EGYPTE (7)

Religion. Les textes religieux les plus anciens, comme ceux des pyramidesroyales de l'Ancien Empire, donnent l'impression d'une mythologieconfuse, d'un panthéon très compliqué composé de divinités nombreusesdont le caractère est souvent imprécis et variable. Plus tard, auxparois des temples et des tombeaux, comme sur les cercueils et lespapyrus, les Égyptiens affichent leur dévotion envers une quantitéd'images divines dont le plus grand nombre paraissent des êtresfactices gravitant autour de quelques divinités de premier ordre quiseules font figure de créations originales. Ce système, ou plutôt cessystèmes combinés, sont l'oeuvre de théologiens travaillant depuis laplus haute antiquité à coordonner les idées religieuses disparates detoutes les parties du pays, à condenser les formes multiples de ladivinité, et à les combiner de manière à donner une explication de lavie idée qui est à la base de toutes les religions de l'Egypteancienne. En effet il n'y a pas, à l'origine, une religion égyptienne, maisune multitude de religions distinctes créées par les groupes depopulation, alors qu'ils n'avaient entre eux qu'un lien très lâche,celui de la race: c'est à cette communauté d'origine que ces groupesdoivent la même base religieuse, l'idée de la perpétuation de la viequi imprime à toute la civilisation égyptienne son caractère originalet qui la distingue notamment des religions sémitiques. La source dela vie, les uns la voient dans la terre, d'autres dans le ciel, dansle soleil, dans le Nil; ils lui donnent un corps, ils l'habillent àleur façon pour avoir une image tangible de leur dieu, image quivarie suivant les tendances de chacune des populations locales. Iln'y a là rien qui ressemble à un totémisme, à une union intime entrela divinité et sa tribu; nulle part on ne trouve la trace d'un dieus'incorporant dans la masse de ses adorateurs. Cette notion religieuse où domine l'idée de vie ne s'est pasformée d'un coup, elle a dû évoluer depuis le stade inférieur del'humanité pensante jusqu'à son développement complet, et nouspouvons, grâce à l'esprit conservateur des Égyptiens, constater danscette évolution au moins trois grandes phases dont la première n'estqu'un simple fétichisme, avec adoration d'un objet quelconque: pierrepointue ou informe, arbre ébranché, arme usuelle. Dans la phasesuivante, c'est un animal qui incarne la divinité en personnifiant lapuissance engendrant la vie: ainsi le taureau, le bélier, le bouc, àcôté d'autres bêtes dont le rôle symbolique est moins apparent, commele singe, le crocodile, l'ibis, le chat, le chien. Enfin, dans laphase anthropomorphique, l'homme donne à ses dieux sa propre forme enla modifiant au moyen d'éléments caractéristiques empruntés ausystème zoolâtrique. Qu'elles appartiennent primitivement à trois races diverses quise seraient succédé dans le pays, ou qu'elles proviennent simplementd'une évolution de la pensée populaire, ces trois façons de sereprésenter la divinité apparaissent simultanément au début des tempshistoriques, avec les premières représentations figurées. C'est undes traits de la mentalité égyptienne de ne pas sacrifier lesvieilles idées, mais de les juxtaposer aux nouvelles; ainsi les vieuxfétiches s'allient intimement aux animaux sacrés et aux dieux deforme humaine, et cela dans toutes les localités importantes, defaçon à mieux exprimer la nature composite qu'on attribuait à ladivinité; cette union est même si étroite qu'on ne pouvait se figurerl'un sans l'autre, Osiris séparé du dad, Amon distinct de sonbélier. Dans chaque localité, on adorait donc le «dieu de la ville» commela divinité unique et toute-puissante, mais vue sous un certainangle, ce qui n'excluait pas l'existence d'entités différentes,telles qu'on les concevait dans les villes voisines. C'est unmonothéisme assez conscient de son insuffisance pour chercher àcompléter la notion qu'il représente par d'autres idées du mêmeordre; cette tolérance a donné lieu à une infinité de combinaisonsthéologiques qui ne nuisent à l'unité divine que par le moded'expression et ne la diminuaient en rien dans l'esprit des fidèles.(Voir Héno-théisme). Ces religions locales peuvent cependant et doivent devenir unvéritable polythéisme quand il s'agit de l'État ou de celui qui lereprésente, le roi. Le pharaon peut avoir une prédilection pour lareligion de son lieu natal ou de sa capitale et lui accorder desfaveurs particulières, il n'en est pas moins le chef de toutes lesreligions de l'Egypte, et il doit officiellement les mettre toutessur le même plan; il est dès lors très naturel de le voir, sur lesmonuments royaux, adresser son hommage indifféremment à tous lesdieux du pays. C'est là une conséquence normale du système religieuxégyptien, non son essence même. Les combinaisons élaborées dans les divers centres religieux, etqui prennent souvent une tournure mythologique, sont très variéessuivant la nature du dieu principal, et exercent les unes sur lesautres des influences qu'il est difficile de déterminer. Lesprincipes suivant lesquels elles ont été formées diffèrent également;deux de ces systèmes méritent une attention spéciale, celui del'ennéade, qui a pour but de donner un tableau cosmogonique del'origine et des destinées du monde, et celui de la triade, synthèsedu renouvellement des choses et des hommes aussi bien que deséléments; dans l'une et l'autre de ces conceptions théologiques percel'idée maîtresse de la perpétuation de la vie. L'ennéade est une création du clergé d'Héliopolis, dont la grandehabileté a été de personnifier ses théories abstraites par desdivinités révérées dans les localités environnantes et dont lecaractère convenait au rôle qu'on voulait leur faire jouer auprès dudieu local, Atoum. La grande métropole religieuse de la Basse-Egyptes'assurait ainsi l'appui de toute la clientèle pieuse de la région;et le succès de cet assemblage de divinités connues, chacune à saplace et jouant son rôle dans un mythe bien composé, fut tel qu'il serépandit dans tout le pays et fut adopté presque tel quel dans lesautres centres religieux, où l'on se contenta de faire figurer ledieu local en tête du groupe, devant Atoum ou à sa place. Le schéma de ce système cosmogonique peut se résumer ainsi: lerôle de créateur est assumé par le dieu solaire Atoum, qui sort dunéant ou de l'abîme primordial et crée de lui-même un couple quipersonnifie l'étendue, l'atmosphère, la chaleur, Shou et Tefnout;ceux-ci mettent au monde le ciel et la terre, Qeb et Nouït. Leséléments ainsi constitués par ce groupe de cinq divinités, il reste àreprésenter l'organisation du monde matériel et humain, l'apparitionde la mort, la formation des liens de la famille et de l'État: c'estl'oeuvre des quatre enfants du couple ciel-terre, Osiris et Isis, Setet Nephtys. Pour compléter l'oeuvre de la grande ennéade, on en créad'autres plus obscures qui, sous la conduite d'Horus, le dieu royal,avaient pour mission d'établir la liaison entre ce monde divin etcelui où nous vivons. Les triades, dont la plus typique est celle d'Amon à Thèbes, sontconçues sur un tout autre principe, celui de représenter l'essence etle renouvellement de la vie. Le dieu, quelle que soit sa nature, a àcôté de lui une compagne qui donne le jour à un enfant, lequel n'estautre que le père réincarné; celui-ci retrouve sa fonctiond'engendreur suivant la formule: «le dieu mari de sa mère», quisymbolise cet éternel recommencement de la force divine, de la vie,principe de toutes choses. Cette hantise de la vie, si accentuée chez les Égyptiens, a aussiété la directive de leurs théories concernant l'autre monde. Puisquetout survit et renaît après une déchéance ou un anéantissementapparent, il n'y a aucune raison pour qu'il n'en soit pas de mêmepour l'homme. Celui-ci peut et doit obtenir une vie future équivalantà celle de ce monde, à la seule condition de se concilier lespuissances qui président au mystère de la régénération après la mort.Ces entités, souvent peu précises, sont différentes suivant leslocalités et finissent par se multiplier à l'excès, mais quelquesfigures se détachent de ce chaos et deviennent, déjà trèsanciennement, des divinités particulièrement révérées: ainsi d'uncôté Hathor, de l'autre Anubis et surtout Osiris; par là s'établitdans tout le pays une conception qui ne varia guère que dans letemps, et non plus suivant les localités. Longtemps les hommes se contentèrent de s'assurer, par desformules spéciales et par l'installation de leurs tombeaux, unesurvie ressemblant le plus possible à la vie de ce monde, une vielarge et sûre mais dans laquelle n'entre aucun élément spirituel.Pendant ce temps les rois, se prévalant de leur ascendance divine,pouvaient prétendre à jouir au delà de la tombe d'une vie semblable àcelle des dieux, voire à s'identifier complètement avec les grandsdieux; les textes qui couvrent les parois de leurs caveaux funérairesn'ont pas d'autre but que de leur assurer ce privilège. Peu à peu,les simples mortels cherchèrent à acquérir les mêmes avantages; parle moyen de formules magiques, ils s'assimilèrent aux rois et crurentainsi pouvoir pénétrer comme eux dans le monde des dieux. Comme leroi, ils devinrent des Osiris et purent ainsi résider dans le domainedu grand dieu des morts, dont les Grecs ont copié jusqu'au nom dansleurs Champs-Elysées; comme le roi, ils montèrent journellement dansla barque solaire et en arrivèrent à se confondre avec le Soleil. Voir carte n° IV et fig. 64 à 80. G. JÉQUIER.