9. L'empire grec et les Juifs. Un autre personnage important entre maintenant en scène: Alexandre leGrand (356-323), fils de Philippe de Macédoine qui, s'étant rendumaître de la Grèce, se tourna du côté de l'Orient. Ayant vaincu lesarmées de Darius dans deux batailles décisive: au Granique(333) et à Issus (332), il vit le vaste empire perse livré à samerci. Malgré sa mort prématurée à l'âge de 35 ans, et quoique sabrève carrière militaire n'ait pas satisfait toutes ses ambitions,elle exerça sur la civilisation mondiale une influence somme toutesalutaire en rapprochant étroitement deux races différentes. Nullepart ailleurs les conséquences de ce rapprochement ne sont plusvisibles que dans l'histoire du peuple juif. A la mort d'Alexandre(voir ce mot), le vaste empire qu'il avait conquis fut partagé entreses généraux. Les deux fractions de ce partage qui nous intéressentsont l'Egypte et la Syrie, gouvernées par les Ptolémées et lesSéleucides. Ainsi commença la période grecque de l'histoire desJuifs. Pendant le premier siècle après la mort d'Alexandre, laPalestine, placée sous la domination égyptienne, semble avoir ététraitée avec justice. Les intrigues et les guerres étaient fréquentesentre l'Egypte et la Syrie (Da 11) et les Juifs, une fois deplus, servirent de gage à deux puissants acteurs. Plus grave que cesmisérables querelles était le conflit spirituel entre l'hébraïsme etl'hellénisme. La ville d'Alexandrie (voir ce mot) fut bâtie et devintun centre commerçant et intellectuel très important. Ses habitantscomprenaient des Égyptiens, des Grecs et des Juifs; la langue et laculture grecques prédominaient. Les Juifs, qui furent encouragés às'y établir, formèrent une partie notable de la population et furentamenés à demander une traduction grecque des écrits hébraïques. Lapremière traduction de la Bible (dite des LXX ou Septante) remonte à250 environ av. J.-C. La raison principale était sans doute que lesJuifs avaient besoin de posséder leur loi dans la langue qu'ilsparlaient habituellement. Ils ne tardèrent pas à vanter sasupériorité et son caractère original et à la comparer avec d'autreslégislations anciennes. Ce travail demanda un temps considérable. Leslivres traduits les premiers et auxquels ils -attachaient le plusd'importance furent les cinq qu'ils attribuaient à Moïse. Bienqu'elle ne fût pas écrite dans le grec le plus pur, cette traductionservit un but élevé, devint la Bible des Juifs dispersés et fut plustard utilisée, même en Palestine. L'apôtre Paul et les premierschrétiens en firent un grand usage. La langue et les moeurs grecquess'étaient largement répandues en Egypte, en Palestine et en Syrie.L'influence du théâtre, des jeux du cirque et des écoles grecques sefaisait sentir. Nous ne pouvons raconter avec précision l'histoire dela Synagogue (voir ce mot) à ses débuts. Mais nous savons que lareligion des Juifs commençait à être enseignée, que, spécialementdans les localités éloignées du temple, on comprenait le devoird'étudier les Saintes Écritures et d'instruire la jeunesse. Ainsideux formes différentes de la pensée et de la vie allaient bientôt setrouver en présence et les conséquences de cette rencontre devaientse prolonger dans l'humanité. L'hellénisme n'était pas du type leplus pur, mais sa spontanéité, sa souplesse attiraient les jeunesintelligences, qui commençaient à trouver le joug de la loi lourd etfastidieux. Il y eut ainsi, au III e siècle, une période de calmerelatif, de prospérité croissante, de «pénétration pacifique». Juifset Grecs se trouvaient réunis, prenaient part à l'activité civique etpartageaient les mêmes divertissements. Ce fut certainement un dangerpour le judaïsme traditionnel. Son histoire a maintes fois prouvé quele bien-être et la prospérité lui furent plus nuisibles que lessouffrances et les persécutions. A la fin de ce siècle fut écrit lelivre remarquable de l'Ecclésiaste; il l'aurait difficilement étéavant la période grecque. C'est l'oeuvre d'un Juif dont lescepticisme et le pessimisme, sans être entièrement nouveaux, sontexposés dans un style moderne qui trahit l'ambiance grecque. Lalangue de cet ouvrage, fortement imprégnée d'araméen et apparentéeaux formes rabbiniques, prouve qu'il parut à une époque tardive etque son attribution à Salomon n'est qu'une invention littéraire. Iln'est puissant ni d'esprit ni de style, mais la période qui le suivitest l'une des plus héroïques de l'histoire des Hébreux. L'influencegrecque était considérable et certains pensent qu'elle aurait pusaper lentement l'édifice entier de la loi. Toutefois, lorsqu'unedure épreuve fut imposée aux membres pieux de la nation, on vit bienque le fondement du judaïsme avait été solidement établi. Au début du siècle suivant, la Palestine passa de la dominationégyptienne à la syrienne. L'établissement d'un gouvernement égyptienà Jérusalem avait irrité les Juifs; ils pensaient qu'ils seraientplus heureux sous le gouvernement des Séleucides. Après l'avoir été,au début, ils furent bientôt menacés, non de tracasseriesinsignifiantes, mais de la perte totale de leur religion. Si lanation avait été assez étroitement unie pour présenter un frontrésistant et avait mis sa vie sociale en harmonie avec les principesde probité et de justice enseignés par les prophètes, le péril eûtété moins grand. Le parti helléniste favorisait l'influence grecqueet désirait la développer. On y trouvait beaucoup de jeunes prêtresqui s'intéressaient davantage aux exercices athlétiques du cirquequ'aux devoirs sacrés de leur ministère. De nombreux Juifs montrèrentbientôt où allaient leurs préférences en échangeant leurs nomshébreux contre des noms grecs. Ainsi Jésua ou Jésus devint Jason.L'une des pratiques qui révoltèrent le plus les Juifs pieux fut letrafic de la charge de grand-prêtre. Au début du règne d'AntiochusIV, un frère d'Onias II le grand-prêtre honoré, avait pris, afind'être nommé à sa place, le nom de Jason; il avait offert de payer untribut plus élevé et promis de donner une somme importante pour laconstruction d'un gymnase à Jérusalem. Lorsqu'on commence à user detels procédés, la place est acquise au plus offrant; des membres duclergé juif doivent se partager la honte d'avoir ainsi déshonorél'office sacré. La vie nationale était affaiblie et en proie audésordre. Un certain Joseph, fils de Tobie, l'un des premiers«péagers» ou receveurs généraux des impôts, réussit à conserversa situation pendant vingt-deux ans, amassant de grandes richessesgrâce à ses extorsions, et les faisant servir à des usages dépravés.Il laissa un fils, Hyrcan, aussi habile et aussi peu scrupuleux quelui-même. Le problème de la prospérité des méchants pesait lourdementsur les âmes fidèles (Ps 73:3-8). «Riche» semblait presqueêtre devenu synonyme de «méchant», et «pauvre» de «pieux» (Lu6:20 et suivants). Il semblait qu'avec de si nombreuses causes defaiblesse à l'intérieur, la religion dût être impuissante à réagir,mais les événements prouvèrent que tant d'années d'épreuves n'avaientpas été vaines. Au début du II e siècle, la puissance croissante de Romecompliquait la situation internationale. Antiochus le Grand (voirart.) dut signer une paix humiliante et payer un tribut aux Romains,ce qui entraîna une aggravation des impôts prélevés sur la Syrie etla Palestine et souvent même des vols commis dans les temples, quiétaient les maisons de banque de l'époque. Antiochus IV monta sur letrône en 170; il avait été retenu à Rome, comme otage. Son frèreobtint qu'il fût relâché; mais avant son retour, ce frère ayant étéassassiné, la royauté lui échut. Cet Antiochus, appelé soit Épiphane(l'Illustre) soit Épimane (l'Insensé), méritait ces deux titres. Ilétait énergique, habile, mais aussi farouche et inconstant. Ce futlui qui accéléra le conflit d'où devait sortir ou la mort du judaïsmeou sa vivante rénovation. Le parti helléniste était favorable au roiet, sans vouloir renoncer à son culte, désirait être «tolérant»,acceptant de voir Jérusalem devenir à bien des égards une villepaïenne. Ménélas, qui n'appartenait pas à la tribu sacerdotale, étantdevenu grand-prêtre à la faveur de l'intrigue et du vol, une violentedissension intérieure en fut la conséquence. On peut en trouver lesdétails dans 1 Mac, écrit historique de valeur. Deux ans après que letemple eut été dévalisé (168), Antiochus IV instaura par décret leculte et la constitution civile helléniques à Jérusalem. La ville futlivrée au pillage, brûlée et beaucoup de ses habitants furentchassés. Le comble de l'outrage fut l'érection d'un autel païen (aumois de kis-lev, le 25 décembre), pour y sacrifier des porcs, animauximpurs, sur l'autel même des holocaustes (l'abomination de ladésolation de Da 9:27 12:1, Matthieu 24:15). Les livres sacrésdevaient être détruits, l'observation de la loi mosaïque était uncrime; dans beaucoup de cas il fallait choisir entre l'apostasie etla mort. L'heure était critique; et pourtant, en dépit de cespersécutions, le judaïsme triompha du danger qui, pendant la longuepériode de paix sous la domination des Ptolémées, l'avait souventmenacé de perdre la conviction qu'il était le peuple élu à qui Dieuavait confié une mission toute spéciale.