ESAÏE II

Sous le nom d'Ésaïe II, on désigne l'auteur anonyme des ch. 40 etsuivants du livre d'Ésaïe. Avec cet auteur, nous sommes transportésdans un domaine historique et religieux très différent de celui où semouvait le grand prophète qui a donné son nom au livre entier.L'analogie est frappante avec le livre de Zacharie, dont les ch. 1-8sont du fils d'Iddo, les ch. 9-11 du fils de Bérékia (cf. Esa8:2) et les ch. 12-14 d'un troisième auteur, tous trois portantsans doute le nom de Zacharie (les deux premiers sont confondus parerreur dans la suscription;voir Zacharie). Il est permis d'admettre que les auteurs des prophétiessuccessives composant le livre d'Ésaïe portaient le même nom etqu'ainsi s'explique le rapprochement en un seul rouleau d'ouvragesappartenant à des époques aussi éloignées. Celui que l'on appelle legrand anonyme de l'exil n'a en effet, ni pour le style, ni pour lapensée, presque rien de commun avec le contemporain d'Ézéchias, telqu'il nous est présenté dans ses prophéties authentiques. Lasituation historique, telle qu'elle ressort des ch. 40SS, estnettement déterminée par la mention répétée du nom de Cyrus (Esa44:28 45:1). C'est donc à bon droit qu'on considère les ch. 36-39,fragment historique se rapportant au temps d'Ézéchias, comme unsupplément à Ésaïe I Ce supplément n'est d'ailleurs nullement destinéà faire la transition avec Ésaïe II, qui débute brusquement, sans lamoindre notice, par une émouvante prophétie sur la fin prochaine del'exil. L'épreuve d'Israël en effet approchait de son terme. Après lamort de Nabucodonosor (561), qui avait régné glorieusement pendantquarante-trois ans, l'empire de Caldée ne fut pas de longue durée.Évil-Mérodak, prince incapable selon l'historien Bérose; mais auquelles Juifs surent gré d'avoir relâché et traité avec honneur lemalheureux roi Jéconia (Jer 52:31), fut assassiné après deux ansde règne par son beau-frère Nériglissar: Celui-ci régna quatre ans(559-555) et laissa le trône à son jeune `fils Labashi-Mardouk, mis àmort neuf mois après son avènement. Nabounahid, dernier roi deBabylone, qui régna dix-sept ans (555-538), a laissé quelquesinscriptions où il relate les constructions de temples ou de palaisqu'il fit accomplir et où l'on voit que son fils aîné (peut-êtreassocié à la couronne) s'appelait Belsar-but-sour (cf. Belsatsar dansDa 5:1, nom corrompu depuis en Balthazar). Il assista impuissantà la constitution de l'empire des Perses et des Mèdes qui menaçaitdirectement sa suprématie sur l'Asie Antérieure (541), et eut lafaiblesse de laisser sans secours le roi de Lydie, Crésus, quis'efforça en vain de barrer la route à l'envahisseur. En réalité, dèsla prise d'Ecbatane, capitale de la Médie, par Kyrus (Kouroush), roides Perses, vainqueur d'Astyages, et surtout après la chute de Sardesqui passait pour inexpugnable (546), Babylone était vouée au mêmesort. Cependant Cyrus tourna tout d'abord ses regards vers l'Est,s'étendit en Bactriane et s'avança jusqu'à l'Indus. Enfin l'arméeperse franchit le Tigre, envahit la Caldée par une offensivefoudroyante au commencement du mois de tammouz (mars-avril 538),s'empara de quelques villes fortes, entra à Sippar le 14 sans combatet à Babylone le 16. Une révolte de l'Accad et le mécontentement deses sujets expliquent la chute si rapide de Nabounahid, qui fut livréà Cambyse, fils de Cyrus, et mourut quelques jours après. Les Persesfurent bien accueillis, et une inscription expose que le dieuMardouk, irrité de l'abandon où l'avait laissé Nabounahid, s'étaitvengé en livrant le royaume aux Perses. Les Juifs, de leur côté, espéraient depuis longtemps en Cyruspour leur affranchissement, et ne furent pas déçus. Dès l'annéesuivante fut promulgué le décret permettant aux exilés de rentrerdans leur patrie. Cette révolution eut une immense portée sur lesdestinées de l'Asie, et en particulier sur celles du peuple juif,dont l'histoire politique et religieuse reçut une nouvelleorientation. Soumis sans arrière-pensée au gouvernement des Perses,favorable et bienveillant, les Juifs restés en Babylonie et ceux quirentrèrent à Jérusalem subirent l'influence d'un peuple auquel ils sesentaient unis par de grandes analogies dans le domaine moral etreligieux. Pendant toute la période de l'exil nous ignorons entièrement cequi se passa en Palestine. L'assassinat du gouverneur de Judée,Guédalia, à Mitspa, relaté dans le livre de Jérémie (Jer 41:1 etsuivants) et dans le 2°livre des Rois (2Ro 25:22-26), marque lafin de tout renseignement. Il est probable que cet événement fut lacause directe d'une troisième transportation en Babylonie de captifsjudéens, au nombre de 745, qui eut lieu cinq ans après la ruine deJérusalem (Jer 52:30). Quant à la situation des exilés, nous nesommes informés par Ézéchiel qu'en ce qui concerne les captifs de lapremière transportation, la ruine de Jérusalem marquant chez leprophète la fin de son ministère public, pour faire place à unenouvelle phase de sa pensée et de son oeuvre. Les discours d'Ésaïe II pourraient être par leur étendue une mineprécieuse. Malheureusement, nous n'y trouvons aucun détail précis, etles prophéties s'expriment en termes si généraux qu'on ne peut entirer aucune conclusion quant aux événements dont l'auteur fut letémoin. Aucune notice n'accompagne nulle part les discours, qui sesuccèdent sans qu'il soit souvent aisé d'établir des coupures dans letexte. L'ordre chronologique y est-il observé? Nous n'avons aucunmoyen d'en être assuré. Le nom de Cyrus semblerait devoir signaler lafin de l'exil, mais, dans la suite, on s'aperçoit que la délivranced'Israël est encore à venir. Et jusqu'au bout nous ne rencontrerons,aucune allusion à l'édit de libération. Le progrès qu'on sent dans lasuccession des discours réside bien moins dans les donnéeshistoriques que dans la pensée de l'auteur qui se développe, dans lestyle qui paraît se modifier, dans l'apparition inattendue depassages obscurs, à l'allure étrange, vers la fin de l'ouvrage. Plusieurs divisions ont été proposées. Un refrain, qui seprésente à la fin des ch. 48 et 57, sous forme d'un court oracle:«Point de paix, dît l'Éternel, pour les méchants!» semble partager lelivre en trois sections de neuf chapitres chacune. Seulement cet oracle, qui a sa place toute naturelle à la fin duch. 57, comme conclusion d'un discours sur les fidèles et sur lesimpies, n'a aucune raison d'être à la fin du ch. 48, où il interromptmalencontreusement une description saisissante du retour futur desexilés. Il est le produit d'une addition postérieure. On remarque enoutre que la troisième section ne s'achève ni avec le refrain, niavec aucune formule terminale. La conclusion du livre paraît setrouver à la fin du ch. 65, et on pourrait considérer le discoursinachevé du ch. 66 comme un supplément. Une division moins artificielle, et fondée sur le développementdes idées, établit quatre sections: 40-48, annonce de la libération; 49- 56:8, prophéties sur le Serviteur de l'Éternel; 56:9 - 59:21, appels à la repentance; 60-66, visions de la Jérusalem nouvelle.Seulement, le sujet des prophéties de la deuxième section est aussireprésenté par des oracles importants dans la première et dans laquatrième; les appels à la repentance se trouvent déjà dans le ch.55, et quant aux visions de la restauration, elles ne sont nullementlimitées à la dernière section. Une coupure du texte plus apparente, au début du ch. 56, a donnélieu à une nouvelle division de l'ouvrage. Considérant que laformule: «Ainsi parle l'Éternel» (Esa 56:1) inaugure toute unesérie de discours, où le style et les idées semblent assez nouveaux,où des notions sacerdotales se font jour, dont on chercherait en vainl'équivalent dans les chapitres précédents, on divise l'ouvrage endeux parties, constituant chacune un livre prophétique distinct.Ésaïe II n'aurait composé que les ch. 40-55, et un troisième Ésaïeles ch. 56-66. Cette conception ne serait fondée qu'à la condition devoir en Ésaïe III un disciple et un imitateur d'Ésaïe II Les passagesobscurs ou à tendance sacerdotale sont en effet peu nombreux etpeut-être mal interprétés, tandis que les visions d'avenir et lesdiscours consolateurs offrent dans les deux parties des rapportsévidents. Si l'on se place au point de vue du développement desidées, le ch. 55 se rattacherait plutôt à la seconde manière qu'à lapremière: il y a là une prophétie proprement dite, où sont rappeléesl'alliance éternelle avec Israël et les promesses solennelles faitesà David--ce qui la différencie sensiblement d'avec les oracles sur leServiteur de l'Éternel--et où l'auteur supplie le peuple de retournerrepentant à son Dieu. La coupure devrait donc être reportée à la findu ch. 54. Au reste il serait facile de trouver pour tout le livreune pluralité d'auteurs si l'on se fiait, non aux indications dutexte, mais aux genres si divers des discours. On a remarqué en effetqu'un certain nombre d'oracles sur le serviteur de l'Éternel sontdispersés dans le livre et isolés dans le contexte, de telle sortequ'ils paraissent avoir été introduits postérieurement à lacomposition de l'ouvrage. Leur caractère si particulier et le lienlogique qui les unit, leur aboutissement dans la sublime prophétie duRédempteur (Esa 52:13-53:12) ne les assignent-ils pas à un mêmeauteur, parvenu à une hauteur de vues inégalable? Cet auteur neserait-il pas distinct d'Ésaïe II, pour qui le serviteur del'Éternel, dans les discours intermédiaires, n'est autre qu'Israëllui-même? La question se pose inéluctablement. Mais le problème me paraît beaucoup plus compliqué. Tous ceux quise sont essayés à faire une analyse du livre, un exposé de la penséeprophétique, ont été rebutés par la difficulté de la tâche. Ledésordre chronologique des discours y est sans doute pour une bonnepart, mais surtout les interruptions si fréquentes qui font succéderà des paroles émouvantes de consolation des fragments sapientiaux,des descriptions de l'idolâtrie, des oracles messianiques, jusqu'à ceque reviennent, pour se succéder de nouveau, les mêmes genres dediscours. L'attention n'a pas été suffisamment attirée sur ce fait,qui pourrait apporter sa solution particulière à la questiond'auteur. Ce mélange continuel de plusieurs genres d'un bout àl'autre du livre ne proviendrait-il pas de la fusion de plusieursouvrages appartenant à des auteurs différents? Le genre sapientialdes passages qui, lorsqu'on les rapproche, rappellent à s'y méprendrele livre de Job, n'indique-t-il pas une époque où fleurit la poésiegnomique? Ainsi, quelle que soit la réponse à ces questions,l'hypothèse de deux ou trois ouvrages ajoutés bout à bout tombenécessairement. Pour connaître Ésaïe II, l'auteur des prophétiesrelatives au retour de l'exil, il convient donc de rassembler tout cequi porte dans le livre ce trait commun, la marque de son style et deson esprit, indépendamment des passages d'un autre genre, qui doiventfaire l'objet d'une étude spéciale. Les prophéties sur la fin de l'exil peuvent être divisées en cinqdiscours. L'oracle du début: «Consolez, consolez mon peuple!» nousfournit d'emblée le thème de tous les discours. La servitude d'Israëlest terminée, Jérusalem a expié ses fautes, la gloire de l'Éternel vaparaître: un chemin lui est frayé à travers le désert. La bonnenouvelle est déjà publiée: Dieu a suscité de l'Orient celui qui serale libérateur attendu. Il lui a livré des peuples et assujetti desrois. Les îles tremblent, mais Israël, serviteur de Dieu, Jacob qu'ila choisi, n'a rien à craindre: c'est le secours de Dieu qui approche.Qu'il chante le cantique nouveau en l'honneur de l'Éternel quis'avance comme un héros (premier discours, Esa 40:1-11,27-3141:1-5,8-20 42:10-16). Le second discours fournit un nouvel oracle: «Ne crains point,car je t'ai racheté!» et développe cette idée du rachat d'Israëlopéré par Dieu. Nous voyons revenir les mêmes expressions: «Israëlque j'ai choisi, le Saint d'Israël», et les mêmes promesses derédemption: «C'est l'Éternel qui est Dieu, et en dehors de Lui il n'ya point de Sauveur.» C'est Lui qui envoie l'ennemi contre Babylone,qui dit de Cyrus: «Il est mon pasteur», qui l'a suscité dans sajustice et aplanira le chemin devant lui, afin qu'il rebâtisse saville et libère ses captifs (deuxième discours, Esa 43:1,21 44:1-544:21-45:15) La menace contre Babylone s'accentue. Ses dieux s'effondrent dansl'impuissance: Bel et Nébo ne tarderont pas à être emportés à dosd'animaux. La fille des Caldéens, délicate et voluptueuse, seraravalée au rôle de servante. Elle, qui s'est montrée cruelle pour lesvieillards d'Israël et qui croyait à son éternelle souveraineté, nesera sauvée ni par ses sortilèges ni par ses astrologues. Le prophètecrie aux exilés: «Sortez de Babylone!» et leur promet que Dieu lesconduira à travers le désert, où ils ne souffriront ni de la soif nide la faim (le passage Esa 48:20 et suivant se poursuit dansEsa 49:9 et suivant). Sion se croyait abandonnée de Dieu, etvoici que ses fils lui reviennent en grand nombre; ils sont portéssur les bras des rois vaincus, qui se prosternent devant elle, car laloi de l'Éternel sera une lumière pour tous les peuples (troisièmediscours, Esa 46:1,2 Esa 47 Esa 48:20-21 Esa 49:9-26 51:1-8) Le refrain: «Réveille-toi, réveille-toi!» marque d'un signed'enthousiasme le quatrième discours. La sortie d'Egypte est le gagede la libération prochaine. La parole qui clôt les prophéties d'Ésaïe(Esa 35:10) est répétée ici comme un fait près de s'accomplir:«Les rachetés de l'Éternel retourneront à Sion avec des chants detriomphe.» Une ère nouvelle s'ouvrira; de nouveaux cieux et unenouvelle terre seront fondés, la coupe de la colère de Dieu passerades mains de Jérusalem à celles de ses oppresseurs. Déjà les pas dumessager, chargé de publier la bonne nouvelle de la paix, s'imprimentsur les montagnes et la voix des sentinelles proclame le règne deDieu. La stérile enfantera et devra élargir l'espace de sa tente, ladélaissée redeviendra l'épouse de l'Éternel et ne perdra plus sonamour. Toute la nature tressaillira de joie et ce sera pour l'Éternelune gloire impérissable(quatrième discours) Esa 51:9 à Esa 54:1 Esa 55:12 57:14-21 Le cinquième discours décrit l'ère de restauration, d'expansionet de gloire, à la fois politique et religieuse, qui inaugurera leretour à Jérusalem: «Lève-toi, sois illuminée!» La lumière del'Éternel, qui se lèvera sur Sion, y attirera en foule les peuples etles rois avec leurs trésors. Des noms nouveaux et glorieux serontdonnés à Jérusalem: «Ville de l'Éternel», «En elle est mon plaisir»(la bienveillance de Dieu). Ceux qui rappellent le souvenir del'Éternel et qui veillent sur Jérusalem, ne prendront aucun reposjusqu'à ce que son Sauveur arrive et qu'Israël redevienne le peuplesaint (cinquième discours, Esa 60 Esa 61:4-62:12). Tous ces discours offrent des ressemblances frappantes, nonseulement dans les expressions, qui reviennent invariablement avec lemême goût pour les répétitions de mots, mais dans les notionsreligieuses: souveraineté absolue de Dieu, élection d'Israël--qui,malgré ses malheurs et la perte de sa liberté nationale, demeure leserviteur de l'Éternel,--avenir glorieux de Jérusalem, qui répandraparmi les nations la lumière de la vérité. A côté de cette série de discours s'en trouve une seconde, quilui est constamment parallèle. Elle se rapproche à la fois du genrede la poésie gnomique dans certains passages où est décrite lasagesse de Dieu, et des prophéties proprement dites par les reprochesqu'elle adresse à Israël. Le point de vue est tout différent et lesaccents n'ont plus la même espérance invincible. Déjà au début du livre (ch. 40), la publication de la bonnenouvelle par Ésaïe II est tout d'un coup interrompue (Esa 40:12)par des réflexions sur la sagesse de Dieu, son pouvoir créateur et lavanité de l'homme, comme des nations, devant Lui. A ce fragmentsapiential lui-même (Esa 40:12-26) se mêle une description del'idolâtrie (verset 18-20) qui se continue au chapitresuivant (Esa 41:6-7) et s'achève plus loin (Esa 44:9-20).Cette description ainsi démembrée se rattache cependant intimement àla seconde série de discours, où l'auteur montre la valeur desprophéties et la vanité des prédictions obtenues par la consultationdes fausses divinités. On peut y distinguer quatre discours et un appendice. Ledémembrement du premier discours montre que l'incorporation de laseconde série dans la première a provoqué un remaniement profond detout l'ouvrage. Le début paraît avoir été transposé et se trouver auch. 41:21. Un court oracle, parallèle à celui qui inaugure lapremière série, nous fournit le thème de tous les discours: «Plaidezvotre cause!» dit l'Éternel. La consolation d'Israël, thème de lapremière série, fait place à un débat entre l'Éternel et les faussesdivinités qui exercent leur séduction sur Israël. «Manifestez vospouvoirs, dit le roi de Jacob..., que nous sachions si vous êtes desdieux.» De faux prophètes ne craignaient pas de mettre ces divinitésen parallèle avec l'Éternel. Ce n'est pourtant pas elles qui ontfourni les prédictions anciennes, ni qui ont annoncé la venue dulibérateur. C'est Yahvé le premier qui a dit à Sion: «Le voici!» Nuln'a sondé l'Esprit de l'Éternel et n'a pu mesurer ses oeuvres; Luiseul a créé toutes choses; les idoles sont l'oeuvre de l'homme(premier discours, Esa 41:21-29 40:12-17,21-26,18-20 41:5-742:17). Le prophète déplore l'aveuglement d'Israël, qui ne reconnaît pasdans ses malheurs présents le salaire de ses péchés et qui ne revientpas à son Dieu avec des holocaustes. Il assure que l'Éternelest le premier et le dernier, qu'il n'y a point de Dieu hors delui, et il raille avec amertume les fabricateurs d'idoles. Qu'Israëlse tourne vers Dieu, car il l'a juré: «Tout genou fléchira devantmoi!» C'est lui qui appelle de l'Orient le libérateur.deuxièmediscours, (Esa 42:18-25 43:22-28 44:6-20 45:10-25 46:3-13). Le prophète s'irrite contre le peuple, qui se vante d'êtrel'Israël de Dieu et qui invoque l'Éternel «sans vérité ni droiture»,qui s'endurcit et «se fait un front d'airain», qui s'obstine àattribuer les dons de prophétie aux images taillées! Il l'engage àchercher l'Éternel tandis qu'il se trouve encore, à abandonner sesvoies d'iniquité, à observer les sabbats et le jeûne dans un espritde prière et de fraternité, à rompre tout lien avec les cultes deshauts-lieux, car ce sont les mensonges et les crimes du peuple quiretardent l'arrêt de délivrance (troisième discours, Esa 48:1,1950:1,3-11 55:1,11 Esa 56:1 Esa 57:13 Esa 58:1-Esa 59:15). Dans une magnifique prière, le prophète, au nom de son peuple,rappelle les délivrances du passé et assure avec confiance que,malgré les rébellions i'Israël, Yahvé ne cesse pas d'être «son père».Il supplie Dieu de «déchirer les cieux et de descendre». La réponsede Dieu est sévère pour les Tuifs toujours adonnés à l'idolâtrie deshauts-lieux; cependant, elle se résout dans la promesse l'un ordrenouveau: «les nouveaux cieux et la nouvelle terre», où régneront lajustice et la paix quatrième discours, (Esa 63:7-65:25). Lesupplément inachevé (ch. 66) offre les mêmes conceptions que lediscours précédent. La troisième série de prophéties est constituée par les oraclessur le Serviteur de l'Éternel: cinq oracles, auxquels on a donné lenom de chants ou d'hymnes, plus conforme peut-être à leur caractèreparticulier. Les cinq chants sont dispersés à travers le livre, sansqu'aucun motif appréciable justifie la place qu'ils occupentactuellement, sauf quelques images et quelques termes semblables ducontexte. Le premier chant (Esa 42:1-9) se trouve inséré dans lespremiers discours, où Israël est constamment désigné comme serviteurde Dieu et où Cyrus lui-même est appelé par Dieu: «Mon oint (monmessie), mon berger (ou mon roi), l'exécuteur de mesvolontés» (Esa 44:28 45:1). Dans ce chant, la mission duServiteur, sauf quelques expressions (verset 8, «faire sortir deprison le captif»), ne saurait s'appliquer ni à Cyrus, ni à Israël.Ce n'est pas de Cyrus que le prophète dirait: «Il sera la lumière desnations», ni d'Israël: «Il traitera l'alliance avec le peuple»(verset 6). Un personnage nouveau, auquel s'attache une notionnouvelle, est introduit ici. Dieu «a mis son Esprit sur lui», pourlui confier une oeuvre de libération spirituelle et d'expansionreligieuse, qui annonce les temps messianiques. A ce premier chant se rattache intimement le cinquième,(Esa 61:1-3) court fragment, où la mission libératrice de Celui qui areçu «l'Esprit du Seigneur» et qui peut dire: «l'Éternel m'a oint»,n'est pas d'ordre politique, mais spirituel. L'oracle ne s'appliquepas au prophète lui-même et à ses discours consolateurs, mais à ceServiteur mystérieux de l'avenir, dont les oracles suivants vontaccentuer la sublime figure. Dans ce chant, à côté de «l'anfavorable» est annoncé «le jour de vengeance de l'Éternel» (noter ladifférence de durée entre le châtiment et la grâce). C'est sans douteà ce passage que se rattache l'étrange prophétie sur Édom (Esa63:1-6), où, dans un style assez semblable à celui de Sophonie,l'auteur montre l'Éternel, en son jour de vengeance, foulant auxpieds les Édomites et répandant le sang de ses ennemis comme unvendangeur qui est «seul à fouler au pressoir». Dans un pareilcontexte, il me paraît certain que le prophète n'a pas entenduprédire l'extermination de tous les habitants d'Édom, maisreprésenter sous cette image le triomphe de Dieu sur tous les ennemisde la vérité (cf. v.6: «J'ai foulé des peuples» et le passageparallèle Esa 59:15,21). Le second chant (Esa 49:1,9) interrompt une magnifiquedescription du retour des exilés à travers le désert, qui reprendimmédiatement après (Esa 49:9), description utilisée dansl'Apocalypse. Toute une série de paroles sont adressées par l'Éternelà son Serviteur. La vocation du Serviteur rappelle celle de Jérémie;il a été appelé dès sa naissance et Dieu a rendu sa bouche semblableà un glaive. Il est chargé de ramener à Dieu Jacob, afin qu'il nepérisse pas. Il ne s'agit donc pas ici du retour de l'exil, mais dela conversion et du rétablissement moral du peuple. Le lien estrenoué avec le premier chant par les mêmes expressions: «traiterl'alliance», et «être la lumière des nations». Mais une idée nouvellesurgit: si le serviteur est honoré de Dieu (verset 6), il est mépriséet rejeté par le peuple (verset 7). Toutefois l'Éternel le glorifieraet des rois viendront se prosterner devant lui, pour rendre honneuren sa personne au Saint d'Israël. Le troisième chant (Esa 50:4-10) est incorporéartificiellement dans une poésie d'un genre très différent (verset 3,Dieu obscurcit les cieux; v. 11, les pécheurs inquiets allument envain des torches). Le Serviteur expose lui-même les souffrances quel'ingratitude du peuple lui fait endurer et ses plaintes préparent lecélèbre ch. 53. Toutefois il n'attribue pas encore à ses souffrancesune valeur rédemptrice; il affirme seulement que Dieu le secourra, etque «celui qui le justifiera est proche» (cf. Job 19:25) Le quatrième chant (Esa 52:13-53:12) est étrangement placéau milieu d'un discours où s'expriment la joie de la délivranceprochaine et l'immense espoir d'un avenir glorieux. Ici nousretrouvons le Serviteur souffrant, méprisé, homme de douleurs. On l'aconsidéré comme puni et battu de Dieu, mais ses souffrances étaientendurées en vue de la guérison et de la paix de son peuple. L'auteurse met au rang de ceux qui l'ont méconnu et dont les iniquités l'ontbrisé. Dans sa génération, aucun n'a compris qu'il était retranché dela terre des vivants et frappé pour les péchés d'Israël. Mais, aprèsavoir livré sa vie en sacrifice, il connaîtra sa récompense: unepostérité nombreuse poursuivra son oeuvre et les multitudes serontson partage, parce qu'il aura intercédé pour elles et porté leurspéchés. Quelles que soient les difficultés d'interprétation queprésente cet hymne immortel, la piété chrétienne y a vu avec raisonla préfiguration du Messie, tel que l'a voulu être le Christ Jésus,le crucifié de Golgotha. C'est à juste titre que cette prophétie dela rédemption a été appelée «l'Évangile d'avant l'Évangile» (voir cemot). L'étude comparée des trois séries de prophéties ainsi recomposéesmontre que chacune d'elles est dans un ordre à la fois logique etchronologique. Événements et pensées se déroulent et se développentharmonieusement. Le point de vue seul diffère d'une série à l'autreet très sensiblement. Diffère-t-il assez pour qu'il soit impossibled'attribuer à une seule époque et à un seul auteur ces trois séries,ou pour qu'il soit nécessaire de refuser à Ésaïe II l'une ou l'autrede ces séries? Telle est la question qu'il faut examiner. La première série n'est pas en cause, car, si les partisans de lapluralité d'auteurs refusent à Ésaïe II les prophéties consolatricesdes ch. 60 et 61, ce n'est nullement pour leur contenu, qui les luiassigne incontestablement, mais parce qu'elles se trouvent à la findu livre, au milieu de discours considérés comme appartenant à uneépoque postérieure. De même, la troisième série: chants du Serviteur,n'est en cause que par suite de son incorporation artificielle et desa dispersion dans le recueil d'Ésaïe II, ce que l'on a de la peine às'expliquer. La question se pose essentiellement pour la seconde série. Nousavons constaté qu'elle ne commence pas avec le ch. 56, mais qu'ellerègne tout le long du livre. Ceci n'est sans doute pas une preuve,mais en tout cas une forte présomption en faveur de l'unité d'auteur. D'autres ouvrages ont été aussi profondément remaniés, enparticulier le livre de Jérémie. Le désordre littéraire et historiqueoù des remaniements successifs ont plongé son livre, n'empêchenullement de considérer Jérémie comme l'auteur unique de l'ouvragedans son ensemble. La question d'authenticité ne se pose que pourquelques fragments. Il doit en être de même pour Ésaïe II En effet,si nous examinons de près la seconde série de discours, nousreconnaissons que des liens très étroits l'unissent à la première.L'époque est la même. Rien n'indique une situation historiquepostérieure à l'édit de Cyrus. Le salut est encore à venir: (Esa56:1) «La rédemption viendra pour Sion, pour ceux qui seconvertiront de leurs péchés»; «on espérait en la délivrance, et elles'est éloignée» (Esa 59:11,20). La théologie est la même:l'auteur insiste aussi fortement sur le monothéisme et sur lasouveraineté absolue de Dieu, tout en accentuant davantage saréprobation du mal. Les expressions sont souvent identiques: «Je suisle premier et le dernier» (Esa 41 4 =Esa 44:6). «Hors demoi, il n'y a point de Dieu» (Esa 44:6 =45:5). «Les nouveauxcieux et la nouvelle terre» (Esa 51:16 =Esa 65:17). Lespréoccupations sacerdotales que l'on attribue à l'auteur appelé ÉsaïeIII ne se fondent que sur deux passages où sont mentionnés lesabbat (Esa 56:1-8) et le jeûne (Esa 58 19S). Mais c'estune gageure que d'y voir l'influence d'un code promulgué par Esdras.La loi du sabbat s'est de tout temps identifiée avec la viereligieuse d'Israël et, quant au jeûne, l'auteur s'élève contre ceuxqui en méconnaissent la vraie signification. Le jeûne agréable à Dieuconsiste dans la pratique de la justice et de la charité. Les deuxséries de discours suivent la même ligne prophétique. Si les pointsde vue diffèrent, ils ne sont nullement contradictoires mais plutôtsuccessifs. L'enthousiasme d'Ésaïe II s'explique, dans la premièresérie, par les succès foudroyants de Cyrus, sa victoire sur lesMèdes, son élévation à l'empire. La face du monde allait changer. Ily eut une période où le salut paraissait très proche, c'est lorsques'effondra le royaume de Lydie, allié de Babylone (546). Tous lesdiscours dits de consolation sont antérieurs à cette date. Mais le salut s'est éloigné et l'arrêt de délivrance estretardé (Esa 59:8,14). C'est que Cyrus s'est détourné de saroute. Pendant huit années, occupé en Orient, il retarderal'exécution de son grand dessein et des promesses qu'il avait sansdoute faites aux peuples opprimés par la Caldée. Ici se place laseconde série de discours, où Ésaïe II cherche l'explication de ceretard. Il la trouve dans les péchés du peuple, dans sa complaisancepour l'idolâtrie, dans ses superstitions et dans ses faveurs pour lesoracles des fausses divinités. On n'est pas surpris que sa penséeprenne dès lors un tour différent, qu'elle offre des ressemblancesfrappantes avec celle de Jérémie et que le lyrisme fasse place auxplaintes sur l'aveuglement de son peuple infidèle. Disciple deJérémie, il va aussi, comme l'auteur du poème de Job, s'arrêter auproblème de la toute-puissance de Dieu et développer l'idée de lasagesse divine dans le même genre sapiential que Job, dont lessouffrances semblent être l'image des malheurs présents d'Israël.«Nos transgressions témoignent contre nous» (Esa 59:12), tel estle thème nouveau de ses réflexions attristées, de ses apostrophesparfois mordantes ou véhémentes, de son émouvante prière des ch.63-64. Le tout est antérieur à l'an 538 et s'échelonne sur huitannées, qui sont amplement suffisantes pour justifier l'évolution dela pensée d'Ésaïe II Israël reste le serviteur de Dieu, mais c'est unserviteur «sourd et aveugle» (Esa 42:18-25), qui ne comprendrien aux desseins de Dieu, qui conteste la valeur de ses prédictions,qui «pèse de l'argent pour ce qui ne nourrit pas» (Esa 55:2) etqui reste indifférent «quand le juste périt» (Esa 57:1). Cette note découragée explique la genèse de la troisième série deprophéties. Pour l'avenir messianique, pour accomplir le grand oeuvrede l'alliance nouvelle et répandre la lumière parmi les nations, ilfaudra un autre Serviteur de l'Éternel. Ce Serviteur, Dieu lesuscitera lui-même et en fera l'instrument de la Rédemption du monde.Ainsi s'est développée dans une parfaite unité la pensée du grandanonyme de l'exil, Ésaïe II L'auteur a voulu conserver l'anonymat etne s'est jamais placé au rang des prophètes. Sans doute fut-il avanttout un écrivain, aucune de ses pages ne retraçant son activitéprophétique. Sans doute aussi résidait-il non en Babylonie, où unÉzéchiel avait pu sans obstacle exercer son ministère, mais enPalestine où, surtout depuis le meurtre de Guédalia, le joug caldéendevait s'appesantir fortement. Quoi qu'on en ait dit, ses prophétiesreflètent mieux l'état moral des Judéens restés en Palestine quecelui des exilés; ni son style ni sa pensée ne se ressentent del'influence d'Ézéchiel. Son but est de parler aux «affligés de Sion»,de leur promettre «un diadème au lieu de la cendre» sur laquelle ilssont encore étendus en signe de deuil. Dès le début ils'adresse «au coeur de Jérusalem» et c'est du haut de sacolline sainte qu'il annonce «aux villes de Juda» la venue du règnede Dieu. Les paysages décrits sont palestiniens: Kédar (Esa42:11), la gloire du Liban (Esa 60:13), Saron et la valléed'Acor (Esa 65:10). L'idolâtrie dénoncée est celle que Jérémie alonguement combattue avant lui. Elle s'exerce dans les jardins,c'est-à-dire dans les bois sacrés, sur les «hauts-lieux» de Canaan etjusque dans les cavernes où se réfugiaient les Juifs opprimés.Quelques détails obscurs semblent se rapporter aux Israélites duNord, avec lesquels les relations n'avaient jamais cessé, mais qui,depuis la chute du royaume de Juda, devaient faire partie de la mêmeprovince caldéenne. La mention de deux divinités: Gad (le Baal del'ancienne tribu de Gad) et Méni (Esa 65:11) en sont uneindication. Mais rien n'oblige à reporter ces prophéties jusqu'àl'époque des grandes luttes entre Samaritains et Judéens. Lesreproches sont adressés sans distinction à tous les Israélitesinfidèles. L'auteur ne pouvait d'ailleurs ignorer que la majorité desSamaritains était restée fidèle à la loi de l'Éternel. Leur adoptiondu Pentateuque comme livre sacré en sera la preuve. Déjà durantl'exil, peu d'années après la ruine de Jérusalem, de nombreux Juifs,venus des montagnes d'Éphraïm, avaient repris la coutume de monter àJérusalem pour la fête des Tabernacles (Jer 41:4). De Sichem etde Samarie ils apportaient «des offrandes et de l'encens pour lamaison de l'Éternel». La mention du jeûne qui, sans doute, étaitcélébré annuellement en signe de deuil national, s'expliquenaturellement si l'auteur vivait durant l'exil et résidait enPalestine. Enfin cette renaissance religieuse en pleine période deruine, signalée expressément par Jérémie, explique certainesexpressions d'où l'on a conclu hâtivement à une date postérieure à lareconstruction du Temple et même des murailles de Jérusalem. C'estdans un sens prophétique qu'il faut prendre des textes tels que: «Surtes murs, Jérusalem, j'ai placé des gardes; ils ne se tairont ni journi nuit» (Esa 62:6); «Ma maison sera appelée une maison deprière pour tous les peuples» (Esa 56:7). S'il n'a pas eu de ministère prophétique proprement dit, Ésaïe IIs'est élevé, dans ses écrits, à une telle hauteur de vues qu'ilfaudra attendre des siècles pour trouver en la personne de Jésus leréacteur parfait de ses conceptions, le Rédempteur promis par sagrande vision du Serviteur de kernel (voir art.). Ed. B.