(grec zizanion, mot d'orig. sémitique, d'où vient l'expressionfrançaise, «semer la zizanie», c-à-d, les divisions; latin ebriaca =ivre). Petite graminée dont plusieurs espèces, fourragères, entrent dansla composition des prairies dites naturelles; la plus commune, ivraievivace ou ray-grass (lolium perenne), constitue nos pelouses,mais celle dont parle Jésus (dans Mt 13:25 et suivantsseulement) est l'ivraie enivrante (loliuni temulentum), encoreplus répandue en Orient que chez nous: ivraie enivrante, les deuxmots sont parents; en effet les graines, acides et narcotiques,produisent chez l'homme des symptômes d'empoisonnement; le principevénéneux réside dans l'ergot ou champignon que porte souvent laplante, en sorte que les accidents sont d'autant plus graves qu'elleest plus verte. La proportion de 1 /9 de farine d'ivraie mélangée àcelle du blé empêche la fermentation du pain; la moitié de cetteproportion peut provoquer des effets déplorables. Cette ivraie abondedans les champs: Virgile (Gêorg., I, 154) dit au laboureur de sedéfaire de la «stérile ivraie» (infelix lolium). La pratique d'ensemer parmi le froment (Mt 13:26) était connue, paraît-il, et mêmeprévue et punie par la loi romaine. Les deux plantes en herbe se ressemblent; mais un oeil exercédistingue les feuilles plus étroites, plus aiguës, plus sombres, del'ivraie; à la maturité, sa tige grêle et courte et surtout sesépillets en zigzag à petits grains noirs sont très différents desépis de blé gros et droits (Mt 13:26). On s'est figuré, par uneerreur tenace, que l'ivraie pouvait être du blé dégénéré dans lesmauvaises saisons: c'est l'excès d'humidité qui fait en même tempsprospérer l'ivraie et pourrir le blé, deux effets contraires de lamême cause, mais sans lien entre eux de cause à effet. Quant à lesséparer l'une de l'autre en cours de croissance, tous lescultivateurs du temps de Jésus savaient que c'eût été néfaste au blé(Mt 13:29), leurs racines étant inextricablement mêlées; aujourd'huil'Oriental sait faire le triage quand les épis sont bien formés: soiten arrachant une à une les tiges d'ivraie, soit en les enlevant desgerbes une fois la moisson coupée, soit en passant les grains dans uncrible assez fin qui laisse tomber ceux d'ivraie, plus petits. (VoirDalman, Itin., p. 250s.) La «parabole de l'ivraie dans le champ» (Mt 13:36) a étéconsidérée par certains auteurs comme représentant, dans les septparaboles du Royaume chez Matthieu (Mt 13), celle de la semencechez Marc (Mr 4:26-29); mais si elles ont en commun, en effet,les semailles de l'homme qui s'endort ensuite normalement, et lacroissance jusqu'à la moisson sans autre intervention humaine, ellesne peuvent cependant se réduire l'une à l'autre, précisément à causede l'idée originale qu'introduit l'image de l'ivraie: après la visionoptimiste du développement infaillible et secret dû à Dieu seul,c'est la vision pessimiste des deux développements ennemis, dus àDieu et au Diable, et provisoirement inséparables dans l'économieprésente. La parabole de l'ivraie est adressée à des Juifs qui attendaientun règne messianique inauguré par le jugement. Jean-Baptiste l'avaitrappelé (Mt 3:10-12), et c'était le ministère miséricordieux deJésus (Mt 9:13 12:15-31) qui l'avait troublé dans saprison (Mt 11:2 et suivants); lorsque les Pharisiens venaient dedénoncer dans ce ministère de guérison l'oeuvre du Prince desdémons (Mt 12:24 et suivant), le Seigneur, tout en leur faisantentendre un avertissement sévère (Mt 12:32), ne les avait passupprimés du monde pour leur opposition irréductible au Christ; lesdisciples eux-mêmes, plus ou moins déçus dans leurs espérancesmessianiques, allaient exprimer leur impatience dans l'appel au feudu ciel, à la façon de l'A.T., contre les rebelles (Lu 9:54 etsuivant, cf. 2Ro 1:9). Et Jésus, après avoir signalé dans laparabole du semeur la résistance des mauvais terrains, enseigne parcette parabole de l'ivraie que dans ce monde où sont entremêlésenfants du Royaume et enfants du Malin, la séparation seracertainement opérée, mais seulement à la fin des âges, non par leshommes mais par les anges, mandataires du Fils de l'homme (Mt13:37,43). Ce point central bien défini, nous ne voyons pas pourquoil'explication attribuée au Maître lui-même devrait être tenue plutôtpour l'oeuvre de l'évangéliste, comme le pensent quelques-uns; mêmesi certains termes et idées en sont familiers au judaïsme, c'est unegrande leçon de patience donnée aux disciples, aux enfants duRoyaume, au nom de la patience divine. On voit par là enfin qu'il n'y est nullement question dediscipline ecclésiastique, ce que de séculaires controverses ontintroduit à tort dans cette parabole. S'il s'agissait de l'Église,elle interdirait en effet toute mesure de sanction à l'égard desmembres indignes; mais «le champ, c'est le monde» (Mt 13:38) etnon pas l'Église, que les disciples ne connaissaient pas encore, etoù ils affirmeront dès ses débuts, la nécessité d'une discipline poursauvegarder les moeurs et la foi des fidèles (1Th 5:14,2Th3:14,1Co 5:2,13 etc.). C'est l'humanité tout entière qui se trouvetellement viciée, et divisée, par l'Ennemi, qu'il est impossible etinterdit aux hommes d'y opérer les triages définitifs: le bon grainet l'ivraie n'apparaîtront en pleine lumière qu'au jour du jugementdernier. C'est de cette parabole qu'est issue la locution proverbiale:«ivraie et bon grain». Jn L.