5. Le royaume du Nord. En résumé, on peut dire que cette période de deux cents ans dans leroyaume du Nord fut remplie par les règnes d'hommes puissants, suivisdans la plupart des cas de règnes très courts, de meurtres et d'unétat d'anarchie. Le même enseignement se dégage de beaucoup desombres pages de l'histoire du monde: une communauté forte qui neparvient pas à se donner un gouvernement constitutionnel estfatalement vouée à des alternatives de despotisme et d'anarchie. Siles petites tribus disséminées à l'intérieur et aux confins de laPalestine avaient formé une confédération effective, le dangermenaçant que représentait pour elles la puissance assyrienne eût puêtre écarté. Nous soulignons le fait sans qu'il implique un reproche,car l'art de l'organisation politique a été appris péniblement,lentement. Les conflits entre Juda, Israël et la Syrie les avaienttous affaiblis. Jéroboam, monarque adroit et puissant, régna pendant vingt-deuxans, et transporta sa résidence à Thirtsa, à l'Ouest du Jourdain. Sonfils Nadab, dont le règne ne dura que deux ans, lui succéda. Il futtué par Baésa qui, dès son avènement, fit périr toute la maison deJéroboam (1Ro 15:29), tragédie caractéristique de toute cettepériode. Sous Jéroboam le peuple s'était révolté contre Roboam, avecquelque apparence de raison, et le nouveau royaume fut rarement àl'abri de l'esprit révolutionnaire. Le trône était à la merci dupremier chef assez intrépide pour tirer parti de l'agitation et dumécontentement. Ces révolutions avaient presque toutes un caractèremilitaire. Baésa, habile soldat, était probablement le général del'armée de Nadab. L'un de ses premiers actes fut d'engager la luttecontre Asa en mettant le blocus devant Jérusalem. Il y eut guerreentre eux. Baésa eut un règne relativement long, mais Éla son filsrégna moins de deux ans; étant à Thirtsa, en train de boire et des'enivrer, il fut tué par Zimri. Celui-ci n'occupa que pendant septjours le trône qu'il avait usurpé. Omri, chef de l'armée du Nord,proclamé roi par le peuple, vint assiéger Thirtsa. Zimri, désespéré,mit le feu au palais du roi et périt dans les flammes (1Ro16:16,19). Omri, roi puissant, qui paraît avoir été grand homme de guerre,fonda une nouvelle dynastie. Il eut un rival, Tbibni (1Ro 16:21et suivant), et ne parvint à le vaincre qu'après plusieurs années deguerre civile. Le palais royal de Thirtsa ayant été détruit, Omricomprit la nécessité d'avoir une capitale nouvelle et plus forte. Ilmontra son sens stratégique en choisissant Samarie (=Tour duGuetteur). Il y bâtit une ville à peu près imprenable, preuve ensoit le siège que les Assyriens firent plus tard de cette ville etqui dura trois ans (721 av. J.-C). Elle était dans une régionféconde, suffisamment arrosée. La fière colline de Samarie (Esa28:1) descendait à l'Est en pente douce jusqu'à la vallée fertile,mais était protégée sur les autres versants par ses flancs abrupts.Pendant cent cinquante ans, elle resta debout au milieu des tempêtesde cette époque instable. Omri est regardé par plusieurs comme levrai fondateur du royaume et, dans les annales assyriennes, Israëlfigure sous le nom de «Pays d'Omri». On a malheureusement peu dedétails sur son règne. Il semble avoir remporté des victoires sur lesMoabites, mais dut céder des territoires aux Syriens et fut en paixavec Juda. Une prophétie avait prédit que la Palestine serait denouveau en contact avec les grandes puissances du monde, et celadurant des siècles. L'incursion d'Assurnazirpal, qui s'avança vers leLiban et la Méditerranée (876), fut momentanée. Omri et d'autresjugèrent prudent de lui payer un tribut afin de s'assurer saprotection. Le fils d'Omri, Achab, et sa femme Jézabel sont bienconnus des lecteurs de la Bible parce que leur histoire est racontéede façon captivante et surtout à cause des récits miraculeuxconcernant le prophète Élie qui occupe le centre du tableau, et deses conflits avec les adorateurs de Baal. Malgré ces événements,Achab semble avoir été un chef capable, doué de sagesse et de fermetédans la gestion des affaires. L'histoire ancienne, dont le jugementsur les rois appartient à une époque postérieure, ne lui a pas rendujustice. La famine d'une part, l'hostilité des Syriens de l'autre,lui suscitèrent de graves difficultés. Cependant, lorsque l'Assyriesema de nouveau la terreur en Syrie, il était prêt à faire frontcontre elle avec les Syriens (Salmanasar II, 854 av. J.-C). LesAssyriens prétendirent avoir été vainqueurs à Karkar sur l'Oronte,mais cette victoire ne les encouragea pas à poursuivre leur campagne.La paix fut de courte durée; et quand les armées de Juda et d'Israëlcombattirent côte à côte contre les Syriens (1Ro 22), Achabblessé, malgré le stratagème dont il avait usé, mourut avec la fiertéd'un roi. Ces récits renferment l'un des plus nobles spécimens de narrationhébraïque: le témoignage d'Élie s'opposant à l'introduction en Israëldu culte phénicien de Baal. S'ils ne peuvent être acceptés commelittéralement authentiques, ils mentionnent des faits contemporainstels que la famine, le règne de Jézabel, femme orgueilleuse,tyrannique et cruelle qui ne pouvait supporter qu'on lui résistât,comme le prouve l'histoire de la vigne de Naboth. En accord avec lesidées de son temps, elle favorisa le culte de son dieu personnel,mais ce fut dans une intention politique. Achab, qui le toléra, nesemble pas avoir eu le désir de supprimer le culte de Jéhovah. Cesrécits reflètent toujours l'esprit de la religion hébraïque. Celle-cidevait vaincre Baal ou mourir. En d'autres termes, les bienfaitsattribués à Baal devaient l'être à Jéhovah. S'il n'était pasconsidéré comme le Dieu de la nature et de l'histoire, aucun progrèsn'était possible. Le chapitre 18 du premier livre des Rois dépeintadmirablement, avec une puissance dramatique et une passion farouche,l'opposition irréductible entre les deux religions, bien que lemeurtre des prêtres de Baal rappelle les crimes de Jéhu (2Ro10). Une leçon que l'humanité fut lente à apprendre s'en dégage entout cas: cette façon de résoudre les problèmes religieux conduit auxdésastres nationaux. Le même problème, au cours de circonstancesdifférentes, se posa en Judée. Les conséquences de la mort d'Achab nese firent pas attendre: révolte des Moabites, restitution d'unepartie de leur territoire, massacre des hommes, des femmes, desenfants israélites: «une joie pour Kamos et pour Moab». Son filsAchazia mourut des suites d'une chute; il n'eût pas été capable desauver la situation: Élie dénonce en termes saisissants soninfidélité à Jéhovah (2Ro 11:6). Son frère Joram, qui remportaquelques succès dans sa lutte contre les Syriens, lui succéda. (Ilfaut rappeler ici qu'un autre Joram, fils de Josaphat roi de Juda,mourut peu de temps après). Alors se répète l'histoire monotone desluttes et des meurtres. Ben-Hadad, roi de Syrie, est tué par Hazaël,un de ses courtisans, et le cruel Jéhu (celui qui conduisait son charavec furie) entre en scène. Les faits sont brutaux, mais leursignification est considérable. Il profite de l'opposition soulevéepar Élie et d'autres contre la maison d'Achab. C'est ici une des plussombres pages de l'histoire des Hébreux: nulle apparence de douceurou de sens chevaleresque; c'est la cruauté cynique poussée à l'excès.Le roi Joram, blessé, est assassiné à Jizréel (où il avait été sefaire soigner) ainsi que le jeune roi de Juda, Achazia. La reineJézabel vit que son destin était irrévocable; elle l'affronta,revêtue de ses habits royaux, avec une apostrophe méprisante sur leslèvres: «Est-ce la paix, Zimri, assassin de ton maître?» (2Ro9:31, cf. 1Ro 16:11). La servilité des courtisans, leur hâte às'incliner devant le nouveau gouvernement, provoquent cette remarquecynique: «Qui donc a tué tous ceux-ci?» (2Ro 10:9). On voudraitcroire que ces horribles détails sont empreints d'exagération; mais,même en l'admettant, ces drames montrent la vie nationale affaiblie,blessée à mort. C'est ce qui apparut au grand prophète disant, au nomde Jéhovah: «Dans un peu de temps je punirai la maison de Jéhu pourle sang versé à Jizréel et je mettrai fin à la royauté de la maisond'Israël» (Os 1:4). Peut-être avons-nous à peine le droit dejuger ces faits d'après notre critère actuel, formé au prix delongues et douloureuses expériences. Cependant, tandis que notresympathie est du côté de l'élément puritain qui tendait à conserver àla religion sa simplicité et sa pureté, nous sentons bien que l'uniondu conservatisme religieux et des ambitions politiques d'un tyranaltéré de sang est destructrice de ce qui fait la grandeur d'unenation. A cet égard le passage 2Ro 10:15,31 est instructif etmérite d'être lu avec attention. La chute de la maison d'Omri amenaIsraël jusqu'au bord de l'abîme. C'est à la triste période des règnesde Jéhu et de son fils Joachaz que se rattachent les récitsconcernant Elisée. Empruntés peut-être à d'autres écrits sur lesprophètes, ils sont, à quelques égards, une imitation des histoiresconcernant Élie. Ils reflètent l'anarchie de l'époque, mais, à partl'épisode de Naaman le Syrien, n'ont pas grande valeur au point devue théologique et même historique. Nous sommes peu documentés sur le règne de Jéroboam II, qui duraquarante et un ans. Damas était durement opprimée par l'Assyrie, cequi valut du repos à Israël, alors en paix avec Juda (Am 7:10;environ 760). «Mais l'éclat brillant encore de ce royaume durant lerègne de Jéroboam n'était autre que celui du soleil couchant, ladernière lueur d'un flambeau qui s'éteint. Sous le règne de Zacharie,son fils, Némésis atteignit la maison de Jéhu. Après avoir régné sixmois, il fut tué par un certain Sallum qui, au bout d'un mois, fut àson tour détrôné par Ménahem et mis à mort au cours d'une guerreconduite avec un raffinement de cruelle barbarie. Dès lors, à pas degéant, Israël marche vers son destin» (Cornill). Il est inutile de s'attarder à décrire les combats livrés entrefactions. Les richesses d'Israël, que tant de luttes n'avaient pasépuisées, passaient à l'Assyrie sous forme de tributs. Le roi deSyrie Retsin et Pékah fils de Rémalia s'allièrent contreJuda (Esa 7); celui-ci fit appel à l'Assyrie. Ce Pékah, quiassassina son roi Pékahia, fut le dernier roi d'Israël et fut tuélui-même par un certain Os qui régna, comme vassal de l'Assyrie, surles restes du royaume autrefois florissant. Il noua des intriguesavec l'Egypte, fut convaincu d'avoir fomenté un complot et jeté enprison par Salmanasar IV (725). Mais Samarie «la ville forte», mêmeprivée de roi, assiégée, résista pendant trois ans. Tel futl'épilogue d'événements tragiques entre tous dans l'histoire du monde. Étant données les circonstances, il est évident qu'Israël nepouvait contribuer, de façon effective, au développement d'unereligion plus spirituelle. La multiplicité de ses sanctuaires et deses autels y faisait obstacle. Quand l'histoire d'une nation estconstituée presque uniquement de guerres au dehors et au dedans, ons'étonnerait qu'il y eût place pour le progrès. Mais le désordre etles clameurs nous empêchent d'apercevoir les familles paisibles etles penseurs recueillis qui, même aux jours les plus sombres,continuent de vivre. Un fait est certain: Jéhovah, et non le Baal desCananéens ou des Phéniciens, est le Dieu d'Israël. Le pays, dont lafécondité atteste sa présence constante, lui appartient; la famineest le signe visible de son courroux; les formes du culte sontempreintes, il est vrai, de paganisme; elles n'en sont pas moinsconsacrées à son nom et destinées à implorer sa bénédiction. Beaucoup de récits, frappants de beauté et de vérité, serattachent aux dernières années du royaume du Nord. (voy. 2Ro 5:la foi et le patriotisme d'une enfant) Que, durant cette périodefatale, un prophète tel qu'Osée, qui appartenait probablement à laclasse aristocratique et sacerdotale, ait pu surgir, le fait estsignificatif; mais c'est à Juda que nous devons d'avoir conservé lelivre qui porte son nom. Il est inutile de discuter la théorie dénommée: «Anglo-Israélite»d'après laquelle les descendants directs des dix tribus disparuespeuvent être aujourd'hui retrouvés dans certaines nations modernes.On peut avec raison la caractériser ainsi: un mélange médiocre dethéologie et de politique, produisant une forme pervertie dupatriotisme qui n'a aucun fondement historique solide, qui repose surune interprétation mécanique de la prophétie et qui est incompatibleavec l'esprit du christianisme, puisque, dans une large mesure, elleramène à un vieux nationalisme suranné. En termes simples et clairs,Paul a formulé un principe éternel: «...celui-là n'est pas Juif, quine l'est qu'au dehors...mais celui-là est Juif, qui l'est audedans» (Ro 2:28 et suivant). Si cela est vrai, la préoccupationde savoir ce qu'il est advenu des «dix tribus» se justifie.L'histoire peut-elle nous éclairer sur ce point? «Douze tribus»: ce nombre idéal a joué un rôle dans lalittérature, comme désignant les divers clans et familles quicontribuèrent à former la nation. Par la suite et comme conséquencede la conquête de Canaan, elles absorbèrent un grand nombre deshabitants indigènes. De nombreux hôtes passagers devenaient membresdu clan auquel ils étaient alliés (Jug 19:16). La formation etl'histoire des «douze tribus» soulèvent des problèmes compliqués, dont beaucoup n'ont pas reçu de solution(voir Tribus d'Israël). Il est peu probable qu'il y eût à l'origineun nombre déterminé de tribus et de clans d'égale importance et, mêmealors, cet état de choses n'aurait pu résister à l'usure du temps.Les guerres au dedans et au dehors fortifiaient ou affaiblissaientles régions qui en étaient le théâtre. D'après les plus anciennesdonnées, Lévi était une tribu laïque (Ge 49:5); elle devint plustard, au cours de circonstances difficiles à préciser, une tribusacerdotale (De 33:8). Des causes nombreuses étaient à l'oeuvre,tendant à briser ces divisions artificielles. L'existence des «dixtribus» à cette époque (722) était factice. Les répercussions de laconquête assyrienne sur le peuple d'Israël peuvent en partiel'expliquer, mais le champ reste ouvert aux conjectures. Il estcertain que beaucoup furent déportés et que des immigrants vinrentprendre leurs places (2Ro 17:24-28), ce qui accrut le désordreet porta un coup mortel à l'individualité de la nation, tellement queleurs frères de Juda les considéraient comme un peuple hybride,vivant sur un plan inférieur. De petits groupes purent maintenirleurs relations avec Jérusalem et, même dans les localitéslointaines, conserver les vieux souvenirs. On suppose que Nahum étaitun Israélite qui vécut en Assyrie. Son petit livre est un brillantpoème plus patriotique que religieux. Il exprime avec puissance lajoie provoquée dans les petites nations par la chute de l'empire quesa barbarie avait rendu célèbre. Nous prendrons contact, dans lasuite, avec la communauté samaritaine. La nation était brisée etbeaucoup de ses membres étaient «perdus» en ce sens qu'ils n'étaientplus en rapports et en communion avec la religion vivante desHébreux. Les petits groupements et les haines sectaires ont uneextraordinaire ténacité et se prolongent à travers bien desgénérations (Jn 4:9).