GRÂCE

I Le mot Grâce, Dans son sens esthétique: attrait, charme, est employédeux fois seulement, par Luc, à propos de Jésus. La première, ils'agit de la personne de l'enfant qui grandissait à Nazareth: «Jésuscroissait...en grâce devant Dieu et devant les hommes» (Lu2:52), «les hommes que charmaient, comme l'a bien dit Godet, sesaimables qualités». La deuxième, il s'agit de la prédication duMaître, inaugurant son ministère en Galilée: «tous admiraient sesparoles pleines de grâce» (Lu 4:22). Au sens moral de «bienveillance, faveur» manifestées par leshommes, l'expression hébraïque très fréquente: «trouver grâce auxyeux de quelqu'un» (Ge 18:3 33:10 47:29 etc.), est beaucoupmoins usitée dans le N.T. Les premiers chrétiens «trouvaient grâcedevant le peuple» (Ac 2:47); Dieu fut avec Joseph, «il lui fittrouver grâce devant Pharaon et lui donna de la sagesse» (Ac7:10); Félix et Festus voulant faire preuve de bonne grâce enversles Juifs n'osent pas libérer Paul (Ac 24:27 25:9); les Églisesde Macédoine ont demandé la grâce de participer à la collecte pourles chrétiens de Jérusalem (2Co 8:4); les croyants doiventparler avec grâce pour procurer quelque bienfait à leur interlocuteuret lui répondre comme il faut (Eph 4:29,Col 4:6). Une transition entre le sens moral et le sens religieux estfournie par les expressions: «trouver grâce devant Dieu» (Ge6:8,Ex 33:17,No 11:11,2Sa 15:25), et «rendre grâces, action degrâces», très fréquentes dans les lettres de Paul principalement, etqui traduisent quelquefois la satisfaction, la reconnaissance àl'égard des hommes (Ac 24:23,1Co 1:4,2Co 1:11,Ro 1:8), maissurtout la gratitude, faite de confiance et d'adoration, à l'égard deDieu (Mt 14:19 26:26 et suivant, Mr 6:41 14:22,Lu 22:17,19,Jn6:11,23 11:41,Ac 27:36; et maints textes de 1Th et 2Th 1Cor et2 Cor., Rom., Éph., Col., Php, 1Tim.). Le sens religieux du mot, indiquant une disposition de Dieu àl'égard des hommes, une manière d'être et d'agir qu'inspireessentiellement l'amour, prédomine à tel point qu'il est presque lesens exclusif. Presque unique est le domaine dans lequel se déploiela grâce: le relèvement de l'homme, son retour à Dieu. Sans tenircompte des prescriptions de la loi (2Th 2:16,Ro 3:24 5:16,17 Eph1:6), des exigences de la justice (Ga 2:21,Eph 2:6,7,1Ti1:13,14,2Ti 1:9), de l'indignité humaine (1Co 15:10,Ga 1:15,Heb2:9,1Pi 1:10), Dieu pardonne, libère du péché, fait de l'être déchuun enfant qu'il bénit.La grâce touche ainsi de très près à la miséricorde (1Ti 1:2,2Ti1:2 2Jn 1:3), et, pareillement à la paix (1Th 1:1,2Th 1:2,Ga1:3,1Co 1:3,2Co 1:2,Ro 1:7,Eph 1:2,Col 1:2,Phi 1:2,1Ti 1:2,2Ti1:2,Tit 1:4,1Pi 1:2 2Jn 1:3,2Pi 1:2). L'Ancienne Alliance est fondée sur la grâce. Ce n'est pas à causede sa grandeur qu'Israël a été choisi par Jéhovah, à cause de sajustice qu'il est entré dans le pays de la promesse (De 7:79:4); c'est la compassion seule qui a motivé la détermination deDieu et sa réalisation (De 10:14 et suivant). Les prophètesrappellent que, malgré les transgressions du peuple, l'Eternel lui agardé sa bienveillance, que sa bonté a toujours prévalu sur le justechâtiment encouru (Ex 33:19 34:8,Joe 2:13,Jer 31:34,Esa 57:15et suivant). Mais la plénitude de la grâce apparaît avec l'Alliance Nouvelle.Tout entière la rédemption de l'homme est due à la grâce; le salutpar la grâce est le seul salut réel, salut gratuit accordé par Dieu,opposé au vain salut cherché dans les oeuvres, salut à l'acquisitionduquel l'homme pourrait collaborer. Tout entière l'oeuvre duRédempteur peut se définir: l'avènement et l'accomplissement de lagrâce et de la vérité, se différenciant ainsi de l'oeuvre de Moïse,promulgateur de la Loi (Jn 1:17). C'est pourquoi la grâce estmaintes fois précisée comme étant «la grâce du SeigneurJésus-Christ» (1Th 5:28,2Th 3:18,Ga 6:18,1Co 16:23,2Co 13:13,Ro16:20,Phm 1:25,Php 4:23), maintes fois donnée comme venant «de Dieuet de Jésus-Christ» (1Th 1:2, 2Th 1:2,Ga 1:3,1Co 1:3,2Co1:2,Ro 1:7,Eph 1:2,Phm 1:3,Phil 1:2,Tit 1:4). La grâce est doncpour le croyant le bien qui résume et renferme tous les biens; c'estla raison pour laquelle, sur les 21 épîtres que compte le N.T., 17ont inclus dans ce mot les multiples bénédictions souhaitées, et lesép. pauliniennes le répètent dans leur adresse et dans leurconclusion. Le terme, l'un des plus significatifs de la langue chrétienne,manque dans les deux premiers évangiles, mais, naturellement, lachose signifiée s'y trouve, exprimée par un synonyme ou unepériphrase. Jésus la fait connaître, dans Matthieu, en appelant à lui, dela part de Dieu, les fatigués et les chargés qu'il soulage, auxquelsil donne le repos de l'âme (Mt 11:28 et suivant); le pardonqu'il dispense est l'effet le plus profond de son action (Mt9:2). Dans Marc il fait de sa mort la garantie du salut, la rançon dece salut pour beaucoup, pour tous ceux qui croient (Mr 10:45).Il est, lui, la grâce visible; en communion avec Dieu comme un filsavec son père, il veut placer les disciples dans une relationsemblable; c'est le Père céleste qu'ils prieront en priant Dieu ausujet des nécessités matérielles comme des nécessitésspirituelles (Mt 6:9-13). Ce Père est parfait (Mt 5:48); ilest parfait dans son assistance comme il l'est dans sa nature; toutest grâce venant de Lui. La félicité dans le Royaume est la promessefaite et la réalité accordée à quiconque devient son enfant (Mt5:11 19:29), elle est le terme suprême de la grâce. Luc met en relief le fait que la grâce agit indépendamment del'infirmité de celui qui la reçoit (Lu 17:7,10). D'ailleurs,alors même que l'homme serait capable de faire tout ce qui lui estcommandé, son service, accomplissement d'un devoir, ne lui vaudraitaucun mérite; la grâce n'a pas pour raison l'oeuvre ou l'effort del'homme, mais l'amour de Dieu. Cette leçon de la parabole du troisième évangile est dans lesécrits johanniques le leit-motiv des affirmations sur l'action deDieu et de Jésus-Christ. Ici grâce et amour sont des motsinterchangeables; c'est l'amour cependant qui est le vocablepréféré (Jn 1:16 3:16 4:10 13:1 1Jn 3:1 3:16 4:9) Par contre, la grâce résume chez Paul le contenu de ce quel'apôtre appelle: son évangile. Le Christ qui, pour Jean, personnifiel'amour de Dieu, incarne, pour Paul, la grâce divine. Parce qu'elleest une dispensation gratuite de Dieu, un don de son amour, la grâceimplique, de la part de l'homme, la simple et seule foi (Ro4:16), et, dans sa souveraineté, elle domine, elle dépasse, ellerépudie les oeuvres que la loi prescrit (Ro 11:6), comme cetteloi elle-même (Ro 6:14 et suivant, Ga 5:3 et suivant). Ellerend possible la justification, laquelle ne saurait être obtenue parune autre voie ou un autre moyen (Ro 3:24); elle donne la paixavec Dieu, et ouvre ainsi à la personne humaine un accès directauprès du Père (Ro 5:2); elle met dans la vie terrestre nonseulement la sûre promesse, mais la possession présente de la vieéternelle (Ro 5:21); elle est la source des joies, desdélivrances, des pouvoirs, des victoires que Dieu accorde au croyantet qui sont adéquatement nommés: des «charismes» (1Co 1:4,712:4,9-28,30,31,2Co 8:1,1Ti 4:14,2Ti 1:6). En particulier, la grâceest l'explication--s'il y a une explication--du don suprême de Dieuen Jésus-Christ qui, nous affranchissant de la condamnation et de lamort, est notre salut (2Th 2:16,Ga 2:21,Ro 3:24 5:17,21,Eph 1:62:5,7 Col 1:6,Phi 1:7,2Ti 1:9). Elle est le nom de l'activitérédemptrice de Dieu, telle que, par le Christ, elle s'est dérouléedans l'histoire (Eph 2:5,Tit 2:11); elle est aussi le nom del'action que Dieu exerce sur chaque croyant individuellement (Ga1:15,1Co 15:10,2Co 12:9,Ro 12:3,Eph 4:7). Comme les évangiles, comme les épîtres de Paul, les autres livresdu N.T. ne connaissent et n'indiquent d'autre principe de salut quela libre grâce de Dieu (Ac 13:43 15:11 20:24 32,1Pi 1:13 5:12,Heb12:15 13:9 etc.).II La mystique chrétienne se sert du mot de «grâce» pour traduire etunifier la multiplicité, la diversité des éléments: confiance,conviction, assurance, certitude, communion, qui culminent dansl'expérience religieuse. Le croyant qui, assuré d'être sauvé enJésus-Christ, se sent, par lui aussi, uni à Dieu d'une union parinstants perceptible et sensible, pénétré, conduit, illuminé parl'Esprit, est dit «en état de grâce». Sans doute, il y a de vainesrêveries mystiques, comme il y a d'inutiles paradoxes dogmatiques,également étrangers à l'enseignement du N.T. Mais le fait, pour lechrétien, de percevoir qu'il est dirigé d'En-haut est un faitbiblique, et ce sont des expressions bibliques émanant del'expérience,'telles que celles-ci: «être ce que l'on est par lagrâce de Dieu» (1Co 15:10), «se conduire par la grâce deDieu» (2Co 1:12), «être sous la grâce» (Ro 6:14), «chanterdans la grâce» (Col 3:16), etc. Le mot revêt ici, du point devue humain, sa portée la plus haute, sa signification la plusprofonde. Les dons sans nombre et sans limites de l'amour du Pères'expérimentent dans la. vie, en quelque mesure supraterrestre, oùl'homme possède pardon, lumière, force, félicité, où l'Esprit saintrend témoignage à son esprit qu'il est enfant de Dieu (Ro 8:6).Et l'homme éprouve bien que cette plénitude, cette béatitude luiviennent de Dieu seul, que jamais le mot de «grâce» ne comporte deplus évidente manière la gratuité absolue de l'amour divin comme dansl'état de grâce où il comprend et saisit le mieux cet amour. D'autre part, l'homme ressent que cet état, la plupart du temps,est passager. Et dans les heures moins pleines de la présence deDieu, parfois même vides de cette présence, il n'estime pas que lagrâce divine a des variations d'intensité, de puissance, mais c'estlui, l'homme, qui est moins susceptible de la recevoir, moins ouvertà son influence; la grâce de Dieu est constante, la réceptivité del'homme est changeante; si changeante que le croyant peut «déchoir dela grâce» (Ga 5:4). Ainsi, au centre même des relations avecDieu, dans la manifestation la plus nette de l'amour de Dieu, ausummum de la grâce, l'homme est amené à constater que si «toute grâceexcellente et tout don parfait descendent d'En-haut, du Père deslumières en qui il n'y a ni modification, ni ombre de changement»(Jas 1:17), cependant il est lui-même pour quelque chose dans lacommunication de l'amour divin, dans la proportion de la grâcedispensée. D'un témoignage pareil dans sa diversité, les évangiles etles épîtres font dépendre l'appel au salut, la conversion, lasanctification, la félicité, toutes les grâces et toute la grâce, dela seule volonté souveraine de Dieu; et d'un témoignage non moinsunanime, les évangiles et les épîtres mettent l'homme en demeure devouloir, pour entendre la voix divine, être sauvé, progresser, vivrela véritable vie, recevoir toutes les grâces et toute la grâce. Les prophètes déjà avaient esquissé les deux termes du problème.Jésus le pose en pleine clarté: «celui qui écoute ma parole et croiten Celui qui m'a envoyé a la vie éternelle...mais vous ne voulez pasvenir à moi pour avoir la vie» (Jn 5:24,40). Paul lui donne uneforme plus rigoureuse encore: «Dieu produit en vous la volonté et laréalisation en vertu de son bon vouloir. Travaillez donc à votresalut...» (Php 2:12 et suivant). Les textes sont en nombreconsidérable qui concernent la grâce de Dieu et la liberté del'homme. Tout vient de la grâce de Dieu: (Jn 3:16 6:44 Ac 5:31 11:18 16:14),(Ga 1:15,1Th 1:2 2:13 3:9 4:9 5:23 2Th 2:16 3:3,5,1Co 1:4,30 4:7 15:10)(2Co 5:18 9:8,Rom 3:24 5:6,8 6:17 8:15 11 6 15:13,Eph 1:3,9,19 2:5,8,9)(Phi 1:2,2Ti 1:9 2:25,Tit 3:5,Heb 6:17,1Pi 1:3,5, Jas 1:17),etc. Mais la grâce de Dieu dépend tout aussi nettement, pour l'homme,de certaines conditions qu'il doit personnellement remplir. Par exemple:

- croire: Mr 1:15 5:36,Jn 6:29 10:38 12:36 14:1,11 20:27,Ac 16:31; - se repentir: Ac 2:38 8:22; - se convertir: Ac 3:19 14:15 26:20; - veiller: Mt 24:42,Mr 13:36,1Co 16:13,1Pi 5:8; - persévérer: Ac 13:43 14:22,1Co 15:1 16:13,Col 4:2; - lutter: 1Co 9:24-27,2Ti 2:5 4:7, etc.
La possibilité de la vie chrétienne et les vertus qui marquentcette vie sont donc, d'une part, des dons de la grâce divine, d'autrepart, des effets de la volonté humaine. Et si l'on considère lesmagnifiques promesses et les avertissements solennels adressés àl'homme pour ce qui touche à sa foi ou à son incrédulité, à sesprogrès ou à ses chutes, il apparaît bien que l'homme est responsablede ne pas posséder et de ne pas faire ce que Dieu seul permet defaire et de posséder. Devant cette double série de textes si clairs,la pensée religieuse, sous prétexte de concilier des déclarations quin'ont nul besoin de l'être, les a faussées parfois en accentuant àl'excès tantôt l'une des affirmations, tantôt l'autre, de telle sortequ'il y avait antinomie entre elles, et que, pour sortir de ladifficulté, il fallait laisser de côté l'une ou l'autre, alors que leN.T. les maintient sur le même plan. Au V e siècle, Pelage insiste sifort sur l'action de l'homme, réclamée par Dieu pour laisser agir sagrâce, qu'il attribue à l'homme non seulement la volonté, mais lepouvoir de se sauver; contre lui, Augustin insiste si fort sur lecaractère absolu de la grâce, qu'il oublie la part que Dieu a faite àl'homme dans l'acquisition du salut. Au XVI e siècle, Calvin etLuther, opposant justement la seule gloire de Dieu à l'incapacitéradicale de l'homme, firent à tel point prédominer la volonté divine,que la volonté humaine n'avait logiquement plus de place, quoiqu'ilsen appelassent tous deux à l'humaine liberté. Le Concile de Trente,tout en prétendant maintenir la thèse augustinienne, énonça enplusieurs articles une théorie pélagienne, et accrédita dans l'Égliseromaine la portée et la valeur des oeuvres qui semblent souventl'emporter sur la foi. Dans les Églises de la Réforme, lescalvinistes, tenants de la prédestination inconditionnelle,trouvèrent des contradicteurs chez les arminiens, tenants de la responsabilité humaine dont ilsoutrepassaient les exigences morales. Les grands réveils religieuxparticipèrent de cette longue hésitation: au XVIII e siècle, enAngleterre, Wesley repoussait la prédestination, conséquence de ladoctrine absolutiste de la grâce, et mettait en relief lasanctification, conséquence de l'effort de l'homme conduit par leSaint-Esprit. Au XIX e siècle, dans les pays de langue française,Haldane, Malan, Gaussen repoussaient la participation de l'homme ausalut, la foi elle-même n'étant pas un acte de l'homme mais un don deDieu, la destinée du monde et la destinée de l'individu ayant pourunique facteur la grâce seule efficace et seule agissante. La réalité du salut met deux personnes en présence: Dieu etl'homme. Le salut a donc deux aspects: il convient de l'envisager dupoint de vue de Dieu et du point de vue de l'homme. Du point de vuede Dieu, les évangiles et les épîtres proclamant la grâce, notentl'action de Dieu qui appelle, pardonne, justifie, sanctifie. Du pointde vue de l'homme, soulignant la réceptivité humaine indispensable,les évangiles et les épîtres notent que l'homme répond, se convertit,obéit, progresse. Sous les deux aspects, c'est d'une même réalitéqu'il est question, et cette réalité unique n'est véritablement,pleinement saisie que sous ses deux aspects. Les actes divins danslesquels se manifeste la grâce ont pour corollaire les actes humainsqui témoignent de ses résultats; les premiers seraient sans effets'ils n'amenaient pas les seconds, les seconds ne se produiraient pass'ils ne reposaient pas sur les premiers. La relation des uns et desautres est si étroite que l'on ne comprend pas les uns sans lesautres; cette relation est union et non point contradiction. Les deuxaspects du salut, la grâce et la liberté, ne s'excluent pas plus l'unl'autre que ne s'excluent la toute-puissance de Dieu et la volonté del'homme. Opposer les textes qui soulignent ce double aspect, c'estméconnaître à la fois la nature de la grâce et la nature de laliberté. Du point de vue de Dieu, la grâce, au lieu d'être uneattestation et une preuve de son amour, serait comparable à l'une desforces naturelles, rectrices de l'univers, si elle agissait sansdiscernement, sans moralité, si elle ne tenait pas compte de laqualité de la créature douée de volonté; du point de vue de l'homme,la grâce ne serait pas perçue, acceptée comme un sentiment demiséricorde, comme un acte de miraculeuse faveur, si l'homme en étaitl'objet, indépendamment de lui-même, si sa personnalité religieuseétait, comme sa personnalité physique, quelque chose qu'il n'a pointchoisi et dont il est bien obligé de s'accommoder, quoi qu'il penseet quoi qu'il veuille. Si, par-dessus les systèmes et les théoriesdes écoles ou des Églises, on regarde au N.T., on aperçoit que làmême où seule la grâce est mentionnée, la réceptivité humaine estsous-entendue, que là où est mentionnée la part de l'homme dansl'acquisition de la grâce, l'action initiale de Dieu demeure la causeunique. Car Dieu a toujours et partout l'initiative. La distinctionpresque traditionnelle de la grâce en grâce prévenante, grâcesuffisante, grâce efficace est une distinction philosophique ayantplus d'ingéniosité que de vérité. La grâce est toujours prévenante,c'est Dieu qui aime le premier; elle est toujours suffisante, ellevient du Dieu tout-puissant; elle est toujours efficace, Dieu nes'arrête que devant l'obstacle du refus de l'homme. Ses manières etses influences multiples mettent en relief une richesse insondable,non des éléments hétérogènes. Et c'est une preuve nouvelle de laliberté d'où elle procède et de la liberté à laquelle elle s'adresseque cette adaptation, indéfiniment variée, à tous les besoins de tousles temps, à tous les états de tous les hommes. Même dans la Rédemption, opérée au centre de l'histoire, dansl'oeuvre directe du Sauveur, du Christ auquel comme à Dieu est sisouvent rapportée la grâce, Dieu est l'auteur premier. C'est lui quia voulu le salut, c'est son plan qui se réalise, c'est lui qui, lestemps étant accomplis, envoie son Fils (Ga 4:4), c'est lui qui,par le Christ, réconcilie le monde avec lui-même (2Co 5:19). LaRédemption est l'apogée de la grâce, d'un amour où entrent lamiséricorde et la compassion, d'un plus grand amour que celui qui aprésidé à la création. Il a suffi à Dieu, au premier jour del'univers, de dire: que la lumière soit, et la lumière fut, devouloir pour que l'homme se lève, alors que pour sauver il trouvedevant lui, contre lui, une volonté rebelle qu'il veut persuader etnon contraindre, puisque la réduire malgré elle serait la supprimeret non la délivrer; alors que pour sauver il faut une créationnouvelle et plus difficile: non plus seulement poser par un acte detoute-puissance l'harmonie de l'univers et de ses lois, mais, del'ordre naturel devenu anormal par le péché de l'homme, éleverl'homme, par une suite sans fin d'actes d'amour, dans l'ordresurnaturel où se rétablira l'union entre le Père céleste et les filsde la terre. Aussi la grâce est-elle le centre spirituel des grandesconceptions du royaume, de la justice, de la vie, que nous offrentles livres du N.T. Elle est davantage encore; c'est la grâce qui, plus que touteautre notion, donne au christianisme son caractère unique, constitueson émouvante originalité; l'histoire des religions n'a relevé nullepart, dans l'ensemble des religions des primitifs et des civilisés,un terme et un concept comparables au terme et au concept de grâce.And. A.