ÉVANGILES (harmonie des)

L'histoire de la fondation des deux alliances (pour l'A.T.Abraham et Moïse, pour le N.T. Jean-Baptiste et Jésus-Christ) nous aété conservée, dans les deux parties de la Bible, par quatre sourcesqui ont chacune pour physionomie propre. Ces sources sont dans l'A.T.: le Jéhoviste, l'Elohiste, le Code Sacerdotal, le Deutéronome; dans le N.T.: les évangiles de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean Les docteurs juifs ont réuni, plusieurs siècles avant notre ère,les sources de l'A.T, en une harmonie de l'Histoire Sainte. C'estcette harmonie qui constitue le Pentateuque. C'est par cette harmonieque nous connaissons Moïse et les Patriarches. Comme les sourcesoriginales ont été perdues, nous en sommes réduits à les reconstituerd'après leurs fragments, pour la plupart aisément reconnaissables.Grâce à ce patient travail de reconstruction, nous pouvons lireaujourd'hui, du moins en partie, dans leur texte primitif, les quatreévangiles de l'Ancienne Alliance. Le travail accompli pour les sources de l'histoire hébraïque aété fait aussi pour les sources de l'histoire évangélique. Dès le IIe siècle ap. J.-C, un docteur de la Nouvelle Alliance, Tatien, dotal'Église chrétienne d'une Harmonie des quatre évangiles établissantdans ses grandes lignes l'histoire du ministère de Jésus. CetteHarmonie fut accueillie avec la plus grande faveur. Au pays de Jésus,dans toute la Syrie et ailleurs on lut le Diatessaron =[évangilecomposé] (au moyen de quatre) de Tatien à la place des documentssépares que cet ouvrage avait réunis en un seul. MalheureusementTatien ne s'était pas borné à juxtaposer fidèlement les textesoriginaux, il s'était permis de les solliciter pour accréditer sathéologie gnostique. Quand on s'en aperçut, l'émoi fut grand et l'onprit des mesures sévères pour arrêter la diffusion d'un livre dont lerapide succès avait montré qu'il répondait à un besoin. Malgré lafaute de Tatien, la préoccupation de fondre en un récit unique nosquatre relations évangéliques demeura. On la retrouve siècle après siècle dans l'Harmonia evangeliorum de l'Alexandrin Ammonien (III e siècle), Harmonie qui exerçalongtemps son influence; dans le De Consensu Evangelistarum d'Augustin (400); dans les Canons évangéliques d'Eusèbe deCésarée, le plus savant docteur des premiers siècles après Origène(IV e siècle); dans les Sections d'Euthale qui devint au V esiècle évêque de Sulca. Signalons encore, au Moyen âge, l' 'Harmoniedes Evangiles franque dont l'auteur est inconnu (St-Galler Codex),l'oeuvre du poète Casdmon (VII e siècle), l' Harmonie des Evangiles qui porte le nom d'Héliand (IX e siècle); l' Evangeliorumliber d'Otfrid, Harmonie composée vers 870; le Monotessaron duchancelier Gerson (1363-1428), composé au point de vue de lathéopneustie la plus stricte.--Avec la Réforme, la science historiques'affirme (Calvin, Harmonia ex Matthoeo, Marco et Luca, 1553) etl'arbitraire harmonistique se transforme en synoptique, cequi marque un grand progrès. Osiander, ayant publié son Harmoniedes Evangiles (1537) dans l'esprit de Gerson, Chemnitz (1593) etGerhardt (1626) réagirent contre cette façon de méconnaître lesdroits de l'histoire, dans leur Harmonicas evangelicae libri.quinque. Bengel continua leur oeuvre d'assainissement dans sa Richiige Harmonie der vier Evangelisten (1734), et Storr par ses Sources des Evang, de Matthieu et de Luc (1794) nous amène jusqu'au seuil de la critique moderne. Depuis la fin du XIX° siècle un nombre important d'Harmonies ont été éditées dans les milieux où l'ons'occupe de science critique et de foi évangélique. On peut citerparmi elles: Tischendorf, Synopsis Evangelica ex IV . Evangeliisordine chronologico concinnata et brevi commentario illustrata (Leipzig 1891); C.C. James, Harmony of the Gospels in the mordsof the R.V (Cambridge 1901); E. Morel et G. Chastand, Concordancedes Ev. syn. (Paris 1902); A. Wright, Synopsis cf the Gospels inGreek (Macmillan 1903); Huck, Synopsis der drei erstenEvangelien (Tübingen 1906); C. Hilty, Bas Evangelium Christi (Leipzig 1910); A. Westphal, Jésus de Nazareth, Harmonie des quatreEvangiles (1914); Camerlynck, Evangeliorum ssc. Matth. Marc etLuc. (3e éd., Bruges 1921); Lagrange et Lavergne, Synapse desquatre Evangiles en français d'après la synapse grecque (Gabalda1929); Lagrange, l' Evangile de Jésus-Christ (1930). Depuis un demi-siècle, des théologiens formés par la méthodehistorique nient la possibilité d'établir une concordance entre lesfaits racontés par nos évangiles, et traitent les Harmonies d'oeuvres d'imagination. S'ils se bornaient à condamnerl'harmonistique, c-à-d, l'art de concilier à tout prix les passagesde nos récits évangéliques, on ne pourrait que les approuver. Née dela croyance que nos évangiles ont été verbalement inspirés et qu'ilsne renferment aucune erreur d'aucun ordre, l'harmonistique induisaitles auteurs d'Harmonies, qui ne voulaient rien modifier, transposerni omettre, à composer des vies de Jésus factices, où le Maître, dansses propos, aurait multiplié les redites, où il aurait guéri deuxfois l'homme à la main sèche, plusieurs fois la belle-mère de Pierre,aurait rendu la vue à trois aveugles sur le chemin de Jérico, serait,le jour des Rameaux, monté à la fois sur une ânesse et sur sonpoulain, aurait subi, dans la nuit de la Passion, neuf reniements dePierre, etc. Écrire ainsi une biographie de Jésus, c'est compromettrela Parole de Dieu, en prétendant la servir, et, sous couleur derespect, l'acculer à l'absurde.--Dans une Harmonie bien conduited'après les lumières dont nous disposons aujourd'hui, il ne s'agitplus de cela, mais bien, en tenant compte de la personnalité desévangélistes et de leur méthode de composition, (voy. Lu 1:1,4)de collationner les faits rapportés dans nos quatre évangiles, de lesgrouper en synopses, de les comparer, d'étudier attentivement lestransitions qui les relient et d'essayer d'établir, en les ordonnantdans un récit unique, le cadre ainsi que le mouvement général de lavie de Jésus. Une théorie assez répandue aujourd'hui dans le monde critiqueaffirme que, même si l'on réussissait à établir cette Harmonie, ellen'aurait aucune valeur historique, parce que nos évangilesrenferment, non des données sur la vie de Jésus, mais seulement lareprésentation que la génération suivante s'était faite de cequ'avait dû être le ministère de Jésus. Cette théorie, qui réduitl'ensemble de nos récits évangéliques à une sorte de légendecultuelle, au lieu de simplifier le problème, le complique dedifficultés nouvelles: Où trouver la place de cette «génération» entreles contemporains de Jésus mort à trente-deux ans et nosévangélistes, dont les trois premiers écrivirent leur vie de Jésusavant la ruine de Jérusalem, c'est-à-dire moins de quarante ans aprèsla mort de Jésus? Un milieu dénué d'imagination, mais douéprodigieusement de mémoire et orgueilleux de l'exactitude de sesscribes, peut-il en moins de quarante ans oublier les circonstancesde ses héros au point de substituer à leur vie réelle une histoiremythique? Comment, si nos évangiles ne sont pas conformes àl'histoire, l'apôtre Paul, qui fut converti au Christ un ou deux ansaprès le drame de la croix et qui composa ses épîtres avant qu'aucunede nos sources évangéliques ne fût écrite, aurait-il pu donner commefondement à ses exhortations aux Églises une trame historique de lavie de Jésus qui répond à ce que nos évangiles nous racontent? Enprésence de ces difficultés et du fait que l'expérience spirituellede l'Église à travers les siècles repose tout entière etuniversellement sur les données de nos récits évangéliques, paroleset actes, un grand nombre de critiques refusent de s'aventurer dansune voie où ils aperçoivent, derrière l'érudition, l'amoncellementdes hypothèses, et, derrière la rigueur historique, le rôle quejouent le subjectivisme, l'impression personnelle. Quoiqu'il soit impossible d'écrire une biographie de Jésuspleinement satisfaisante, et cela déjà pour les raisons qu'une petitepartie seulement de l'activité du Sauveur nous a été conservée (cf.Jn 20:30 21:25) et que dans bien des cas, les auteurs de nosévangiles, ne décrivent pas la topographie en témoins oculaires, rienn'oblige de révoquer en doute, au nom de la science, les pages où le Nouveau Testamentnous présente le message du Maître dans le cadre historique de sonactivité. Ce cadre, sur lequel l'historien Josèphe nous donnequelques clartés, répond au pays où Jésus a vécu et où les disciplesl'ont accompagné et continué. C'est ce qu'a montré, dans un livretrès informé et d'une probité scientifique digne de tout éloge, ledirecteur de l'Institut archéologique allemand de Jérusalem, G.Dalman: Les Itinéraires de Jésus (1). On se trouve là sur unterrain solide où peut être édifiée avec prudence et sûreté uneHarmonie des Évangiles. Cette Harmonie, en dépit de ses lacunes et desa part de conjectures, déploie devant nous, dans leurs grandeslignes, les phases successives et logiquement enchaînées du drame desalut qui est la raison d'être du christianisme et qui a assuré samarche triomphale dans l'histoire de l'humanité. Pour faire comprendre Jésus, ce qu'il fut et ce qu'il fit, rienn'est éloquent comme une esquisse de ses voyages. Nous nous sommespermis d'en tenter la représentation graphique d'après l'harmonie desÉvangiles, Jésus de Nazareth (2); on la trouvera à la pl. V descartes. Alex. W. NOTES: (1) Gustave Dalman, Les Itinéraires de Jésus,Topographie desEvangiles, trad. J. Marty, 46 fig. et plans. Biblioth. hist., éd.Payot, Paris 1930.(2) Alex. Westphal, Jésus de Nazareth d'après les témoins de sa vie ,7 vol. Lausanne, éd. La Concorde 1914. Petite éd. révisée: Harmonie des Evangiles, avec trois cartes et un plan, 100 e mille1918.