1. Quelle est l'acception du terme «ekklêsia» dans le N.T.? Dans le grec classique ce mot désignait l'assemblée plénière descitoyens appelés à la gestion des affaires publiques, des ehklètoï. Le terme en gardera un petit air de distinction et desolennité. Il est vrai que plus tard on l'appliquait aussi à touteassemblée populaire; même la turbulente réunion publiqued'Éphèse (Ac 19:32,39 et suivant) est appelée ekklêsia. Lejudaïsme hellénistique et les LXX dénomment ekklêsia l'assemblée dupeuple d'Israël sous le regard de Dieu (en hébreu qâhâl, q'hâlYahvé). C'est cette signification religieuse, transposée sur leplan chrétien, que le N.T. a maintenue. Le terme implique un jugementde valeur que précisent les épithètes: Église de Dieu (1Co 1:210:32 11:22 15:9 Ga 1:13 1Th 2:14,1Ti 3:5,15), Église duChrist (Ro 16:16), Église du Seigneur (Ac 20:28), Église enChrist (Eph 3:21). L'ekklêsia est donc le peuple élu de laNouvelle Alliance, l'Israël de Dieu (Ga 6:16), la vraiepostérité d'Abraham (Ro 9:7), les douze tribus dans ladispersion (Jas 1:1), la congrégation des vrais circoncis (Php3:3), l'assemblée des saints (1Co 14:33), que Dieu a appelée àse retirer du monde, mais qui n'en a pas moins une mission à remplirdans l'histoire concrète. C'est l'assemblée à la foisidéale et empirique dans laquelle Dieu ou le Christ agissent parles dons de la grâce. Il n'y a qu'une Église (Mt 16:18). Sinéanmoins le terme est appliqué à quelque communauté locale (1Co1:2, 1Th 1:1,Ro 16:1) ou s'il est parlé d'Églises au pluriel,(1Th 2:14,Ro 16:4,1Co 7:17 11:16 16:19, 2Co 8:18 etsuivant) ce ne sont pas uniquement telles communautésinstitutionnelles ou telles assemblées cultuelles dont il estquestion; mais il s'agit d'Églises concrètes en tant qu'elles sontdiverses expressions tangibles du peuple de Dieu; par suite, l'Égliseuniverselle n'est pas seulement une synthèse de communautésdisséminées, mais une grandeur lumineuse dont les Églises locales nesont que le reflet différencié. C'est ce que Ignace d'Antioche (adSmyrn., 8:2) définira dans la formule classique: «Là où est Christ,est l'Église catholique (universelle)». En tout cas, la congrégationoecuménique, dénuée de toute détermination corporative, hiérarchiqueou juridique, est le fait fondamental; et la communauté locale n'enest que l'aspect microcosmique. Cette dernière doit donc aussi peuêtre assimilée aux associations cultuelles du paganisme hellénistique (thiasoï, éranoï) que la primitive Église de Jérusalem, qui senommait probablement q'hâl ou k'nichta, voulait êtreconfondue avec quelque synagogue juive (édah). Il semble bien quepar le terme ekklêsia, désignation profane, mais noble dans le mondegrec, on entendait précisément faire ressortir l'unicité de lacongrégation chrétienne telle que la 1 re ép. de Pierre, tout enn'employant pas expressément le mot, en déploie pourtant le contenu:«maison spirituelle, sacerdoce royal, nation sainte, peuple deDieu» (1Pi 2:5,9,10). 2. Jésus a-t-il fondé une ekklêsia? Il n'y a que deux passages suivant lesquels Jésus aurait expressémentemployé le terme d'ekklêsia (Mt 18:15 16:18). Le premier de ces logia suppose une juridiction établie dans une communautéchrétienne entièrement organisée; il est peu probable que cetteparole soit sortie de la bouche de Jésus. Quant au second passage:«Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église», on en aégalement contesté souvent l'authenticité. Le fait est que son sens aété faussé par la controverse entre catholiques et protestants.Luther s'est certainement trompé en ne voulant découvrir dans ceterme de «pierre» et dans ce nom de «Pierre» que la foi, mais non lapersonne du disciple. Il s'agit effectivement d'une primauté dePierre. Mais l'Église catholique, de son côté, fait erreur enassimilant à Pierre ceux qui s'appellent ses successeurs et en leurreconnaissant une prééminence décernée par le Seigneur en personne.Si on envisage le sens originaire du passage et si on admet enparticulier l'interprétation que nous venons de donner de la notiond'ekklêsia, il n'y a aucune raison pour douter de l'authenticité decette parole de Jésus et pour nier d'une part la constitution par leChrist d'une collectivité sacrée et, d'autre part, une espèced'investiture de Simon de Capernaüm. Mais alors, qu'entendait Jésuspar cette ekklêsia dont la personne du disciple devait être la pierrefondamentale? Et d'abord, quelle est l'expression hébraïque ouaraméenne dont Jésus peut s'être servi? S'il a employé le termeqâhâl (q'hala en araméen), alors il entrevoyait unecommunauté reposant sur une nouvelle alliance entre Dieu et sonpeuple, et les disciples, Pierre en tête, en seraient les vraisreprésentants, le «reste qui ne périrait point». Si Jésus, commel'admet. M. K.-L. Schmidt, a employé le terme araméen k'nichta, il aurait songé à l'assemblée cultuelle et à la maison de réunion(«je bâtirai») d'un petit groupement de fidèles. N'ayant pu gagner lepeuple tout entier, Jésus se serait rabattu sur cette infimeminorité. Cette fraction formerait cependant la vraie synagogue, lenoyau de l'Israël idéal, et porterait en soi le germe du Royaume deDieu. Si la conscience messianique de Jésus a inspiré cette vision,la prophétie de Daniel (Da 7:13 et suivant) serait, suivant M.Kattenbusch, la source (der Quellort) de l'idée de l'Église, leFils de l'homme ayant pour mission de rassembler le peuple de Dieu etle peuple de Dieu devant s'incarner en lui, son maître et son roi.Alors l'institution de la sainte Cène est l'acte de consécration dela communauté des disciples de la synagogue de Jésus-Christ, garantiede l'avènement du Royaume de Dieu; ou, autrement dit, le dernierrepas du Christ est l'acte de fondation de l'ekklêsia. Quoi qu'il ensoit, que Jésus ait parlé de Qâhâl ou de K'nichta, les deuxexpressions viennent confirmer ce que nous avons constaté sur le sensdu terme grec: il s'agit d'une communauté messianique eteschatologique réunissant le peuple des élus, le vrai Israël desderniers jours, et annonçant le royaume de Dieu. 3. La conception de la primitive Église. Aucun document ne nous renseigne directement sur l'idée de l'Égliseque se faisaient les premiers chrétiens. Nous ne pouvons qu'émettredes suppositions à ce sujet en analysant l'état d'âme qui régnaitparmi eux et que les évangiles synoptiques semblent refléter plusfidèlement peut-être que le livre des Actes. Établissons les faits etla situation intérieure qui en dérive. Après la mort de Jésus, ungroupe de ses disciples s'est retrouvé à Jérusalem. Comme pour lesJuifs, Jérusalem devait être la Ville sainte pour les chrétiens.N'était-elle pas un symbole? L'image de la Jérusalem «d'En-haut»(Ga 4:26, cf. Ap 3:12 21:2,9 22:5) eût été invraisemblablesi la «ville du grand roi» (Mt 5:36) n'avait pas été le siègeeffectif de la première communauté et le centre historique d'oùdevait rayonner le message du Royaume. C'est là qu'était mort léChrist, qui, malgré sa fin honteuse, était le Messie. La foimessianique unissait les premiers croyants. Elle reposait sur lefait de la résurrection de Jésus. Les apparitions du Christressuscité constituèrent le fondement de la primitive Église. Pierre,ayant été le premier témoin d'une christophanie (1Co 15:5), aeu, par là même, le privilège d'être le fondateur de l'Église. Il estindiscutable qu'il jouissait d'un prestige tout particulier. Paul etles Grecs, malgré certaines incompatibilités, n'ont pas contesté sonautorité morale. (Qu'ils aient consenti à adopter le néologisme Petros, cela prouve leur déférence à l'égard du premier témoinoculaire de la résurrection.) Un autre trait caractérise cependant l'état d'âme de la primitiveÉglise: l'espérance d'un prochain retour du Messie. C'est encoreà Jérusalem que devait se produire la parousie. C'est là que lesDouze, représentant la communauté eschatologique, régneraient surdouze trônes (Mt 19:28 et suivant). C'est là que se réaliseraitl'ordre nouveau. Les apôtres devaient donc demeurer dans la Villesainte sans se répandre dans le monde. C'est de là que le Royaume descieux devait pourtant prendre son envolée. Mais d'autres que lesDouze se chargeraient de la prédication missionnaire: les diacres,Etienne, Philippe. Il n'était pas étonnant que l'exaltation del'attente se traduisît par des manifestations pneumatiques L'Esprit se répandait sur les élus; l'enthousiasme éclatait; desextases et des exclamations glossolaliques étaient les signes del'irruption des puissances transcendantes dans la sphère chrétienne;des prophètes et des prophétesses surgissaient; des miraclesconfirmaient le message apostolique. Des sacrifices d'ordremoral, renoncements et actes de foi audacieux, démontraient laprésence de l'Esprit. Avant chaque réunion cultuelle, les frères separdonnaient leurs péchés sept fois septante fois (Mt 18:22). Onattendait avec angoisse l'avènement du Fils de l'homme et le grandjour du jugement. Les repas eucharistiques ouvraient des perspectivessur «la table du Seigneur dans son royaume» (Lu 22:30). Toute lavie religieuse était bouillonnante. L'Esprit et ses charismess'adaptaient à des situations qui se renouvelaient sans cesse, et ontrouvait la preuve de l'ingérence divine précisément dans le fait querien n'était statique, arrêté, institutionnel. Quelles conclusions cet état de conscience de la premièregénération et cet état de choses dans la primitive Église nouspermettent-ils de donner sur la notion de l'Église qui régnaitdans les milieux apostoliques de Jérusalem? L'Église y était conçuecomme la communauté des justes des derniers jours, comme unecongrégation qui, tout en se distinguant du monde ambiant par sa foienthousiaste, ne se détachait aucunement de la tradition du peupled'Israël; elle prétendait, au contraire, recueillir toutes lespromesses que l'Éternel avait fait reposer sur la tête de sesenfants. Cependant, tout en observant les pratiques juives: lacirconcision, les rites de purification, le sabbat, les prières autemple et les jeûnes, la communauté messianique avait introduit lebaptême au nom de Jésus, ce qui devait finalement conduire auschisme. Toute l'attitude empirique de la primitive Église nouspermet donc de retrouver la conception idéaliste de l'ekklêsia quenous ont déjà fait entrevoir notre enquête étymologique etlinguistique ainsi que l'analyse de la parole que Jésus adressa àSimon Pierre: l'Église, le peuple de Dieu. Cependant, à la longue, la conception enthousiaste de l'Église nes'est pas maintenue à Jérusalem. On peut dire que Paul fut le seulcontinuateur de l'idéalisme primitif; il en fut même le défenseurvis-à-vis de la tendance cléricale qui, peu à peu, s'insinua dans lecénacle de la Ville sainte. 4. La hiérarchie naissante et saint Paul. La seconde génération montait. Selon Ga 2:9, trois hommes «sontregardés comme les colonnes» non seulement de la communauté deJérusalem, mais de toute l'Église: Jacques, Céphas et Jean. Le groupedes apôtres de Jérusalem fondait son autorité sur les apparitions duChrist qu'avait accompagnées une vocation spéciale (Mt 28:10,Ac1:8). Jacques, le frère du Seigneur, quoique n'ayant pasappartenu dès le début à la congrégation, devait, lui aussi, saconsécration à une christophanie (1Co 15:7). Son prestigedépassa bientôt celui des apôtres. Il semble bien avoir été ledirecteur de la communauté (Ac 12:17 15:13 21:18). Pierrelui-même (Ga 2:12) n'ose pas se soustraire à ses injonctions.Les apparitions du Christ et l'ardeur enthousiaste qu'elles avaientsuscitée ayant touché à leur terme dans l'Ascension, tout l'étatd'âme des fidèles subit une certaine congélation. Il se forme une tradition reposant sur le souvenir des manifestations tangiblesdu Seigneur; ce sont encore les protagonistes de Jérusalem qui ensont les gardiens et qui, par le témoignage de ce qu'ils ont vu deleurs propres yeux, garantissent la continuité de l'oeuvre de Jésus.Ils s'érigent en arbitres pour toutes les questions quiintéressent l'Église. Ils réclament des droits; ils se font dispenserde certains services subalternes (Ac 13:5). Une organisation s'ébauche. Les diacres se chargent de l'assistance publique, d'autressont appelés à baptiser les néophytes. Envoyé de Jérusalem, Barnabasconstitue l'Église d'Antioche (Ac 11:22). Un légalisme rigide s'associe aux nouvelles institutions. Des émissaires venus ducentre religieux «épient la liberté» des communautés pauliniennes enGalatie (Ga 2:4). A Corinthe, des émissaires se présentent munisde lettres de recommandation (2Co 3:1). On surveillel'attachement à la Loi des minorités judéo-chrétiennes disséminéesdans le rayon hellénistique. Pierre prétend ne pas être uniquementchargé de l'apostolat dans la sphère juive. Enfin la collecte, que Paul a entreprise dans les Églises de Macédoine et de Grèce «enfaveur des saints» de Jérusalem, est un signe de la suprématie de laprimitive Église. Cette collecte n'est pas un acte de charitéspontanée, mais une contribution officielle analogue au tributque les Juifs de la Diaspora étaient tenus d'adresser auTemple (1Co 16:1 8:4,2Co 9:1-12). Paul la destine aux «pauvres»(qui sont peut-être identiques aux «saints») en raison «des avantagesspirituels» que toute l'Église doit à «la congrégationapostolique» (Ro 15:27). Il ne s'agit donc pas seulement d'uneobligation morale, mais d'une espèce de redevance canonique. De mêmeque toute communauté est chargée d'entretenir le missionnaire qui seconsacre à elle, les Églises pagano-chrétiennes subviennent d'officeaux besoins de la métropole chrétienne. Tandis que dans les premierstemps on déposait l'argent aux pieds des apôtres, il semblemaintenant exister, en dehors même de l'assistance paulinienne, uneadministration financière dûment établie (Ac 11:29 et suivant).Jérusalem est donc le centre d'une Église qui «s'étend jusqu'auxextrémités de la terre» (Ac 1:8), le chef-lieu du peuple deDieu; mais quoique transcendante dans ses origines, l'Église estdevenue bien empirique dans ses organisations cultuelles,administratives et doctrinales; prétendant être de droit divin,l'association théocratique des apôtres s'est donné un couronnementhiérarchique. Jacques, se détachant du groupe des trois, peut enquelque sorte être considéré comme le pontife de la nouvelle Église.En principe, la notion de l'Église est restée la même qu'au tempshéroïque de l'enthousiasme initial (Ac 11:15). L'Église esttoujours considérée comme l'Israël régénéré, objet des promessesdivines, mais à la congrégation toute libre et spirituelle s'estsubstitué un organisme hiérarchique. C'est à cette conceptioncléricale que Paul oppose une idée de l'Église encore toutimprégnée du pneumatisme originaire. Voir Gouvernement de l'Église. Paul n'a pas développé une doctrine de l'Église. L'épître auxRomains ne la mentionne même pas. Les spéculations de l'apôtre à cesujet sont toutes fortuites. Nous pouvons néanmoins nous faire uneidée très nette de sa conception. En défendant son propreapostolat--il le faisait lui aussi dériver d'unechristophanie (1Co 15:8) --il défend aussi la notion spirituellede l'Église tout en lui imprimant la marque de son génie religieux etde sa mystique christocentrique. Ce n'est pas sur des personnesque repose l'Église; quelque distinguées qu'elles fussent par desrévélations divines et quel que fût l'attachement de Paul lui-même àla Ville sainte, ce n'est pas un endroit tel que Jérusalem et sontemple qui pourrait prétendre à des prérogatives quelconques. Paul,fidèle à la spiritualité évangélique qu'exprimera Jn 4:24,affranchit l'Église de toute emprise personnelle et de toutesuprématie topique. C'est le Christ qui occupe la place primordialedans l'Église. Il n'est pas seulement celui dont on a vu larésurrection, mais une puissance toujours présente, vivante,agissante. Là où est le Kyrios, là où règne son Esprit, là estl'Église avec toutes ses promesses. Il en est le chef (Col 1:182:19). Il en est le fondement (1Co 3:11). Toute communauté àlaquelle le Christ inspire sa vie devient une Église de Dieu; elledevient le paradigme local de l'Église universelle dont Jérusalemn'est que le symbole. La foi chrétienne voit dans chaque assemblée dechrétiens unis en Christ toute la chrétienté, le rested'Israël (Ro 9:27), garant de la rédemption de tout le genrehumain. Chaque communauté est en quelque sorte une bouture gonflée dela sève même qui pénètre l'Église dans sa totalité. Dans cette notionde l'Église, la conception ecclésiastique est inséparable de laconception religieuse. Plus encore: cette mystique ecclésiastiquerevêt un caractère sacramentel. L'Église étant le corps du Christanimé de son Esprit ou de l'Esprit de Dieu, c'est le baptême qui enréalise l'unité mystique (Ga 3:26 et suivant, 1Co 12:13).D'autre part la Cène symbolise, elle aussi, la communion auSeigneur (1Co 12:13 10:16). Ainsi amalgamée, l'Eglise, nefaisant plus aucune différence de race et supprimant tous lesantagonismes sociaux (Col 3:11,Ga 3:28), sera l' assemblée dessaints, ce terme ayant perdu son acception étroite et pharisaïque.La sainteté des saints (voir ce mot) n'est pas, comme pour lesthéocrates de Jérusalem, un habitus revêtu une fois pour toutes, uneauréole inhérente à une grandeur historique. Étant donné que dans lavie chrétienne tout est grâce, la sainteté n'est pas une acquisitiondéfinitive, mais un point de départ. L'Église des saints est lacongrégation des hommes justifiés, dont le salut est réalisé parl'Esprit et qui, baptisés en la mort du Christ, morts au péché,s'engagent à mener une vie nouvelle en toute justice et sainteté.Aussi les saints qui retombent dans le péché s'excluent-ils eux-mêmesde l'Église (Ro 16:17 et suivant). Autrement dit, la notion del'Église s'adapte à la doctrine paulinienne de la justification.Étant dans ce monde, l'Église des saints n'est pas de ce monde.D'autre part, surnaturelle, préexistante même (Ga 4:21 etsuivants, Eph 1:4 et suivants), ayant droit de cité dans leciel, elle est pourtant visible, et seules les puissances qui larégissent, le Christ ou le Pneuma (Esprit), sont invisibles. Somme toute, la notion primitive de l'Église subsiste dans laconception de Paul. Celui-ci n'a jamais contesté le fait quel'Église chrétienne avait son foyer dans la communauté des premierscroyants qui, formée autour de Pierre, se fondait sur la foi en lamessianité, la résurrection et la parousie du Seigneur. Les Églisespagano-chrétiennes, en s'affranchissant de l'emprise de Jérusalem, nerejetaient que les exigences théocratiques. Paul estimait qu'au lieude vouloir être les directeurs autoritaires d'une institutionoecuménique, les apôtres auraient dû, comme lui, n'avoir qu'uneambition, celle d'être les «serviteurs» de Christ(1Co 3:5 4:1 2Co 6:4), ou de remplir les fonctions«d'ambassadeurs pour Christ» (2Co 5:20), en renonçant à touteespèce de prestige ou de privilèges (Ga 2:6). Ce ne fut pasPaul, ce furent les hiérarques de la primitive Église qui furentinfidèles à la pensée originelle de l'Église: peuple de Dieu. Pauls'en est tenu au principe de la première heure, à l'idée del'ekklêsia, qâhâl ou k'nichta: «Si vous êtes à Christ, vous êtes lapostérité d'Abraham, héritiers selon les promesses» (Ga 3:29). 5. Vers l'Eglise institutionnelle. Quoique, dans les communautés pauliniennes, l'organisation de la viechrétienne fût purement religieuse, l'Esprit seul appelant lesmembres à remplir les fonctions voulues, une évolution vers l'Égliseinstitutionnelle s'y annonce. Obligé de réfréner l'exaltationpneumatique, Paul organise la vie cultuelle à Corinthe: Dieu n'estpas un Dieu de désordre, mais de paix (1Co 14:32). Parmi lescharismes, il en est qui sont déjà orientés vers un service caritatifrégulier (1Co 16:15,Ro 16:1 et suivants). On discerne lasilhouette de dignitaires ecclésiastiques. Il est question dedirecteurs spirituels (1Th 5:12), d'évêques et dediacres (Php 1:1). Une juridiction religieuses'esquisse (1Co 5:3). Pourtant l'idéalisme, l'enthousiasme et lacharité évangélique ne semblent pas avoir été entravés par larigidité d'une organisation institutionnelle. Les générationssuivantes changeront d'orientation; elles devront consolider lesfondements terrestres de l'Église et garantir sa tradition contredes entreprises sectaires. Dans les épîtres pastorales, les fonctionsde l'épiscope se précisent; son activité directrice est consacrée aumaintien d'une discipline sévère et de la doctrine pure, ainsi qu'àl'administration des organismes cultuels et sociaux. Peu à peul'image de Paul, ouvrier de l'Église de Christ, s'effaça: Corintheelle-même vénère en Pierre l'un de ses fondateurs. L'idéalismemystique de la conception paulinienne de l'Église s'évapore. L'idéede l'Église en tant que corps du Seigneur s'épaissit: des velléitésthéocratiques du modèle juif et certaines spéculations grecques s'ysont insinuées. Dès le milieu du II e siècle, il existe une véritable doctrine de l'Église: l'ekklêsia est le but suprême de lacréation et des dispositions salutaires de Dieu. L'idée valentiniennede l' éon de l'Église, qui se reproduira plus tard dans l'imagede l'Église triomphante du catholicisme, décèle certaines affinitésavec celle que trace l'épître aux Éphésiens (voir art.), oeuvredeutéro-paulinienne dans laquelle on pressent des spéculationsgnostiques ou mandéennes. L'Église y apparaît comme un organismeuniversel, cosmique même (Eph 1:23). Elle repose sur lefondement apostolique (Eph 2:20), conception qui exigera commecorollaire celle de la succession sacerdotale. On y trouve desformules qui marquent énergiquement l'unité de l'Église: une foi,Alexandrie, patrie d'Apollos un baptême, un Seigneur (Eph 4:4,6); de même, dansl'évangile de Jean, il est parlé d'un seul berger et d'un seul troupeau(Jn 10:16, cf. Ap 7:17,1Pi 5:2,Ac 20:29). On désignetoujours l'Église comme sainte; il ne s'agit pourtant plus de lafoi justifiante des membres, mais d'une qualité inhérente àl'institution elle-même (Eph 5:26 et suivants, 1Pi 2:5).Enfin l'Église apparaît déjà comme l'épouse qu'a aimée leChrist (Eph 5:25). Cette nouvelle notion idéaliste de l'Eglisene se rapporte plus aux hommes qu'elle embrasse; on distinguedorénavant l'idée platonicienne d'une congrégation divine qui necomprend que des hommes purs, et, d'autre part, l'assemblée quicomprend la masse des chrétiens baptisés (2Ti 2:20 et suivants,cf. Mt 13:47-50). Il ne s'agit donc pas seulement du fait que,dans les communautés, le ministère fonctionnaire a remplacé lepneumatisme. Ce qui a été plus important pour le développementultérieur, c'est que l'association des croyants, unis au Christ etunis entre eux, est remplacée par un institut ecclésiastique à basejuridique, voire même de droit divin et, par suite, nimbé d'uneautorité céleste. La résistance du paulinisme contre les tendanceshiérarchiques ayant faibli, l'Église catholique se dresse. Seprévalant du fait que Pierre et Paul subirent le martyre à Rome,cette ville s'arroge les prérogatives apostoliques que l'Égliseprimitive avait déjà fait valoir dans la seconde phase de sonévolution, sous la direction de Jacques. C'est seulement la Réformequi songea à rétablir, entre l'idée de la liberté spirituelle etcelle de l'autorité interne, le bel équilibre que Paul, fidèle auxintuitions de l'Évangile, avait communiqué à sa notion de l'Église. BIBLIOGRAPHIE --Hort, The Christian Ecclesia, 1897.--Batiffol, L'Église naissante et le catholicisme, 1909:3. R.W.