IVRESSE

L'abus des boissons fermentées, qui séduit l'homme parce qu'il exalteses sens et qui le dégrade parce qu'il lui ôte le contrôle de sesactes, est aussi vieux que l'histoire humaine. L'Egypte flétritl'ivresse dans la plus vieille page de sa littérature. L'Inde lacélèbre dans le Rig-Véda comme la vis deificans. La Bible ensignale abondamment les méfaits (Ge 9:21 19:32,De 21:20,Pr 23:2126:9,1Sa 25:36 et suivants, 2Sa 11:13,1Ro 16:9 20:16, cf. Judith 12:20 13:2,1Ma 16:16). --Le propre de l'ivresse est de pousser à la violence(Sir 31:25,29-31) et à la luxure (Hab 2:15,Eph 5:18).Dans les guerres d'invasion, le fardeau des vaincus a été de tout tempsgravement alourdi par le fait de l'intempérance des vainqueurs. C'estquand le soldat remonte de la cave qu'il déploie au soleil toutes leshorreurs que peut enfanter le conflit des armées. Au point de vue dela race, l'alcoolisme est une cause de déchéance et de. stérilité. Ennulle occasion ne se vérifie mieux la parole du Décalogue: «Jéhovahpunit l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième etquatrième génération» (De 5:9). Trois ou quatre générations debuveurs suffisent pour avoir raison d'une famille. (Voir articleHérédité.) Les Hébreux ne se contentaient pas de boire du vin naturel. Ilest parlé chez eux de «vin mêlé» (Ps 75:9,Pr 9:2,5,Ca 8:2,Esa5:22), c-à-d, d'une boisson alcoolique où l'on ajoutait au vin desépices, des aromates, des fruits et des fleurs qu'on y faisaitmacérer pour le parfumer ou pour en augmenter la force. L'Italie, laGrèce, la Gaule connaissaient comme l'Orient ces mixtures dont Plinel'Ancien disait, en se plaignant des vignerons du Narbonnais: «Plûtaux dieux qu'ils n'y introduisissent pas des herbes et desingrédients malfaisants! N'achètent-ils pas de l'aloès avec lequelils en altèrent le goût et la couleur?» On trouvait aussi en Palestine d'autres boissons enivrantes quele vin. Peut-être l'expression chékar, si fréquente dans l'A.T.,désignait-elle la bière d'orge ou le cidre, liqueur qu'on obtenaitavec le fruit du pommier, du palmier-dattier, ou du grenadier (Ca8:2); le chékar était le liquide officiel pour la libation del'holocauste perpétuel (No 28:7). La traduction «vin pur» de laVers. Syn. (qui suit la Vulgate) pourrait bien n'êtrequ'approximative, car le chékar est expressément distingué du vindans Le 10:9,No 6:3,De 14:26 29:6,Jug 13:4, etc. (voir Vin,parag. 3). Il s'agit bien plutôt d'une de ces mixtures aromatiséesrappelant plus ou moins le fameux népenthès qu'Hélène, femme deMénélas, versa dans la coupe de Télémaque, et les breuvages desdivinités naturistes: le nectar, l'hydromel, le soma, etc. Car, si les hommes buvaient, c'était pour imiter les dieux, pourse donner la sensation de devenir dieux. Les divinités guerrières del'Orient sémite, dieux de la tuerie et de l'orgie, étaient, aussibien que les divinités de la Thrace, de la Lydie ou de la Grèceantique, les clients de Bacchus. Pourtant, à l'ivresse universelle,il y avait des exceptions; c'est ainsi que l'élohim des Arabesnabatéens était appelé «celui qui ne boit pas de vin» (Lods). Il estprobable que l'élohim des Récabites, lesquels avaient pour idéal lenomadisme de la vie pastorale, et peut-être celui des Hébreux dudésert, étaient de même nature, ce qui expliquerait que les naziréensfussent des buveurs d'eau. Zélateurs consacrés à l'élohim ancestral,qui s'était révélé au Sinaï, le Dieu unique et vivant dégagé de toutnaturisme et, par là, de toute attache avec l'ébriété, les naziréensétaient considérés comme doués d'un pouvoir extraordinaire, soitmusculaire (Samson), soit au point de vue de l'inspiration (Samuel),inspiration causée par l'Esprit de Jéhovah, opposée à celle quepouvait procurer l'exaltation par l'ivresse (cf. No 6:3, Jug13:14). Voir Naziréens, Récabites. --Mais il faut aller plus loin. Les naziréens devaient s'absteniraussi de manger du raisin et de faire entrer dans leur alimentationquoi que ce fût qui vînt de la vigne. Comme les Récabites, ilss'abstenaient de planter le cep. Leur attitude doit donc êtreexpliquée moins par la crainte de la boisson fermentée que parl'horreur de la culture, dont la vigne était la principale ressource,surtout en Canaan et en Syrie (Thoutmès III disait de la Syriecentrale: «Le vin y est plus abondant que l'eau»). S'ils ne buvaientque de l'eau, c'est parce qu'ils incarnaient le type de la piété dudésert. Il faut se garder toutefois de voir dans ce type de piété lacaractéristique de la foi primitive des Hébreux. Au temps des Juges,un homme écouté, Jotham, jeune fils de Gédéon, dans une parabole oùil exprime par ailleurs le plus pur jéhovisme théocratique, nefait-il pas dire à la vigne: «Renoncerais-je à mon vin qui réjouitDieu et les hommes?» (Jug 9:13, cf. Ps 104:15, Sir31:27). Par ce loetificat, Israël s'inscrit en faux contre lathéorie qui veut que l'Hébreu authentique, le jéhoviste primitif fûtun nomade irréductible, adversaire de la culture et du vin. (Cf.De 29:6) Les prophètes non plus, dans les temps postérieurs,n'eurent pas ce type de piété. Ils ne condamnaient pas la culture;«habiter sous sa vigne et sous son figuier» était, même pour les plusspiritualistes, une image du bonheur messianique (Mic 4:4). Ilsne condamnaient pas non plus l'usage du vin; le «cantique de lavigne», qui est une des plus belles pages d'Ésaïe, et où Israël estappelé «la vigne de Jéhovah» (Esa 5:7), suffit à lui seul à leprouver. N'oublions pas non plus que parmi les délices assurées auxtribus de Jacob par la Terre Promise se trouve l'exceptionnellefécondité des vignobles, dont les espions rapportent un témoignagesous la forme d'une grappe géante portée par deux hommes (No13:23). Ce que les prophètes condamnent, c'est l'abus des boissonsfermentées, l'ivresse. Leurs textes laissent à penser que les ravagesfaits par l'ivrognerie en Israël étaient grands (voir Vin, parag. 5).Sur ce point comme sur d'autres, les tribus avaient été«canaanisées»; c'était la revanche de «Canaan» réduit à l'esclavagepar Sem en suite de la malédiction prononcée par Noé contre celui deses fils qui l'avait surpris en état d'ivresse (Ge 9:24,26).Sans parler du livre des Proverbes, qui révèle par ses avertissementscombien le fléau était grave (Pr 20:1 23:29,35 31:4), Amos,Osée, Michée et surtout Ésaïe dénoncent l'ivresse et sesconséquences (Am 6:6,Os 4:11,Mic 2:11,Esa 5:11 22:13 28:1,7). Même dans les repas cultuels (De 14:26), l'abus du vincausait des scandales. C'est cet abus de boisson aux repas sacrés quifait croire à Héli qu'Anne est ivre (1Sa 11:3) et qui fait direà Esaïe: «Toutes les tables sont pleines de vomissements» (Esa28:8). On ne voudrait pas retrouver dans les repas sacrés de lanouvelle alliance des excès déjà condamnés dans l'ancienne; mais1Co 11:21 nous oblige à reconnaître que l'intempérance s'étaitglissée à Corinthe jusque dans les agapes de la Cène: «L'un a faimtandis que l'autre est ivre» (méthiieï).--Voir le mot de Paulinde Nole, dans l'article Art, parag. 3. Déjà l'Ancien Testament disait clairement que l'ivresse étaitruineuse pour l'âme; le grand-prêtre devait s'abstenir de touteboisson fermentée lorsqu'il avait à entrer dans le tabernacle (Le10:9). Dans la nouvelle alliance, Paul recommande que l'évêque nesoit pas «adonné au vin» (1Ti 3:3). L'abus de la boisson attirele châtiment (Mt 24:49) et compte au nombre des «oeuvres de lachair» qui excluent ceux qui les commettent de «l'héritage du Royaumede Dieu» (Ga 5:21 1Co 6:10). Les méfaits de l'ivresse nous font-ils un devoir de supprimer levin? C'est ce que pensent les philanthropes qui ont amené, parexemple, aux États-Unis, le régime sec, et les chrétiens, ouvriers durelèvement des buveurs, qui ont obtenu dans certaines Églises que levin de la Cène fût remplacé par du jus de raisin non fermenté. Poursi respectables que soient les intentions ici en cause, elles ne nousparaissent pas s'être inspirées de la méthode du Seigneur. Jésus adit: coupe la main, arrache l'oeil, et non pas: supprime l'objet oula personne que, dans leur passion coupable, la main veut saisir,l'oeil regarder. Il nous montre par là que ce n'est pas par desrestrictions extérieures, mais par un changement intérieur que lebien s'accomplit, et que c'est sur ce changement-là, dans tous lesdomaines, que notre effort doit se porter. On ne forme pas uneconscience en mettant des barreaux à la fenêtre. Dans le cas du régime sec, si le résultat de la prohibitionofficielle est de multiplier les ventes frauduleuses et de raffinerl'hypocrisie, elle aura, pour extirper un mal social, multiplié unmal moral plus profond, plus subtil et dès lors plus difficile àcombattre. Dans le cas de la Cène, les promoteurs du mouvement s'en prennentau seul sacrement que Jésus ait institué de sa propre initiative(puisque le baptême remonte à Jean), lorsqu'il a béni la coupe, etdit du vin qu'elle contenait: «Ceci est mon sang». En remplaçant levin par un liquide sans alcool, ils ôtent à la coupe la seule vertuantiseptique qu'elle contenait. Leur logique doit les amener à lacupule individuelle. Dans leur sollicitude pour un buveur,incomplètement relevé puisqu'il lui suffit à l'heure la plusspirituelle du culte de tremper ses lèvres dans du vin pour se sentirressaisi par le vice, ils oublient qu'il y avait au temps de Jésusbeaucoup d'ivrognes et beaucoup de contagieux. Croyant le servir plusfidèlement et l'honorer davantage, ils corrigent le geste de Jésus etprofessent que le Maître, en instituant parmi ses disciples de tousles temps la circulation d'une coupe remplie de vin, a accompli unacte dont il n'avait pas calculé les conséquences. Le terme d'ivresse est employé souvent au sens métaphorique dansl'A.T.:

ivre de sang (De 32:42,Esa 34:5,Jer 46:10,Eze 39:19,Za 9:15 Ap 17:6); ivre d'effroi (Jer 23:9 25:27,Ps 107:27); ivre de douleur (Eze 23:33,La 3:15); ivre d'amour (Ca 1:1,De 29:19,Pr 7:18); ivre de passion coupable (Esa 24:20 28:1,3,7,Jer 13:13 51:7 Ap 17:2,Joe 1:5);
Pour avoir bu à la coupe de la colère de Dieu:
Israël (Ps 60:5,Esa 29:9,10 51:17 et suivants), ses ennemis (Esa 63:6, cf. Za 12:2), l'Egypte (Esa 19:14), Moab (Jer 48:26), Babylone (Jer 51:39), Ninive (Na 3:11), Edom. (La 4:21)
--Pour l'ivresse source d'inspiration, voir Dionysos. Un papyrus découvert en 1897 place parmi les agrapha (voir cemot) cette déclaration de Jésus parlant des hommes au milieu desquelsil a exercé son ministère: «Je leur suis apparu dans la chair et jeles ai trouvés tous ivres, et aucun n'était altéré.» A rapprocher deces paroles l'appel de Jésus: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne àmoi et qu'il boive!» (Jn 7:37) et le passage où Jéhovah (Jer31:25), parlant des grâces qu'il répandra lors de la nouvellealliance, dit: «J'enivrerai l'âme altérée et je rassasierai toute âmelanguissante» (les LXX traduisent: «J'ai enivré», éméthusa). Leparallélisme ici établi entre l'enivrement et le rassasiement donne àpenser que, dans le langage hébraïque, l'expression «enivrer» pouvaità l'occasion désigner simplement: faire boire jusqu'à satiété (hébreu râvâh). C'est de cet enivrement que parle Jérémie. (cf. Ag1:6) L'âme humaine ne peut être assouvie qu'en Dieu. Alex. W.Révision Yves Petrakian 2005