I L'homme. Ésaïe a prophétisé pendant la 2 e moitié du VIII e siècle. Il étaitcontemporain d'Amos et d'Osée, mais il a poursuivi son ministère bienaprès eux, et son histoire est étroitement associée à l'histoired'Israël et de Juda au temps de la conquête assyrienne. Il était sans doute né à Jérusalem, et c'est là qu'il a passétoute sa vie. Son horizon ne dépasse pas les montagnes rocailleusesqui entourent la ville, avec les maquis arides et les champs enterrasses plantés de vignes, de figuiers et d'oliviers autour desvillages. Le prophète ne se mêle pas d'ailleurs à la vie rurale, etson ministère s'exerce dans les rues, sur les places publiques et auxportes de la ville. Nous avons peu de détails sur sa vie, en dehorsdes grands événements historiques auxquels sa prédication faitallusion. Il était marié et avait plusieurs enfants (Esa 7:38:1,3). Il était en rapports assez étroits avec la maison de Davidet la cour royale, mais il ne paraît pas y avoir occupé de positionofficielle. Il appartenait aux cercles de nebiim (prophètes) duTemple, et c'est dans le Temple qu'il reçut sa vocation spéciale (ch.6). Il nous apparaît entouré de nombreux disciples (Esa 8:16),mais ces disciples n'étaient pas seulement des «fils de prophètes» àl'ancienne manière des extatiques, c'était déjà un parti, une élitede jéhovistes fidèles. A la tête de ce groupe le prophète remplit au milieu de sonpeuple la plus haute fonction spirituelle. En face des iniquités deschefs, des riches, des prêtres, qui égarent la nation sur de fauxchemins, il fait entendre la protestation de la conscience jéhoviste.Il exhorte, il menace, il est comme une sentinelle qui, au milieu dela nuit obscure, interroge les signes des temps, il est leprédicateur austère et terrible qui annonce les jugements de Jéhovahet qui clame la complainte funèbre sur son peuple; et il est aussi lemessager de bonnes nouvelles qui découvre à Juda et à la maison deDavid les horizons de l'avenir. Ésaïe avait commencé à prophétiser l'année de la mort d'Ozias(740). Ses premières prédications pendant le règne de Jotham et lespremiers temps d'Achaz dénoncent le luxe et la superbe des grands,qui se confient en l'homme et qui méprisent Jéhovah, les iniquités deceux qui s'enrichissent de la dépouille des pauvres et qui foulentaux pieds le peuple du pays, les désordres et l'imprévoyance de lacour royale, les idolâtries syncrétiques et les modes étrangères quienvahissent le pays. Le crime de Juda, c'est de se confier dans unecivilisation fondée sur la force de l'homme et sur l'orgueil del'homme, et de mépriser Jéhovah (ch. 2 à 5). Pendant la guerre syro-éphraïmite, l'opposition entre l'idéal duprophète et les fins mondaines des chefs de la nation se préciseencore. Retsin le roi de Damas, et Pékah le roi de Samarie, avaientenvahi Juda et mis le siège devant Jérusalem. Achaz et tout le peupleétaient apeurés, «frissonnant comme les arbres d'une forêtfrissonnent sous le vent». Mais Ésaïe s'avance à la rencontre du roiet l'exhorte à la confiance en Jéhovah. Jéhovah délivrera son peuple;et au roi qui lui demande un signe, le prophète annonce la naissancede l'enfant divin, Emmanuel (voir ce mot). Cependant Achaz appelle àsa délivrance le roi d'Assour Tiglath-Piléser III avec ce message:«Je suis ton serviteur et ton fils, monte et délivre-moi de la maindu roi d'Aram et de la main du roi d'Israël.» Ésaïe proteste contrecette alliance impie. Jéhovah est tout pour son peuple, et c'est enlui seul que Juda doit chercher le secours. Malheur à ceux qui ontméprisé les eaux de Siloé et qui ont rêvé de l'Euphrate! L'Euphratedébordera en effet sur le pays; Aram et Éphraïm seront inondés, maisJuda n'échappera pas à la catastrophe, et son terrible allié nel'épargnera pas. Et dans un de ces actes symboliques qui lui étaientfamiliers, le prophète promène à travers la ville une pancarte:«Prompt au pillage, rapide au butin», et il appelle le fils qui luinaît de la prophétesse: «Prompt au pillage, rapide au butin» (ch. 7et 8). Pourtant Jérusalem fut sauvée et Achaz put assister au désastrede ses adversaires. En 732 Damas fut prise. Dix ans plus tard Samarietombait à son tour après un long siège et l'élite de sa populationétait emmenée en exil (722). Le roi Achaz recueillait ainsi lesfruits de sa politique; Juda échappait à la catastrophe qui balayaitles petites monarchies syriennes et il devait encore se maintenircomme vassal du roi d'Assour. L'avènement d'Ézéchias (720) devait être favorable au partid'Ésaïe. Le nouveau roi était un prince sage et bien disposé; «ilfit; ce qui est droit aux yeux de Jéhovah». Le pays, bien administré,put jouir d'une prospérité relative. Mais le parti mondain etguerrier, dans ses velléités d'indépendance, prêtait l'oreille auxintrigues de l'Egypte et poussait à la révolte contre l'Assyrie. Leroi finit par céder aux suggestions du parti égyptophile. A plusieursreprises, surtout après la campagne des Assyriens contre Asdod, lafidélité d'Ézéchias vis-à-vis de son suzerain parut chanceler. Versla fin du règne de Sargon, il cessa de payer tribut. Et Ésaïe decombattre les illusions dangereuses des chefs du peuple. Unevassalité loyale lui apparaît la seule attitude possible. Il fautlaisser la volonté de Jéhovah s'accomplir et supporter le châtimentqu'il a fait peser sur son peuple. Malheur à ceux qui vont en Egyptepour y chercher du secours, l'Égyptien est un faux appui. Ceux quiveulent se sauver ainsi périront impuissants. Cependant le partiégyptophile l'emporta, et à l'avènement de Sanchérib ce fut larévolte ouverte. Mais trois ans après (702) le roi d'Assourenvahissait la Palestine et le pays de Juda était affreusementravagé. Ézéchias était cerné dans Jérusalem «comme un oiseau encage». Dans le malheur et dans la détresse Ésaïe veille sur sonpeuple, annonçant la parole de Jéhovah dans la ville bruyante etapeurée, et il refait l'âme de la nation: Que Juda se repente, qu'ilretourne à Jéhovah, Jéhovah seul peut sauver Jérusalem (ch. 29-33).Et à la proclamation du tartan de Sanchérib sommant Jérusalem de serendre, le prophète répond par cette magnifique prophétie: «Elle teméprise, elle se moque de toi, la vierge, fille de Sion...» (2Ro19,Esa 37). Sanchérib dut lever le siège; mais il laissait Ézéchiasépuisé par une lourde rançon, son royaume dévasté par les razzias etdiminué de territoire. Cependant Jérusalem n'avait pas été profanée par l'étranger, etla montagne sainte apparaissait comme inviolable au milieu desagitations des peuples, miraculeusement défendue par son Dieu. A lasuite de ces événements, la popularité d'Ésaïe et son influencedevaient considérablement grandir. Ézéchias est désormais acquis à lapolitique du prophète. Au lieu de préparer de nouvelles révoltes etd'organiser des alliances, il cherche à restaurer le passé, relevantles ruines et effaçant les traces du désastre. En même temps, cédantaux suggestions d'Ésaïe et de son parti, il s'occupe de réformer lareligion et d'épurer le culte. Il supprime les cultes idolâtriquesdes bânwth, renversant les massêboth, brisant les achéritn, et même il enlève du Temple la grande idole de Jéhovah,le serpent d'airain, le Néhustan Il ne paraît pas que nous ayons des prophéties d'Ésaïe datant decette dernière époque. Il est pourtant probable que le prophète acontinué son ministère jusqu'à l'avènement de Manassé (692). D'aprèsla tradition rabbinique, il aurait été mis à mort pendant lespersécutions de Manassé, scié entre les deux moitiés d'un troncd'arbre. Une grande idée domine la prédication d'Ésaïe, qui s'exprime dèssa vision de vocation: (Esa 6:3) Jéhovah est le Saint d'Israël (Qâdôch Yahvé Tsebaot). Cette idée du Qâdôch a son point dedépart dans la religion populaire. Elle implique d'abord l'idée depropriété divine et de tabou. Tout ce qui touche au culte est saint:le Temple, demeure de Dieu, les objets du culte, l'homme qui exercele culte. Mais la conception du prophète déborde infiniment le senstraditionnel. La sainteté de Jéhovah est d'abord synonyme de majestédivine, et Jéhovah est un Dieu tel qu'il n'y a pas d'autre Dieu, leDieu par excellence, souverainement élevé au-dessus du monde et quin'a rien de commun avec les créatures terrestres. Et la sainteté deJéhovah est aussi synonyme de justice et de perfection morale. Ellese manifeste dans le jugement: «Jéhovah des armées apparaîtra granddans le jugement; le Dieu saint sera sanctifié dans lajustice» (Esa 5:16). Parce que le peuple n'a pas réalisé lajustice, il sera châtié; le jour de Jéhovah va venir, le jour deténèbres et de destruction, et les crises de l'histoire actuelle sontles signes avant-coureurs de la grande catastrophe qui viendra surIsraël. Et c'est ici la philosophie de l'histoire d'Ésaïe: Jéhovahrègne, il est le maître des peuples et il est à l'oeuvre parmi leshommes. Il a suscité Assour comme verge de sa colère pour briser lesnations et châtier Éphraïm et Juda, ses enfants rebelles. Puis quandles temps seront accomplis, il manifestera sa puissance et il briserala verge dont il s'est servi, il brisera l'orgueil d'Assour. Et après la ruine d'Assour commenceront les temps nouveaux, larestauration d'Israël. La nation coupable sera châtiée, mais elle nedisparaîtra pas complètement. Un reste échappera à la destruction, unreste sera sauvé. Pour donner forme à cette promesse, le prophèteavait appelé un de ses fils: Chear-Yachoub, un reste reviendra.Ainsi se concilient la justice de Jéhovah et son ardent amour pourson peuple: une base morale est donnée à l'espérance d'Israël. Et cepetit troupeau de justes qui survivra aux catastrophes cessera demettre sa confiance en l'homme. Les oeuvres d'une civilisationcoupable auront alors disparu, les palais seront en ruines et lesvilles abandonnées; les réchappés d'Israël retourneront à la vienomade comme aux temps antiques, ils se nourriront de crème et demiel (Esa 7:21-25) et des fruits que la terre produirad'elle-même, «ce que Jéhovah fera germer» (Esa 42). Mais ce retour à la vie de la steppe n'est que le prélude de larenaissance eschatologique. A la fin, Israël sera restauré dans lasplendeur et dans la joie. Le prince juste et pacifique régnera surl'Israël nouveau, c'est le rejeton qui sortira du tronc de David, leMessie. Le prophète idéalise la royauté présente, et les attributstraditionnels de filialité divine, de puissance surnaturelle et dedomination universelle par lesquels il était d'usage de célébrer lesrois terrestres, lui servent à décrire le roi sauveur de l'avenir. Ilse lèvera comme une lumière pour éclairer ceux qui marchent dans lavallée sombre, il sera le héros de Jéhovah qui brisera le jougétranger et fera connaître à son peuple l'allégresse des victoires,et on l'appellera de noms divins: Merveilleux Conseiller (voir cemot), Dieu fort, Père de l'Éternité, Prince de la Paix (Esa9:1,6). Et surtout il sera le juste juge qui possède le pouvoir deconnaître ce qui se passe dans le coeur des hommes, et de distinguerentre le juste et l'injuste; il défendra les pauvres et les humblescontre ceux qui les oppriment, et de la verge de sa parole ilfrappera les méchants (Esa 11:1,5). Et alors ce sera la paix, la grande paix de Dieu. Il ne se lèveraplus d'oppresseur ni de destructeur, et les hommes ne s'agiterontplus dans les luttes sanglantes. Chacun se reposera à l'ombre de savigne et de son figuier, les épées seront changées en hoyaux et leslances en faucilles (Esa 2:3). Et toute chaussure qu'onporte dans la mêlée, et tout vêtement de guerre roulé dans le sangseront jetés aux flammes et le feu les dévorera (Esa 9:4). EtJéhovah sera l'arbitre des nations (Esa 2:4); la natureelle-même sera apaisée et réconciliée. Le désert deviendra fertile etverdoiera comme un verger; le loup habitera avec l'agneau, lapanthère gîtera avec le chevreau. Le règne de la violence antiqueaura cessé, et autour de la montagne de Sion devenue la montagned'Élohim commencera le règne paradisiaque, l'harmonie parfaite detous les vivants (Esa 11:6-9).II Le livre. Le livre canonique d'Ésaïe renferme diverses collectionsd'oracles datant de diverses époques et s'échelonnant entre le VIII esiècle et le IV e siècle. 1. La première de ces collections: Esa 1 à Esa 39, est en grandepartie formée par les prophéties authentiques d'Ésaïe. Ce sont troisgroupes de prophéties: