ESCLAVE

Les mots hébreux êbèd et âmâh et les mots grec doulos,doulè et oïkètès, qui signifient ordinairement esclave, sont le plus souvent traduits dans nos Bibles: serviteur et servante Comme tous les peuples de l'antiquité, Israël a connu le régimede l'esclavage. Mais s'il l'a tenu, lui aussi, pour naturel, légitimeet indispensable, il l'a du moins pratiqué, en général, d'une façonplus éclairée, plus libérale et plus bienveillante. Sa législationsur ce point est plus humaine qu'aucune autre et les usages semblentaussi avoir été en Palestine moins rudes qu'ailleurs: il n'y a, eneffet, dans l'histoire d'Israël, aucune trace de ces soulèvementsd'esclaves et de ces guerres serviles comme il s'en est produit sisouvent chez d'autres peuples, à Athènes et à Rome en particulier. Bien qu'il soit impossible de le fixer avec quelque sûreté, ilest incontestable que le nombre des esclaves a été chez lesIsraélites beaucoup plus restreint qu'en aucune autre nation. Dansl'ensemble de la littérature hébraïque, il n'y a pas, a cet égard,d'indices d'une situation analogue à celle de la république romaine,par exemple, où deux siècles av. J.-C, les esclaves, se comptant parcentaines de milliers, représentaient environ les 5/11 de la société.Dans le dénombrement de Néhémie,. au retour de l'exil, la proportiondes esclaves par rapport à l'ensemble de la population est de un poursix (Ne 7:67), et rien ne permet de supposer qu'elle ait étéplus forte à d'autres époques. Il y avait en Israël deux catégories d'esclaves: 1. ceux qui étaient d'origine étrangère, soitcaptifs de guerre (No 31:11,25,47), soit achetés à prixd'argent (Ge 17:12,23,27,Le 25:44 et suivant); ils étaientattachés à des particuliers (Ge 15:2) ou bien employés à destravaux d'utilité publique (1Ro 9:20-22) et aux corvées dusanctuaire (Jos 9:23,27); 2. ceux qui, de naissance israélite, étaientdevenus esclaves: ou par contrainte judiciaire, à la suite de volsdont ils n'avaient pu restituer le montant (Ex 22:3), ou pours'être vendus eux-mêmes afin d'échapper à l'indigence (Ex 21:2,De15:12,Le 25:39), ou, enfin, par un usage que la loi semblaitinterdire (Ex 22:26,De 24:10-13), mais qui était cependant depratique courante, pour avoir été saisis et vendus par leurscréanciers en raison de leur insolvabilité (2Ro 4:1,Am 2:68:6,Job 24:9,Ne 5:6,8,Mt 18:25).Il n'y a pas lieu de penser que les Israélites se soient livréseux-mêmes au trafic habituel des esclaves: ils ont été acheteursoccasionnels, pour leurs besoins domestiques, mais non marchandsd'esclaves. Ce commerce était aux mains de leurs voisins, Phéniciensou Édomites (Am 1:6,9,Eze 27:13,Joe 3:6). Légalement, l'esclave était, au même titre que les troupeaux etles champs, la propriété de son maître, mais non point tout à faitcependant sa chose, res, comme disait la loi romaine en son rudelangage. Dans le plus ancien Code de lois, connu sous le nom de Livrede l'Alliance, il est appelé «l'argent de son maître» (Ex21:21), et sa valeur est fixée à 30 sicles (verset 32); au cas où ilétait blessé par le boeuf d'un voisin, on y voyait un dommage fait aubien de son maître et c'est ce dernier qui était indemnisé. Dans leDécalogue et couramment dans les récits patriarcaux, l'esclave estrangé parmi le bétail (Ex 20:10,17,De 5:14,21,Ge 12:16 20:14) La femme esclave n'était pas considérée autrement que l'homme. Leplus souvent, elle était, dans la maison, la propriété particulièrede l'épouse (Ge 16:6,9 25:12), à qui elle pouvait avoir étédonnée en dot au moment du mariage (Ge 24:59,61 29:24,29); elledisposait si peu de sa personne que sa maîtresse pouvait la donnerpour concubine à son mari (Ge 16:1-5 30:3,9); le viol d'uneesclave était puni au même titre que celui d'une jeune fille libre:considéré comme un préjudice fait au bien d'autrui, il entraînaitvraisemblablement une action en dommages-intérêts au bénéfice dupropriétaire (Le 19:20,Ex 22:16,De 22:28 et suivant). Bien que l'esclave appartînt ainsi complètement à son maître, iln'était pas dépourvu cependant de toute espèce de droits, et lalégislation mosaïque lui assurait quelques garanties élémentairesqu'il n'avait pas en d'autres pays. Ainsi, si la bastonnade étaitadmise (Ex 21:21, Sir 33:24-26), la mutilation d'un esclavepar son maître avait pour conséquence légale l'affranchissementimmédiat (Ex 21:26 et suivant); non seulement le meurtre, maisle vol et le: recel d'esclaves étaient punis de mort (Ex21:12,16,20); au contraire de ce qui se passait à Rome, il y avaitune sorte de droit d'asile universel pour l'esclave fugitif, qu'iln'était pas permis de rendre à son maître (De 23:15); il étaitinterdit de vendre, une fois qu'elle avait cessé de plaire, lacaptive de guerre i dont on avait fait une concubine (De21:10-14). Voir Crimes. D'autre part, au point de vue religieux, l'esclave faisait partiede la famille, et en partageait tous les privilèges; s'il étaitd'origine étrangère, il devait recevoir le signe de l'Alliance etêtre circoncis, moyennant quoi il cessait d'être un profane (Ex12:44,Ge 17:12-14 23-27). dès lors, comme ses maîtres, il avaitdroit au repos du sabbat (Ex 20:10 23:12,De 5:14 et suivant) etparticipait aux fêtes religieuses (De 12:12,18 16:11,14);l'esclave du sacrificateur avait même le droit de manger des chosessaintes, ce qui était interdit à la fille du sacrificateur entrée parle mariage dans une famille non sacerdotale (Le 22:10-13). Dans la pratique, l'esclave pouvait arriver à jouer dans lamaison un rôle important et devenir une sorte d'intendant général,comme le m agister servorum familioe des Latins (Ge 24:2);on lui confiait parfois les missions les plus délicates (Ge24:2,9); il était apte à hériter de son maître (Ge 15:2); sesavis étaient, à l'occasion, sollicités et suivis (Jug 19:11,1Sa9:5-10); rien n'empêchait qu'il épousât la fille de sonmaître (1Ch 2:35); les esclaves d'hommes importants étaientl'objet d'une certaine considération (1Sa 9:22) et pouvaientêtre envoyés en ambassade auprès des plus hauts, personnages (2Sa10:2-4); ils avaient la libre disposition d'un pécule (1Sa9:8,Le 25:50), et pouvaient posséder eux-mêmes des esclaves, qui,tenaient ainsi le rôle des vicarii à Rome (2Sa 9:9 etsuivant, Ge 9:25). Par une particularité essentielle de la législation hébraïquerelative à l'esclavage, un terme légal était fixé à l'asservissementde l'esclave indigène, tandis que l'esclave d'origine étrangère étaitdestiné à rester toute sa vie dans la servitude: c'était le seulpoint, d'importance capitale il est vrai, sur lequel différaientleurs statuts respectifs. La libération des esclaves israélites a été, d'ailleurs, au coursdes siècles, l'objet de mesures successives, toujours plus libérales.Ainsi, à l'origine, le Livre de l'Alliance stipulait que l'Israélitene pouvait être l'esclave d'un compatriote que pour une durée maximade six ans: la septième année, il recouvrait de plein droit saliberté, emmenant avec lui sa femme, s'il était déjà marié avant dedevenir esclave, la laissant, au contraire, dans la servitude ainsique ses enfants, s'il avait épousé une des esclaves de son maître,dont les droits primaient alors ceux du mari et du père. Une clausespéciale prévoyait cependant que, s'il le désirait, par attachementpour son maître ou pour sa femme et ses enfants, l'esclave pouvaitrenoncer à exercer son droit; dans ce cas, il perdait définitivementla liberté: on lui perçait solennellement le lobe de l'oreille avecun poinçon et il portait ainsi désormais dans sa chair, selon l'usagede tout l'Orient, le sceau indélébile de l'esclavage à vie (Ex, 21:2,6). Pour la jeune fille devenue esclave à prix d'argent, il n'y avaitpas, semble-t-il, de droit absolu à la libération, parce que le plussouvent elle était la concubine de son maître; elle n'étaitaffranchie que si, ayant cessé de plaire au maître, celui-ci, auquelil était interdit de la vendre, renonçait à la donner à son fils ounégligeait d'assurer son entretien (Ex 21:7,11). Par la suite, la réforme deutéronomique du VII e siècle étenditaux femmes le droit à la libération qui, jusque-là, était reconnu auxhommes seuls; grâce à une conception plus juste et plus saine dumariage, elle fit passer avant ceux du maître les droits de l'esclaveépoux et père qui, de cette façon, ne se trouva plus réduit à choisirentre sa liberté et ses affections naturelles: en conséquence, poursauvegarder l'unité de la famille de l'affranchi, elle abolit lesrestrictions de Ex 21:3 et suivant. En même temps, par un soucid'humanité qui lui est habituel, elle imposa au maître l'obligationd'assurer ou du moins de faciliter le nouvel établissement del'esclave qui le quittait à l'échéance légale, en lui donnant desprésents en nature, bétail, blé, etc.; toutes ces mesures généreusesétaient justifiées par le grand souvenir de la délivranced'Egypte (De 15:12,18). Il est difficile de savoir si les dispositions libérales du Livrede l'Alliance et du Deutéronome furent jamais effectivementappliquées. En tout cas, à l'époque de Jérémie, la loi prescrivant lalibération des esclaves israélites après six années de servitudeétait, depuis longtemps, lettre morte, et une tentative du roiSédécias pour la faire mettre ou remettre en vigueur n'eut pas desuccès durable (Jer 34:8-17). A côté des résistances qu'elle devait naturellement rencontrer dela part des propriétaires d'esclaves dont elle heurtait les intérêtségoïstes, cette loi portait peut-être en elle-même certainesdifficultés d'application pratique auxquelles il semble qu'a vouluobvier, au retour de l'exil, la législation sacerdotale, dont lacaractéristique essentielle est de substituer une échéance uniquepour tous les esclaves et, par conséquent, fixe dans le temps, à deséchéances individuelles et, par suite, mobiles et difficilementcontrôlables. Selon les prescriptions de Le 25:10,40 et suivant,en effet, l'année du Jubilé, qui se célébrait après sept sabbatsd'années, c'est-à-dire tous les cinquante ans, devait apporter àl'esclave israélite sa libération définitive. Par rapport à lasituation antérieure, cette mesure paraît aggraver le sort del'esclave, dont la durée maxima d'asservissement était ainsi portéede sept à cinquante ans; mais si, laissant les textes, on envisageles faits, on est conduit à penser que, les anciennes prescriptionssur le relâche septennal étant tombées en désuétude ou s'étantrévélées inapplicables, elle constitue au contraire une tentativenouvelle pour aboutir par un procédé différent à un but qui n'avaitpu être atteint, mais qui restait en vue. Du reste, le CodeSacerdotal tend à l'abolition de l'esclavage pour les Israélites: ilveut que le fils d'Israël réduit par l'indigence à se vendre à sonprochain soit considéré, non comme un esclave, mais comme unmercenaire, et qu'ainsi l'esclavage se ramène pour lui à n'être plusqu'une sorte de louage de services à long terme (Le 25:39-43);il réserve pour l'indigène appauvri qui s'est vendu à un étrangerhabitant le pays, non seulement le droit à la libération au moment duJubilé, mais même la faculté de se racheter en tout temps avant cetteéchéance (Le 25:47,54); dans sa manière de voir, il n'y ad'esclaves proprement dits que ceux qui, par leur naissance, sontétrangers à l'Alliance divine (Le 25:44,46), l'Israélite nepouvant être asservi à aucun homme puisqu'il appartient exclusivementet de droit à l'Éternel (Le 25:55). Ainsi, sous l'influencede l'individualisme religieux dont l'exil avait marqué l'éveil,l'évolution du droit israélite aboutit, vers le V e siècle av. J.-C,à la reconnaissance, au moins théorique, de l'égalité naturelle detous les enfants d'Israël, mais des enfants d'Israël seuls. Ici encore, la littérature hébraïque ne fournissant pas leséléments d'information nécessaires, on ne saurait dire si cesordonnances furent suivies d'effet ou si elles demeurèrent à l'étatde conception idéale. En elles-mêmes cependant, elles représententune étape importante, sinon dans les faits, du moins dans ce que l'onpeut appeler l'histoire philosophique de l'esclavage chez lesHébreux. D'ailleurs, même si elles n'ont pas abouti aux fins qu'ellespoursuivaient, elles n'ont pas été, semble-t-il, sans aucuneefficacité pratique: il est permis de penser qu'elles ont dûcontribuer à relever dans les esprits la dignité de l'esclave; etpeut-être faut-il reconnaître la trace de leur influence danscertains conseils du Siracide (II e siècle av. J.-C),; recommandantsans doute la plus grande rigueur à l'égard de l'esclave paresseux etindocile, mais allant d'autre part jusqu'à dire: «Si tu as unesclave, traite-le comme un frère; aime comme toi-même l'esclaveintelligent, et ne lui refuse pas la liberté» (Sir 7:2033:29-31). En proclamant le prix infini de toute âme humaine (Mt 16:26),l'Évangile réalise un progrès définitif sur le point de vueparticulariste et national du Code Sacerdotal, dont quelques espritsgénéreux avaient d'ailleurs, déjà sous l'ancienne alliance, pressentil'insuffisance et l'étroitesse (Job 31:13,15,Joe 2:28 etsuivant), et que les Esséniens avaient eux-mêmes dépassé en renonçantpour leur compte à la pratique de l'esclavage. A vrai dire, Jésus n'a jamais parlé de l'abolition possible del'esclavage; il n'y a point à en être surpris, car il n'a pas vouluêtre un réformateur social et il ne s'est point attaqué auxinstitutions existantes. Il a placé des esclaves dans l'enseignementfiguré de plusieurs de ses paraboles (Mr 12:2,4,Mt 10:24 20:2724:45-47,Lu 17:7 Jean 8:35); il lui est même arrivé defaire allusion aux brutalités et au despotisme des maîtres (Mt18:34,Lu 12:46-48), sans jamais cependant porter un jugement formelsur le régime de l'esclavage lui-même. Mais la condamnation decelui-ci est implicitement contenue dans tout son enseignement commele fruit est contenu dans la graine; il est incontestable que lesexigences d'un ordre social nouveau, établi sur la base de l'égalitéhumaine, se trouvent dans quelques-unes de ses paroles les pluscaractéristiques. Ainsi, en renversant l'échelle habituelle desvaleurs et en faisant de la volonté de service le signe de la vraiegrandeur (Mt 20:25,28 23:11 et suivant, Lu 22:24,27),--ens'identifiant, lui, le Juge des Assises finales, avec le plus humbledes hommes (Mt 25:40,45), --en affirmant que la volonté de Dieuest qu'il ne se perde «aucun de ces petits» (Mt 18:14), --endéclarant enfin: «Un seul est votre Maître et vous êtes tousfrères» (Mt 23:8), --Jésus a préparé la réhabilitation del'esclave, qu'il a tiré de son avilissement séculaire et marqué dusceau de l'humanité; il n'a pas réclamé son émancipation sociale,mais il lui a rendu sa place dans la grande famille dont Dieu est lePère; il lui a restitué sa dignité d'homme et d'enfant de Dieu, et,ce faisant, il a posé, entre la foi chrétienne et le fait social, legerme d'une contradiction qui devait, par la suite, apparaître augrand jour et conduire au redressement d'une iniquité aussi vieilleque le monde. Le problème de l'esclavage se posa pratiquement devant laconscience chrétienne lorsqu'un grand nombre d'esclaves eurentembrassé la foi nouvelle: l'apôtre Paul, en particulier, eut alorsl'occasion de l'aborder à plusieurs reprises. Pas plus que Jésus,toutefois, il ne se prononce explicitement sur cette institutionelle-même et n'en réclame ou même n'en prévoit l'abolition. Pour lui,d'ailleurs, la question est sans importance réelle: le retour duChrist et, par conséquent, la métamorphose universelle étant à sesyeux imminents (1Co 7:29,Ro 13:11,Php 4:5), il n'y a ni urgenceni intérêt majeur à sortir de la condition où l'on se trouve (1Co7:20,24). Il affirme seulement que, en Jésus qui est le Seigneur detous (Ro 10:12), toutes les distinctions extérieures s'effacentet qu'il n'y a plus ni esclave ni homme libre (1Co 12:13,Ga3:28,Col 3:11); pour lui, les inégalités sociales se renversent et,en quelque sorte, se compensent dans la foi: par la foi l'homme libredevient un esclave du Christ et l'esclave un affranchi duSeigneur (1Co 7:22); non seulement l'apôtre oppose l'esclavagedu péché à l'esclavage de Dieu (Ro 6:5-22 etc.), mais chaquefois qu'il se désigne lui-même comme serviteur de Dieu et deJésus-Christ, il donne à ce titre son plein sens: doulos =esclave (Ro 1:1,Php 1:1 etc.). Né à la vie nouvelle, l'esclavepossède la vraie liberté et n'a plus à se mettre en peine de saservitude: eût-il même la possibilité de s'affranchir, mieux vaudraitencore qu'il n'en usât pas, va jusqu'à dire l'apôtre (1Co 7:21),et qu'il restât dans ses liens afin de montrer à ses maîtres, par sadroiture, son zèle, sa docilité et sa simplicité de coeur, qu'il estvraiment libre, et de faire, en tout, honneur au nom de Dieu (Col3:22,24,1Ti 6:1 et suivant, Tit 2:9 et suivant). D'autre part,l'apôtre invite le maître de l'esclave à se rappeler de son côtéqu'il a, lui-même, aux cieux, un Maître qui ne fait pas de différenceentre les hommes (Eph 6:9,Col 4:1), et il l'exhorte à considérerson esclave comme un frère bien-aimé (Phm 1:16,Col 4:9). Parlantd'Onésime, l'esclave fugitif qu'il renvoie à Philémon son maître,auquel il considère qu'il ne cesse pas d'appartenir, il le fait en lereprésentant comme une partie de lui-même ou comme un autrelui-même (Phm 1:12,17). Pour saint Paul, donc, le problèmetrouve sa solution dans une attitude respective des esclaves et desmaîtres, inspirée de part et d'autre de l'esprit évangélique. L'apôtre Pierre ne s'élève pas davantage contre la pratique del'esclavage. Il songe même si peu à en contester la nécessité socialequ'il engage les esclaves à obéir scrupuleusement et avec respectmême aux maîtres les plus exigeants et les plus durs; il leur demandede se montrer en tout irréprochables, malgré les mauvais traitementsdont ils peuvent être l'objet: c'est là, leur dit-il, à la fois votrevocation et votre gloire; le Christ lui-même ayant enduré des peineset des tourments immérités, l'esclave maltraité qui souffre avecrésignation et piété se relève et grandit à ses propres yeux dans lapensée qu'il suit les traces du Christ; plus son sort est misérable,s'il l'accepte sans révolte ni découragement, plus il a la faveur deressembler à l'Agneau qui a été immolé: ce qui le diminue du côté deshommes, le grandit du côté de Dieu (1Pi 2:18-25). Ainsi l'apôtrePierre ne cherche pas, lui non plus, à bouleverser les institutions,ce qui du reste serait à ses yeux sans grand intérêt, la fin detoutes choses étant, dans sa pensée, prochaine (1Pi 4:7); maiss'il ne se préoccupe pas d'assurer à l'esclave la liberté civile, illui ouvre la voie vers la liberté intérieure et transfigure son sorten l'assimilant à celui du Christ. L'Église primitive n'eut pas une attitude différente, même aprèsque se fut évanouie la croyance au retour imminent du Christ: elleadmit le fait de l'esclavage, n'en contesta pas la légitimité et neparut pas en soupçonner l'abolition possible. Les Pères de l'Égliseparlent sur ce sujet comme les apôtres eux-mêmes. Ignace d'Antiocheexhorte les esclaves à servir avec zèle, pour la gloire de Dieu, et àne pas désirer la liberté, de peur de devenir esclaves de leurspassions. Isidore de Péluse conseille à l'esclave de rester dansl'esclavage, même si la liberté lui est offerte. Selon Chrysostome,l'esclave qui obéit aux ordres de son maître observe les préceptes deDieu. Mais tout en se tenant théoriquement à ce point de vue deconservatisme social, l'Église primitive renverse, pour son proprecompte, la barrière qui, dans la société civile, sépare l'esclave del'homme libre: elle accueille le premier au même titre et avec lesmêmes prérogatives que le second; elle lui dispense tous lessacrements; elle l'admet à toutes les fonctions ecclésiastiques, mêmeles plus hautes (au début du III e siècle l'évêque de Rome, Calliste,aurait été esclave); elle bénit et consacre son mariage qui est, pourelle, un conjugium, une union légitime et non plus, comme dans ledroit romain, un contu-bernium, un concubinage; elle lui accordela même sépulture qu'à l'homme libre et, s'il meurt martyr, elleconserve son nom sur ses diptyques à côté des plus illustres. Plusencore, elle compte les affranchissements d'esclaves au nombre desoeuvres pieuses recommandées aux fidèles. Plus tard, l'Église défendit aux Juifs et aux païens d'avoir deschrétiens parmi leurs esclaves; elle interdit la traite des blancs etfit les plus grands efforts pour racheter les esclaves chrétiens desMusulmans, tout en autorisant, il faut le dire, le chrétien, laïc ouclerc, à avoir des esclaves sarrasins; au XV e siècle, le papelui-même n'avait pas de scrupule à en posséder un certain nombre. La découverte de l'Amérique amena un développement odieux de latraite des noirs; les esclavagistes surent même se faire despartisans chez les chrétiens, en exploitant à leur profitl'interprétation juive qui voyait dans la malédiction de Cham laconsécration par Dieu de l'esclavage des nègres (voir R. Allier, Une Énigme troublante, Paris, 1929). Enfin la question de l'abolition de l'esclavage futcourageusement posée devant la conscience humaine par les Quakersqui, au nom des principes chrétiens, entreprirent une vigoureusecampagne d'opinion et fondèrent dans l'Ancien et le Nouveau Monde desassociations anti esclavagistes très agissantes. Cet effort,poursuivi avec une ardeur infatigable durant de longues années,aboutit à ses fins. Le commerce des esclaves fut aboli par l'Amériquedu Nord en 1776, par le Danemark en 1792, par la Convention Nationaleen France en 1793 (cette mesure fut rapportée sous le Consulat en1802 et remise en vigueur par Napoléon pendant les Cent Jours en1815), par l'Angleterre enfin en 1807. L'esclavage lui-même a disparudes colonies britanniques (1833), des colonies françaises (1848), despossessions néerlandaises (1862), des États-Unis de l'Amérique duNord (1865), du Brésil (1871). Les principaux apôtres de ce grandmouvement d'émancipation étaient tous des chrétiens convaincus, etleur ardeur de propagande avait sa source dans leur foi religieuse;leurs noms doivent être conservés avec respect, car ils ont été degrands serviteurs du Christ: George Fox, William Penn, David Hartlay,Wilberforce, Buxton, Livingstone, Lincoln, l'abbé Grégoire,Schcelcher, le cardinal Lavigerie, Mme Beecher-Stowe, avec sonmagnifique ouvrage la Case de l'oncle Tom (1852). Grâce à eux, l'«ulcère béant du monde» dont parlait Livingstone a disparu de tousles pays où des nations chrétiennes ont établi leur autorité,c'est-à-dire de la plus grande partie du globe. Aujourd'hui, laSociété des Nations, sous les auspices de laquelle a été signée, en1926, une convention internationale contre l'esclavage, traque dansleurs derniers retranchements les trafiquants encore embusqués auxconfins de la civilisation asiatique ou africaine, et veille à ce quele travail forcé dans les colonies ne soit pas une nouvelle formed'esclavage. Ch. K. Voir Bertholet, Hist. civ. Isr., p. 185SS, etc.