ESAÏE (Prophète)

I L'homme. Ésaïe a prophétisé pendant la 2 e moitié du VIII e siècle. Il étaitcontemporain d'Amos et d'Osée, mais il a poursuivi son ministère bienaprès eux, et son histoire est étroitement associée à l'histoired'Israël et de Juda au temps de la conquête assyrienne. Il était sans doute né à Jérusalem, et c'est là qu'il a passétoute sa vie. Son horizon ne dépasse pas les montagnes rocailleusesqui entourent la ville, avec les maquis arides et les champs enterrasses plantés de vignes, de figuiers et d'oliviers autour desvillages. Le prophète ne se mêle pas d'ailleurs à la vie rurale, etson ministère s'exerce dans les rues, sur les places publiques et auxportes de la ville. Nous avons peu de détails sur sa vie, en dehorsdes grands événements historiques auxquels sa prédication faitallusion. Il était marié et avait plusieurs enfants (Esa 7:38:1,3). Il était en rapports assez étroits avec la maison de Davidet la cour royale, mais il ne paraît pas y avoir occupé de positionofficielle. Il appartenait aux cercles de nebiim (prophètes) duTemple, et c'est dans le Temple qu'il reçut sa vocation spéciale (ch.6). Il nous apparaît entouré de nombreux disciples (Esa 8:16),mais ces disciples n'étaient pas seulement des «fils de prophètes» àl'ancienne manière des extatiques, c'était déjà un parti, une élitede jéhovistes fidèles. A la tête de ce groupe le prophète remplit au milieu de sonpeuple la plus haute fonction spirituelle. En face des iniquités deschefs, des riches, des prêtres, qui égarent la nation sur de fauxchemins, il fait entendre la protestation de la conscience jéhoviste.Il exhorte, il menace, il est comme une sentinelle qui, au milieu dela nuit obscure, interroge les signes des temps, il est leprédicateur austère et terrible qui annonce les jugements de Jéhovahet qui clame la complainte funèbre sur son peuple; et il est aussi lemessager de bonnes nouvelles qui découvre à Juda et à la maison deDavid les horizons de l'avenir. Ésaïe avait commencé à prophétiser l'année de la mort d'Ozias(740). Ses premières prédications pendant le règne de Jotham et lespremiers temps d'Achaz dénoncent le luxe et la superbe des grands,qui se confient en l'homme et qui méprisent Jéhovah, les iniquités deceux qui s'enrichissent de la dépouille des pauvres et qui foulentaux pieds le peuple du pays, les désordres et l'imprévoyance de lacour royale, les idolâtries syncrétiques et les modes étrangères quienvahissent le pays. Le crime de Juda, c'est de se confier dans unecivilisation fondée sur la force de l'homme et sur l'orgueil del'homme, et de mépriser Jéhovah (ch. 2 à 5). Pendant la guerre syro-éphraïmite, l'opposition entre l'idéal duprophète et les fins mondaines des chefs de la nation se préciseencore. Retsin le roi de Damas, et Pékah le roi de Samarie, avaientenvahi Juda et mis le siège devant Jérusalem. Achaz et tout le peupleétaient apeurés, «frissonnant comme les arbres d'une forêtfrissonnent sous le vent». Mais Ésaïe s'avance à la rencontre du roiet l'exhorte à la confiance en Jéhovah. Jéhovah délivrera son peuple;et au roi qui lui demande un signe, le prophète annonce la naissancede l'enfant divin, Emmanuel (voir ce mot). Cependant Achaz appelle àsa délivrance le roi d'Assour Tiglath-Piléser III avec ce message:«Je suis ton serviteur et ton fils, monte et délivre-moi de la maindu roi d'Aram et de la main du roi d'Israël.» Ésaïe proteste contrecette alliance impie. Jéhovah est tout pour son peuple, et c'est enlui seul que Juda doit chercher le secours. Malheur à ceux qui ontméprisé les eaux de Siloé et qui ont rêvé de l'Euphrate! L'Euphratedébordera en effet sur le pays; Aram et Éphraïm seront inondés, maisJuda n'échappera pas à la catastrophe, et son terrible allié nel'épargnera pas. Et dans un de ces actes symboliques qui lui étaientfamiliers, le prophète promène à travers la ville une pancarte:«Prompt au pillage, rapide au butin», et il appelle le fils qui luinaît de la prophétesse: «Prompt au pillage, rapide au butin» (ch. 7et 8). Pourtant Jérusalem fut sauvée et Achaz put assister au désastrede ses adversaires. En 732 Damas fut prise. Dix ans plus tard Samarietombait à son tour après un long siège et l'élite de sa populationétait emmenée en exil (722). Le roi Achaz recueillait ainsi lesfruits de sa politique; Juda échappait à la catastrophe qui balayaitles petites monarchies syriennes et il devait encore se maintenircomme vassal du roi d'Assour. L'avènement d'Ézéchias (720) devait être favorable au partid'Ésaïe. Le nouveau roi était un prince sage et bien disposé; «ilfit; ce qui est droit aux yeux de Jéhovah». Le pays, bien administré,put jouir d'une prospérité relative. Mais le parti mondain etguerrier, dans ses velléités d'indépendance, prêtait l'oreille auxintrigues de l'Egypte et poussait à la révolte contre l'Assyrie. Leroi finit par céder aux suggestions du parti égyptophile. A plusieursreprises, surtout après la campagne des Assyriens contre Asdod, lafidélité d'Ézéchias vis-à-vis de son suzerain parut chanceler. Versla fin du règne de Sargon, il cessa de payer tribut. Et Ésaïe decombattre les illusions dangereuses des chefs du peuple. Unevassalité loyale lui apparaît la seule attitude possible. Il fautlaisser la volonté de Jéhovah s'accomplir et supporter le châtimentqu'il a fait peser sur son peuple. Malheur à ceux qui vont en Egyptepour y chercher du secours, l'Égyptien est un faux appui. Ceux quiveulent se sauver ainsi périront impuissants. Cependant le partiégyptophile l'emporta, et à l'avènement de Sanchérib ce fut larévolte ouverte. Mais trois ans après (702) le roi d'Assourenvahissait la Palestine et le pays de Juda était affreusementravagé. Ézéchias était cerné dans Jérusalem «comme un oiseau encage». Dans le malheur et dans la détresse Ésaïe veille sur sonpeuple, annonçant la parole de Jéhovah dans la ville bruyante etapeurée, et il refait l'âme de la nation: Que Juda se repente, qu'ilretourne à Jéhovah, Jéhovah seul peut sauver Jérusalem (ch. 29-33).Et à la proclamation du tartan de Sanchérib sommant Jérusalem de serendre, le prophète répond par cette magnifique prophétie: «Elle teméprise, elle se moque de toi, la vierge, fille de Sion...» (2Ro19,Esa 37). Sanchérib dut lever le siège; mais il laissait Ézéchiasépuisé par une lourde rançon, son royaume dévasté par les razzias etdiminué de territoire. Cependant Jérusalem n'avait pas été profanée par l'étranger, etla montagne sainte apparaissait comme inviolable au milieu desagitations des peuples, miraculeusement défendue par son Dieu. A lasuite de ces événements, la popularité d'Ésaïe et son influencedevaient considérablement grandir. Ézéchias est désormais acquis à lapolitique du prophète. Au lieu de préparer de nouvelles révoltes etd'organiser des alliances, il cherche à restaurer le passé, relevantles ruines et effaçant les traces du désastre. En même temps, cédantaux suggestions d'Ésaïe et de son parti, il s'occupe de réformer lareligion et d'épurer le culte. Il supprime les cultes idolâtriquesdes bânwth, renversant les massêboth, brisant les achéritn, et même il enlève du Temple la grande idole de Jéhovah,le serpent d'airain, le Néhustan Il ne paraît pas que nous ayons des prophéties d'Ésaïe datant decette dernière époque. Il est pourtant probable que le prophète acontinué son ministère jusqu'à l'avènement de Manassé (692). D'aprèsla tradition rabbinique, il aurait été mis à mort pendant lespersécutions de Manassé, scié entre les deux moitiés d'un troncd'arbre. Une grande idée domine la prédication d'Ésaïe, qui s'exprime dèssa vision de vocation: (Esa 6:3) Jéhovah est le Saint d'Israël (Qâdôch Yahvé Tsebaot). Cette idée du Qâdôch a son point dedépart dans la religion populaire. Elle implique d'abord l'idée depropriété divine et de tabou. Tout ce qui touche au culte est saint:le Temple, demeure de Dieu, les objets du culte, l'homme qui exercele culte. Mais la conception du prophète déborde infiniment le senstraditionnel. La sainteté de Jéhovah est d'abord synonyme de majestédivine, et Jéhovah est un Dieu tel qu'il n'y a pas d'autre Dieu, leDieu par excellence, souverainement élevé au-dessus du monde et quin'a rien de commun avec les créatures terrestres. Et la sainteté deJéhovah est aussi synonyme de justice et de perfection morale. Ellese manifeste dans le jugement: «Jéhovah des armées apparaîtra granddans le jugement; le Dieu saint sera sanctifié dans lajustice» (Esa 5:16). Parce que le peuple n'a pas réalisé lajustice, il sera châtié; le jour de Jéhovah va venir, le jour deténèbres et de destruction, et les crises de l'histoire actuelle sontles signes avant-coureurs de la grande catastrophe qui viendra surIsraël. Et c'est ici la philosophie de l'histoire d'Ésaïe: Jéhovahrègne, il est le maître des peuples et il est à l'oeuvre parmi leshommes. Il a suscité Assour comme verge de sa colère pour briser lesnations et châtier Éphraïm et Juda, ses enfants rebelles. Puis quandles temps seront accomplis, il manifestera sa puissance et il briserala verge dont il s'est servi, il brisera l'orgueil d'Assour. Et après la ruine d'Assour commenceront les temps nouveaux, larestauration d'Israël. La nation coupable sera châtiée, mais elle nedisparaîtra pas complètement. Un reste échappera à la destruction, unreste sera sauvé. Pour donner forme à cette promesse, le prophèteavait appelé un de ses fils: Chear-Yachoub, un reste reviendra.Ainsi se concilient la justice de Jéhovah et son ardent amour pourson peuple: une base morale est donnée à l'espérance d'Israël. Et cepetit troupeau de justes qui survivra aux catastrophes cessera demettre sa confiance en l'homme. Les oeuvres d'une civilisationcoupable auront alors disparu, les palais seront en ruines et lesvilles abandonnées; les réchappés d'Israël retourneront à la vienomade comme aux temps antiques, ils se nourriront de crème et demiel (Esa 7:21-25) et des fruits que la terre produirad'elle-même, «ce que Jéhovah fera germer» (Esa 42). Mais ce retour à la vie de la steppe n'est que le prélude de larenaissance eschatologique. A la fin, Israël sera restauré dans lasplendeur et dans la joie. Le prince juste et pacifique régnera surl'Israël nouveau, c'est le rejeton qui sortira du tronc de David, leMessie. Le prophète idéalise la royauté présente, et les attributstraditionnels de filialité divine, de puissance surnaturelle et dedomination universelle par lesquels il était d'usage de célébrer lesrois terrestres, lui servent à décrire le roi sauveur de l'avenir. Ilse lèvera comme une lumière pour éclairer ceux qui marchent dans lavallée sombre, il sera le héros de Jéhovah qui brisera le jougétranger et fera connaître à son peuple l'allégresse des victoires,et on l'appellera de noms divins: Merveilleux Conseiller (voir cemot), Dieu fort, Père de l'Éternité, Prince de la Paix (Esa9:1,6). Et surtout il sera le juste juge qui possède le pouvoir deconnaître ce qui se passe dans le coeur des hommes, et de distinguerentre le juste et l'injuste; il défendra les pauvres et les humblescontre ceux qui les oppriment, et de la verge de sa parole ilfrappera les méchants (Esa 11:1,5). Et alors ce sera la paix, la grande paix de Dieu. Il ne se lèveraplus d'oppresseur ni de destructeur, et les hommes ne s'agiterontplus dans les luttes sanglantes. Chacun se reposera à l'ombre de savigne et de son figuier, les épées seront changées en hoyaux et leslances en faucilles (Esa 2:3). Et toute chaussure qu'onporte dans la mêlée, et tout vêtement de guerre roulé dans le sangseront jetés aux flammes et le feu les dévorera (Esa 9:4). EtJéhovah sera l'arbitre des nations (Esa 2:4); la natureelle-même sera apaisée et réconciliée. Le désert deviendra fertile etverdoiera comme un verger; le loup habitera avec l'agneau, lapanthère gîtera avec le chevreau. Le règne de la violence antiqueaura cessé, et autour de la montagne de Sion devenue la montagned'Élohim commencera le règne paradisiaque, l'harmonie parfaite detous les vivants (Esa 11:6-9).II Le livre. Le livre canonique d'Ésaïe renferme diverses collectionsd'oracles datant de diverses époques et s'échelonnant entre le VIII esiècle et le IV e siècle. 1. La première de ces collections: Esa 1 à Esa 39, est en grandepartie formée par les prophéties authentiques d'Ésaïe. Ce sont troisgroupes de prophéties:

(a) Esa 1 à Esa 12; (b) Esa 14:24,32 17-20,22; (c) Esa 28-33, plus (d) un appendice narratif, Esa 36-39. ------------------
(a) Chap, 1 à 12. Prophéties concernant le paysde Juda et se rapportant, à part le ch. 1, aux règnes de Jotham etd'Achaz et aux premiers temps d'Ézéchias. Le ch. 1 est probablementd'une époque plus tardive. La description de la ruine du pays, telleque la présentent les versets 4,10, peut s'appliquer à l'invasion deSanchérib. Certains l'appliquent cependant à la guerresyroéphraïmite. Il paraît bien que ces oracles ont été mis en tête dulivre parce qu'ils forment une sorte d'introduction générale; c'estl'acte d'accusation de Jéhovah contre son peuple. Les ch. 2 à 5 ont été composés sous Jotham et dans les premièresannées d'Achaz. Ésaïe y dénonce l'orgueil et les vices des grands etles idolâtries du peuple (Esa 2:6-11); il annonce la venue dujour de Jéhovah contre tout ce qui s'élève (Esa 2:12-22), etl'anarchie de Jérusalem livrée au caprice et aux iniquités de seschefs (Esa 3:1-16) et le châtiment des filles de Sion (Esa3:16-4:2). Jérusalem est la vigne plantée de ceps de choix et quin'a donné que verjus (Esa 5:1-7), et le prophète annonce auxchefs de son peuple la malédiction (Esa 5:8,24). L'oracle ducommencement de Esa 2:1-6, le rassemblement des peuples àJérusalem, se retrouve aussi dans Mic 4:1,5. Certains critiquesl'ont considéré comme une interpolation post-exilique. Il peut êtreplus vraisemblable qu'Ésaïe et Michée aient reproduit (Michée d'unemanière plus complète) un oracle qui circulait déjà dans les milieuxprophétiques. Quant à Esa 4:2-6, décrivant la gloire du restedes délivrés dans la Jérusalem de l'avenir, bien qu'il interrompe lasérie des protestations et des menaces, il n'y a pas de raisonsuffisante pour y voir un fragment eschatologique d'époque plusrécente. Le ch. 6 raconte la vocation du prophète l'année de la mortd'Ozias,--Les ch. 7, 8 et 9 donnent les prophéties prononcées pendantla guerre syro-éphraïmite, et à la fin l'oracle sur l'enfant royal,le héros divin (Esa 9:1-6), --Le passage Esa 9:7-10:4 est un oracle formé de quatrestrophes annonçant le jugement de Samarie et la fin du royaumed'Éphraïm. Il faut ajouter à ce poème le fragment Esa 5:24 etsuivant qui est de même facture et terminé par le même refrain.--Lesch. Esa 10:5-12 contiennent l'oracle contre Assour, qui a étéenvoyé par Jéhovah pour châtier le peuple, mais que Jéhovah frapperaà son tour (Esa 10:5-34), puis le poème du second David (Esa11:1-9), l'annonce du retour des exilés (Esa 11:10-16) et lecantique des rachetés (Esa 12). L'authenticité de ce derniergroupe a été contestée à diverses reprises. On fait remarquer enparticulier que le ch. 12 est un psaume d'actions de grâces, uneallusion immédiate à un événement historique, mais ce psaume n'estpas nécessairement une interpolation. (b) Chap. 14:24-32 17 18 19 20 22. C'est un recueild'oracles contre les nations païennes (à part les deux oracles du ch.22). Ce recueil n'a pas évidemment la même homogénéité que lepremier, encore que la plupart de ces morceaux portent bien la marquedu style ésaïaque. Oracle contre l'armée assyrienne qui seradétruite (Esa 14:24-27), se rapporte très probablement auxcirconstances de l'invasion de Sanchérib. Oracle contre lesPhilistins (Esa 14:28-32). Oracle contre Damas etSamarie (Esa 17:1-11), date de l'époque des campagnes deTiglath-Piléser contre la Syrie et Éphraïm (Esa 17:12-14).Oracle sur une invasion assyrienne. Oracle contre l'Éthiopie (Esa18). Oracle contre l'Egypte (Esa 19). Le ch. 18 peut avoir étécomposé au moment de l'invasion de Sanchérib, qui se proposait deconquérir l'Egypte après la Palestine. Quant au ch. 19, on a plusd'une fois refusé de l'attribuer à Ésaïe, pour le placer à l'époqueachéménide, et même, pour le dernier oracle (verset 18-25), àl'époque hellénistique; cependant, l'ensemble de cette prophétie peuts'appliquer assez bien à l'époque où Assarhaddon préparait sonexpédition contre l'Egypte, et l'allusion aux villes d'Egypte quiparleront la langue de Canaan et au culte de Jéhovah célébré sur laterre d'Egypte n'a rien d'insolite depuis que les découvertesd'Éléphantine nous ont montré l'antiquité de la diaspora égyptienne.Oracle contre l'Egypte et l'Ethiopie, avec action symbolique (ch.20), date de l'année de la campagne de Sargon contre Asdod. Oraclecontre Jérusalem, cité bruyante et joyeuse (Esa 22:1-14),probablement de l'époque de l'invasion de Sanchérib. Oracle contrel'intendant Sebna, qui sera remplacé par Éliakim (Esa 22:15-25). (c) Chap. 28 à 33. Le premier de ces chapitres a étécomposé au moment du siège de Samarie. Malédiction contreÉphraïm (Esa 28:1-6), suivie d'avertissements et de menacescontre Juda (Esa 28:7-29). Les oracles qui suivent (Esa 29-33)datent de l'époque de la révolte d'Ézéchias contre Assour et del'invasion de Sanchérib: Prophétie contre Ariel, «la cité où David adressé sa tente» (Esa 29:1,16). Prophétie contre ceux quis'appuient sur l'Egypte et qui ne se confient pas au Saint d'Israël(ch. 30 et 31). Annonce de la prochaine destruction et de larestauration messianique (ch. 32). On a vu dans le ch. 33 uneliturgie prophétique post-exilique qu'on prononçait au moment d'uneinvasion. Il n'y a pas de raison décisive pour que cette liturgie nesoit pas d'époque ancienne, et elle a pu aussi s'appliquer à ladélivrance d'Israël en 701. (d) Un appendice narratif (36-39), qui est unerépétition avec quelques variantes du récit de 2Ro 18:13-20:19,raconte l'expédition de Sanchérib et le rôle d'Ésaïe pendantl'invasion assyrienne, la maladie d'Ézéchias et sa guérison, etl'ambassade de Mérodac-Baladan, roi de Babylone, auprès d'Ézéchias.Ce texte, qui date de l'époque exilique, donne la prophétie qu'Ésaïeprononça en réponse au manifeste du tartan de Sanchérib (Esa37:22,35). Cette prophétie est bien dans la manière d'Esaïe et sonauthenticité doit être maintenue. Avec les oracles d'Ésaïe, nous sommes au point culminant del'évolution littéraire d'Israël. Ici le chir (chant lyrique) dela prophétie atteint son développement le plus parfait. Non pas quele prophète soit le moins du monde un écrivain d'école. Saprédication continue à s'exprimer au hasard de l'actualité et suivantla manière violente, abrupte et tourmentée des anciens nebiim C'est un inspiré, ses paroles sont toujours des oracles, des parolesde Jéhovah. Cependant l'extatisme est de plus en plus à Farrière-plan. Et, sous les formes traditionnelles de la fureur sacréeet de la saisie divine, s'exprime une pensée très consciente et unepoésie religieuse de forme très achevée. Parmi tous les poètesbibliques, Ésaïe l'emporta, non seulement par la pureté vraimentclassique de la langue, mais aussi par la vigueur, la splendeur, lapuissance et la majesté. Et sans doute, nous sommes loin du stylesouple, nuancé, eurythmique qui fait le charme éternel de la poésiegrecque. Mais à défaut de grâce, la manière du prophète donne uneimpression de force sereine et de grandeur. Et c'est ici vraimentl'âge d'or de la littérature hébraïque. 2. Dans le cadre des prophéties d'Ésaïe, les rédacteurs ont inséré uncertain nombre d'AUTRES oracles, s'appliquant aux circonstances lesplus diverses de l'histoire d'Israël avant et après l'exil. (a) D'abord deux oracles contre Babylone, écritspendant le temps où Israël est dans «une dure servitude» (Esa 13et Esa 14:4,23). Le premier annonce la venue du jour de Jéhovahcontre la grande cité, ornement des royaumes, parure des orgueilleuxCaldéens. Les Mèdes la détruiront et elle deviendra une solitude.C'est un morceau de très belle allure, qui se rapproche par la formeet le fond de la prédication d'Ésaïe II (voir art. suiv.). Le secondoracle est un mâchai (chant imagé) satirique, décrivant l'arrivéedu roi de Babylone au cheol, où les ombres des peuples opprimésl'acclameront avec des cris de sarcasme. (b) Les ch. 15 et 16 sont un oracle sur Moab, trèsvraisemblablement antérieur à l'époque d'Ésaïe et qui appartient augenre de paroles de malédiction que les prophètes prononçaient avantla bataille contre le peuple ennemi. On peut le dater avec beaucoupde vraisemblance de l'époque de la conquête de Moab par les Omrides. (c) Le ch. 21 renferme trois oracles. Le premier estencore un oracle contre Babylone qui se rapporte comme les ch. 13 etEsa 14:4,23 au temps de la conquête de la ville par Cyrus. C'estun des morceaux où nous pouvons le mieux étudier le style extatiquedu prophète. Le visionnaire est comme une sentinelle au milieu de lanuit, il entend le bruit des cavaliers et les peuples qui montent àl'assaut de la ville, et les cris de guerre et de carnage. Le secondoracle (Esa 21 et suivant) est dirigé contre Édom; on peutdifficilement en préciser la date. Le troisième oracle (Esa21:13-15), sur l'Arabie, peut dater de l'époque des campagnes deNabounaïd contre les tribus arabes. (d) Le ch. 23 est une prophétie contre Tyr. Elleannonce la destruction de la grande cité reine des mers. L'allusionaux Caldéens (verset 13) laisse supposer qu'il s'agit du siège de Tyrpar Nébucadnetsar. La prophétie daterait donc du début du VI e siècle. (e) Les ch. 24 à 27 sont une apocalypse de daterelativement récente, ayant déjà les traits caractéristiques dugenre. D'abord l'annonce du grand bouleversement eschatologique (ch.24): Jéhovah bouleversera la face de la terre, la terre tremblera, lalune rougira et le soleil pâlira, et les rois et les peuples serontdans l'épouvante, car ce sera pour eux l'heure du jugement.Toutefois, dans le désastre universel, le petit troupeau, le peupleélu, sera épargné, et il exaltera le nom de Jéhovah et chantera seslouanges sur la montagne de Sion. Et Jéhovah rassemblera les peuplessur la montagne de Sion pour un festin de sacrifice, il anéantira lamort pour toujours, cependant que les puissances hostiles serontabattues et jetées dans la poussière (ch. 25). (f) Le ch. 26 commence par un autre cantique delouange et d'actions de grâces, dont le thème est l'opposition entrela cité de Dieu et la ville superbe, et impie (verset 1-13), puis levisionnaire décrit la résurrection du peuple succédant à salongue/détresse; les morts d'Israël et les cadavres se relèveront,vivifiés par une rosée de lumière. (g) Enfin, le dernier ch. 27 représente Jéhovahveillant sur sa vigne (verset 2-5), et décrit la restaurationd'Israël et le retour des exilés, qui se rassembleront au son de latrompette depuis le pays d'Egypte et depuis le pays d'Assour. La manière apocalyptique de ces oracles, l'absence oul'imprécision des allusions historiques, l'élargissement du drameeschatologique jusqu'aux proportions d'un drame cosmique, et surtoutl'espérance de la résurrection et de la vie/éternelle qui apparaîtici pour la première fois dans la littérature biblique (Esa 25:726:10), nous reportent à' une date relativement récente,vraisemblablement à la fin du V e ou au IV e siècle. Il y a en effetquelque parenté entre cette apocalypse et la prophétie de Joël.Certains critiques ont cru cependant pouvoir descendre jusqu'à l'époque macchabéenne. D'après eux, lesallusions à la destruction de la ville orgueilleuse se rapportent àla prise de Samarie par Jean Hyrcan (107). Au point de vue de lalangue et du style, cette prophétie n'a sans doute pas la pureté etla vigueur de la littérature de la grande époque; encore yremarque-t-on un lyrisme de belle allure et une relative sobriété quis'expliqueraient assez mal à une époque de décadence et qui ne sontpas précisément la marque des productions littéraires du II e siècle. (h) Les ch. 34 et 35 sont encore une apocalypseannonçant la colère de Jéhovah contre les nations, la destructiond'Édom, la délivrance et la gloire d'Israël. Édom sera dévasté pourl'éternité, et les bêtes de la steppe en feront leur demeure,cependant que le pays d'Israël fleurira comme la rosé, et que lesdélivrés de la diaspora s'y rassembleront. La malédiction contre Édomet l'allusion au retour des dispersés, aussi bien que le style et legenre littéraire, sont l'indice que nous avons ici un morceaud'époque post-exilique, mais il n'est guère possible d'en fixer ladate de composition avec quelque précision. Ant. C.