«Les hypocrites ne se contentent pas d'être méchants comme le restedes impies; ils veulent encore passer pour bons, et font, par leurfausse vertu, que les hommes n'osent plus se fier à la véritable»(Fénelon). Hypocrisie et hypocrite sont deux mots grec hupokrisis, hupokritès qui signifient d'abord, au sens pr., «rôlejoué» et «comédien»; mais la Bible ne les emploie qu'au sens figuré.La traduction des LXX (A.T. en grec) a «hypocrites» dans Job 34:3036:13, pour l'hébreu khâneph, qui désigne les impies (Job8:13,Pr 11:9,Esa 9:16 etc.); la Vers, Syn. a «hypocrisie» dansDa 11:34, pour l'hébreu khâlaq, qui désigne la flatterie; cesdeux termes hébreux sont réunis dans Da 11:32 pour la «séductionpar flatterie». Mais sans posséder de vocable particulier pour cevice, l'A.T, caractérise très nettement l'hypocrite: perversdissimulé (Ps 26:4,Pr 10:18 26:23,27 etc.), coeur double,langue mensongère (Ps 12:3-5), il cherche à tromper Dieu (Ps78:36 et suivant), mais vainement (Job 5:12 15:31,34); tous lesprophètes ont dû s'élever contre lui (Os 10:2 etc.), et lesfaux prophètes sont à leurs yeux des flatteurs hypocrites lorsqu'ilsproclament le message agréable au lieu du véritable (Jer 6:13 etsuivants, Eze 13, etc.); quant à l'hypocrisie dans le culte,elle est dénoncée par Ésaïe dans une page devenue classique (Esa1:10 et suivants). Les apocryphes la condamnent à leur tour dans Sir 32:15,et dans l'héroïque refus du vieillard Éléazar de «fairesemblant» de manger la viande impure: «Il ne convient pas, à mon âge,de faire l'hypocrite et d'égarer la jeunesse...» (2Ma6:21,24). Le Talmud est aussi sévère: «Dieu hait celui dont labouche parle d'une manière et le coeur d'une autre...Une société quicompte des hypocrites en son sein est abominable et finit dansl'exil, etc.» Ce péché n'était donc point nouveau à l'époque de Jésus; même, ilpossédait en maître bien des maîtres de la religion juive, et iln'est pas étonnant que l'imposante personnalité du Christ,inattaquable dans son caractère, ait soulevé contre elle toutes lesressources d'une duplicité qui se sentait pénétrée et menacée. (cf.Lu 20:20 etc.) C'est que l'hypocrisie représente le degré leplus profond du péché: par essence elle consiste à cacher l'êtreintérieur et à tromper le prochain sur son compte, et pour lacombattre il faut d'abord l'étaler au grand jour (Lu 12:1 etsuivants); elle prend position dans le mensonge, délibérément etprogressivement, aussi logique en ses efforts contre la vérité que lafoi est conséquente dans sa recherche de la vérité, et c'est pourquoiles condamnations prononcées par Jésus sur les chefs, d'après lesévang, synoptiques (Mt 23:1 et suivants, etc.), et complétéesdans le quatrième évang, par le discours sur le «mensonge», adresséaux mêmes chefs (Jn 8:44), prennent un ton si direct etimpitoyable; l'hypocrisie endort la conscience en substituant auxexigences de Dieu des pratiques mécaniques destinées à la vue deshommes (Mt 15:6,Lu 11:42 etc.), ce qui étouffe tout élan intimevers le bien; elle agit comme un ferment interne de dégradation,comme une puissance continuellement à l'oeuvre contre le Royaume deDieu (Lu 11:52 etc.); dans l'individu, elle a pour résultatfinal cette insensibilité définitive à l'impératif du devoir comme àl'appel de l'amour divin, que certains passages appellent le «péchécontre le Saint-Esprit» (voy. le rapport entre Lu 12:1 etsuivants et Lu 12:10, cf. Mr 3:20 et suivants, Mt12:22 et suivants); dans la société même où le Christ fondait leRoyaume, l'hypocrisie allait commencer à corrompre le christianismecomme elle avait fait du judaïsme. Voilà pourquoi, alors que leSeigneur ne lance pas d'attaques directes contre les péchés de lapassion, mais leur oppose la foi et l'amour, au contraire ilmultiplie les assauts de front contre le péché médité, entretenu, etqui se dérobe en se couvrant des dehors de la vie religieuse. Dans lediscours sur la montagne, l'hypocrisie apparaît comme la négationmême du Royaume: (Mt 6:1 et suivant) l'une vise les apparences,l'autre le coeur; l'une cherche le public, l'autre le secret de laprière; l'une éteint l'oeil intérieur, l'autre en ravive la lumière;ce sont les deux maîtres entre lesquels il faut choisir, les deuxgenres de jugements, de prophètes, d'arbres, de fondations (Mt7:1-5,15-28,24-27). Dans les controverses avec les chefs juifs, fauxdévots responsables du formalisme, de l'indifférence et de lasouffrance de leur époque, Jésus les démasque avec une suprêmeénergie: «Hypocrites!», c'est-à-dire «comédiens!» (Mr 7:6, Lu6:42 12:56 13:15,Mt 22:18 23:13-15,23,25,27,29) Et samalédiction du figuier (Mr 11:12-14), leçon symbolique, n'étaitpas tant une condamnation de la stérilité que de l'hypocrisie (voirFiguier). Dès les débuts de l'Église, une hypocrisie provoque un terriblescandale (Ac 5:1,11). La grande discussion sur les rapportsentre les convertis païens et les ordonnances judaïques entraînePierre et Barnabas à des accommodements que saint Paul traited'hypocrisie (Ga 2:14), mais qui ne seront que passagers.L'apôtre prévoit le rôle de ce vice dans l'expansion des doctrinesmalfaisantes (1Ti 4:2); il estime la duplicité (litt., langagedouble) incompatible avec les fonctions de diacre (1Ti 3:8). Ilrépète que les vertus chrétiennes doivent se garder de ce risque,lorsqu'il veut qu'elles soient sincères, litt. «sans hypocrisie»: lacharité (2Co 6:6,Ro 12:9), la foi (1Ti 1:5,2Ti 1:5); demême Pierre pour l'amour fraternel (1Pi 1:22) et Jacques pour lasagesse (Jas 3:17). Jn L.