ÉDUCATION

Il est naturel de prévoir que l'idée et la préoccupation éducativesseront au centre même de toute la vie israélite, car on peut dire quetoute l'histoire du peuple et même l'histoire du monde apparaît àIsraël sous l'aspect d'une éducation. L'histoire du peuple est celled'une pédagogie que Dieu applique patiemment à travers les siècles;peu à peu Jéhovah pétrit et forme l'âme collective de la tribu, puisdu peuple élu: il a appelé son fils d'Egypte, et il l'a entouré desoins autant que d'épreuves destinées à forger son âme.D'innombrables passages des prophètes pourraient illustrer cettepréoccupation constante de la sollicitude divine à l'égardd'Israël (Esa 1:2,Jer 3:14 etc.). Mais celui-ci à son tour doit faire l'éducation du monde. SaintPaul évoque ironiquement (Ro 2:19) cette prétention du Juif àêtre le pédagogue de l'univers; mais il touche là à l'un des pointsessentiels de la foi prophétique. Dieu a instruit le peuple pour quecelui-ci instruisît le inonde; Dieu lui a enseigné sa loi pourqu'elle fût communiquée à tout l'univers. Ainsi l'idée pédagogiqueest au centre même de l'histoire et de la vie. Cette conception n'est d'ailleurs pas toute théorique etlointaine; dans le détail de l'histoire israélite, l'action de Dieurevêt une allure éducative. L'homme de Dieu, l'initiateur, seraconsidéré comme une sorte d'instituteur surnaturel; ce sera l'hommequi instruit le peuple. Moïse, conducteur de peuple, cède le pas,dans la perspective de l'histoire, à Moïse, législateur et prophète,c'est-à-dire éducateur. Il est naturel que la vie individuelle ait aussi été conçue commeune éducation, laquelle ne cessera jamais d'avoir quelque chose descolaire: le culte de la Synagogue, avec ses lectures et sesexplications de la Bible, revêt une valeur éducative--on diraitpresque: scolaire--évidente. Toute la vie individuelle et sociale estdonc conçue sur le plan de l'éducation. La formation première du jeune Israélite est d'abord toutefamiliale. Jusqu'à l'époque de l'exil l'A.T, ne parle pas d'écoles enpropres termes (pour les «écoles de prophètes»,voir Prophète); mais àpartir de ce moment, les écoles se développent au contraire avec uneextrême rapidité et prennent une importance essentielle dans la viedu peuple. Plus tard encore, elles seront organisées sur le modèlegrec, et les écoles de rabbins rappelleront celles des sophistes oudes philosophes hellènes. Les écoles de Hillel et de Schammaï étaientà vrai dire des embryons d'universités ou d'académies plutôt que desécoles au sens moderne et enfantin du mot. Le fond de l'instruction ainsi reçue était essentiellementreligieux et moral; le but était de transmettre les traditionsnationales ou familiales, non de meubler ou de développerl'intelligence ni de mettre l'individu à même de manifester sescapacités. On reconnaît là un des traits essentiels du génieisraélite, pour qui le développement et l'affirmation de l'individune sont pas une fin méthodiquement poursuivie. La personnalité qu'ils'agit de former c'est celle du peuple, non celle de l'individu. ChezÉzéchiel, l'idée d'une responsabilité personnelle de l'individu,distincte de la responsabilité du peuple, fait sonapparition (Eze 18); mais il. semble que jusque-là lesrécompenses ou les châtiments envisagés par les prophètes aienttoujours eu un caractère collectif. Cette éducation morale, qui ladonnera? D'abord la mère, ensuite peut-être le père pour les garçons,les filles devant rester sous l'autorité maternelle jusqu'au mariage.La fonction de pédagogue ou précepteur ne se présente que dans lestrès grandes familles ou dans l'entourage des rois (Nathan probablt,2Sa 12:25, cf. 2Ro 10:1-5,1Ch 27:32). En dépit de cecaractère familial, il semble que l'éducation ait été très rude. Lalégislation concernant la soumission aux parents est draconienne(voir Jeunesse); le Livre des Proverbes recommande encore de ne pasménager les verges (Pr 23:13). L'attitude de Rébecca auprès deJacob, ainsi que les compétitions pour la succession de David entrefils nés de femmes différentes et appuyés par leurs mères, donnent àpenser que l'influence maternelle par l'éducation première n'a pastoujours été heureuse. Sur quoi portait cette éducation? D'abord sans doute sur lalecture, encore que celle-ci fût assez peu répandue. Cependant despassages comme Jug 8:14 supposent une certaine diffusion del'instruction alphabétique. A l'époque postérieure, on n'a jamais eude peine à trouver des lecteurs pour la synagogue, et les disciplesde Jésus, comme Jésus lui-même, pourtant de milieux modestes,savaient lire. Le premier objet de l'instruction était la tradition nationale.C'est ainsi que nous ont été conservés les récits des origines, soitdes origines du monde, soit des origines du peuple. Ces récitsn'étaient pas enseignés de façon aussi libre que pourraient le donnerà penser nos habitudes modernes de narration. Ils étaient reproduitstextuellement tels qu'ils avaient été appris par coeur dès l'enfance;des fragments poétiques insérés encore aujourd'hui dans lesrécits (Ge 4:23 Ge 27:28,39 49:2-27 No 23:7-10,18-24 etc.) sontles traces d'anciennes recensions en vers destinées à favoriser lamémorisation. Le caractère religieux de cette tradition n'excluaitpas sa fidélité historique, pas plus du reste qu'il ne lagarantissait. En fait, l'histoire n'était pas enseignée pourelle-même comme aux temps modernes, mais pour ses enseignementsreligieux, comme aussi pour son utilité pratique; à l'époquepatriarcale, certaines traditions équivalaient à un acte de propriétésur telle caverne célèbre ou sur tel point d'eau dans le désert.C'est pourquoi ces traditions étaient généralement appuyées à grandrenfort d'étymologies ou par l'interprétation donnée à l'érection dequelque pierre dressée ou de quelque autre monument (Ge 49:29-3226:19-22). Ces traditions sont également les lettres de noblesse du peupleélu. Elles le rattachent à une longue lignée de patriarches et deprophètes, tandis que l'origine des peuples ennemis, Moabites etAmmonites, est rattachée à des filiations humiliantes (Ge19:30-38). A l'épopée nationale se rattachait étroitement l'étude de la Loi.Celle-ci était à la fois un document historique, un documentreligieux et le fondement de la vie morale autant que sociale. Lejeune Israélite devait la posséder parfaitement, non seulement dansses principes, mais aussi dans ses applications les plus spéciales,de l'ordre cérémoniel autant que de l'ordre moral ou religieux. Lalimite entre le civil et le religieux étant incertaine ou mêmeinexistante, toute la vie se trouvait dominée par un idéal religieuxjusque dans ses actes les plus terre à terre. Il s'agissait donc pourl'Israélite de connaître sa Loi. A cela, il faut ajouter les grandes affirmations religieuses quele Deutéronome, par trois fois, somme les parents d'inculquer à leursenfants au même titre que la Loi (De 6:7 11:19 32:46). Encore lemême livre demande-t-il que tous les sept ans la Loi soit lue aupeuple entier, afin qu'elle ne tombe pas en oubli (De 31:12). Ontrouve là sans doute un écho de ces grandes assemblées qui sontdécrites 2Ro 23:2 et Ne 8:1. Bien que l'on puisse avoir desdoutes sur l'exécution pratique de ces ordres, du moins prouvent-ilsl'extrême importance attachée à la connaissance de la Loi et desgrandes vérités religieuses qu'elle exprime. Un enseignement moins solennel, mais plus efficace peut-être,était constitué par de nombreux préceptes de morale que l'on faisaitapprendre soit aux enfants, soit aux jeunes gens. Les Proverbes ensont un exemple typique. Ici encore la forme poétique servaitd'auxiliaire à la mémoire. On connaît le goût des Israélites pour lesproverbes et maximes; la facilité avec laquelle ils en usaient tientau fait que la plus grande partie de l'enseignement était présentéeainsi en petites formules frappées souvent comme des médailles, etqui leur reviendront spontanément à l'esprit dans toutes lescirconstances de la vie. Ce qu'ils appelaient «la sagesse»,c'est-à-dire l'art de penser et de s'exprimer en préceptes pleins desaveur et de finesse, comme aussi de se conduire avec prudence dansles cas difficiles, faisait l'objet de cet enseignement, que l'ontrouvera défini dans Pr 1:1,9 3:11-30. L'Ecclésiasteappartient au même genre littéraire et révèle un usage analogue. Enfin, il faut mentionner, parmi les objets essentiels del'enseignement domestique, le rituel des grandes fêtes. Non seulementsa connaissance était indispensable à cause du rôle que le père etmême les membres de la famille étaient appelés à jouer dans certainesd'entre elles, mais le rite avait, outre sa signification religieuse,un rôle mnémonique important. Il servait à cristalliser certainssouvenirs. Des passages comme Ex 12:26 13:8-14, nousmontrent comment les rites principaux contribuaient à fixer lesouvenir des grands événements nationaux. Il est fort possible queces rites aient eu une autre origine, et qu'ils aient été ensuiterattachés artificiellement aux événements saillants de l'histoirereligieuse du peuple; mais il n'est pas douteux qu'ils n'aient servià cet égard de moyens d'enseignement, moyens grandement efficacessans doute en raison de leur caractère concret. Toute cette éducation était, du point de vue moderne, extrêmementutilitaire, la préoccupation de la «culture» au sens classique duterme en étant totalement absente jusqu'au temps de l'exil. Nous avons noté qu'à cette époque l'école avait fait sonapparition en Israël. Elle avait pris un développement considérablechez les contemporains de Jésus, sous la direction de ces «Docteursde la Loi» que l'on rencontre si souvent dans les récits évangéliques. Dans le N.T., nous trouvons des indications assez nombreuses surle soin dû à l'éducation des enfants (1Ti 3:4 3:12 5:10,Tit1:6 etc.), et l'on sait la prédilection de Jésus pour ceux-ci et laplace qu'il leur a faite dans ses paraboles ou ses comparaisons. Maisla société chrétienne était encore trop jeune, à l'époque du canonbiblique, pour avoir en matière d'éducation ses conceptions propres.L'éducation chrétienne à cette époque est celle des adultes et noncelle des enfants. L'organisation d'un enseignement chrétien àl'usage de l'enfance suppose des parents déjà chrétiens et ayant prisconscience de la nécessité de transmettre la foi et la règle de vie àleurs enfants, condition qui n'est pas encore réalisée à l'époqueapostolique. Notons seulement que le culte de l'Église primitive, comme celuide la Synagogue, faisait une large place à l'enseignement, et quel'idée d'une éducation continuée pendant toute la vie est passée dumilieu israélite au milieu chrétien du I er siècle. Notre époque, quiest si fière de sa pédagogie et se préoccupe légitimement d'assurerl'éducation de l'enfance, pourrait apprendre du moins des milieuxbibliques que l'éducation ni l'instruction ne se doivent borner aupremier âge ou à la jeunesse, mais qu'elles s'étendent sur toute lavie. A.-N. B.