excellent qui exhortaitles Juifs à s'appliquer à la vertu, à la pratique de la justice entreeux et de la piété envers Dieu. Il les invitait à s'unir par unbaptême. Ce baptême devait être agréable à Dieu s'il servait, non àobtenir le pardon des fautes commises, mais à purifier le corps,l'âme l'ayant déjà été par la pratique de la vertu. Comme d'autresgens venaient à lui--car sa parole soulevait une grande excitation--,Hérode eut peur qu'une telle influence sur le peuple ne provoquât desémeutes, car tous avaient l'habitude de suivre les conseils de Jean.Il préféra prévenir par une exécution ce qu'il pourrait entreprendreplutôt que d'avoir à regretter un fait accompli. Jean, emprisonné àcause de la jalousie d'Hérode, fut envoyé à Machéronte, la forteressedont il a déjà été parlé, et là il fut mis à mort.» Dans l'ensemble,ces renseignements--sauf sur l'interprétation du baptême deJean--confirment les données du N.T. Celles-ci sont fournies par lesévangiles synoptiques, l'évangile de Jean et les Actes. Lestémoignages extra-canoniques ne les modifient pas sensiblement. --Les synoptiques(Mt 3:1-17 4:12 9:14 11:2-19 14:1-13 16:14 17:13 21:24-27 21:32)(Mr 1:1-14 2:18 6:14-16,17,29 8:28 9:9-13 11:29-33)(Lu 1:5-80 3:21 5:33 7:18-35 9:7-9 9:19 11:1 16:16 20:3-7)sont généralement concordants sur le ministère de Jean au désert, sesconceptions religieuses, sa pratique du baptême, ses relations avecJésus, ses rapports avec le groupe des disciples qui le suivaient.Cependant Luc ne rapporte pas les circonstances de la mort de Jean, etMr est silencieux sur la députation des disciples de Jean prisonnierauprès de Jésus. D'autre part, Luc est seul à relater la naissance duBaptiste, avec l'annonciation qui la précède. --L'évangile de Jean (Jn 1:6-8,15,19-37 3:22-4:3 5:33-36 10:40)diffère assez sensiblement des synoptiques. Il ne mentionne pas lebaptême de Jésus par Jean, relatant seulement l'effusion de l'Espritsaint. Il rapporte plusieurs rencontres de Jésus avec Jean, dont ladernière serait séparée des précédentes par un assez long espace detemps au cours duquel se placerait un voyage en Galilée et àJérusalem. Il donne comme raison de la séparation entre Jésus et Jeanet du retour de Jésus en Galilée des divergences entre leursdisciples, aiguisées par les remarques de quelques pharisiens, tandisque les synoptiques expliquent ce retour par l'arrestation duBaptiste. --Les Actes (Ac 1:5,22 10:37 11:16 13:24 18:24-26 19:1-8)confirment l'existence, dans les cercles apostoliques, de laconception traditionnelle relative à Jean, précurseur de Jésus, enmême temps qu'ils attestent la présence d'un certain nombre dedisciples restés fidèles au Baptiste malgré sa mort et lesdéveloppements du ministère de Jésus. De l'étude des textes, certains critiques ont cru pouvoir conclureà la non-historicité de telles parties des données évangéliques.Plusieurs d'entre eux ont rejeté le récit de Luc sur la naissance,comme poétique et légendaire, inspiré par des réminiscences de lanaissance d'Isaac, de Samson et de Samuel (Ge 17:15-21,Jug13:2-24,1Sa 1:1,23). On a également contesté l'ambassade desdisciples de Jean auprès de Jésus et, parmi les circonstances de samort, les détails relatifs à une intervention d'Hérodiade. Enfin, M.Goguel a cru découvrir dans l'évangile de Jean les traces d'une traditionancienne selon laquelle Jésus aurait été collaborateur, sinondisciple de Jean, et aurait un certain temps baptisé à ses côtés àÉnon près de Salim, jusqu'à la séparation provoquée par desdivergences portant sur le baptême. Ainsi s'expliquerait le baptêmede Jésus par Jean, inintelligible si Jésus n'a pas été en quelquemesure disciple du Baptiste. Ces conclusions paraissent tropconjecturales pour justifier cette altération des conceptionstraditionnelles. (Voir à l'article Jésus tout ce qui concerne lasignification du baptême du Christ, que nous envisageons ici dans laseule mesure où il nous renseigne sur Jean lui-même).La personne de Jean et son activité. Il est difficile de fixer la chronologie du Baptiste si l'on contesteles données de Luc relatives à sa naissance; elle dépend également dela chronologie de Jésus. En tout cas il est vraisemblable que sa morta précédé de quelques mois celle du Christ.--D'après le récit de Luc,Jean-Baptiste était fils de Zacharie et d'Elisabeth, tous deux derace sacerdotale; sa mère était la cousine de la Vierge Marie. Sanaissance fut prédite à son père, dans une vision, par l'angeGabriel (Lu 1:18 et suivants) et saluée par un cantique delouanges dans lequel Zacharie prophétise la vocation de son enfantcomme précurseur du Seigneur. La plupart des critiques s'accordent entout cas pour admettre que Jean-Baptiste était judéen, que sa famillene demeurait pas à Jérusalem, mais dans «la région montagneuse deJuda» (Lu 1:39). Malgré son ascendance, il ne subit pasd'influence sacerdotale et ne témoigne d'aucune préoccupationrituelle ni d'une hostilité particulière contre la classe desprêtres. A son foyer et dans les groupes populaires qu'il dutfréquenter, il se nourrit des Psaumes et des écrits des prophètes,dont il reproduit souvent la forme et l'accent. Il partage leurespérance apocalyptique en la «délivrance d'Israël». Jeune, il adoptela vie des anachorètes du désert, assez nombreux à cette époque; seretire dans les steppes voisines de la mer Morte et y mène une vieascétique, se contentant de la nourriture la plus frugale et d'unvêtement grossier. Malgré les indications de la prophétie de Lu1:15, il ne paraît pas avoir été Naziréen. Il sortit un jour decette solitude pour prêcher et baptiser (l'an 15 du règne de TibèreCésar, d'après Lu 3:1). Reprenant les thèmes prophétiques d'unAmos et d'un Joël, il dresse sa protestation indignée contre lespéchés de son peuple, contre les illusions nationalistes d'un salutobtenu par la descendance d'Abraham (Lu 3:8); il n'a d'égard àaucune condition ou situation et condamne avec une particulièreviolence les pharisiens et les Sadducéens, qu'il menace de la colèreà venir (Mt 3:7). Car le fond de son enseignement consiste dansl'annonce du jugement prochain qui prononcera l'anéantissement despécheurs. A la différence radicale des apocalypticiens de son temps,il ne considère pas le jour redoutable qui s'annonce comme larestauration d'Israël opprimé, mais comme l'exécution implacable dela justice divine s'exer-çant sur toute l'humanité. Son messianismene ressemble en rien à celui des Zélotes; il est tout vibrant de laplus haute passion éthique. La proximité de ce jugement doitproduire au fond des consciences la repentance par laquelle seulepeut être obtenu le salut; repentance qui n'est pas vague effusion ducoeur, mais choix d'une vie renouvelée, décision de la volonté. Jeanveut provoquer l'angoisse salutaire qui fera «produire des fruitsdignes d'une vraie repentance».(Lu 3:8) --A l'ouïe de cet appel, qui faisait écho par-dessus les sièclesà la voix des derniers prophètes, la foule accourut, immense, deJudée et de Pérée et même de Galilée; toutes les classes socialessont représentées dans l'auditoire qui se presse aux environs duJourdain; même, soit pour l'observer, soit peut-être poussés par uneémotion sincère, des pharisiens et des Sadducéens se joignent à lafoule des péagers, des soldats, de tous les pèlerins venus des champset des villes. A chacun, des instructions particulières sont donnéespour l'exécution de ses devoirs particuliers (Lu 3:10-14). --Mais Jean ne se borne pas à exhorter et à reprendre: s'il agitsurtout par sa parole, sans faire de miracles (Jn 10:41), ilexige des actes immédiats: notamment la confession des péchés et lebaptême (Mt 3:6). Qu'était ce baptême? Il n'a rien de communavec les ablutions rituelles des Esséniens, qui ne comportaient pasd'élément moral et qui devaient d'ailleurs se répéterquotidiennement. Peut-être inspiré par des souvenirs del'A.T. (2Ro 5:10,Ps 51:4,Eze 36:25 etc.), par des réflexionssur la signification symbolique des ablutions légales du judaïsme,c'est sans doute une création originale du génie religieux duBaptiste, une image de la purification morale indispensable (voirRégénération). L'interprétation de Josèphe, qui considère le baptêmecomme un rite d'initiation à une communauté religieuse, ne peut êtrevraie que dans la mesure où la confirme la persistance des groupesbaptistes attestée par les Ac (Ac 18:24-26 19:1-8). Ce n'est queplus tard aussi que le baptême de Jean a pu être rapproché de celuides prosélytes chrétiens (voir Baptême). Mais Jean ne s'est pasconsidéré seulement comme le prédicateur de la repentance, il s'estdonné lui-même comme le précurseur du Messie et c'est sur ce rôleque la tradition chrétienne, à la suite des évangiles, aprimordialement insisté. Nous y reviendrons à propos des relations deJean-Baptiste et de Jésus. La carrière publique de Jean fut tôt interrompue par HérodeAntipas. Celui-ci, craignant de voir l'immense mouvement religieuxsuscité par le prophète du désert dégénérer en mouvement politique(quoique rien dans la prédication du Baptiste ne révélât desintentions temporelles), blessé aussi par la critique, publique ouprivée, infligée à sa conduite adultère, fit arrêter Jean et, aprèsune captivité que les Synoptiques nous présentent comme relativementdouce--le prisonnier pouvait recevoir ses disciples et par euxentretenir des relations avec l'extérieur (Lu 7:18) --, ordonnasa décapitation à la requête d'Hérodiade (Mr 6:17,20,Mt14:1-12,Lu 9:7,9). --Mais la renommée de Jean-Baptiste lui survécut. Son exécuteurlui-même, qui toujours avait subi son ascendant moral etspirituel (Mr 6:20), se demande après sa mort avec inquiétude siJésus ne serait pas Jean ressuscité (Mt 14:2). Les auditeurs duChrist entendent celui-ci rendre témoignage à plusieurs reprises auprophète du désert. La foule lui reste si fidèle que les autoritésjuives n'osent, devant elle, s'attaquer à sa réputation (Mt21:23-27). Surtout ses disciples, qu'il paraît avoir organisésfortement, leur enseignant des prières et des pratiques (Lu 5:3311:1,Mt 9:14), ont continué son influence. Très jaloux de l'écolereligieuse à laquelle ils appartenaient, ils se sont souvent heurtésaux disciples de Jésus (voir textes ci-dessus) et beaucoup sontdemeures groupés en petites communautés fermées, même après lepremier développement de l'Église chrétienne. (Toutefois, dès ledébut, plusieurs ont quitté le précurseur pour s'attacher à Jésus:tels Pierre et André, d'après Jn 1:35. Le fait doit sans doutese reproduire par la suite). Progressivement, cependant, ces groupes«se sont perdus dans les sectes gnostiques plus ou moins apparentéesaux derniers débris du judéo-christianisme; ce n'est que sous uneforme complètement altérée que le baptême peut avoir été--et encoren'est-il pas certain qu'il l'ait été--un des facteurs de la genèse dumandéisme». (Goguel).Relations de Jean-Baptiste et de Jésus. Jean-Baptiste s'est considéré comme le précurseur du Messie, de celuiqui devait venir et qu'il concevait sans doute, selon les traditionsapocalyptiques, comme l'être transcendant qui exercerait le jugementet instaurerait le baptême d'Esprit saint et de feu (Mt,3:11,Lu3:16 et suivant). Pourtant il ne s'est pas tenu pour le prophèteÉlie qui d'après la doctrine juive devait, avant l'apparition duMessie rédempteur, rétablir l'ordre dans le monde (Jn 1:21,Mt10:11); humilité d'autant plus saisissante que le Christ a vu en luice prophète annonciateur du Royaume (Mt 11:14 17:10). Mais dansquelle mesure Jean a-t-il reconnu en Jésus le Messie attendu? C'estce qu'ont mis en doute certains critiques, se fondant sur les donnéesqu'ils estiment confuses des évangiles et notamment sur lacontradiction qui existerait entre les scènes synoptiques du baptême,de l'onction par l'Esprit, la déclaration johannique: «Voici l'Agneaude Dieu qui ôte le péché du monde» (Jn 1:29), et la députationenvoyée plus tard par le prisonnier de Machéronte pour poser cettequestion: «Es-tu Celui qui devait venir ou devons-nous en attendre unautre?» (Mt 11:3). Plusieurs solu-tions ont été proposées pourrésoudre ces difficultés, telles que la non-historicité totale oupartielle de l'un ou de l'autre des épisodes. Il ne semble pas qu'ilsoit nécessaire, pour lever les contradictions signalées, d'avoirrecours à ces opinions extrêmes. Il paraît en effet incontestable queJean a baptisé Jésus à la requête de celui-ci et qu'il a été témoinde la manifestation surnaturelle qui a suivi ce baptême; que, soitlors de la première rencontre, soit lors de l'immersion et del'effusion du Saint-Esprit sous la forme d'une colombe, il a reconnuen Jésus le «plus puissant que lui» dont il se savait le précurseur,et qu'il l'a désigné à ses disciples, voire à la foule, comme leMessie. Qu'ensuite cette intuition ait perdu peu à peu de sonévidence, que l'hésitation, puis le doute aient envahi l'esprit duBaptiste, c'est ce qui résulte clairement de divers indices: d'abordle fait qu'il continue de garder des disciples au lieu de s'effacertotalement et que ceux-ci se heurtent aux disciples du Christ,ensuite la question qu'il fait de sa prison adresser à Jésus et larelative sévérité de ce dernier, incompréhensible si le précurseuravait toujours été vraiment fidèle à sa mission et s'il ne s'agissaitlà que d'une défaillance passagère. L'explication la plus simple etpsychologiquement la plus vraisemblable est que le prophète dudésert, tout pénétré de l'idée d'un Messie apocalyptique, après avoirun moment entrevu que Jésus était «celui qui devait venir», a étésurpris de l'humilité persistante de ce ministère qu'il attendaitglorieux, et d'autant plus que le Christ ne paraissait en rien sesoucier de sa propre captivité. Il s'est alors laissé reprendre parses anciennes conceptions et gagner par un scepticisme amer. En unmot, Jean-Baptiste n'a pas su comme le Christ surmonter durablementla tentation d'un ministère charnel. Quant à l'opinion du Christ sur Jean-Baptiste, elle est trèsclaire. Quelque interprétation que l'on donne à sa volonté de sefaire baptiser par lui, on ne peut méconnaître que, pour Jésus, Jeanest vraiment le précurseur par sa prédication prophétique, par sarigueur sainte, le deuxième Élie, le plus grand parmi ceux de l'ordreancien. Mais il lui a manqué d'avoir compris la loi nouvelle duRoyaume; il est encore de l'Ancienne Alliance et c'est pourquoi leplus petit de ce Royaume lui est supérieur (Mt 11:7 et suivants)quand il comprend que la réalité spirituelle n'est pas la colère deDieu, le jugement, mais l'amour rédempteur témoigné au delà de touterepentance et de tout mérite, par pure grâce. Cette opinion du Maîtreéclaire entièrement l'âme et le destin du Baptiste. Elle a étévérifiée par l'histoire, qui nous fait voir dans ce messager de larepentance le «précurseur» du Sauveur au sens fort, et en même tempslimité, de ce mot. Jean a annoncé le christianisme sans en pénétrerl'originalité souveraine; et l'humble voeu, qui donne toute la mesurede ce coeur brûlant, s'est réalisé: «Il faut qu'il croisse et que jediminue.» CONSULTER: M. Goguel, Jean-Baptiste. Payot, Paris 1928 (seuleétude d'ensemble importante parue en français depuis quelques années). P. M.