ISRAËL (Histoire et Religion 7.)

6. Le royaume du Sud. Le territoire laissé à Juda après le schisme était beaucoup moinsimportant que celui d'Israël; mais il présentait cet avantage, que lacontinuité de la dynastie de David y fut sauvegardée, malgré quelquesévénements tragiques, jusqu'à l'exil de Babylone (environ 600 av.J.-C), et ces années furent fécondes en résultats précieux pour lareligion. Une grande partie de l'oeuvre accomplie par David futdétruite, mais ce qui en resta eut une importance considérable, tantpour la vie du judaïsme que pour l'ensemble du monde. On sait peu de chose des dix-sept années du règne de Roboam. Uneincursion égyptienne, conduite par le roi Sisak, mit au pillageIsraël et Juda. Ceux-ci furent en guerre l'un contre l'autre. Le filsde Roboam, Abijam, ne régna que trois ans. Il semble avoir concluavec Damas une alliance offensive contre Israël. On attribue à Asa unrègne de quarante et un ans; c'est l'un des rois auxquels est renduun sincère témoignage d'approbation. Tandis que les hauts-lieuxconsacrés, aux divinités païennes existaient encore, il sévit avecvigueur contre les pratiques idolâtres de sa mère (1Ro 15:9-15).La lutte fratricide n'avait pas cessé, preuve en soit son appel àl'intervention de Ben-Hadad, roi de Syrie, pour le délivrer del'oppression d'Israël. Cette ligne politique changea sous le règne deJosaphat, qui se joignit à Achab pour repousser l'agression syrienne.Ce fut un bon roi, si l'on s'en rapporte au jugement des historiens,mais le refrain monotone: «Les hauts-lieux n'avaient pas disparu»retentit encore, montrant combien ces cultes locaux étaientprofondément enracinés et persistants. Dans ces vieux sanctuairesJéhovah était adoré, mais au milieu de beaucoup de rites cananéens. Un fait important à noter est qu'en Juda aussi le culte de Baalprovoqua des dissensions et des effusions de sang. Quand la reinemère Athalie apprit la mort de son fils, elle, souveraine du royaume,femme ambitieuse et cruelle, peu disposée à céder sa place, fitmettre à mort les membres de la famille royale (2Ro 10). SeulJoas, son petit-fils, âgé de quelques mois, fut épargné, mais à soninsu. Elle éleva à Jérusalem un temple de Baal. Ainsi au même moment,la guerre civile, porteuse de misère, fruit de l'ambition égoïste etdu fanatisme religieux, sévissait dans les deux capitales. Plus tardle sacrificateur Jéhojada plaça sur le trône son neveu Joas, âgé desept ans; Athalie fut tuée, et le temple de Baal détruit (2Ro11:12-21). Joas régna quarante ans. Le seul trait de ce long règnequi nous ait été conservé concerne la réforme financière du budgetaffecté au temple, page intéressante de l'histoire de l'Église.Malheureusement Joas dut verser entre les mains d'Hazaël, roi deSyrie, afin de le détourner d'attaquer Jérusalem, tout l'or et lesobjets sacrés qui se trouvaient dans le temple. Le règne de son fils Amatsia offre un exemple de l'animositésurgissant entre deux rois qui auraient dû se conduire comme desfrères. Amatsia demande à Joas, fils de Joachaz roi d'Israël, uneentrevue sur pied d'égalité et reçoit sous forme d'un bref apologueune réponse tranchante (2Ro 14:8,10); le roi de Juda eut à payerchèrement sa présomption. Il est vrai que ces combats étaient peumeurtriers et, dans les intervalles d'accalmie, la vie pastoraledevait s'écouler paisiblement; mais les deux royaumes étaientaffaiblis par ces luttes fratricides. Le long règne d'Azaria,cinquante-deux ans, et celui de son fils Jotham, seize ans, nousmènent presque à la fin du royaume d'Israël. Si ces chiffres sontexacts, ils supposent une période de paix, de stabilité et d'unitéreligieuse dans le royaume de Juda. Celui-ci, au moment de la chuted'Israël, attira à lui, jusqu'à un certain point, la nation soeur, cequi ne l'empêcha pas de conserver son autonomie pendant cent trenteans environ. Lors de l'agression finale des Syriens et des Israélitescontre Juda, Achaz céda, malgré les conseils d'Ésaïe, au désird'appeler l'Assyrie à son aide. Le résultat fut, nous l'avons vu,l'anéantissement d'Israël en tant que nation et le tribut imposé àJuda par le grand empire (Esa 7). C'est à ce tournant de l'histoire politique des deux royaumesqu'apparurent les grands prophètes qui, d'un commun accord, sauvèrentla religion en la pénétrant d'une spiritualité plus élevée et enplaçant la moralité au-dessus du rite. L'inspiration atteint ici sonpoint culminant; les résultats n'ont pas cessé, depuis lors, d'enêtre sensibles et sont aujourd'hui plus hautement appréciés quejamais. Des discussions académiques sur les rapports de la morale etde la religion et la «psychologie de la prophétie» ne seraient pasici à leur place. C'est un mouvement de vie, et ce sont les hommesqui y ont été mêlés qui nous intéressent. La méthode que Dieu emploiepour transmettre à l'âme humaine son message sublime et le revêtir dusceau de son autorité suprême est complexe et ne sera peut-êtrejamais entièrement comprise. Mais les faits historiques demeurent etappellent notre examen attentif. Quatre hommes: Amos, Osée, Ésaïe etMichée, ont marqué le VIIIe siècle d'une empreinte indélébile,tellement qu'il demeure l'une des grandes époques de l'histoire de lareligion. Une question se pose: dans quelle mesure leur message était-ilnouveau ou original? Il était nouveau en ce sens qu'il émanait deleur personnalité individuelle et présentait la religion sous unaspect plus large, plus pur, plus riche qu'auparavant. Ce n'était pasune plante nouvelle, mais plutôt une floraison nouvelle du vieilarbre. Si la morale n'avait pas été un élément constitutif de lareligion des Hébreux, celle-ci n'aurait pu survivre au culte de lanature et aux âpres conflits avec le baalisme. Ces antiques récitssont, à n'en pas douter, animés de l'esprit prophétique. De quelquefaçon qu'on l'interprète, le tableau présentant le premier homme etla première femme avec la perspective des souffrances, résultat de ladésobéissance (Ge 2:3), est empreint de compassion pour l'hommequi, venu de la terre, tire d'elle sa subsistance au prix d'un durlabeur, puis y retourne, et pour la femme qui met au monde sesenfants dans la douleur. Remarquons aussi le blâme infligé par Nathanà David (2Sa 12:7) et le châtiment subi en expiation d'un traitéviolé (2Sa 21). A la longue, la religion s'assimila maints éléments du culte dela nature, mais en les purifiant et en les faisant servir à des butsplus élevés. Les prophètes ne se considéraient pas comme lescréateurs d'une religion nouvelle, mais comme des frères exhortantleurs frères à revenir à la source plus simple et plus pure de leurvieille foi (Jer 6:16 et suivant). Qu'ils fussent ou non animésde cette pensée, nous savons que la foi des ancêtres ne pouvaitsubsister qu'en s'élargissant, en étendant et appliquant sesprincipes aux conditions changeantes d'un monde plus vaste. Lemessage des prophètes du VIIIe siècle était à la fois national etsocial. Le devoir de la piété personnelle, les problèmes del'individualisme commencent à se poser, mais le message des prophètess'adressait à la communauté comme telle. Ce n'était pas, à proprementparler, un monothéisme théologique ou dogmatique; mais il s'orientaitdans cette direction, et le droit de Jéhovah à être le Dieu del'humanité y était impliqué, sinon clairement affirmé. Au sein de l'Israël primitif on trouve, dès le début, des voyantsou «Sages», des diseurs de proverbes et maximes, des prêtres quiofficiaient à différents autels et des prophètes, hommes de caractèreenthousiaste qui n'étaient astreints à aucune règle inflexible etinféodés à aucun sanctuaire particulier. Plus tard, ces catégoriesd'hommes seront déterminées d'une façon plus précise et auront leurlittérature propre. Prophètes et prêtres (voir ces mots) sont parfoisassociés, parfois en conflit. Quelques-uns des prophètes, tels Osée,Jérémie et Ézéchiel, appartenaient à des familles sacerdotales.L'action de l'Esprit divin n'était limitée à aucune classe. Am 7:10-17 nous offre un vivant et dramatique tableau duconflit entre deux types religieux: l'austère prophète et le prêtrecourtisan, Amos et Amatsia. C'était sous le règne de Jéroboam II(790-749), à une époque de prospérité précédant la catastrophefinale. Le peuple était assemblé à Béthel pour y célébrer une de sesgrandes fêtes religieuses. Un homme rude des plaines de la Judée faitirruption au milieu de cette foule joyeuse, dénonce en termesenflammés les péchés de la nation et lui prédit le châtiment d'unDieu juste qu'elle doit se préparer à rencontrer au jour du jugement.Cette histoire authentique est aussi un symbole du choc des idées etdes forces qui étaient en présence. Le courtisan, le représentantofficiel des conventions sociales et du luxe, se mesure avec l'hommefort et courageux qui personnifie la simplicité de la religion et lasouveraineté de la conscience. Le prophète et le prêtre, avec leursconceptions opposées de la religion et leurs façons différentes decomprendre la vie, forment ici un contraste absolu. Amatsia offre unspécimen assez misérable et superficiel de sa classe, mais il se peutque le culte des prêtres et du peuple contînt quelques éléments quele rude prophète ascète était incapable d'apprécier. Il ne sembleguère probable que les prophètes, dans leur ensemble, eussent faitdisparaître toutes les cérémonies du culte, mais Amos est le type del'homme qui aurait été satisfait d'adorer Dieu dans le silence sousles cieux étoiles. A ses yeux, des sanctuaires comme celui de Béthelétaient des lieux non d'obéissance mais de transgression. Tout ce quis'y passait, avec les excitations passionnées et les divertissementssensuels, le révolte (Am 4:4). Il parcourt de son regardpénétrant toute la Palestine et prononce le même jugement surtous ses peuples (Am 1), ce qui signifie que le Dieu dont la loia été manifestement violée était le même pour tous. Remarquonsqu'ils n'étaient pas coupables envers la loi rituelle, mais enversl'humanité: perfidies en temps de paix, atrocités pendant la guerre.Israël porte l'opprobre de la corruption religieuse la plusméprisable (Am 2:6-12). Amos lui déclare dans les termes lesplus vigoureux et les plus nobles que les sacrifices matériels, siriches et si abondants qu'ils soient, ne sauraient remplacer une viepure et une conduite intègre. «Éloignez de moi, dit-il au nom deJéhovah, le bruit de vos cantiques et le son de vos harpes. Faitesplutôt couler le bon droit comme de l'eau et la justice comme unfleuve intarissable!» (Am 5:21,24). Sous une forme imagée ilannonce le jugement terrible, irrévocable, qui, malgré la prospéritéprésente, laissera le pays désolé (Am 7:1-9). Cette prédictions'accomplit à la lettre, au cours de la génération suivante,lorsqu'on put dire avec vérité: «Elle est tombée la vierge d'Israël,elle ne pourra plus se relever, elle est renversée sur le sol etpersonne ne la relève!» (Am 5:2). Quand Osée écrivit son livre, la période de prospérité avait prisfin et le royaume du Nord était en proie au désordre. Le texte en estassez obscur, mais, fût-il parfait, il n'approcherait pas de laclarté et de la vigueur de celui d'Amos. Les deux hommes sont decaractères bien dissemblables: l'un rude, presque froid, l'autreaffectueux, sensible, sympathique. Tous deux sont opposés à lareligion courante mais l'expriment de façons différentes. Tandis queleurs livres revêtent une forme le plus souvent poétique, l'émotionet l'humeur versatile propres au poète dominent dans celui d'Osée. Ila exercé son influence sur Jérémie, «le poète du coeur». L'histoirede son mariage a soulevé bien des problèmes et donné lieu à denombreuses interprétations. Il représente évidemment un amouroutragé; la tendresse et la bonté de Jéhovah ont été oubliées (Os12:2). L'enfant ingrate, l'épouse infidèle s'est adonnée au culte deBaal, ce qui est considéré comme une forme de l'adultère. Cette imagetiendra une place importante dans la littérature subséquente. Lelivre d' Osée est une suite de poèmes plutôt qu'un exposé méthodique:les transitions sont brusques, avec une alternance de reprochesviolents, de tendre compassion et d'appels à la repentance (Os10:10 14:1). L'affirmation dominante d'Amos est: justice; celle d'Osée: miséricorde. La déclaration que notre Sauveur recommanda àl'attention de ses détracteurs (Mt 9:13) fut essentielle pournotre prophète: «Je prends plaisir à la bonté et non au sacrifice, àla connaissance de Dieu plutôt qu'aux holocaustes» (Os 6:6). Ce mot de «miséricorde» a une longue histoire et eut uneinfluence considérable. Plus tard et dans l'une de ses acceptions, ilfut employé pour désigner un parti, celui des «justes» (Ps32:6). Pris en lui-même, ce mot est d'un sens très riche; il parlede bonté, de loyauté, d'amour. Il ne peut être traduit par aucunautre mot, tant son sens est profond; il unit des choses que nousavons coutume d'assigner à des sphères différentes. Pour le prophètela vie était une- ; le monde entier au sein duquel il vivaitappartenait à Dieu, et ce mot «miséricorde» signifiait fidélité àl'égard de Dieu, bonté envers les hommes à tous les degrés de la viehumaine. Il devait unir religion, morale, philanthropie, les animantensemble d'un esprit de pure adoration (voir Hasidéens). Alors vint Ésaïe, prophète et homme politique. Bien qu'il ne soitplus possible de lui attribuer les 66 chapitres du livre qui porteson nom, et que nous possédions peu de précisions sur les quaranteannées que dura son ministère, Ésaïe est, à part Jérémie, le prophètedont la personne et la vie nous sont le mieux connues. De l'étudeattentive des quelques prophéties que nous pouvons, avec confiance,regarder comme authentiques, se dégage le profil d'un homme grand parsa puissance oratoire et ses dons littéraires. Plus orateurqu'écrivain, il n'en a pas moins marqué l'histoire de son pays d'uneempreinte indélébile et donné un essor à sa plus noble littérature.Nous pouvons l'appeler «l'Ésaïe de Jérusalem», car c'est là qu'ilvécut et travailla. Quand il commença son ministère en 740 environ,Rome, encore simple village, venait, croit-on, d'être bâtie. BientôtRome et Jérusalem s'affronteront; pour le moment, l'une est à sonberceau, l'autre lutte pour conserver la vie. Samarie se dressaitdans son orgueil et sa jactance, mais le prophète judéen ne s'ytrompait pas: il voyait le dénouement tout proche. «Malheur à lacouronne orgueilleuse des buveurs d'Éphraïm!» (Esa 28:1-4). L'unde ses discours les plus importants fait allusion aux derniersévénements de l'histoire nationale d'Israël (Esa 7:1,3). C'estsans doute immédiatement avant, que, répondant à l'appel de son Dieu,il s'affirma comme prédicateur de la justice. Tandis qu'il était autemple, il eut une vision au cours de laquelle il se sentit écrasépar le sentiment de son indignité en présence du Roi, l'Éternel desarmées (Esa 6). Sous l'empire de cette révélation, il pritl'engagement de devenir le messager du jugement divin, sachant qu'ilassumait une tâche rude et, en apparence, désespérée. C'est en vainque nous essayerions de définir la nature de cette vision, mais lavie qui s'en dégagea et la carrière qu'elle inspira nous sont ungarant de sa réalité. Le prophète s'écrie que «la main de l'Éternell'a saisi». Cette étreinte divine vivifie toute sa puissanced'énergie (Esa 8:11). L'un de ses plus beaux discours est lemagnifique «cantique de la vigne», chanté sans doute devant la fouleà quelque fête solennelle. Le chant se transforme en prédication. Enretour de la sollicitude et des soins dont Il a entouré la nation,Dieu n'a éprouvé qu'amères déceptions: au lieu de la droiture, lafausseté, au lieu de la justice, le cri des opprimés (Esa5:1,7). Avec la même vigueur que les autres grands prophètes, Ésaïedénonce la licence, l'improbité et les violences des riches (Esa5:8 et suivants), et défend la cause des veuves et desorphelins (Esa 1:17). Sa complainte sur la «cité fidèle» (Esa1:21-26) montre son affection profonde pour Jérusalem et son désirardent qu'elle soit gouvernée avec équité. Les cérémonies religieusesne manquaient pas, les offrandes à Dieu étaient abondantes, mais toutcela ne pouvait remplacer le vrai sacrifice: celui d'une vie pure.Ésaïe se serait sûrement associé avec joie à la grandeur d'un cultequi aurait été l'expression d'une foi véritable et d'une conduiteintègre. Il appartenait à l'aristocratie et n'eût pas été déplacé parmiles princes et les personnages officiels. Il s'efforça d'influencerla politique extérieure et de guider la nation dans les sentiers dela sécurité. Il croyait que Jéhovah prendrait sous sa protection ceuxqui rechercheraient sincèrement la justice. Il se méfiait del'habileté des politiciens et des ruses des diplomates. En l'an 735,quand les Syriens et les Israélites attaquèrent Jérusalem, Ésaïesortit à la rencontre d'Achaz (Esa 7:3 et suivant), avec sonfils Séar-Jasub dont le nom signifie: «Un reste reviendra». Achaz arésolu d'appeler l'Assyrie à son aide, ce qu'Ésaïe considère comme unmanque de foi. Il savait que l'Assyrie ne viendrait que trop tôt etque ce serait au préjudice de Juda. Son éloquence, son offre de luidonner un signe de la part du Seigneur, ne peuvent détourner Achaz dela voie où il s'est engagé. Conséquence: la Syrie et le royaumed'Israël furent écrasés, rendus inoffensifs, ainsi qu'Ésaïe l'avaitprévu, et Juda, bien que conservant partiellement son indépendance,devint tributaire de l'Assyrie. L'Egypte aussi recommençait às'agiter, menaçant Juda. Le prophète alors prouve la constance et lafermeté de son caractère: «J'ai voulu, dit-il, vous dissuader dedonner des gages à l'Assyrie; mais, maintenant que vous l'avez fait,l'honnêteté exige que vous teniez parole.» Manifestement l'Egypteétait faible, on ne pouvait compter sur elle: après s'être servie despetits peuples comme d'auxiliaires, elle les abandonnait. En outreÉsaïe prenait son point d'appui dans des principes clairs. Son méprisde l'Egypte et de ceux qui étaient assez insensés pour avoirconfiance en elle s'exprime avec force (Esa 31:1). La rivalitéentre l'Egypte et l'Assyrie ou Babylone continuera, pendant le sièclesuivant, à exercer son influence perturbatrice dans l'existence despetites nations. Un jugement sévère est porté sur Achaz, qui régnaseize ans: (2Ro 16) Ésaïe rappelle sa servilité à l'égard del'Assyrie, dont il sollicita l'aide contre Damas. Un fait quiintéresse l'historien autant, si ce n'est plus, que cet importantévénement politique, concerne le temple. Achaz, séduit à la vue del'autel qui se trouvait à Damas, en envoya le modèle à Urie lesacrificateur, afin qu'il en construisît un semblable (2Ro16:10,12). Par là nous voyons le roi affirmer son droit de réglerles pratiques rituelles et l'offrande des sacrifices. Le règned'Ézéchias, fils d'Achaz, qui dura vingt-neuf ans, nous amène presqueau seuil du siècle suivant (environ 700). Il est représenté comme unroi bon et pieux qui, menacé par l'Assyrie, invoqua Jéhovah et futpuissamment encouragé, réconforté par Ésaïe (2Ro 19:20). De mêmependant sa maladie un miracle s'accomplit en sa faveur et sa vie futprolongée de quinze années. L'ennemi, sous la pression decirconstances imparfaitement connues, fut contraint de lever le siègede Jérusalem et de regagner l'Assyrie. Cette délivrance fut, avecraison, attribuée à l'intervention de la Providence. Elle donna àJuda un regain de vie et accrut l'influence d'Ésaïe. On a pensé queses prophéties puissantes, à cette époque, encouragèrent la croyanceque la citadelle et le sanctuaire de Jéhovah devaient êtreinviolables, croyance à laquelle bien des malheurs furent dus dans lasuite et qui ne peut être attribuée à un homme de l'intelligence etde la spiritualité d'Ésaïe. D'après la tradition, le vieux prophèteaurait subi le martyre durant les jours troublés qui suivirent. Onl'a dit avec raison, la partie pieuse de la nation fut déçue par lapolitique du nouveau roi. «Ils espéraient un Messie, ils eurentManassé.» Il se peut qu'aux jours d'Ézéchias, en réponse à laprédication des prophètes, une réforme du culte ait été tentée etsuivie d'une violente réaction. Le territoire de Juda étant trèsrestreint, vu le peu d'étendue du pays qui s'ajoutait à la villefortifiée, il semble que la centralisation aurait dû être assezaisée, mais les témoignages ne manquent pas que--même à l'intérieurde la cité--les survivances des pratiques païennes étaient difficilesà détruire. Les influences étrangères se firent à nouveau sentir dansune cour corrompue. Pourtant, l'oeuvre d'Ésaïe n'était pas anéantie. Il avait répandula semence destinée à porter du fruit quand elle aurait été arroséepar le sang de ses fidèles successeurs. Il n'est peut-être pasexagéré de discerner dans son long ministère les faibles origines del'Église, c'est-à-dire d'une petite communauté dont la religionrepose sur la foi personnelle et non sur la seule tradition. «Enfermecet oracle, scelle cette révélation dans le coeur de mesdisciples» (Esa 8:16). Il trace sur une tablette en caractèresusuels, destinés à être lus de tous, ses prédictions et ses menaces.Il ordonne que sa prophétie soit consignée dans un livre afin qu'elledemeure comme un témoignage impérissable (Esa 30:8). Il ne fautpas voir ici les origines de la littérature hébraïque: il sembleévident qu'à cette époque nombreux étaient ceux qui savaient lire etécrire; mais peut-être, dans un sens limité, avons-nous ici lesdébuts de la formation d'un canon, c'est-à-dire d'une littératuresacrée qui assurera, pour les temps futurs, la conservation de lareligion. Ésaïe ne croyait pas que le jugement de Dieu impliquât unedestruction complète. Sa doctrine du «faible reste» (Esa 19)signifie qu'aux jours les plus sombres, Dieu créera un monde nouveauavec les quelques croyants qui resteront. (cf. Ge 8:21 etsuivant) Ces influences spirituelles ne peuvent s'exercer dans levide; seules les vies d'hommes pieux et consacrés seront leursauvegarde et les rendront agissantes. Sans les disciples anonymes etles réformateurs, la religion aurait péri. Le miracle est qu'elle aitsurvécu à tant de crises et de catastrophes. Nous avons peu de renseignements sur Michée, contemporain plusjeune d'Ésaïe, personnalité moins brillante, mais homme d'une grandeénergie qui a laissé une trace profonde. La différence essentielleentre eux est que l'un fut un citadin, l'autre un rural, un prophètepaysan. Son âpre langage, son ardente compassion pour les pauvres,font penser aux Paroles d'un croyant de Lamennais. Un espritrévolutionnaire inspire les attaques qu'il dirige contre les richesoppresseurs, les prophètes infidèles et les prêtres avides degain (Mic 3:4). Il hait la perversité voluptueuse des villes.Samarie et Jérusalem sont les centres de l'oppression qui accable lespauvres, aussi un terrible châtiment leur est-il réservé (Mic 1:63:12). Il est intéressant d'observer que lorsque Jérémie prononçaun jugement semblable, il fut déclaré digne de mort. La prophétie deMichée fut alors citée comme preuve que le vrai prophète, celui quiparle au nom de Jéhovah, doit jouir d'une grande liberté (Jer26:18). Aux époques plus anciennes, durant les périodes de paix, depetites communautés menaient sans doute, dans les campagnes, une viesimple, pastorale. Ces paysans s'entr'aidaient et la servitude, tellequ'elle existait alors, n'avait rien d'inhumain. Mais ledéveloppement des villes et l'accroissement des richesses changèrentces conditions, et la situation empira. Les riches voulaient agrandirleurs domaines et les moins aisés étaient dépossédés des petitslopins de terre qu'ils considéraient comme leur héritage dans leroyaume de leur Dieu. Les hommes libres devenaient esclaves et lesdébiteurs étaient traités avec dureté. Des hommes qui, tant au pointde vue national que religieux, auraient dû être frères, étaientennemis. Un cri retentit à travers tous les discours des grandsprophètes: c'est un appel à la justice. Les mots d'ordre d'Amos,d'Osée, d'Ésaïe, ont peut-être été résumés plus tard par un discipleen cette profession de foi brève, pratique, vivante aujourd'huiencore: «Faire ce qui est juste, aimer la miséricorde et marcherhumblement avec son Dieu» (Mic 6:8). La fin du VIII e siècle fut une époque de dures épreuves pourJérusalem. Ézéchias, soutenu par Ésaïe, défendit la cité attaquée parSanchérib et remporta quelques succès sur les Philistins, qu'ilrepoussa jusqu'à Gaza, mais le pays souffrit beaucoup et restafinalement tributaire de l'Assyrie. Le nom de son fils et successeurManassé figure toujours dans la liste des États soumis à l'Assyrie.Bien qu'il ait commencé à régner à l'âge de 12 ans et soit resté surle trône pendant cinquante-cinq ans, nous n'avons sur lui que peu dedétails, ce qui prouve la pauvreté de nos documents historiques. Nousdevons nous contenter de savoir qu'il rétablit les hauts-lieux,importa des coutumes étrangères et répandit en abondance, àJérusalem, le sang innocent (2Ro 21). Son fils et successeurAmon ne régna que deux ans; il fut assassiné dans son propre palaispar des conspirateurs, lesquels furent tués à leur tour par lepeuple, qui proclama roi son fils Josias, âgé de huit ans (2Ro22:1). Ce siècle, dont l'histoire est si incomplète et obscure, marqueen réalité une des périodes les plus importantes de la vie d'Israël.Ainsi qu'il arrive souvent, le mouvement destiné à durer s'étaitdéveloppé en silence. Nous savons, d'après ses résultats, que degrandes choses furent accomplies: les écrits prophétiques survécurentet revêtirent des formes appropriées au milieu. Ce fait apparut augrand jour, lors de la découverte, en la dix-huitième année du règnede Josias (640-609), d'un livre dans le Temple de Jérusalem. Lessavants admettent généralement que ce livre était le Deutéronome,sinon dans sa forme actuelle, au moins dans ses parties essentielles.C'était à coup sûr un livre faisant époque et qui marqua dansl'histoire de Juda l'avènement de temps nouveaux. Jusqu'alors lanation était gardienne de la littérature, désormais ce sera le livrequi assurera le maintien de la nation. Un ouvrage inventé pour lesbesoins de la cause, un livre entièrement nouveau, n'aurait puexercer cette influence. Le Deutéronome (voir ce mot) plongeait desracines profondes dans le passé et pouvait, avec quelque vérité, seréclamer du nom de Moïse. Quels qu'aient pu être les méthodes quiprésidèrent à son élaboration ou les appels à la pureté et à lacentralisation du culte qu'il renferme, il est certain que ce livre,pénétrant la vie du peuple vers la fin du VII e siècle, devintaussitôt son drapeau et servit de point de ralliement auxréformateurs. Le Deutéronome se compose de discours et de poèmesattribués à Moïse (à l'exception du dernier chapitre); mais cetteopinion ne résiste pas à un examen, même superficiel. Nous yremarquons des emprunts à des documents plus anciens, desrépétitions. Il reproduit en les développant les ordonnances d'uncode primitif: le Livre de l'Alliance, et renferme d'anciennes loisqui ont peu de rapport avec l'objet essentiel du recueil. Le butpoursuivi était, vraisemblablement, de réformer le culte et de lecentraliser à Jérusalem. Il n'y a qu'un seul Jéhovah et il ne doitavoir qu'un seul sanctuaire. Nous donnons aux lois qui se rapportentà ce principe essentiel le nom de Deutéronome (seconde loi) au sensspécial du mot. Exemples: (a) Les ressources à assurer aux Lévites après ladestruction des autels locaux. (b) L'établissement de cités de refuge devant servirde sanctuaires ou d'asiles à ceux qui fuyaient devant les vengeurs dusang versé, (c) La désignation des anciens comme juges des castrop peu importants pour être soumis à la juridiction de Jérusalem. (d) La distinction établie entre l'acte profane de lamise à mort des animaux pour en faire un aliment, et leur offrandesous forme de sacrifice. Tout cela pénétrait profondément la viereligieuse et sociale du peuple. L'exiguïté du territoire peut avoirfacilité ce travail de réformation, mais ces causes géographiques nefurent pas seules en jeu, il y en eut d'intellectuelles et dereligieuses. L'existence du Dieu unique de la nation était proclaméeet ceci était indispensable à la reconnaissance plus complète de sasouveraineté dans un monde agrandi. Les éléments prophétiques etsacerdotaux se trouvaient mélangés dans un livre qui renfermaitl'histoire, les discours (De 1-11), la loi (De 12-26).L'enseignement proprement dit devait s'adapter aux formesecclésiastiques en usage. Le danger du légalisme existait mais nepouvait être évité. La pensée dominante était que les prédictions desprophètes s'étaient accomplies et que les malheurs de la nationétaient dus à la désobéissance et à l'idolâtrie (Za 1:4-6).Josias et ses conseillers semblent avoir fait un vigoureux effortpour exécuter les ordres donnés dans ce livre: régler la célébrationdu culte divin; débarrasser le pays des pratiques idolâtres (2Ro23:5 et suivant). Mais les écrits postérieurs nous montrent combiencette tâche était ardue. Josias est considéré par les historienscomme un roi pieux, un second David, et Jérémie le loue (Jer22:10). A ce moment l'empire assyrien est à l'apogée de sa grandeur;puis, brusquement, il disparaît. Le règne d'Assourbanipal (668-625)fut l'âge d'or de l'art et de la littérature. Tyran cruel etdébauché, il vivait dans le luxe grâce aux tributs imposés auxpeuples qu'il avait conquis. Alors, rapide, vint le déclin. L'Egyptese fortifiait et commençait à secouer le joug assyrien. Les Aryens(Mèdes) et les Sémites (Babyloniens) s'unirent contre l'ennemicommun. Après plusieurs échecs, une victoire complète couronna leursefforts. L'empire d'Assyrie fut anéanti et la ville de Ninive raséeau niveau du sol (606?voir le chant de triomphe de Nahum). A cetteépoque Juda subit un terrible désastre. Le nouveau pharaon, Néco, quiprétendait avoir sa part du butin, se mit à la tête d'une arméenombreuse. Josias tenta de l'arrêter, mais sa folle entreprise futsuivie d'une complète et rapide défaite dans les plaines de Méguiddo.Vaincu, le roi fut tué (2Ch 35:22,25). On ne saurait dire quelmotif entraîna Josias dans cette téméraire aventure. Il est peuprobable qu'il ait été encouragé par Jérémie, bien que celui-ciméprisât les Égyptiens. Quoi qu'il en soit, les conséquences furentdésastreuses. Il semblait que Jéhovah fût impuissant à protéger sonfidèle serviteur ou qu'il ne le voulût pas. La nation et la religionsouffrirent cruellement l'une et l'autre du désordre qui suivit. Lespetites nations étaient de nouveau tiraillées entre deux puissanceshostiles: l'Egypte et Babylone. Joachaz, fils de Josias, choisi parle peuple, fut proclamé roi, mais Néco le détrôna, l'emmena captif enEgypte et plaça sur le trône son frère Jéhojakim. Nébucadnetsar,prince royal de Babylone, vainquit les Égyptiens à Carkémis surl'Euphrate (605). Jéhojakim devint ainsi vassal de Babylone. Il eutl'imprudence de se révolter, et Nébucadnetsar souleva contre lui lespeuples voisins. Il mourut laissant à son fils Jéhojakin, âgé de 18ans, un héritage de profonde misère (Jer 22:24). Contraint de serendre, il fut emmené à Babylone avec les meilleurs, de la nation etdes trésors considérables (597). Sédécias, un autre fils de Josias,fut placé sur le trône. C'était le commencement de la fin. Ce quirestait du peuple était déchiré entre les deux factions égyptienne etbabylonienne. Sédécias, après avoir signé la paix avec Babylone,finit par se révolter lui aussi et, malgré l'intervention del'Egypte, qui retarda un moment la catastrophe finale, en dépit d'unerésistance héroïque contre les ennemis du dehors et la famine audedans, Jérusalem tomba (586). Sédécias, prisonnier, fut traité sanspitié ainsi que ses enfants. Jérémie pouvait partir pour Babylone et y terminer paisiblementses jours, mais cela l'aurait exposé au soupçon d'obtenir unerécompense en raison de ses opinions politiques. Il resta avec lepauvre peuple laissé dans le pays et, quand le gouverneur babylonienGuédalia fut assassiné, Jérémie fut, par une ironie du sort, traînépar les conspirateurs jusqu'en Egypte, ce pays qu'il avait haï etméprisé. Durant ses longues tribulations, son courage, sa force decaractère ne faiblirent pas. Ce prophète à l'esprit si noble eut lebon sens de comprendre que Dieu exigeait de ses compatriotes uneattitude loyale vis-à-vis des vainqueurs. Il combattit de tout sonpouvoir l'opinion fausse et ridicule que la cité et le sanctuaireétaient inviolables, en tant que demeure de Jéhovah.