GENÈSE

Nom, but, subdivisions. Le nom de Genèse porté par le premier livre du Pentateuque lui estvenu, en passant par la Vulgate latine, de la version grec des LXX,qui emploie ce mot de gene-sis (=naissance, origine) dans Ge2:4; a Bible hébraïque emploie l'expression de Beréchith(=aucommencement), premier mot du ch. 1. C'est donc le livre qui racontela naissance des cieux et de la terre, les débuts de l'histoire del'homme, l'origine des diverses races humaines et de celle d'Israëlen particulier. Il constitue la première partie d'un grand ouvragehistorique qui s'étend jusqu'à la fin de 2 Rois, c-à-d, qui racontetoute l'histoire d'Israël jusqu'à la ruine du royaume de Juda. Quand ces cinq livres ont-ils été séparés les uns des autres? Ilest difficile d'indiquer une date précise, mais il paraît probableque ce fut l'oeuvre des derniers rédacteurs du Pentateuque, car lesversions samaritaine et alexandrine (du IV e et du III e siècle av.J.-C.) présentent déjà la division en cinq volumes. Le point où laGenèse a été séparée de l'ensemble est très heureusement choisi,après les récits qui parlent de l'émigration en Egypte, de sorte que,entre ces récits et ceux qui décrivent la sortie de ce pays dansl'Ex., on peut intercaler un intervalle de plusieurs siècles. On peut donc, à première vue, distinguer deux grandes partiesdans Genèse: 1. ch. 1-11; la préhistoire, telle que les Hébreux laconcevaient: création (Ge 1-2); le désordre entrant dans le monde del'homme (Ge 3); débuts de la civilisation (Ge 4-5); cataclysmedu déluge (Ge 6-9); naissance des diverses nations (Ge 10); et,comme point d'aboutissement, place occupée par les Hébreux dans legroupe sémitique (Ge 11); 2. ch. 12-50; ici, l'intérêt est concentré sur lesdestinées anciennes de la nation qui est en voie de formation,Israël, et sur la personne des trois premiers ancêtres:Abraham (Ge 12:1-25:18), Isaac (Ge 25:19 à Ge 36), Jacob(Ge 37) à (Ge 50); l'ensemble des traditions relatives aux pèresse termine par les récits de l'émigration en Egypte et par ceux qui sontgroupés autour du nom de Joseph. Il faut indiquer ici un groupement inspiré d'un principedifférent, posé par le document P qui a fourni aux rédacteurs duPent. le cadre dans lequel ils ont fait entrer les fragmentsempruntés aux autres sources. P a groupé les ch. 1 à 50 en 10 thôledôth, mot difficile à traduire et qui correspondrait à peuprès à: générations, descendance, postérité, généalogie (voir cemot), sans qu'aucun de ces termes en soit l'équivalent exact. Cegroupement de généalogies et de textes narratifs sous une mêmerubrique est destiné «à confondre en un seul et même enchaînementl'origine du monde et celle du peuple élu» (A. Westphal, Sources, I, p. 232). En voici la liste: thôledôth des cieux et de laterre, Ge 1:1-2 4a; d'Adam, Ge 5:1; de Noé, Ge 6:9;des fils de Noé, Ge 10:1; de Sem, Ge 11:10; de Tharé, Ge11:27; d'Ismaël, Ge 25:12; d'Isaac, Ge 25:19; d'Esaü,Ge 36:1; de Jacob, Ge 37:2.Autoricité et composition. La tradition juive d'abord, chrétienne ensuite (d'origine plutôtrécente car elle ne paraît remonter qu'au I er siècle av. J.-C), alongtemps considéré la Gen., ainsi que les quatre autres livres duPent., comme l'oeuvre de Moïse. Cette manière de voir, complètementabandonnée aujourd'hui, ne répond à aucune réalité: le livre lui-mêmene se donne pas une seule fois comme étant, en tout ou en partie,l'oeuvre de Moïse, alors que dans d'autres livres du Pent. on voit, àplusieurs reprises, certains fragments du texte attribués à samain (Ex 17:14 24:4 34:27,No 33:2,De 31:9). D'autre part, etquelle que soit l'unité de plan qu'on y constate (unité siremarquable que, pendant bien des siècles, la présence de sourcesdiverses combinées dans la Genèse avait échappé presque complètement àl'attention des lecteurs), le livre renferme de très nombreusespreuves qu'il n'a pas pu être composé par Moïse, et qu'il résulte dela combinaison de plusieurs documents, d'origines et d'âgesdifférents. On est, en particulier, frappé: Par des expressions d'époques plus tardives: «lesCananéens étaient alors dans le pays» (Ge 12:6 13:7); or, cen'est que depuis le règne de Salomon que leurs dernières villes ontété incorporées à Israël. Dans Ge 14:14, on parle, à l'époqued'Abraham, de la ville de Dan, laquelle n'a reçu ce nom que depuisl'époque des Juges (Jug 18:29). L'observation: «voici les nomsdes rois qui ont régné sur Édom, avant qu'il (y) régnât un roiisraélite» (Ge 36:31), suppose un auteur vivant après laconquête d'Edom par David (2Sa 8:13 et suivant),. donc longtempsaprès Moïse. Par la répétition, de récits à double et à triple,qui ne s'expliquerait nullement dans le cas d'un auteur unique et quidénote nettement le travail de plusieurs mains. Ainsi, il existe undouble récit des origines de l'homme, Ge 1:1-2:4 et Ge 2:4et suivants; dans le ch. 4, on trouve la trace de plusieurstraditions distinctes, d'après l'une desquelles (Ge 4:1,17-24)Caïn aurait été le père de l'humanité actuelle, car c'est de lui quedescendraient les trois classes d'hommes composant la, société desnomades, et cette tradition ignore le déluge; d'après uneautre (Ge 4:25,Ge 5), l'humanité descendrait d'Adam par Seth;enfin, une troisième tradition présente un Caïn qui ne serait pas lefils du premier homme, puisqu'il craint d'être tué par le premierqu'il rencontrera (Ge 4:2,16). Dans les récits du déluge, il y adeux traditions différentes (Ge 6:9-13, est un doublet de Ge6:5,8, et Ge 7:1-6 un doublet de Ge 6:18,22). Dans Ge12:10-20 20 et Ge 26, un triple récit des dangers auxquelsSara d'abord, puis Rébecca sont exposées, parce qu'Abraham, puisIsaac ont voulu faire passer leur femme pour leur soeur. La promessed'un fils est faite deux fois à Sara (Ge 17:16-19 18:9,16); il ya trois explications différentes de l'origine du nomIsaac;trois (Ge 17 19 18:12-15 21:6) traditions sur l'origine dunom de Béer-Séba (Ge 21:28-30 21:31 26:23,32); il y a désaccordentre Ge 26:34 28:9 et Ge 36:2 et suivant, quant aux nomsdes femmes d'Ésaü. Dans les récits concernant Joseph, nouveaudésaccord: d'après Ge 37 28 b, il est vendu à des marchandsismaélites, après une intervention de Juda, tandis que Ge 37 28a parle de Madianites et que c'est Ruben qui empêche ses frères detuer Joseph (Ge 37:22) --En présence de tous ces indices d'une diversité de traditionset de mains ayant collaboré à la rédaction de nos textes actuels,l'autoricité d'un seul homme, et dans le cas présent toutparticulièrement celle de Moïse, apparaît comme impossible et commene répondant d'ailleurs à aucune déclaration quelconque du texte.Documents. Pour la description détaillée des documents qui sont entrés dans lacomposition du Pentateuque,voir ce mot. Indiquons brièvement, àpropos de Gen., que son texte actuel provient de la combinaison dessources suivantes: 1. Un recueil de traditions populaires, inspiré par l'esprit duprophétisme, composé entre 900 et 850 dans le royaume du S., et donton retrouve, dans les récits de Gen., trois couches que la critiquedésigne par les lettres J 1, J 2, J 3. La caractéristique principaledu Yahviste consiste dans le fait qu'il emploie, dès le début de sesrécits (2:4b), le nom de Yahvé pour désigner Dieu. 2. Un recueil d'inspiration semblable à J, mais ayantpris naissance dans l'Israël du N., et plus récent d'un siècle(800-750). On le désigne par la lettre E (Élohim), parce qu'ilemploie ce nom pour désigner Dieu, jusqu'au moment où Moïse reçoit larévélation du nom de Yahvé (Ex 3:14). On n'en trouve la trace,d'une manière sûre, qu'à partir du ch. 15.--La fusion de ces deuxrecueils, en une combinaison unique JE, a dû être effectuée vers lemilieu du; VII e siècle. Ce serait une erreur de voir, dans cesrecueils J et E, l'oeuvre personnelle de plusieurs auteurs, dontchacun correspondrait à l'une des couches diverses que l'ondistingue aujourd'hui dans J et E (J, J 1, J 2, J 3; E, E 1); quandon parle d'eux, il convient de se représenter qu'ils sont le produit,les uns d'une école yahviste, les autres d'une école élohiste, dont l'activité littéraire a pu se prolonger durantplusieurs générations, et qui puisaient dans des amas de traditionsorales, lesquelles étaient sans doute depuis longtemps déjà en voiede codification.--Enfin, il faut se rappeler que les deux doc t etsuivant J et E présentent entre eux une si grande analogie de pointde vue et de style, et que, dans un grand nombre de cas, ils ont étési bien fondus l'un dans l'autre, qu'il est devenu très difficile,parfois même impossible, à l'analyse critique de les dissocier dansnotre texte actuel et de rétablir la teneur primitive de chacun. 3. Un document d'origine sacerdotale, P (prêtres), auquelappartient la majeure partie des lois contenues dans le Pent. et dontla partie narrative seule est entrée dans la composition de laGenèse; mais les chap, dans lesquels il est parlé de certainescoutumes ayant trait au culte et aux usages religieux d'Israël(l'institution du sabbat, Ge 2:3; l'alliance avec Noé etl'humanité d'après le déluge, Ge 9:1-17; l'institution de lacirconcision, Ge 17:9,14) proviennent aussi de P. Ce doctattache une importance particulière à tout ce qui concerne lesgénéalogies et la chronologie. Les dates de composition et sesdiverses parties s'échelonnent de 573 (époque d'Ézéchiel) jusqu'en444, date de sa promulgation solennelle par Esdras. On a observé que les emprunts faits à P dans la Genèse occupent 1 /6,et ceux qui l'ont été à J et à E, les 5 /6 du livre. Les donnéestirées de P constituent, par rapport à celles qui viennent desautres, un fil très ténu qui traverse le livre d'un bout à l'autre,mais ce n'est que dans un petit nombre de cas (Ge 1-2:4 9:1-17 Ge17 Ge 23) qu'on se trouve en présence d'une narration un peudéveloppée. (Voy. dans Skinner, Genesis [ICC, p. 58], unereconstruction de la courte biographie d'Abraham telle que P l'aconçue; le récit est sans solution de continuité, mais d'une extrêmebrièveté, puisqu'il occupe à peine une page d'impression.) Pour le détail des parties de chacun des trois documentsentrant dans la composition du livre, les lecteurs de languefrançaise sont renvoyés aux ouvrages spéciaux tels que: A. Westphal, Sources (vol. I, 1888), qui donne la reconstruction de toute unesérie de récits tirés des divers docts (p. 231-265); L. Gautier, Introd. A.T. (2° éd., vol. I, 1914, pp. 81ss); la Bible duCentenaire (Paris 1916) qui donne, en marge de son texte,l'indication détaillée des sources entrant dans la composition dechaque chap.; voy. aussi Die Genesis mit tsusserer Untersckeidungder QueUen-schrijten, de Kautzsch et Socin, le texte imprimé encaractères différents suivant les doc t et suivant (1891). De cet ensemble de matériaux empruntés à des sources provenant demilieux et d'époques si divers, le rédacteur final a tiré une oeuvreconçue sur un plan très net et rigoureux et qui, faisant partir lelecteur des temps lointains de la préhistoire, le fait parvenirjusqu'au moment où les premiers ancêtres de la nation, après un courtséjour sur le sol qui devait devenir plus tard le théâtre de leurhistoire, sont montrés entrant dans un pays qui allait les retenircomme esclaves pendant plusieurs siècles.--Parmi les multiplesquestions que soulèvent la tractation de sujets si variés, l'étenduedes périodes envisagées et la complexité des matériaux mis en oeuvre,il ne sera examiné brièvement ici que deux d'entre les principales: les emprunts faits aux cosmogonies et traditionsdes peuples étrangers; l'interprétation et la valeur historique desrécits patriarcaux.Cosmogonie et préhistoire. La première partie de la Genèse (ch. 1-2) a pour but de montrercomment l'histoire d'Israël se rattache à celle de l'humanitéprimitive; elle s'applique, en remontant jusqu'à la création même dumonde, à mettre en lumière cette pensée que le monde de la nature etcelui de l'homme sont également l'oeuvre de Dieu. Cette premièrepartie expose donc les idées qui avaient cours en Israël sur lapréhistoire, c-à-d, sur la création de l'univers, sur les premiersâges de l'humanité, sur la première expérience qu'elle fit de saliberté morale, sur le châtiment qui fut envoyé à la race humaine quis'était éloignée de Dieu, sur les diverses races humaines, etenfin sur les premiers rapports établis entre les ancêtres d'Israëlet Dieu. En effet, en consacrant ces premiers chapitres à lapréhistoire, les rédacteurs n'ont pas seulement voulu montrer commentla terre a été créée pour être le séjour de l'humanité, et donner unevue d'ensemble sur les débuts de celle-ci; mais ils ont eu pour butessentiel de montrer comment, au sein des nations, Israël en est venuà occuper la place exceptionnelle qui lui a été assignée dans lesplans divins, Dieu ayant choisi une famille humaine dont les premiersancêtres furent les objets de ses dispensations providentielles. Lesch. 1 et 2 contiennent une cosmogonie décrite en deux récitsempruntés à deux documents différents. Le premier (Ge 1-2 4)appartient à P; le deuxième à J (Ge 2:4,24). L'auteur sacerdotaltrace, d'un style à la fois sobre et grave, un tableau de l'activitécréatrice de Dieu, distribuée sur un espace de sept jours. Quant ausecond récit, celui de J, il ne contient aucune indication de temps;il contraste avec le premier par sa couleur plus poétique, et placela création de l'homme, puis de la femme, avant celle des animaux etdes plantes. On s'est, pendant longtemps, efforcé de trouver un accordpossible entre les conceptions cosmogoniques de Ge 1-2 et lesdonnées de la science actuelle, dans les divers domaines del'astronomie, de la géologie, de l'anthropologie, etc. Partant, engénéral, de cette théorie de l'inspiration qui aboutit à laconclusion forcée que tout texte scripturaire ne peut, comme tel,qu'exprimer la vérité absolue, indiscutable, dans tous les domainesdes connaissances humaines, et non pas seulement dans celui de lapensée religieuse, on ne pouvait, a priori, admettre que lesrécits de Ge 1-2 ne pussent être mis d'accord avec les résultatsacquis de la science de notre temps. Il est évident que les auteursde Ge 1-2 avaient réellement l'intention de donner un exposésystématique de la façon dont l'univers a été créé; à voir lesdétails si nets et si bien coordonnés dans lesquels ils sont entréspour décrire le processus de la création, ils ne se proposaientpas seulement un but religieux: mettre en évidence la toute-puissancecréatrice de Dieu. Ils se sont encore appliqués à exposer lesconceptions cosmogoniques qui avaient cours en Israël et les idées deleur temps sur les rapports qui existèrent dès l'origine entre Dieuet le monde. Mais il a bien fallu reconnaître que leurs affirmationsde l'ordre scientifique ne pouvaient pas être mises d'accord avecles faits les mieux établis par la science actuelle, et que, vouloirtenter à tout prix cet accord, ce serait «perpétuer l'idée qu'ilexiste un conflit entre la religion et la science» (Erith, Genesis, p. 39). Les nombreux essais tentés à cet égard n'ont, endéfinitive, donné satisfaction ni aux partisans de la véritéscripturaire à tout prix, ni aux adeptes de la science indépendante;on n'aboutissait, en somme, qu'à la confusion de deux domaines quisont absolument distincts l'un de l'autre, et les résultats de tousces efforts harmonistiques étaient à la fois dangereux pour laconfiance que doit inspirer l'Écriture et opposés aux faits que lascience considère comme assurés. Il faut donc consentir à reconnaître que ce qui fait la grandeurincomparable et éternelle de Ge 1-2, ce sont les vérités, non del'ordre scientifique, mais de l'ordre spirituel et religieux que ceschap, ont mises en pleine lumière avec tant de force et dans unlangage d'une si noble simplicité. Dès qu'on situe ces vieux récits àleur vraie place, comme reflet des conceptions antiques qui les ontinspirés, on voit tomber les objections que la science a pu élevercontre eux, et, cette science même, amenée à envisager ces traditionsanciennes sous leur vrai jour et s'inclinant devant les grandesvérités de l'ordre religieux qu'elles proclament, se gardera bien de«lire ces pages antiques avec dédain; elles doivent être vénéréescomme le premier essai d'une conception scientifique de l'univers»(Gunkel, Le récit biblique de la création, p. 184). La valeur exceptionnelle des récits de Ge 1-2 ressortiraplus fortement encore de leur comparaison avec les traditionscosmogoniques de l'ancienne Babylonie, et en particulier avec lerécit similaire de la création qui a été conservé dans labibliothèque du roi Assourbanipal découverte en 1872 à Kouyoundjik(l'ancienne Ninive), et dont la forme originale circulait déjà enBabylonie plus de deux mille ans av. J.-C. C'est en confrontant lesdoc t et suivant bibliques avec cet antique texte qui nous transporteen plein polythéisme, parfois bien grossier, avec son absence totaled'idées morales et son cortège de détails monstrueux ou absurdes,qu'on verra ressortir l'immense supériorité du récit hébreu, où laseule parole créatrice de Dieu est montrée agissante à l'exclusion detout moyen extérieur frappant l'imagination. Que ce récit ait eu pourpoint de départ la tradition babylonienne et que, sous l'actionpuissante de la foi monothéiste, il l'ait dépouillée de tout sonappareil mythologique et polythéiste, pour l'amener à cette formed'une si haute spiritualité, c'est la conclusion qui s'impose avecune évidence toujours plus grande et qui s'explique facilement parles nombreux rapports que, à plusieurs époques, Israël a eus avec lemonde babylonien. Comme ce travail d'épuration et de transformation adû se poursuivre durant une longue période, l'opinion la plusprobable paraît être celle qui admet que la tradition babylonienneétait connue en Canaan, par voie orale, dès avant l'époque dontparlent les tablettes de Tell el-Amarna (XV e siècle av. J.-C.;voirplus loin), où l'influence du monde babylonien se faisait sentird'une manière particulièrement forte dans ce pays; les Israélites l'ytrouvèrent répandue et l'y auront recueillie lors de la conquête deCanaan. Quant au second récit, celui de J, il a été rapproché d'undoct dont la transcription et la traduction ont été publiées parPinches en 1891 et qui, dans son récit de la création, plaçait aussicelle de l'homme avant celle des plantes et des animaux. Sayce y voit«le point de départ le plus ancien à nous connu de cette forme del'histoire de la création qui est contenue au chap. 2». Hommel, eneffet, a émis l'hypothèse qu'elle remonterait à trois ou quatre milleans av. J.-C. Le récit de la scène au jardin d'Éden (ch. 3) ne semble pasjusqu'à présent avoir trouvé son pendant parmi les traditionsétrangères à Israël. On a cru retrouver cette scène sur une pierregravée montrant deux figures humaines assises de chaque côté d'unarbre et, derrière l'une d'elles, une image représentant asseznettement un serpent. Mais les figures paraissent représenter desdivinités (l'une d'elles porte la coiffure réservée aux êtresdivins), et les points de ressemblance entre Ge 3 et cette scènegravée ne sont pas assez marqués pour qu'on puisse y retrouver unereproduction de celle d'Éden. On a, d'autre part, essayé parfoisd'établir un rapprochement entre Ge 3 et le mythe d'Adapa trouvéparmi les tablettes de Tell el-Amarna, et par conséquent connu enPalestine au XV e siècle av. J.-C.; c'est l'histoire d'un personnagecréé par le dieu Éa, doué par lui d'une sagesse supérieure et qui,pour avoir mal compris le conseil que lui a donné son dieu, refusel'immortalité qui lui est offerte. Si, entre Ge 3 et le mythebabylonien, il existe quelques points de contact, la teneur généraledes deux récits est trop différente pour qu'on puisse voir dans l'unune recension modifiée de l'autre. Enfin, quelques savants ont cruretrouver, dans un vieux document sumérien, un récit parallèle àcelui de Ge 3. Mais, dans l'état actuel de nos connaissances, eten présence des divergences qui existent entre les interprètes, ilparaît indiqué, pour le moment du moins, de ne pas s'appuyer sur letexte en question. Cependant, si jusqu'à présent on n'a pas retrouvé,dans les traditions étrangères à Israël, d'équivalent positif deGe 3, on peut, en se basant sur un certain nombre de traits quirappellent les traditions babyloniennes ou d'autres nations (leserpent; le jardin, séjour de la divinité; l'arbre de vie; l'épéeflamboyante; les chérubins gardiens du jardin, etc.), admettre qu'unetradition concernant les débuts de l'humanité et contenant deséléments qui provenaient de Babylone ou d'ailleurs, a eu cours dansl'ancien Israël, après avoir été dépouillée de ses élémentspolythéistes et avoir subi l'empreinte de l'esprit hébreu; cettetradition aurait été adaptée par J au but qu'il se proposaitd'atteindre: «exprimer et inculquer à Israël de hautes vérités del'ordre spirituel» (Gunkel, Genesis, p. 33). Enfin, dans les deux récits combinés du déluge (J et P), récitsqu'on peut reconstituer d'une manière remarquablement exacte, bienqu'ils soient très enchevêtrés l'un dans l'autre, on retrouve desressemblances, nombreuses et frap-'pa-ntes avec la traditionbabylonienne contenue dans l'épopée de Gilgamesch découverte en 1872dans les ruines de la bibliothèque d'Assourbanipal à Kouyoundjik.Cette légende est la confirmation de l'histoire racontée en grec parBérose, de ce Xisou-thros, dixième roi antédiluvien de Babylone,lequel aurait été averti par les dieux de la destruction prochaine dela ville de Schourippak, sur les bords de l'Euphrate: Xisouthros estla transcription grecque de Ziusuddu, nom que porte le héros dudéluge dans la forme sumérienne plus ancienne (non sémitique) de latradition. D'après cette épopée, les dieux ont décidé de détruirel'humanité dans les flots d'un déluge. Seul, Utnapischtim, averti parÉa, réussit à sauver sa vie, celle de sa famille et de tous lesanimaux, et il obtient ensuite des dieux le don de l'immortalité. Lesrécits bibliques et l'épopée babylonienne, tout en différant sur biendes points, en présentent un grand nombre de communs: la constructiond'une arche, tout enduite de poix; l'envoi de divers oiseaux pourconstater l'état de la terre (dans Gen., un corbeau et une colombe;dans l'épopée, une colombe, une hirondelle, un corbeau); l'arche quis'arrête sur une haute montagne (dans Gen., les montagnes du paysd'Ararat; dans l'épopée, le mont Niçir, ou, d'après une variante, lesmonts Kordyéens en Arménie); le sacrifice offert après le déluge. Latradition de Gilgamesch était répandue en Babylonie deux mille deuxcents ans av. J.-C, et il paraît très vraisemblable qu'elle a passé,par voie orale, dans le domaine hébreu, puis dans les documents quil'ont recueillie. Par sa teneur générale et son coloris local (labasse Babylonie est, par excellence, le pays exposé de tout temps auxinondations), cette tradition est de nature essentiellementbabylonienne; mais, là encore, on voit se produire le même travail delente et profonde épuration de tous les éléments polythéistes querenfermait l'épopée babylonienne, avec ses conflits violents entreles dieux, qui ne visent que des buts de rivalité et de vengeancepersonnelle et qui, en présence du désastre déclanché par eux, sontincapables de maîtriser les éléments déchaînés et se réfugient aufond des cieux «en se serrant les uns contre les autres comme deschiens». Le contraste est grand avec la tradition hébraïque renferméedans J et P: un Dieu unique, qui préside seul à l'ordre moral dumonde et qui, en présence de la corruption dans laquelle est plongéel'humanité qu'il a créée, prend la résolution de punir les coupableset de sauver le seul juste qui marchât avec lui; la raison morale dece cataclysme apparaît ici très marquée, tandis qu'elle l'est à peinedans l'épopée; et, à la fin, lorsqu'une humanité nouvelle va sefonder, une alliance solennelle est conclue entre Dieu et lesreprésentants de ce monde nouveau. A propos du cataclysme qui aurait été à la base, d'abord du poèmebabylonien, puis du récit biblique de la Genèse, il est intéressantde rappeler ici quelques-unes des considérations que fait valoirWoolley (Sumer., pp. 39SS): «Dans quelque proportion que latradition ait enrichi et coloré le récit, il est impossible de dénierun caractère historique fondamental à une histoire qui porte lamarque de la vérité; les détails s'harmonisent si parfaitement avecles conditions locales du delta méridional (du Tigre et de l'Euphrateréunis), que le conte (ou poème du déluge) ne pouvait naître quelà...La destruction totale de la race humaine, ni même celle deshabitants du delta, n'est évidemment pas supposée..., mais il y avaiteu assez de ravages pour former un point de repère dans l'histoire etpour délimiter une ère. Les effets du déluge ont dû s'étendre trèsloin...et il est probable que le dépeuplement causé par le Délugefavorisa, mieux qu'autre chose, l'avance des Sumériens vers le Nord.»Il faut mentionner encore ici l'hypothèse de l'assyriologue américainClay, qui a soutenu que la plupart des grands mythes babyloniens surles origines du monde, et en particulier celui du Déluge, auraientpris naissance dans le pays d'Amourrou (la Syrie), et que les Sémitesde ce pays, lorsqu'ils allèrent s'établir dans la basse Mésopotamie,les y auraient transportés avec eux. Ad. Lods a élevé contre cettehypothèse des objections d'une grande portée et il en a montré le peude vraisemblance (Israël, P- 93). Voy. les deux récits bibliques du Déluge reconstitués dans A.Westphal, o. c, I, p. 2375s, et la comparaison, en troiscolonnes, du texte de ces deux récits avec celui de l'épopée deGilgamesch, dans Rothstein, Unterrickt im A.T. II, 210ss. Sur lefait lui-même,voir Déluge.Période patriarcale. Interprétation ethnique ou individualiste? La deuxième partie du livre, ch. 12 à 50, qui raconte la vie destrois grands ancêtres d'Israël, soulève une question trèscontroversée, celle de la réalité historique de ces personnages. Lesdifficultés commencent dès que l'on veut tenter de déterminer la basechronologique de cette période. Or, cette base ne peut être fourniepar les textes bibliques eux-mêmes. En effet, l'accord n'existe pastoujours, d'abord, entre les données de P (le seul doct qui contienneune chronologie systématique) et celles de J et de E; et ensuite, ily a désaccord entre les textes hébreu, samaritain et grec-alexandrin,chacun d'eux donnant un total différent pour la somme des annéescomptées depuis la création du monde jusqu'à la sortie d'Egypte(hébreu 2.666 ans, samar. 2.752, grec des LXX 3.837), bien que toustrois s'accordent à attribuer une durée de deux cent quinze ans à lapériode patriarcale. Si l'on pouvait être assuré qu'Abraham a bienjoué le rôle que lui assigne le ch. 14 (le seul qui le mette enrapports avec l'histoire politique de ce temps), on pourrait dire:déterminer la date du règne de ce roi Amra-phel (verset 1) danslequel on retrouve assez généralement le fameux Hammourapi, sixièmeroi de la première dynastie babylonienne, c'est déterminer du mêmecoup l'époque où vécut Abraham; or, on indique soit 2123-2081(d'après King), soit 2067-2015 (d'après Fotheringham et Langdon) pourla durée du règne d'Hammourapi. La période patriarcale commenceraitdonc vers 2100 et s'étendrait en gros sur la première moitié du II emillénaire av. J.-C. Mais l'unanimité est loin d'exister sur cettequestion. Outre les difficultés historiques que présente ce ch. 14,on a fait valoir diverses raisons pour rabaisser notablement la datedes débuts de la période patriarcale; Boehl a même déclaré que, faired'Abraham un contemporain d'Hammourapi, c'était «commettre unanachronisme d'un demi-millénaire» (Die Koenige von Genesis 14,dans ZATW, 1916, p. 66). D'autres auteurs ont estimé que, si l'onidentifie les Chabîrî des tablettes de Tell el-Amarna avec lesHébreux (voir plus loin), il faut alors descendre jusque vers lemilieu du XVI e siècle av. J.-C, pour placer les premières migrationspatriarcales en Canaan (Kittel, Gesch. des Volkes Israël, 1912:2, pp. 432, 442). Cette opinion extrême, malgré les avantagesqu'elle peut présenter d'une part, aurait d'autre part l'inconvénientde trop abréger: 1°la durée de la période patriarcale, 2° celledu séjour des clans hébreux en Egypte, séjour qui, pour de nombreuxcritiques, aurait pris fin sous le règne du pharaon Mernephtah (1234à 1214). Pour cette question,voir Chronol. de l'A.T. Cette période qui, pendant longtemps, ne nous était connue quepar les récits bibliques, a été éclairée d'une vive lumière par lesdécouvertes de l'archéologie. Cependant les clartés qui ont étéprojetées par celle-ci sur l'antiquité hébraïque sont restées assezpâles et rares. Le cadre dans lequel se mouvaient les hommes de lapériode patriarcale et les conditions dans lesquelles leur vies'écoula, nous sont, il est vrai, apparus comme tout à fait conformesà ce que nous savons maintenant de ces milieux et de ces temps-là.Mais nulle part, pourtant, on n'a trouvé la confirmation positive del'existence des personnages appelés Abraham, Isaac et Jacob. Onrelève, il est vrai, sur les monuments, des noms identiques auxleurs; on retrouve maint indice de l'existence des Hébreux à telleépoque donnée, et tous ces éléments réunis ne laissent pas de fournirà la tradition biblique un appui qui a sa réelle valeur. Ainsi, uneinscription de Thoutmès III (vers 1470) sur les murs de Karnakmentionne le nom de Jacob-El parmi les pays et les villes conquis parlui au cours de son expédition en Syrie. Vers cette même époque, lestablettes cunéiformes découvertes à Tell el-Amarna en Egypte, etcontenant la correspondance échangée entre les princes méso-potamiensou les gouverneurs palestiniens et le pouvoir central égyptien,mentionnent plusieurs fois le nom d'une peuplade d'envahisseursnomades, les Chabîrî, et la prise par eux de la ville de Sichem. Onretrouve généralement dans ce nom de Chabîrî celui de Hibrîm(=Hébreux), en y voyant indiqué, non pas exclusivement le groupesémitique qui porta ensuite le nom d'Israélites, mais une masseethnique plus considérable, dont les Hébreux-Israélites, au sensrestreint, n'auraient formé qu'une branche. Ce fait guerrier de laprise de Sichem par les Chabîrî a été mis en corrélation avec lamigration qui marqua le retour en Canaan de Jacob et de ses fils etla prise par eux de Sichem racontée dans Ge 34. Dans lesinscriptions de Ramsès III et IV (vers 1100), il est parlé d'unepopulation étrangère établie en Egypte, les Apuriu, dans lesquelson retrouve ce même nom de Hibrîm. Quant au nom d'Israël, on letrouve mentionné dans une inscription de la stèle de Mernephtah commeétant celui d'une peuplade ou tribu israélite, sans doute restée enCanaan alors que les autres émigrèrent en Egypte, et que Mernephtahaurait soumise lors de son expédition en Syrie. On pourrait en direautant de la mention de Asaru indiqué au nombre des conquêtes faitesau Nord de la Palestine par Séti I er et Ramsès II, donc dans unerégion que Jos 19:24-31 indique comme ayant été occupée par latribu d'Asser. Quant au nom d'Abraham, il appartenait au mondebabylonien; on l'a retrouvé dans des documents de l'époqued'Ammizaduga, dixième roi de la dynastie à laquelle appartenaitHammourapi, et dans la liste des villes et régions conquises parScheschonq I er, contemporain de Roboam (vers 930), il est questiond'un «champ d'Abraham», qui devrait être cherché au Sud de laPalestine. Que dire maintenant de la façon dont il faut comprendre lesrécits de la période patriarcale? Depuis Ewald, les critiques ontrelevé un grand nombre d'indices qui permettent de croire que cesrécits mettraient en scène, non pas des personnalités distinctes, des individus, mais des collectivités, peuples, tribus ou clans.Évidemment dans certaines pages comme Ge 10 et Ge 36:9-43,le doute n'est pas possible, et le contexte montre clairement que,par l'emploi du mot fils, on entend exprimer un rapport dedépendance ou de communauté d'origine entre deux peuples donnés.Mais, ailleurs encore et dans des cas très fréquents, les individus semblent être la personnification de collectivités; ainsi dansGe 25:1, Kétura, femme d'Abraham, paraît comme personnedistincte et, dans v. 2 et suivant, ses fils et petits-fils portentles noms de tribus et de peuples. Makir, dans Ge 50:23, est unindividu; dans No 32:40, c'est un clan qui (d'après No26:29) engendre Galaad, un autre clan; et dans Jug 11:1, ceGalaad-clan engendrera Jephté-individu. On pourrait multiplier cesexemples dans ch. 12-50, de sorte que, pour beaucoup de critiques, ilconvient d'appliquer cette interprétation ethnique à presque tous lesnoms de personnes qui paraissent dans les récits patriarcaux. Il est certain que, dans un grand nombre de cas, c'est elle quifournit l'explication la plus acceptable, quelquefois même la seuleacceptable, de certains faits; nous aurions donc, dans lesbiographies d'individus déterminés, la personnification tardive detribus ou de peuples dont les origines, les transactions, lesmigrations, les destinées historiques nous seraient présentées souscette forme littéraire-là. Ainsi, le récit de l'inceste des filles deLot (ch. 19), qui n'a évidemment pour but que de présenter sous unjour défavorable l'origine de deux nations, Ammon et Moab, aveclesquelles Israël a été souvent en lutte; Ge 38, qui indique,sous la forme du mariage de Juda avec une Cananéenne, l'existence declans étrangers au sein de la tribu royale de ce nom; Ge25:19-34, l'origine d'Édom, ennemi héréditaire d'Israël, etc. Aveccette interprétation, on ne s'étonnera plus que nos textes présententsous un jour peu sympathique des personnages tels qu'Ésaü (=Édom),Ismaël et d'autres, quand on sait qu'il s'agit de peuples, aveclesquels Israël avait une communauté de race, mais pour lesquels ilnourrissait des sentiments d'hostilité séculaire. Ce qui vientencore, dans nombre de cas, justifier cette interprétation, c'est queles récits patriarcaux présentent les faits comme si la formation dupeuple d'Israël et d'autres encore était le résultat del'accroissement naturel d'une famille humaine. Or, ce n'est nullementcomme cela que les choses se passent dans la réalité: une nationprovient de la fusion de divers clans et tribus, sous l'action dedifférents facteurs historiques et géographiques (parenté raciale,voisinage, intérêts ou dangers communs, etc.). Cependant, quelque part que l'on doive faire à l'interprétationethnique, il faut reconnaître que son application uniforme à toute lapériode patriarcale a trop souvent abouti à des résultats très forcéset même absurdes; et, à voir les différences qui existent entre lesdivers critiques, dans l'application du principe, on constate sanspeine que l'explication ethnique ne fournit nullement la clé uniquede Ge 12 à Ge 50. Si l'on s'en tient aux figures dont les nomssont nettement attestés comme étant ceux de tribus et de peuples(Ismaël, Galaad, Ammon, Moab, Édom, etc.), on restera certainementsur le terrain de la réalité historique et l'on ne risquera pas defaire violence au sens direct des textes. Il serait, en effet,impossible de donner, comme le font quelques critiques, un senstoujours métaphorique aux termes fils et engendrer, et devoir toujours indiquée par eux (comme dans Ge 10) la naissance,non pas d'individus isolés mais de peuples. (Koenig Comment, sur Gen., 1919, p. 93s) a montré que, si ces mêmescritiques sont bien obligés de prendre ces deux termes au senspropre, dans le cas des généalogies d'Héli et de Saül parex. (1Sa 2:12 9:1 et suivant), il n'y a pas de raison valablepour qu'ils écartent le même sens de certains textes de Genèse où ilsparaissent employés aussi naturellement que dans 1Sa 2 et 1Sa9. En outre, il faut, en présence d'un grand nombre de récits,reconnaître qu'ils ne revêtent un sens acceptable que si l'on admetla réalité historique individuelle des personnages qu'ils mettent enscène devant nos yeux. S'il est difficile d'admettre que, au coursd'une longue transmission orale des traditions populaires, la mémoiredes générations humaines ait toujours conservé l'exacte reproductiondes faits, il est permis d'admettre aussi qu'elle nous a, au moins,conservé un fond solide d'éléments historiques. Ainsi, la personned'Abraham occupe, à cet égard, une place exceptionnelle. Ce nomlui-même, dans les documents cunéiformes où il paraît, est toujourscelui d'une personne, jamais d'une collectivité; et, dans l'A.T., iln'est jamais employé pour désigner le peuple d'Israël ou une fractionde ce peuple; le nom d'Isaac ne l'est que très rarement dans cesens (Am 7:9-16); et Jacob, qui l'est quelquefois, l'estbeaucoup moins que le nom d'Israël, lequel est devenu celui dupeuple. De sorte qu'on a pu poser cette question: si Abraham avaitété jadis le nom d'une tribu, comment pourrait-il se faire que latribu qui aurait donné son nom au personnage le plus important de lapériode patriarcale eût disparu si totalement de l'horizon, sanslaisser aucune trace dans l'histoire? (Kittel, o. e, p. 414). Si l'on est en droit de maintenir l'interprétation individuellepour Abraham, on l'est aussi sans doute pour nombre d'autrespersonnalités et récits de Ge 12 à Ge 50. On aurait, en effet,beaucoup de peine à découvrir la signification ethnique de récitscomme les suivants: Ge 14, Melchisédec, roi et prêtre de Salem;le roi de Guérar Abimélec et son général en chef (Ge 21:22 etsuivants Ge 26:26 et suivants); l'intervention d'Abraham enfaveur de Sodome (Ge 18:23-33); le sacrifice d'Isaac (Ge22); le songe de Béthel (Ge 28); la lutte au torrent deJabbok (Ge 32:24-32); le pharaon et ses officiers dansl'histoire de Joseph (Ge 39); la scène dans laquelle ce dernierreconnaît ses frères (Ge 45); voy. A. Westphal, Jéhovah, 4 eéd., p. 86. Et si les voyages des patriarches devaient toujoursreprésenter des migrations de peuples, on se demande comment de telsmouvements de population (clans ou tribus) auraient été possiblesdans un pays qui était déjà occupé par de petits États indigènes aveclesquels il ne semble pas que les nouveaux venus eussent des conflitsarmés. Une considération, déjà indiquée par Ewald dans son Histoired'Israël, a été relevée par plusieurs critiques importants (ainsiDriver, Kittel, Koenig, etc.) en faveur de la crédibilité historiquedes récits patriarcaux. Ils ont constaté que les récits ne présententjamais les patriarches comme ayant étendu leur autorité sur leterritoire cananéen tout entier, mais que, au contraire, ils lesmontrent toujours confinés dans des régions de peu d'étendue et dansdes localités déterminées (Abraham, à Hébron et à Béer-Séba; Isaac,dans cette dernière; Jacob, à Sichem), qui étaient considérées commeles gages d'un avenir plus glorieux. Si donc les ancêtres d'Israëln'avaient jamais vécu réellement en Canaan, si tout dans leursbiographies n'avait appartenu qu'à la pure légende, les traditionsnationales recueillies dans J, E et P auraient présenté la situationd'une tout autre façon: elles auraient sans doute fait de ces hommes,dès les temps les plus anciens, les maîtres uniques et incontestés duterritoire cananéen, montrant ainsi qu'Israël possédait de touteantiquité les droits les plus indiscutables à la possession deCanaan. «La modération des vues prophétiques concernant les hautesdestinées à venir des descendants d'Abraham (Ge 12:2 et suivant,etc.), au moins dans J et E (car P seul, dans Ge 17:6, parle derois comme devant être issus d'eux), pourrait aussi être regardéecomme un indice que ces narrateurs se tenaient dans les limites de latradition qu'ils avaient recueillie, plutôt que de créer librementeux-mêmes des tableaux idéalisés.» (Driver.) Enfin, dans une question comme celle-ci, à côté de toutes lesconsidérations habituelles de crédibilité et de valeur historique desfaits, il est un point de vue qui s'impose à l'attention: il s'agitde savoir si le rôle essentiel, prédominant, que la traditionnationale a assigné à Abraham, a bien réellement été le sien. Or, cerôle, il n'a pas été seulement, dans l'ordre historique, celui duguide qui a présidé à la première migration de son clan (Cornill, ZA TW, 1914, p. 150): il a été avant tout de l'ordre religieux.En effet, le mot qui résume sa carrière et sa personnalité toutensemble, c'est le mot de foi, de confiance en Yahvé, etc'est bien là ce que fait entendre Ge 15:6: «Il eut foi enl'Éternel, qui le lui compta pour justice.» C'est en cela qu'ontrésidé sa vraie grandeur et son rôle historique. Par lui le premier,une conception plus morale et plus haute de la divinité fut révélée àl'humanité. Moïse, auquel la postérité a pourtant attribué un rôle etune importance exceptionnels, Moïse ne se donne jamais comme ayantété le premier à faire connaître la personne et la volonté divines àIsraël; il parle «au nom du Dieu des pères», et ce Dieu, c'estAbraham qui, d'après la tradition unanime des documents nationaux, aété le premier à le manifester à sa race et à mettre sa confiance enlui. C'est là encore, si l'on veut bien reconnaître sa valeur àl'argument tiré du domaine religieux, une raison qui milite en faveurde l'existence individuelle du personnage dans lequel la consciencereligieuse d'Israël a salué le premier dépositaire des promesses etdes révélations divines. En résumé, s'il n'est pas possibled'affirmer l'historicité de tous les détails qui nous ont ététransmis sur sa vie, il est du moins permis de maintenir la réalitéhistorique du personnage d'Abraham auquel remontent les plus ancienssouvenirs de la nation. Et ces souvenirs, comme ceux des autresgrands ancêtres, ils ont été transmis par trois doc ts distincts,dont les deux plus anciens, écrits, l'un dans le royaume du S. etl'autre dans celui du N., sont d'accord entre eux sur tous les pointsessentiels et ne présentent que des différences d'ordre secondaire.Si cette unité de la tradition n'est pas, par elle-même, une garantieabsolue de l'historicité des faits et des êtres, elle en constitue aumoins une présomption dont il serait injuste de méconnaître la valeur. Pour se représenter en raccourci la façon dont la conceptionethnique a pu, dans la Gen., se combiner avec la réalité historiquedes personnages qui y jouent les premiers rôles, il faudrait doncadmettre que, autour des noms de ceux-ci, sont venues se grouper lestraditions concernant des migrations successives, lesquelles, partantdes régions de la Mésopotamie, ont amené les clans hébreux (les filsd'Héber =ceux qui sont venus de l'autre côté du fleuve [l'Euphrate],Ge 10:21) jusqu'en Canaan d'abord, et ensuite jusqu'en Egypte. Ledébut de ces déplacements de populations, si l'on admet qu'Abraham etHammourapi étaient contemporains, se serait produit vers le XXII esiècle av. J.-C, et serait marqué par le départ de Tharé, pèred'Abraham, quittant Ur pour venir s'établir plus au Nord, à Charan,où il mourut. De là un second courant migratoire, rattaché au nomd'Abraham et de Lot, aurait amené un nouveau groupe jusqu'en Canaan.Il semble même, si nous en jugeons par Ge 12 et Ge 13, quecette migration se serait poursuivie déjà alors jusqu'en Egypte, maispour n'y pas rester longtemps et revenir en Canaan. Une fois rétablisdans ce pays, les premiers clans d'émigrés en auraient attiréd'autres auxquels ils étaient apparentés, et qui, dans nos textes,sont représentés par Jacob et les fils nés de ses diverses femmes.Enfin, de Canaan, quelques-uns de ces clans hébreux, groupés autourdu nom de Joseph, pressés par des raisons d'ordre économique (unefamine), auraient pénétré jusque dans les régions fertileslimitrophes de l'Egypte. Et c'est là que les laissent les récits dela Genèse. Tous ces mouvements ont dû évidemment occuper de longssiècles, représentés sans doute dans nos textes par la longévitéextraordinaire que ceux-ci attribuent à la vie des quatre grandspatriarches. Mais il n'en demeure pas moins que la succession desfaits, telle qu'elle s'y reflète sous la forme biographique que cestextes lui donnent, semble bien, d'une manière générale, cadrer avecce que l'ethnographie et l'histoire de l'Orient nous font connaître,durant ces mêmes périodes, de migrations plus ou moins considérablesqui se produisirent dans le monde sémitique et avec lesquelles cellesde l'époque dite patriarcale pourraient sans doute être mises encorrélation. BIBLIOGRAPHIE --A. Westphal, Jéhovah; Sources --V Zapletal, Le récit de la création --A. Lods, Les découvertes babyl, et l'A.T.; Israël,des orig. au milieu du VIII° s., Paris 1930.--L.E.P. Erith (dans A new Comm. on Holy Scripture, éd. Gore, Gough et Guillaume).--Hugo Gressmann, AT-oriental. Texte mm A.T.--L.Aubert (dans Bbl. Cent.).-- L.C. Woolley Les Sumériens (trad.F. Lévy, Paris 1930).