ÉVANGILES APOCRYPHES

Origine. Dans les communautés chrétiennes du I er siècle, les besoins de lapropagande entraînèrent la fixation par écrit des souvenirs de la viede Jésus; dès la première génération chrétienne, ce travail futamorcé, et il prit rapidement une grande extension. (cf. Lu1:1,4) Les recueils les plus anciens sont à la base de nos troisévang, synoptiques (voir art.). Dans le quatrième évangile, ondistingue des éléments analogues, augmentés de traditions plusévoluées (voir Jean, évangile de). Mais au II e siècle, beaucoupd'autres ouvrages du même genre, dont certains ont disparu ou dont letitre seul nous est encore connu par les mentions qu'en font diversécrivains ecclésiastiques de l'antiquité chrétienne, s'étaientégalement constitués, les uns dans l'Église même, les autres à côtéd'elle, spécialement parmi les Gnostiques. Les détails de leurapparition restent impossibles à reconstituer avec précision; de mêmeon ne détermine pas au juste l'étendue des milieux où ils serépandirent, En tout cas, aucun de ces évang, n'a jamais pénétré dansl'ensemble du monde chrétien des premiers siècles. D'après leséléments conservés de cette abondante littérature, on peut définir àgrands traits leur genèse en tenant compte de trois principauxfacteurs: (a) La première couche des traditions évangéliques,celle-là même dont Marc Matthieu et Luc contiennent le noyau le plus solide.En dépendent à leur tour l'évangile des Hébreux et l'évangile desÉgyptiens, (b) Le développement de l'homélie ou de la parénèse,assez analogue à l'art juif de l'agada (voir Talmud). Sur lestraditions anciennes se branchent dès lors les amplificationsanecdotiques les plus touffues; la légende se donne libre cours:évangile de Nicodème, de Thomas, protévangile de Jacques, évang, arabeet arménien de l'enfance, etc. (c) La floraison des hérésies, ascétiques etgnostiques en particulier. Il leur fallait des documents revêtus del'autorité évangélique. D'où l'apparition des évangile de Pierre, dePhilippe, du pseudo-Matthieu, des douze apôtres, etc.Caractères essentiels. Comparés aux évangiles canoniques, les apocryphes apparaissentd'emblée comme secondaires et inférieurs, à la fois au point de vuede la valeur littéraire et en ce qui concerne le contenu lui-même. Lesurnaturel, souvent grossier, y prend des proportions démesurées. Al'exception de rares sentences, qu'on remarque surtout dansl'évangile des Hébreux, l'imagination échevelée règne d'un bout àl'autre; sur les sobres et vivantes pages de la tradition première,s'échafaudent en zigzags capricieux des développements aussiluxuriants que dépourvus de substance profonde. Si l'historien peut ytrouver le reflet de tendances à l'oeuvre dans les milieux chrétiensen voie de catholicisation, il ne saurait mettre ces documents enparallèle avec les recueils évangéliques du canon, pour reconstituerquoi que ce soit de la vie et de l'oeuvre de Jésus lui-même. En effet, sur tous les points où les apocryphes font état detraditions attestées également par les quatre évangélistes bibliques,on constate des remaniements déterminés par une intentionparticulière d'ordre doctrinal. Il n'est pas jusqu'au folklore dumonde païen qui, revêtu d'un mince coloris chrétien, n'ait fourni sacontribution à certaines de leurs légendes, spécialement dans lespages, fantaisistes et confuses entre toutes, qui veulent retracerl'enfance de Jésus ou la vie entière de Joseph et de Marie.L'évangile des Hébreux (ou: selon les Hébreux) fut le produit le plus remarquable detoute cette littérature. Malheureusement, de ce grand ouvrage(presque aussi long que l'évangile de Matthieu, dit Nicéphore deConstantinople au IX e siècle), nous ne connaissons plus que quelquescourts fragments, par les citations qu'en ont extraites Clémentd'Alexandrie, Origène, Eusèbe et Jérôme. Il est certain que cetévang, provient d'un milieu judéo-chrétien. Jérôme dit qu'unexemplaire lui en fut prêté par les judéo-chrétiens de Bérée, qu'ilen existait un autre dans la bibliothèque de Pamphile à Césarée, etque lui-même en fit une traduction grecque et latine. (Encoren'est-il pas établi que Jérôme désigne bien là l'évangile des Hébreuxplutôt que celui des Nazaréens, remaniement judéo-chrétien de notreMatthieu combiné à diverses autres traditions.) C'est l'Églisepagano-chrétienne qui forgea l'appellation: évangile des Hébreux;pour les judéo-chrétiens, le volume devait s'appeler: «l'Évangile», àl'exclusion de tout autre. Il existait d'abord en araméen, commel'attestent Eusèbe et Jérôme, mais c'est en grec qu'il pénétra dansles autres milieux chrétiens. Tout contribue à établir que sous sa forme araméenne il futrédigé en Palestine ou en Syrie. La traduction grecque, qui remonteau II e siècle, peut avoir été faite en Syrie ou, moins probablement,en Egypte. La date d'origine est certainement ancienne. Mais on nesaurait, comme Lessing et d'autres, identifier cet évang, avec lacollection des Logia attribués à Matthieu par la tradition querapporte Papias. Dès le début du II e siècle, Ignace d'Antiochesemble bien avoir connu l'évangile des Hébreux (lettre aux chrétiens deSmyrne 3:1 et suivant). Il était donc presque contemporain des I eret 3 e évang, canoniques. Aux fragments que nous en reproduisons ci-après, s'ajoute,d'après Papias, la péricope de la femme adultère, qui vinttardivement s'insérer dans quelques manuscrits du 4 e évangile (voirAgrapha). Jérôme, Adv. Pelas. 3 a: (cf. Mr 1:8,11 et parallèle)«Or la mère du Seigneur et ses frères lui dirent: Jean-Baptistebaptise pour la rémission des péchés; allons, nous aussi, nous fairebaptiser par lui. Il leur répondit: En quoi ai-je péché, pour quej'aille recevoir son baptême? Si, du moins, cela même que je disn'est pas [un péché d'] ignorance.» Jérôme, Comm. d'Ésaïe 11:2: «Or il arriva,lorsque le Seigneur remonta de l'eau, que la source de toutes choses,l'Esprit saint, descendit et se posa sur lui, en lui disant: MonFils, je t'ai attendu parmi tous les prophètes, pour venir reposer entoi. Car tu es mon repos, tu es mon Fils premier-né, qui règneséternellement». Origène, Hom. sur Jean 15:4: (cf. Mt 4:1,8) «A ce momentma mère, le saint Esprit, me saisit par l'un de mes cheveux etm'emporta sur la grande montagne du Thabor.» Jérôme, Comm. d'Eph 5:4: (cf. Mt 5:24) «Et ne vousréjouissez jamais, dit-il, si ce n'est quand vous aurez considérévotre frère avec amour.» Clément d'Alex., Strom., II, 9:45; V, 14:66: (cf. Mt11:29) «Celui qui admire régnera, et celui qui règne trouvera lerepos.»--«Celui qui cherche n'aura pas de trêve jusqu'à ce qu'iltrouve; quand il aura trouvé, il admirera; quand il admirera, ilrégnera; quand il régnera, il sera en repos,» Jérôme, Comm. de Mt 12:13: (cf. Mr 3:1,8 et parallèle)«J'étais maçon, gagnant ma vie par [le travail de] mes mains. Jet'en supplie, Jésus, rends-moi la santé, que je ne sois pas réduit àmendier honteusement mon pain.» Jérôme, Adv. Pelag. 3 (cf. Mt 18:21, Lu 17:3): «Siton frère pèche contre toi en paroles et te donne (ensuite)satisfaction, accueille-le, sept fois dans une journée. Simon, sondisciple, lui dit: Sept fois dans une journée? Le Seigneur,répondant, lui dit: Je te dis même jusqu'à soixante-dix fois sept;car chez les prophètes aussi, après qu'ils eurent reçu l'onction dusaint Esprit, on a trouvé des discours entachés de péché». Origène, Comm. de Mt 15:14: (cf. Mr 10:7-25 etparallèle) «Un autre, un homme riche, lui dit: Maître, par quellebonne action aurai-je la vie?--O homme, lui dit-il, accomplis la Loiet les Prophètes.--L'homme lui répondit: Je l'ai fait.--Il lui dit:Va, vends tout ce que tu as et partage-le aux pauvres, puis viens mesuivre.--Mais l'homme riche se mit à se gratter la tête; cela ne luiplaisait pas. Le Seigneur lui dit: Comment dis-tu: j'ai accompli laLoi et les Prophètes, alors qu'il est écrit dans la Loi: Tu aimeraston prochain comme toi-même, et voici que beaucoup de tes frères,fils d'Abraham, sont couverts d'ordures, mourants de faim, alors queta maison regorge de bonnes choses dont rien ne sort pour eux? Puisil se tourna et dit à Simon, son disciple, assis près de lui: Simon,fils de Jean, il est plus facile à un chameau dépasser parle troud'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des cieux.» Origène, Comm. de Mt 23:35: Dans l'évangile dont seservaient les Nazaréens, nous trouvons écrit au lieu de «fils deBarachia»: «fils de Jéhojada». Eusèbe, Théoph. 22: (cf. Mt 25:14-40) L'évangile qui nousest parvenu en caractères hébreux contient la menace adressée non pasà celui qui cacha [son talent], mais à celui qui vivait dans ledésordre; car il y a trois serviteurs, l'un qui dilapide le bien deson maître avec des prostituées et des joueuses de flûte, l'autre quien tire un profit maintes fois multiplié, et un qui cache son talent;ensuite l'un est agréé, l'un est seulement blâmé, l'autre est mis enprison. D'après Cyrille de Jérusalem, l'évangile des Hébreux contenait enoutre le texte suivant: «Lorsque le Christ voulut venir sur la terreauprès des hommes, Dieu le Père choisit dans le ciel une forcepuissante qui s'appelait Michel, et confia le Christ à ses soins.Cette force vint dans le monde, y reçut le nom de Marie et le Christdemeura sept mois dans son sein.»L'évangile des Égyptiens. Les seuls débris qui en subsistent se trouvent dans l'oeuvre deClément d'Alexandrie Stromates, et Extraits du gnostiqueThéodote , qui, se référant à Cassien, paraît bien avoir attribué àcet évang, une certaine valeur historique, mais sans le placer sur lemême niveau que Matthieu, Marc Luc et Jn. Origène croyait y retrouver l'undes nombreux documents que mentionne le prologue de Luc, mais il nele tenait pas pour inspiré. A en croire Hippolyte, une sectegnostique particulièrement obscure, celle des Naasènes, aurait faitusage de l'évangile des Égyptiens. On le trouve encore mentionné chezÉpiphane, et l'homélie dite: «2 e épître de Clément romain», vers lemilieu du II e siècle, contient déjà l'une des citations quereproduira Clément d'Alexandrie dans le dernier quart du même siècle.Ceci amène à supposer que d'autres morceaux d'origine inconnue citéspar la même homélie: 4:5 5:2, 4 8:5, etc., peuvent en provenir aussi. Le tout reste si fragmentaire qu'on est réduit, en ce quiconcerne la date et le lieu de composition, à formuler desconjectures très incertaines. Le titre semble bien suffire à établirque le document circulait parmi les communautés chrétiennes d'Egypte.Durant une partie du II e siècle, la tradition évangélique y auraprincipalement été accréditée sous cette forme. Au moins vers la findu II e siècle, on considérait l'évangile des Égyptiens comme contenantdes opinions hérétiques, spécialement celles des Encratites, ascètesadversaires du mariage; les fragments conservés professent en effetce rigorisme particulier. Antérieur à 2 Clément rom., l'évangile a puse constituer au II e siècle, dans le premier tiers. En voici lestextes subsistants. Comme dans beaucoup d'apocr., on remarquera latendance à mettre au premier plan des personnages très secondaires del'histoire évangélique; ici c'est Salomé: (cf. Mr 16:1) Clément d'Alex., Strom., III, 9:63: (cf. Mt 5:17) «Je suisvenu pour abolir les oeuvres de la femelle.»--III, 6:45: (cf. Mt19:12) «A Salomé, demandant jusqu'à quand la mort exercerait sonpouvoir, le Seigneur dit: Aussi longtemps que vous, femmes, vousenfanterez».--III, 9:64,66: «Salomé dit: Jusqu'à quand les hommesmourront-ils?--Le Seigneur répondit: Aussi longtemps que- les femmesenfanteront.» «Car lorsqu'elle (Salomé) dit: J'ai donc bien fait dene pas enfanter? le Seigneur repartit en ces mots: Mange toute espèced'herbe, mais ne mange pas celle qui a de l'amertume.»--III, 13:32(cf. 2 Clém. Ro 12:2,5): «Salomé s'informant du moment où leschoses qu'elle demandait seraient connues, le Seigneur dit: Lorsquevous foulerez aux pieds le vêtement de l'ignominie et lorsque lesdeux deviendront un, le mâle (étant confondu) avec la femelle, nimâle ni femelle». A ce même évang, ont parfois été attribuées les paroles de Jésus(voir Agrapha) découvertes dans les papyrus d'Oxyrhynque.L'évangile de Pierre. D'après Eusèbe, H.E. VI, 12:3 - 6, Sérapion, évêque d'Antiocheentre 190 et 200, avait écrit un opuscule: De l'évangile attribué àPierre, qu'il condamnait comme entaché de docétisme. Origène (Comm.de Matthieu 10:17) a également connu cet évangile, qu'on trouve encorenommé et rejeté par Eusèbe (III, 3:23), Théodoret, Jérôme et le Decretum Gelasianum. Mais du contenu même, rien ne subsistait,lorsqu'un fragment sur parchemin du VIII e ou IX e siècle en futdécouvert par Boudant dans la tombe d'un moine égyptien à Akhmim, etpublié en 1892, avec d'autres textes (apocal. de Pierre, livred'Hénoch). Pierre y parle à la première personne et raconte l'histoireévangélique. Les évangiles canoniques y sont utilisés, avec d'autrestraditions moins anciennes. Le docétisme dénoncé par Sérapion s'yfait jour incontestablement. On peut supposer que la rédactions'acheva entre 130 et 180. Si l'auteur est un gnostique, son oeuvrepénétra cependant dans la grande Église, en Syrie notamment.Peut-être était-il lui-même Syrien. Au III e siècle, la Didascalia, écrite sûrement dans cette province, connaît l'évangile de Pierre. 1:1: (cf. Mt 27:24) «Aucun des Juifs ne se lava les mains,ni Hérode, ni aucun de ses juges. Comme ils ne voulaient pas selaver, Pilate se leva, et alors Hérode, le roi, donna l'ordre de sesaisir du Seigneur; il leur dit: Ce que je vous ai commandé de luifaire, faites-le.» 2:51: (cf. Mr 15:15 et parallèle) «Et il lelivra au peuple, avant [c-à-d, le jour précédant] le premier [jour]des pains sans levain, leur fête.» 4:10 ss: (cf. Mr 15:22-32 et parallèle) Ils emmenèrent deuxmalfaiteurs et les crucifièrent chacun d'un côté du Seigneur...L'unde ces malfaiteurs les injuriait, disant: Nous, c'est à cause de nosméfaits que nous subissons ce supplice; mais celui-ci, qui est devenusauveur des hommes, quel crime vous a-t-il infligé? Indignés contrelui, ils ordonnèrent qu'on ne lui rompît pas les os de la jambe, pourqu'il mourût torturé. 5:15,19s: (cf. Mr 15:33-38 et parallèle) «C'était le milieu dujour; des ténèbres envahirent toute la Judée...Et le Seigneurs'écria: Ma force, ma force, tu m'as abandonné! Cela dit, il expira.A l'heure même, le rideau du temple de Jérusalem se fendit en deux.» 7:25: (cf. Lu 23:48) «Alors les Juifs, les anciens etles prêtres, connaissant quel mal ils s'étaient fait à eux-mêmes, semirent à se frapper et à dire: Malheur sur nos péchés! Il approche,le jugement; c'en est fait de Jérusalem!» 8:28-33: (cf. Mt 27:62-65) «Les scribes, les pharisiens etles anciens s'assemblèrent...et vinrent présenter une requête àPilate en ces mots: Accorde-nous des soldats, pour que (nous)gardions son tombeau pendant trois jours, de peur que ses disciplesne viennent le dérober, et que le peuple abusé, le croyantressuscité, ne nous fasse un mauvais parti. Pilate mit donc à leurdisposition le centurion Pétrone, avec des soldats, pour garder lesépulcre. Des anciens et des scribes allèrent avec eux au tombeau. Etroulant une grande pierre, avec le centurion et les soldats, tousceux qui étaient là la placèrent à l'entrée du tombeau; puis ils lascellèrent de sept sceaux, ils plantèrent là une tente et montèrentla garde.» 12:50-54 13:55-57: (cf. Mr 16:1,8 et parallèle) «Or, lematin du jour du Seigneur, Marie-Madeleine, disciple duSeigneur...amenant ses amies, vint au sépulcre où on l'avait placé.Elles craignaient que les Juifs ne les vissent et disaient...Qui doncnous roulera la pierre qu'on a mise sur la porte du sépulcre, pourque nous entrions nous placer à ses côtés et faire ce qu'il faut? Carcette pierre était grande. Nous avons peur que quelqu'un ne nousvoie...En s'avançant, elles trouvèrent le sépulcre ouvert. Ellesavancèrent encore, s'y penchèrent et y virent un jeune homme assis aumilieu du sépulcre; il était beau et revêtu d'un costume magnifique.Il leur dit: Pourquoi venez-vous? Que cherchez-vous? N'est-ce pas cecrucifié? Il est ressuscité et il est parti. Que si vous ne le croyezpas, penchez-vous et considérez la place où il était; il n'y est pas.Oui, il est ressuscité, et il est retourné là même d'où il avait étéenvoyé.--Alors, pleines d'effroi, les femmes s'enfuirent.» 11:45-49: (Cf Mt 28:11-15) Ce que voyant, les gens ducenturion allèrent en hâte, pendant la nuit, trouver Pilate...et ilslui racontèrent tout ce qu'ils avaient vu...Pilate leur répondit: Jesuis pur du sang du Fils de Dieu...C'est vous que cela regarde.Ensuite tous vinrent le supplier instamment pour qu'il ordonnât aucenturion et aux soldats de ne rien dire de ce qu'ils avaientvu...Pilate donc donna au centurion et aux soldats l'ordre de ne riendire.L'évangile de Nicodème. On en possède deux recensions, A, B, conservées dans des versionslatine et copte. Une 1 re partie, ch. 1-16, raconte longuement le procès de Jésusdevant Pilate, sa condamnation, son exécution sur la croix et sarésurrection. C'est une juxtaposition et une amplification des récitscorrespondants des évangiles, canoniques. On y remarque nombred'anecdotes relatives à la tentation de Jésus; douze témoins dumariage de Joseph et de Marie, parmi lesquels figurent Nicodème etVéronique, attestent la naissance légitime de Jésus. Le récit de lacrucifixion dépend nettement de Lu 23. L'auteur s'appliqueensuite très spécialement à démontrer la certitude de larésurrection. Le tout vise à adapter l'histoire évangélique à latractation homilétique. La deuxième partie, ch. 17-27, contient une relation de ladescente de Jésus aux enfers, faite par les fils ressuscités duvieillard Siméon (Lu 2:2 et suivants), que le texte B appelleLencius et Carinus. On y trouve exprimée une théorie de l'expiation(voir ce mot), antérieure à celle d'Anselme: Jésus, en se livrant enrançon à Satan, libère les âmes que le prince des démons tenaitcaptives. Depuis Tischendorf, l'indépendance de ces deux documentsactuellement juxtaposés est un fait acquis. Le I er porte le nom de Acta (ou Gesta) Pilati, sans s'identifier avec le rapport dePilate à Tibère que mentionne Tertullien (Apol. 5:21), car on ne peutpas en placer la composition avant le courant du IV e siècle; lesdeux recensions conservées représentent un remaniement ultérieur (V esiècle).--Quant au 2 e, intitulé: Descensus Christi ad inferos, il remonte vraisemblablement aussi au temps où l'Église n'était pluspersécutée. C'est vers le IX e siècle que l'ensemble prit le nomqu'il a conservé. Mais on ne lui attribua une réelle autorité historique oudoctrinale qu'en plein Moyen âge (XIII e siècle). La recension latin du Descensus donne en appendice la lettre de Pilate à Claude (Tibère), conservée en latin et en grecpar les Actes apocr, de Pierre et de Paul (ch. 40-42).Le protévangile de Jacques C'est le plus ancien et le plus célèbre des multiples évangiles apocr,dits de l'enfance, parce qu'ils traitent exclusivement de lanaissance, de l'enfance et de l'adolescence de Jésus, non sans faireplace à mainte légende relative à ses parents. L'enfant se révèledéjà divin par force miracles. Plus d'un thème de ces récits provientdu vieux fonds des légendes orientales, adapté aux croyanceschrétiennes et aux sollicitations de l'apologétique. On s'écarte deplus en plus de la sobriété que gardaient les préambules de Matthieu et deLuc (ch. 1-2). Sous sa forme actuelle, le protévangile de Jacques fut utilisépar Épiphane vers la fin du IV e siècle; auparavant, il semblequ'Origène l'ait mentionné sous le nom de «livre de Jacques». Ouvragecomposite, il comprend des éléments qui doivent remonter au milieu duII e siècle. Sa popularité fut grande, car, outre l'original grec, ilen exista des versions latine, syriaque, copte et arménienne. Il sedonne (25:1) pour une oeuvre de Jacques, frère du Seigneur; enréalité, l'auteur est un pagano-chrétien, peut-être égyptien. C'estune importante attestation de la croyance à la naissance miraculeuseà l'époque indiquée. Au point de vue littéraire, il contientcertaines pages pleines de charme, qui voisinent et contrastent avecdes développements apologétiques assez diffus et laborieux. La figure de Marie y occupe d'abord le premier plan. Ses parents,Joachim et Anne, sont des gens riches et distingués. Ils amènent autemple dès qu'elle a trois ans l'enfant qui leur a été tardivementaccordée et qu'ils consacrent à Dieu; là elle vit pieusement jusqu'àsa douzième année, date où Joseph, veuf, père de plusieurs enfantsdont Jacques, est singulièrement amené à l'épouser. Suivent un récitde l'annonciation, la visite de Marie à Elisabeth, une épreuvejudiciaire subie victorieusement, par Joseph et Marie accusés demariage clandestin. La naissance de, Jésus a lieu dans une caverne ets'accompagne de prodiges inconcevables. Une sage-femme atteste que lavirginité de Marie demeure intacte. L'ouvrage s'achève en relatant lemartyre de Zacharie et la mort d'Hérode, transition au récit desSynoptiques. Il est probable que cet évang, fut composé pour servir la causedu gnosticisme. Deux autres récits de l'enfance, écrits en latin, l'évangile de Matthias ou du pseudo-Matthieu et celui de la Nativité de Jésus, dépendent visiblement soit du protévangile deJacques, soit en tout cas de sa source principale.L'évangile selon Thomas (le philosophe israélite).Sous sa forme actuelle, qui n'est pas antérieure au VII e ou VIII esiècle, ce second évangile de l'enfance représente un remaniementecclésiastique et une abréviation de l'évangile gnostique de Thomasattesté principalement par Hippolyte, Origène et Eusèbe; ce dernierle mentionne parmi les apocryphes. Son contenu précis ne se laisseguère reconstituer. Il a pu exister vers le milieu du II e siècle; del'ouvrage conservé, il existe plusieurs recensions grecques, unesyriaque, une latine et une slave, présentant entre elles diversesvariantes. Toutes contiennent des historiettes échelonnées entre lacinquième et la douzième année du héros; la dernière de la sérien'est autre que la scène du temple déjà relatée dans Lu 2:41,52.Le surnaturel y éclate d'un bout à l'autre: Jésus fait envoler desoiseaux de terre glaise, etc.Autres évangiles de l'enfance. Une compilation, puisant surtout dans les deux évang, que nous venonsde caractériser, fut rédigée en syriaque, mais nous n'en possédonsplus, pour la majeure partie, que la traduction en arabe (d'où lenom: évang, arabe de l'enfance) et une version arménienne. Demultiples embellissements, toujours plus fantastiques, ont été brodéssur les thèmes empruntés à «Jacques» et à «Thomas». On lit en tête, provenant peut-être de quelque copiste, cettenote bien adaptée au ton de l'ensemble: «Nous avons trouvé ceci dansle livre de Josèphe le grand-prêtre qui existait au temps duChrist--d'aucuns ont dit que c'était Caïphe; il affirme donc queJésus parla, étant au berceau, et dit à sa mère: Je suis Jésus, lefils de Dieu, le Verbe, que vous avez enfanté, comme vous l'avaitannoncé l'ange Gabriel, et mon Père m'a envoyé pour sauver le monde.»(Trad. P. Peeters.) C'est peut-être dans ces pages que culmine le merveilleux detoute la littérature évangélique apocryphe. Leur caractère compositene permet pas d'en envisager l'apparition comme antérieure au VII eou au VIII e siècle.l'Histoire du charpentier Joseph. Se rattache au même cycle. On en possède un texte arabe, maisl'original semble avoir été écrit en copte, car l'ouvrage, destiné àglorifier Joseph, était certainement lu le jour de sa fête (20juill.), et ce culte de Joseph se répandit d'abord chez les Coptesmonophysites. La note gnostique y apparaît moins prononcée que dansle protévangile, malgré certains points de contact avec ce livre.Naissance et ensevelissement de l'époux de Marie sont amplementnarrés, ainsi que la véritable oraison funèbre prononcée par Jésus.Celui-ci déclare à propos de Marie: «C'est moi qui l'ai choisie demon plein gré, d'accord avec mon Père et sur les conseils duSaint-Esprit.» L'auteur a dû se servir de matériaux judéo-chrétiens.Il appartient au V e siècle vraisemblablement.l'évangile de Philippe On n'en connaît que le nom. Épiphane dit que les Gnostiques en faisaient usage. La Pistis Sophia lementionne plus clairement; il devait donc circuler en Egypte depuisle III e siècle dans les cercles gnostiques. C'est peut-être le mêmedont le prêtre Timothée et Léonce de Constantinople attestentl'emploi chez les Manichéens. La valeur en fut, en tout cas,inférieure à celle du protévangile de Jacques.Divers fragments Ils sont relatifs à l'enfance du Seigneur qui tous ont amplifié àl'envi ce protévangile; le plus récemment exhumé est un ms. latin. Onsait, d'autre part, que des écrivains contemporains, spécialement L.Wallace, auteur de Ben-Hur, et Selma Lagerloef pour ses Légendes du Christ, trouvèrent dans les évangiles de l'enfance unesource d'heureuses inspirations.L'évangile des douze apôtres Mentionné par Origène, Ambroise, Jérôme, Théophylacte, estgénéralement identifié avec l'évangile des Ébionites dont Épiphanea cité quelques fragments, en le caractérisant comme faussementattribué à Matthieu et intitulé par les Ébionites qui l'employaient:«évangile des Hébreux» ou «évangile hébreu». (De là sans doutel'erreur de Jérôme qui le confond avec l'évangile des Hébreuxcaractérisé ci-dessus.) Des citations d'Épiphane il paraît bienrésulter que les douze apôtres y figuraient, racontant l'histoire deleur Maître. L'inspiration en était judéo-chrétienne avec une pointede gnosticisme. Cet évangile, écrit en aram, mais traduisant unoriginal grec, condamnait les sacrifices sanglants et l'absorption dela viande. Jésus aurait dit: «Je suis venu peur mettre fin auxsacrifices; tant que vous continuerez à sacrifier, la colère de Dieune s'éloignera pas de vous.» Lu 22:15 est transformé en unequestion impliquant réponse négative: «Ai-je désiré manger cettePâque avec vous?» L'interprétation serait à réviser, si, comme on l'asupposé, ces fragments se retrouvaient dans les élémentsjudéo-chrétiens des homélies et recognitiones pseudo-clémentines.Provisoirement, si ce que cite Épiphane provient d'un évangile connuaussi par Origène, on peut le faire remonter aux premiers temps duIII e siècle.Le passage de Marie Selon (Joannis de transitu Maria) , il donne un récit merveilleuxde la mort de Marie. Le Saint-Esprit rassemblant autour de lamourante un grand nombre d'apôtres accourus des extrémités du monde,quelques-uns mêmes ressuscités tout exprès. Une imposante série demiracles s'accomplit, couronnée par l'élévation dans le Paradis ducorps «précieux et sans tache» de Marie. Il existe de cet évangile des versions grecque, latine, syriaque,égyptienne-sahidique et éthiopienne. On constate qu'il dépend duprotévangile et de nombreux autres écrits apocr.; d'autre part, il nepeut être antérieur à l'épanouissement du culte de la Vierge qui seproduisit vers la fin du IV e siècle; son influence sur la pensée etl'art du catholicisme romain fut considérable. L'un de sesmanuscrits latin le fait suivre d'un récit: de Jésus-Christ et desa descente de la croix, attribué comme lui à «saint Jean lethéologien».Divers évangiles qu'il nous reste à énumérer, dont les nomsseuls, pratiquement, sont parvenus jusqu'à nous.--L'évangile de Basilide, mentionné par Origène, Ambroise,Jérôme, Eusèbe. Origène confond peut-être un commentaire évangéliquedû à Basilide avec un «évangile» proprement dît dont il lui attribuel'audacieuse composition. Il se peut toutefois que, comme chefd'école, Basilide ait remanié les quatre évang, canoniques, en unensemble (un peu à la manière de Tatien) où il soulignait les textessusceptibles d'interprétation gnostique.--L'évangile d'André, mentionné par Innocent 1 er etpeut-être Augustin, si du moins il ne s'agit pas pour eux des Actesd'André. Le décret de Gélase le nomme parmi les évangilescondamnés. Origine gnostique?--L'évangile d'Apelle, dont parlent Jérôme et Bède,consistait peut-être, comme celui de Marcion, en une copie remaniéede morceaux pris dans un évang, canonique. Épiphane rapporte, commeen provenant, ce mot de Jésus: «Soyez des changeurs de monnaieéprouvés.»--L'évangile de Barnabas figure dans le décret de Gélase.Casaubon attribuait à Barnabas la traduction en grec de l'évangile deMatthieu composé en hébreu. On a publié en 1908 un «évangile deBarnabas» datant du Moyen âge, si ce n'est de la Renaissance.--De l'évangile de Barthélémy font mention Jérôme, Gélase et Bède.Une tradition voulait que cet apôtre eût porté dans les Indesl'évangile hébreu de Matthieu et que Pantène l'y eût retrouvé plus tard.--L'évangile de Cérinthe, nommé par Épiphane, semble n'avoir étéautre chose que l'évangile de Matthieu réduit ou mutilé et adoptéaussi sous cette forme par les Garpocratiens.--De l'évangile d'Eve, le même auteur donne quelques extraits; d'aprèslui, certains gnostiques l'employaient.--L'évangile de Jacques le majeur semble avoir été découvert en1595 en Espagne, où cet apôtre aurait le premier fait pénétrer lechristianisme. L'ouvrage fut condamné en 1682 par Innocent XI--L'évangile de Judas Iscariote Irénée, Épiphane et Théodoretrapportent que la secte gnostique des Caïnites se servait de cetévangile.--Evang, de Lencius (d'après Irénée), parfois identifié, àtort, avec le pseudo-Matthieu.--Quatre évangiles des Manichéens:

- évangile de Thomas (disciple de Manès; cf. Cyrille, Gélase, Timothée de Constantinople, etc.); - évang, vivant, cf. Photius, Cyrille, Épiphane, Timothée; - évangile de Philippe, cf. ci-dessus; - évangile d'Ab cf. Photius.
--Evang, des Simonites, cf. préface Arabica aux canons duConcile de Nicée.--Evang, de Thaddêe, cf. le décret de Gélase. Si ce n'est pas unesimple faute d'orthographe: Th pour M (Matthias), il seraitattribué à l'apôtre Thaddée (Jude) ou à l'un des 70 disciples, envoyépar Thomas au roi Abgar d'Edesse d'après Eusèbe, H.E., I,13.--Evang, de Valentin, mentionné par Tertullien, peut-être àassimiler à l'évangile de vérité qu'Irénée dit avoir été utilisépar les Valentiniens et s'être écarté totalement des évangiles,canoniques.--Descente de Marie visé par Épiphane sous le titre de laprésente l'allure d'un roman gnostique antijuif.--L'évangile de Zacharie a été incorporé dans le protévangile. Cette longue liste ne donne certainement encore qu'une idée trèsfragmentaire de l'étendue d'une littérature qui fleurit avec uneabondance extraordinaire entre le II° et le VI e siècle; il n'est pasune secte, semble-t-il, spécialement dans le mouvement gnostique, quine se soit constitué son ou ses évangiles, pour établir ses doctrinesspécifiques sur une base accréditée. L'exemple premier leur avait étédonné par l'évangile de Marcion dans la première moitié du II esiècle. Cet évang, a totalement disparu, mais, étant donné lepaulinisme exclusif de Marcion, on est fondé à croire qu'il partaitdes textes où Paul parle de «son évangile» (Ga 1:8,1Th 2:9,Ro2:16), pour adopter celui de Luc en le débarrassant d'éléments juifscomme les ch. 1-2, etc. D'ailleurs, cela concorde avec les extraitsde l'évangile marcionite que donnent ses grands adversaires, Origène,Epiphane et surtout Tertullien. Jq. M.