I Analyse de l'épître. PRÉAMBULE (Heb 1:1,3). L'auteur, sans aucun préliminaire, posela thèse qu'il va développe, celle d'une nouvelle révélation de Dieupar son Fils, l'agent de la création, le reflet de sa gloire,l'empreinte de son essence qui, après avoir accompli la purificationdes péchés, s'est assis à la droite de Dieu.PREMIÈRE PARTIE (Heb 1:4-10:18). Supériorité de la nouvellealliance sur l'ancienne.I re section: (Heb 1:4-7:28) supériorité du Christ sur lesorganes de l'ancienne alliance. 1. Le Christ est supérieur aux anges (Heb 1:4-2:18). Seul ila droit à l'adoration, il est le Fils, appelé à la royauté. Sonabaissement momentané a été nécessaire pour le conduire à laperfection. Les souffrances qu'il a subies parce qu'il participe à lachair et au sang détruisent celui qui a le pouvoir de la mort, c-à-d,le diable. Pour que le Christ pût faire l'expiation des péchés, ilfallait qu'il fût semblable aux hommes. Ce développement est coupédans Heb 2:1,4 par une exhortation pratique incidente sur lanécessité de se tenir fortement à la doctrine du salut proclamée parle Seigneur lui-même, parce qu'elle a plus d'autorité que la paroleprononcée par les anges (la Loi), laquelle pourtant était appuyée pardes sanctions. 2. Le Christ est supérieur à Moïse (Heb 3:1-4:13). Il est leFils, tandis que Moïse n'a été qu'un serviteur. Il donne à ceux quicroient en lui un repos que Moïse n'a pu assurer aux Israélites. Ilfaut donc résister à l'incrédulité qui écarterait du Dieu vivant,pour ne pas perdre la promesse du Royaume de Dieu comme lesIsraélites sortis d'Egypte ont perdu celle qui leur avait été faite. 3. Le Christ est supérieur aux grands-prêtres de l'anciennealliance (Heb 4:14-7:18) - Les fidèles qui ont dans les cieuxun grand-prêtre qui n'a point péché, bien qu'il ait été tenté,peuvent s'approcher avec hardiesse du trône de grâce. Le Christ n'estpas un grand-prêtre qui, comme ceux d'Israël, doive offrir dessacrifices pour ses péchés. Il est grand-prêtre selon l'ordre deMelchisédec, roi de Salem, lequel n'est que le type du Christ, roi dela justice et de la paix, supérieur au sacerdoce juif puisque Abrahama donné la dîme à Melchisédec et a été béni par lui (Heb4:14-7:10). Ce développement est interrompu dans Heb 6:1,10 parune importante digression, dans laquelle est développée l'idée qu'ilest superflu de revenir sur les doctrines élémentaires puisqu'il estimpossible que ceux qui sont tombés, c'est-à-dire vraisemblablementqui, devant la persécution, ont renié leur foi, se convertissent ànouveau. Puisqu'un autre sacerdoce que celui de Lévi a éténécessaire, c'est que le premier ne pouvait conduire à la perfection.Le nouveau sacerdoce appartient à la tribu de Juda; il est éternel,parce qu'il n'est pas charnel. Il a été établi par un serment deDieu. Il a pour objet non pas des sacrifices répétés, mais unsacrifice unique dans lequel le grand-prêtre s'offre lui-même unefois pour toutes (Heb 7:11-28).II e section: (Heb 8:1-10:18) supériorité du sacrifice du Christsur le sacrifice lévitique. 1. Comparaison des deux alliances (Heb 8:1,13). Le Christ assisà la droite de Dieu est le ministre du sanctuaire céleste. Il ne peutremplir son office sur la terre, où les sacrifices sont réglés par laLoi de Moïse. Mais le culte terrestre n'est que l'ombre d'une réalitécéleste dans laquelle le Christ joue le rôle de grand-prêtre et estle médiateur d'une alliance plus parfaite, alliance qui a étéannoncée par l'A.T. 2. Supériorité du sanctuaire de la nouvelle alliance (Heb9:1,14). Par l'interdiction de pénétrer dans le Saint des Saints, leSaint-Esprit a montré que tant que le culte mosaïque subsisterait,l'accès du sanctuaire céleste resterait fermé. Les sacrificeslévitiques ne sont valables que jusqu'au temps de la substitution àl'alliance ancienne d'une alliance meilleure. Le ministère du Christs'est déroulé dans le sanctuaire céleste, où il a offert son propresang qui opère une purification éternelle et amène les fidèles àservir le Dieu vivant. 3. Supériorité du sacrifice de la nouvelle alliance (Heb9:15-10:18). Le Christ est le médiateur d'une nouvelle alliance quiefface les péchés. Le terme de diathèkè, dont se sert l'auteur,en même temps qu'alliance, signifie testament. Par là est introduitel'idée que la mort est nécessaire pour que la diathèkè soitvalable. La première alliance a comporté des sacrifices et l'effusionde sang, la nouvelle alliance de même est établie par le sacrifice duChrist, qui est entré au ciel avec son propre sang qui ôte lespéchés; il reviendra une seconde fois pour sauver ceux quil'attendent. Le sacrifice lévitique, s'il avait pu conduire à laperfection ceux pour qui il était célébré, aurait cessé d'êtreoffert. Il ne fait donc que rappeler le péché. Le sacrifice duChrist, au contraire, sanctifie les pécheurs et n'a pas besoin d'êtrerenouvelé. Après l'avoir offert, le Christ s'est assis à la droite deDieu: son oeuvre est parfaite.DEUXIÈME PARTIE (Heb 10:19-13:17). Exhortations morales. 1. Exhortations à la foi (Heb 10:19-11:40). Ceux qui ont étépurifiés doivent rester fermes dans la foi, veiller les uns sur lesautres s'exhorter mutuellement, ne pas abandonner les assemblées, carle jour du jugement est proche. Ces exhortations sont appuyées par lerappel de la doctrine de l'impossibilité de la seconde repentance.Les fidèles sont exhortés à se souvenir de leur conversion et dessouffrances qu'ils ont supportées, afin de garder la foi pour êtresauvés (Heb 10:32-39). L'auteur définitif foi «une certitude deschoses espérées, une conviction de celles que l'on ne voit pas», etil appuie cette définition par l'exemple des héros de la foi del'ancienne alliance qui ont vécu sur la terre comme des étrangers etdes voyageurs ayant seulement aperçu de loin ce qui leur avait étépromis. C'est que Dieu avait en vue pour eux quelque chose demeilleur et qu'il ne voulait pas qu'ils fussent sauvés sansnous (Heb 11:1,40). 2. Exhortations diverses (Heb 12:1-13:16). Il faut êtrepersévérants en gardant les yeux fixés sur Jésus. Les souffrances nedoivent pas décourager, car Dieu châtie ceux qu'il aime. Il fautvivre dans la paix et se sanctifier, car les chrétiens infidèles sontmenacés de châtiments plus terribles que ceux qui ont atteint lesrebelles de l'ancienne alliance. Il faut être charitables envers lesprisonniers et les malheureux, respecter le mariage, êtredésintéressés. Les fidèles doivent se souvenir de leurs conducteurs,car le Christ est le même hier, aujourd'hui et éternellement. Vientensuite, en termes très généraux, une polémique contre des erreurs dedoctrine qui paraît viser des rites alimentaires et la recommandationd'être soumis aux conducteurs.CONCLUSION (Heb 13:17-25). L'auteur demande à ses lecteurs de prier afin qu'il leur soitrendu plus tôt. Après une bénédiction et une doxologie, il leurdemande de bien accueillir son exhortation. Ils savent que Timothée aété remis en liberté. S'il vient assez tôt, il les verra avec lui.Salutations pour les conducteurs et les membres de l'Église.Salutations de la part de e ceux d'Italie». Bénédiction finale.II La tradition sur l'épître. Dans la tradition occidentale, l'épître aux Hébreux est généralementplacée à la suite des épîtres pauliniennes; dans la traditionorientale, elle est, le plus souvent, insérée entre 2 Thess, et 1Tim., c-à-d, entre les épîtres aux Églises et les épîtres auxparticuliers. Ce n'est que très exceptionnellement qu'elle figureentre 2Co et Galates, c-à-d, à la place que sa longueur lui assigneraitdans la collection des épîtres de Paul. Ces faits montrent qu'ellen'est entrée qu'après coup dans le recueil des ép. de Paul et plustard en Occident qu'en Orient. Elle semble avoir été connue à Rome avant la fin du I er siècle.Clément romain, sans la citer, paraît s'en inspirer en plusieurspassages de son épître aux Corinthiens (vers 96). Les premierstémoignages précis se rencontrent à Alexandrie: Pantène la croyaitécrite par Paul, qui n'y aurait pas fait figurer son nom parce qu'ils'adressait à des Juifs et qu'il était l'apôtre des Gentils; Clémentd'Alexandrie pensait que Paul l'avait écrite en hébreu, et queClément romain ou Luc l'avait traduite en grec; Origène modifia cettethéorie parce qu'il se rendit compte que le style de l'épître était tropcoulant pour qu'elle pût être une traduction: il supposa que Paull'avait inspirée, mais qu'un autre l'avait rédigée. Ces théories desPères alexandrins paraissent avoir été dictées par le désir deconcilier deux traditions dont l'une attribuait l'épître à Paul et dontl'autre attestait qu'elle n'était pas de lui. Quoi qu'il en soit, lathéorie de l'origine indirectement paulinienne a, de bonne heure,triomphé en Orient des hésitations que l'on pouvait avoir àl'accueillir dans le canon. En Occident, sa canonisation et son assimilation aux ép. de Paulse sont faites suivant un tout autre processus et ont été beaucoupplus lentes. Irénée, Hippolyte, Gaïus de Rome, s'ils l'ont connue--cequi reste douteux--ne comptent pourtant que treize ép. de Paul. Lecanon de Muratori l'ignore. Tertullien la cite comme de Barnabas, nonpas comme un livre canonique, mais comme l'oeuvre d'un compagnon desapôtres. Pendant tout le cours du III e s, l'épître n'est citée enOccident que par Nova-tien qui, comme Tertullien, l'attribue àBarnabas. Les premiers écrivains occidentaux qui, au IV e siècle,l'ont citée comme paulinienne et canonique, sont des hommes commeHilaire de Poitiers, Lucifer de Cagliari, Priscillien, qui, au coursdes controverses ariennes, ont été en relations avec les docteursorientaux. C'est lorsqu'à la fin du IV e siècle les relations entrel'Église d'Orient et l'Église d'Occident sont devenues plusfréquentes, que l'épître aux Heb a été, si on peut dire, importéed'Orient en Occident et introduite dans le canon de l'Église latine,sous l'influence d'hommes comme saint Jérôme et saint Augustin, quiconnaissaient bien les raisons qu'il y avait pour ne pas laconsidérer comme paulinienne, mais qui se déclaraient liés parl'autorité des Églises d'Orient. L'évolution s'achève avec lesconciles africains d'Hippone (393) et de Carthage (397), qui comptenttreize épîtres de Paul et une du même aux Heb; et l'unification estfaite par Innocent I er dans sa lettre à Exupère de Toulouse (405) etpar le concile de Carthage (419) qui comptent quatorze épîtres dePaul. A partir de ce moment, les doutes sur l'origine paulinienne del'épître aux Hébreux n'apparaîtront plus que d'une manière sporadique.Ils reprendront une certaine intensité au XVI e siècle avec Érasme etles humanistes et surtout avec Luther qui l'attribue à Apollos etl'exclut du N.T. parce qu'elle enseigne l'impossibilité de la seconderepentance. Mais le concile de Trente étouffera les velléités decritique indépendante des humanistes et le développement dans leprotestantisme de la doctrine de l'inspiration triomphera, bien queplus lentement, dans les Églises luthériennes, des doutes relatifs àl'origine de l'épître aux Hébreux. A l'heure actuelle, en dehors des théologiens catholiques, quisont liés par le décret du concile de Trente, aucun critique ayantquelque autorité n'envisage l'idée d'une origine directement ouindirectement paulinienne de l'épître aux Hébreux.III La forme littéraire. Est-ce une lettre véritable ou bien la forme épistolaire n'y est-elleque fictive? Les deux hypothèses ont été soutenues, et on a aussipensé que c'était un traité théologique ou une homélie qui, par uneconclusion épistolaire ajoutée après coup par l'auteur lui-même oupar un éditeur, aurait été adressée à un groupe différent de celuipour lequel il avait été primitivement conçu. Le titre «Aux Hébreux»est énigmatique. Il ne paraît pas provenir de l'auteur mais sembleavoir été donné sous l'influence de cette réflexion qu'unedémonstration de la supériorité de la nouvelle alliance surl'ancienne doit avoir été composée pour des lecteurs d'origine juive. L'épître ne s'ouvre pas par une salutation semblable à celles quifigurent en tête de toutes les ép. pauliniennes. Le caractèremajestueux et la perfection littéraire de la première phrase nepermettent pas d'admettre qu'elle ait pu originairement être précédéed'une salutation qui aurait été intentionnellement ouaccidentellement supprimée. Mais cela ne prouve pas que l'épître aux Hebne soit pas une lettre, car il faut juger sur l'ensemble, et il neserait pas impossible de supposer que l'auteur, écrivant à une époquede persécutions, ait pris la précaution de ne pas nommer directementceux à qui il s'adressait, pour le cas où sa lettre serait tombéeentre des mains païennes. Dans l'épître aux Hébreux, il n'y a pas, autant que dans laplupart des ép. de Paul, de traits concrets désignant un cercledéfini de lecteurs. Il y a cependant assez d'indices précis prouvantque l'auteur a en vue un groupe de chrétiens dont il connaît lasituation (Heb 2:3 4:1 5:11-14 12:4 13:7,9,17). C'est surtout laconclusion qu'il faut considérer, notamment l'invitation que l'auteuradresse de prier pour qu'il soit rendu à ses lecteurs (Heb13:19), ce qu'il dit de la mise en liberté de Timothée et de lavisite qu'il projette de faire en sa compagnie (Heb 13:23), lessalutations pour les conducteurs et les saints et les salutations dela part de «ceux d'Italie» (Heb 13:17-24). On a, il est vrai,supposé que 1a conclusion pourrait avoir été ajoutée après coup pourdonner au document un caractère épistolaire qu'il n'aurait pas euprimitivement. Mais, outre que le corps même du livre contient assezd'indications précises pour prouver que l'auteur a en vue un groupedéfini de lecteurs, l'hypothèse du caractère épistolaire fictif seheurte à plusieurs difficultés. La moins grave n'est pas que, si onavait voulu imiter le modèle fourni par les ép. de Paul, la premièrechose que l'on aurait faite aurait été de mettre en tête unesalutation semblable à celles par lesquelles s'ouvrent les lettres del'apôtre. On a fait observer que le ton et la structure de l'épître sontplutôt d'un discours que d'une lettre. L'auteur lui-même sembleprésenter son oeuvre comme un discours qui s'adresse à desauditeurs (Heb 2:5 4:13 5:11 9:5 11:32 13:22) et, avec un artqui n'ignore pas certains procédés de la rhétorique grecque, il faitalterner les développements théoriques qui réclament quelqueattention pour être suivis et des exhortations pratiques plus facilesà saisir, comme s'il voulait ménager à ses auditeurs des paliers quileur permettent de reprendre haleine. Mais tout cela peutparfaitement s'expliquer par le tempérament oratoire de l'auteur etpar le fait qu'il n'a pas composé son oeuvre pour que ceux à qui ill'adresse en prennent individuellement connaissance, mais pourqu'elle soit lue à la communauté assemblée. Cependant, il fautreconnaître que, parmi les arguments invoqués par les partisans de laconclusion épistolaire surajoutée, il y en a un qui est grave. C'estcelui qu'ils tirent de la différence entre Heb 13:19 où leslecteurs sont invités à prier pour que l'auteur leur soit rendu,c-à-d, où l'annonce d'une visite qu'il leur fera reste hypothétique,et Heb 13:23 où une visite est positivement annoncée et est siproche qu'elle ne coïncidera avec celle de Timothée que si celui-cine tarde pas à venir. Cette difficulté se résoudrait d'elle-même sion considérait le passage relatif à Timothée (Heb 13:23) commeun fragment maladroitement introduit à cet endroit d'une autrelettre, peut-être d'une lettre de Paul. Mais ce n'est là qu'uneconjecture. On voit que l'hypothèse du caractère épistolaire primitifde l'épître aux Heb ne peut pas être considérée comme rigoureusementdémontrée. Elle paraît cependant rester de beaucoup la plus probable,parce que l'hypothèse de l'addition de la conclusion épistolairesoulève de plus graves difficultés encore. La langue et le vocabulaire de l'épître sont très différents dela langue et du vocabulaire pauliniens. Le style est beaucoup pluscoulant et plus proche du grec classique. Il est tel que l'hypothèsed'une traduction de l'hébreu doit être écartée. D'ailleurs, nonseulement les citations, mais encore les réminiscences de l'A.T., serapportent aux LXX et il y a des assonances et même quelques jeux demots qui n'ont pu être conçus qu'en grec.IV La théologie de l'épître aux Hébreux. Aux raisons d'ordre littéraire qu'il y a de ne pas l'attribuer àl'apôtre Paul, s'ajoutent des raisons d'ordre théologique. Certainsde ses éléments, il est vrai, se retrouvent dans le paulinisme, parex. l'idée de la substitution à l'ancienne alliance d'une alliancenouvelle, ou celle du rôle capital de la mort du Christ; mais ce sontlà des idées communes à tous les chrétiens du siècle apostolique, etl'auteur de l'épître aux Heb les présente et les développe toutautrement que Paul. C'est ainsi que, pour l'apôtre l'anciennealliance est constituée par la promesse et que la Loi n'est venue ques'y surajouter, tandis que, pour l'auteur de l'épître aux Héb.,l'ancienne alliance, c'est essentiellement la législation mosaïque etspécialement le système cultuel qu'elle règle. La mort du Christ estpour Paul la condamnation du péché, c-à-d, l'exécution d'un coupable.Pour l'auteur de l'épître aux Héb., c'est l'immolation d'une victimetrès sainte et très pure. L'appropriation du salut se fait tout autrement dans les deuxsystèmes. Pour Paul, elle est réalisée par la foi, c-à-d, par l'unionmystique avec le Christ qui meurt et qui ressuscite à la vie du ciel.Pour l'épître aux Héb., la nature de l'homme est seulement purifiée, nonradicalement transformée par la rédemption. La notion de la foi est,par suite, très différente. L'auteur de l'épître aux Heb la définit dansun sens qui correspond à ce que Paul appelle l'espérance. Il n'y arien dans l'épître aux Heb qui réponde à ce qu'exprime pour Paull'expression «être en Christ», rien non plus qui soit l'équivalent durôle que jouent chez Paul les phénomènes d'inspiration et, d'unemanière générale, la notion de l'Esprit. Pour l'auteur de l'épître auxHéb., la condition du salut c'est l'attachement inébranlable à laconfession de la foi chrétienne. Il y a là une différence detempérament, mais aussi une différence de situation. L'attachement auchristianisme passe nécessairement au premier plan quand lapersécution sévit ou seulement menace, et c'est aussi une différencede situation et d'époque que révèle le fait que l'auteur de l'épître auxHéb., qui n'est, à aucun degré, ni légaliste ni particulariste, nevise directement aucune des grandes thèses pour lesquelles l'apôtrePaul a lutté. Ces thèses ont si complètement triomphé qu'elles nesont plus en discussion. L'auteur de l'épître aux Heb a très fortement subi l'influence de laphilosophie judéo-alexandrine. Il est imbu de la théorie philoniennedu Logos (voir ce mot), et l'on doit considérer comme trèsvraisemblable qu'il a connu directement une partie au moins destraités de Philon. Il donne au Christ les principaux attributs duLogos philonien, mais le terme même de logos ne se trouve paschez lui. C'est que le terme «Christ» représente pour lui tout ce quereprésentait le terme philonien de logos, et quelque chose deplus. L'influence du philonisme ne doit pas être comprise dans cesens que l'auteur de l'épître aux Heb aurait réalisé une synthèse entrele christianisme et la philosophie judéo-alexandrine, mais dans cesens qu'il a trouvé dans le philonisme des matériaux qui lui ont paruse prêter à exprimer sa pensée et sa, foi chrétiennes.V Les destinataires de l'épître. On a longtemps cru qu'elle devait avoir été adressée à des lecteursd'origine juive. Mais elle appartient à une époque où l'oppositionentre le judéo-christianisme légaliste et particulariste et lepagano-christianisme n'existe plus et où l'A.T, est le bien de toutel'Église. Il y a d'ailleurs dans l'épître des traits qui s'accorderaientmal avec l'hypothèse de lecteurs judéo-chrétiens, par ex. la mention,parmi les enseignements chrétiens élémentaires, de la foi en Dieu, dela résurrection et du jugement (Heb 6:2), car ce sont là desdoctrines communes au judaïsme et au christianisme. La majorité des critiques pense que l'épître a été adressée à deschrétiens de Rome. Plusieurs observations paraissent favorables àcette opinion. Le premier auteur qui l'ait connue est le RomainClément; le passage Heb 6:10 parle des services rendus auxsaints par les lecteurs; or nous savons que l'Église de Rome, richeet généreuse, était souvent venue en aide aux Églises pauvres. Lesconducteurs de l'Église sont appelés hègoumènes; or ce terme quine se rencontre que chez Clément paraît être spécifiquement romain.La salutation de la part de «ceux d'Italie» (Heb 13:24) secomprend le mieux comme envoyée par une colonie d'Italiens fixée àl'étranger. Par contre les passages Heb 10:32 et suivants où ilest question d'outrages et de tribulations, et surtout Heb 12:4où l'auteur dit: «Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang», nesemblent guère avoir pu être adressés à une Église qui aurait passépar la persécution de Néron. Or il paraît difficile que l'épître aitpu être écrite avant 64. On doit donc laisser en suspens la questiondes destinataires, en se bornant à considérer comme les plusvraisemblables les hypothèses qui les chercheraient d'une part enEgypte et de l'autre en Italie en dehors de Rome. Harnack et Zahn ont émis l'hypothèse que l'épître n'avait pas étéadressée à la communauté romaine tout entière, mais à un petit groupeau sein de cette communauté, semblable à l' «Église qui s'assembledans la maison d'Aquilas» dont il est question dans Ro 16:5.Cette conjecture, qui a beaucoup pour elle, est indépendante de lathèse de destinataires romains à propos de laquelle elle a été émise. Quant au lieu où l'épître a été composée, aucun indice ne permet dehasarder une conjecture.VI La date de composition. Pour un certain nombre de critiques, l'épître serait antérieure à 70parce qu'elle décrit le Temple et le culte au présent et qu'elle netire pas argument de la cessation du culte lévitique. Ces deuxraisons ne peuvent pas être retenues, la première parce que ladescription du sanctuaire et du culte est faite d'après le texte del'A.T, et non d'après l'observation directe; elle se rapporte enréalité au Tabernacle et non au Temple d'Hérode. Quant à la cessationdu sacrifice, elle peut n'avoir été considérée que comme uneinterruption provisoire, semblable à celle qu'avait provoquée lapersécution d'Antiochus Épiphane. Longtemps les Juifs ont espéré unereconstruction du Temple et une restauration de leur culte et, autemps d'Hadrien, ils ont un moment pensé que leurs espérancesallaient se réaliser. L'épître ayant été connue de Clément romain doit avoir été écriteavant 96. On y relève une série d'indices qui conduisent à la placersensiblement après 70. Notons, par ex., la position de la théologiede l'épître par rapport au paulinisme et le sentiment qu'a l'auteur dene pas appartenir à la première génération chrétienne (Heb 2:3);l'Église à laquelle il s'adresse existe depuis longtemps (Heb5:11 10:30). Une persécution violente qui pourrait êtrecelle de Néron est déjà assez éloignée (Heb 10:32,34); une autrepersécution commence ou, du moins, menace (Heb 12:4 13:3), cepourrait être celle de Domitien. Il semble que l'on ait bien deschances de ne pas se tromper en fixant la composition de l'épître auxannées 80-90.VII L'auteur. Il n'est guère de personnalité du siècle apostolique à laquelle onn'ait pas proposé d'en attribuer la composition; c'est ainsi que l'ona mis en avant les noms de Luc, de Barnabas, de Clément romain,d'Apollos, de Silas, de Pierre ou d'un de ses disciples, du diacrePhilippe, du pres-bytre Aristion et même de Priscille; simplesconjectures le plus souvent, et qui manquent tellement de base qu'ilest impossible de les discuter. Celles qui ont recueilli le plus desuffrages sont les attributions à Barnabas et à Apollos. La premièrea pour elle le témoignage de Tertullien, mais, si elle reposait surune tradition primitive, on aurait peine à comprendre l'attributionau même Barnabas d'une autre lettre composée vers 130 et qui a uncaractère assez différent. L'attribution à Apollos est une conjecturequi n'apparaît qu'avec Luther, bien qu'elle soit sans douteantérieure à lui. Si ce que nous savons d'Apollos, Juif alexandrin,cultivé et éloquent, correspond bien à l'idée que nous pouvons nousfaire de l'auteur de l'épître aux Héb., il ne faut pas oublierqu'Apollos n'a certainement pas été le seul Juif alexandrin qui sesoit converti à l'Évangile. Il sera donc sage de se borner à dire quel'épître aux Heb est l'oeuvre d'un Juif hellénisé ou d'un prosélytefamiliarisé avec la pensée philonienne. Quant à son nom, comme ledisait déjà Origène, «Dieu seul le sait». BIBLIOGRAPHIE --Introductions.--Comment, angl.: Westcott 3, 1902.--Ménégoz, La tkeol. de l'ép. aux Hébreux, Paris 1894 (fondamental);--M. Goguel, La doctr. de l'impossibil. de la seconde conversion dans l'épître aux Heb et sa place dans l'évol. du Christian. (Ann. Ec. H.-Et., Se. rel. 1931-32). M. G.